L’abandon des apprentis. Les étudiants sans voix.

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Par une étudiante.

Depuis peu, les étudiants en France font parler d’eux et de leur frustration face à la covid. Les Français étant un peuple de râleurs et de grands manifestants, cela n’a étonné personne. Et une fois encore, en Belgique, les gens se taisent. Les jeunes se taisent. Peut-être par peur de déranger, d’en rajouter une couche, d’enfoncer le couteau dans une plaie covidée, infestée de pus depuis mars dernier. Pourtant, lorsque les Français râlent, les Belges se plaignent. Mais qui se plaint ? Les gens d’âge mûr, les personnes à risque, les élèves de secondaire et les parents des élèves de primaire ?

Et les étudiants ? Depuis que je suis à l’université (c’est-à-dire depuis septembre dernier) j’écoute mes amis étudiants et apprentis. Et qu’est-ce qu’ils disent ? Ça va vous surprendre. Ils ne se plaignent pas vraiment ! Plus vraiment, en tout cas… ils n’en ont plus envie. Ou peut-être que ça les a trop épuisés de se plaindre. Ils ne se plaignent plus, ils sont en colère. Ils regrettent. C’est une souffrance étrange (…) mourir de nostalgie pour quelque chose que tu ne vivras jamais. Les étudiants de première année et ceux des années au-dessus, c’est un peu ça. Ils regrettent une chose qu’ils n’ont pas et qu’ils n’ont jamais eue. Parfois une chose qu’ils ont eue, mais qui parait si loin, et qui parait s’éloigner encore. C’est comme la vie d’une autre, d’un autre. Une autre vie. Cette vie, c’est la vie étudiante. Ou tout simplement, la jeunesse. 

Une jeunesse faite d’amendes, de somnolence des jobs étudiants, de l’absence de contacts sociaux, de culpabilisation, de mauvais traitement de l’information. 

Une jeunesse faite d’amendes.

Commençons par l’amende. Ou plutôt, « les amendes », depuis qu’elles diffèrent (et pas qu’un peu, selon qu’on organise une soirée, qu’on y participe, qu’on ne porte pas son masque…) Sept cent cinquante euros d’amende pour une présence à une soirée (ou une journée d’ailleurs). Cela, même si tu vis en kot, en coloc, que tu n’es pas en contact avec tes parents, grands-parents, ni personne d’autre. 

Quatre mille euros d’amende pour avoir organisé une soirée (ou une journée). Cela, même si tu vis en kot, en coloc, que tu n’es pas en contact avec tes parents, grands-parents, ni personne d’autre. 

Je fais des études d’économie et bien que je ne sois qu’en première année, des amendes de 750 euros et de 4.000 euros pour une même soirée, je ne peux les qualifier autrement que d’amorales.

Pourquoi ? Du fait de la somnolence des jobs étudiants.

Combien d’étudiants travaillent dans l’horeca ? Ou peut-être devrions-nous dire « travaillaient » ? Beaucoup. Énormément. C’était probablement la majorité des jobs étudiants. Avec des salaires qui différaient (de 9,50 à 12,50 de l’heure). Pas toujours les plus élevés, mais toujours non négligeables. Depuis que l’horeca dort anxieusement et attend avec impatience le moment où il pourra enfin se réveiller, les étudiants qui en dépendaient, en fin de journées d’étude, pendant les week-ends, etc., ont perdu ce revenu.

Depuis que l’horeca dort anxieusement, les étudiants qui en dépendaient ont perdu ce revenu.

Il y a quelque chose que je n’aurai probablement pas appris en économie, et que j’ai appris avec la covid, c’est qu’il existe un prix qui terrorise. Qu’il existe un prix qui fait si peur qu’il empêchera les jeunes de voir d’autres jeunes. Même s’ils se sont fait tester. Même s’ils ne voient pas leurs familles respectives. Même si. Même si. Même si. 

Rendons alors à César ce qui appartient à César ! Les deux amendes, même si amorales, ont eu le mérite d’avoir empêché d’innombrables soirées. Mais les soirées de qui ? Les soirées de ceux qui ne peuvent pas se le permettre. De ceux qui ne peuvent plus se le permettre. Il y a un prix qui en terrorise certains mais pas d’autres. Sept cent cinquante euros seront plus faciles à débourser pour des adultes aisés qui possèdent toujours un travail (bien payé) que pour un étudiant qui a perdu son job à l’heure où l’horeca hiberne encore. Une amie m’a dit « Tu ne peux pas donner une amende de 750 euros à un étudiant qui a perdu son job sans te sentir mal. » Elle parlait de la police. Ça ne doit pas être facile d’être policier et policière en ce moment. Je n’aimerais pas avoir à ruiner des étudiants parce que le gouvernement me le demande. Je n’aimerais pas disposer du pouvoir exécutif en ce moment. 

Passons à l’absence de contacts sociaux. Nous la subissons tous. Que ce soit les adultes qui télétravaillent, les étudiants qui étudient, les étudiants qui n’étudient plus, pas, ou pas encore. Les adultes qui ne travaillent pas. Nos grands-parents qui sont seuls depuis mars, plus que nous ne le sommes… la liste est longue. Mais la majorité des jeunes se confinent et font attention pour les autres, pas pour eux-mêmes. C’est une chose de se protéger pour soi-même, c’en est une autre de se protéger pour ne pas mettre « nos vieux » en danger. Bien sûr, il y a des étudiants terrifiés à l’idée d’attraper la covid (ou tout simplement des étudiants qui ne peuvent pas se le permettre : examens, travail, famille…) Mais la plupart des jeunes à qui j’en ai parlé en ont moins peur, puisqu’ils sont moins à risque, et sont d’autant plus frustrés qu’ils se protègent d’une chose qui n’est pas pour eux une menace directe. Et la plupart du temps, les étudiants qui font attention sont ceux qui vivent chez leurs parents. 

La belle solidarité des jeunes ne devrait pas être piétinée à coups de « c’est à cause de vous ! »

C’est comme si nous étions en temps de guerre et qu’une très petite minorité de jeunes se prenaient des bombes quand beaucoup d’adultes s’en prenaient de tous les côtés et que pour arrêter la guerre, il fallait que les adultes ET tous les jeunes aillent se battre. C’est une belle solidarité, celle des jeunes, et elle ne devrait pas être piétinée à coups de « C’est à cause de vous, la covid ! » « C’est parce que vous sortez et que vous vous amusez que mon fils de 5 ans ne peut pas aller à l’école ! » « Ah non je ne te fais pas de câlin à toi (alors qu’elle en fait aux adultes autour de moi). »  

Ces phrases, je ne les invente pas, de parfaits inconnus et des adultes que je connais bien me les ont lâchées gratuitement depuis mars dernier et je continue de les entendre, comme tant d’autres jeunes. 

J’aurais voulu répondre (et j’ai répondu, mais plus subtilement) « Vous ne savez pas ce que c’est que de rester un an confiné à 18 ans, à ne pouvoir qu’étudier seul dans une petite chambre pour protéger vos parents, grands-parents et de parfaits inconnus comme vous, pour une chose qui ne nous touche même pas. Ce qu’on fait, on le fait pour vous et vous ne nous respectez pas. Vous ne nous considérez pas. » C’est vrai que les étudiants ont toujours été considérés comme des glandus qui fument des joints, boivent des bières, font des comas éthyliques à la Saint-V et passent tout juste en troisième session. À la fin du bachelier ou du master, ils deviennent pourtant, comme par magie, des citoyens exemplaires. 

Par-dessus le marché, le monde de la nuit se démantèle. Le Zodiac est mort. le Fformatt est mort. Et d’autres boites et bars suivront. Perdre le monde de la nuit, ça veut aussi dire perdre des étudiants. Et perdre des étudiants, ça veut dire affaiblir la société. 

Il semble donc nécessaire de rappeler la vraie valeur des étudiants. Les étudiants et les jeunes en formation sont les médecins qui opéreront vos enfants, les banquiers qui leur permettront d’avoir un prêt immobilier, les vendeurs et producteurs qui les feront manger et boire, les ouvriers, plombiers, électriciens, menuisiers, techniciens qui répareront ou construiront tout ce dont ils auront besoin, les scientifiques qui leur révèleront les enjeux de leur temps, les journalistes qui les informeront sur le monde qui les entourent, les artistes qui les évaderont, les politiciens qui maintiendront la démocratie et les avocats et juges qui leur assureront le respect de leurs droits fondamentaux (pardon à tous ceux que je n’ai pas cités).

Rien que ça !

Les étudiants, c’est tout simplement la société de demain. Continuez à les critiquer, les engouffrer, les ignorer et les moquer et ce sont des centaines, peut-être des milliers de ces futurs professionnels indispensables qui commenceront leur carrière dans la désillusion. Et combien d’entre eux seront perdus avant que d’exercer ? D’autant que la génération à laquelle j’appartiens, la génération Z (et Y pour ceux d’entre eux qui étudient toujours), a énormément de choses à apporter à la société. Notre vision est différente, nos idées sont différentes et surtout nos solutions sont et seront différentes. 

Les étudiants c’est tout simplement la société de demain.

Les étudiants, c’est peut-être ce qu’une société a de plus précieux. Je ne vais pas pointer du doigt toutes les aides que ceux-ci ne reçoivent pas, je vais pointer ce qui pour moi serait le minimum : nous donner une voix, l’écouter et essayer de la comprendre. 

Pourtant, en ce moment si compliqué pour les jeunes, le traitement de l’information est culpabilisateur. Il est même pratiquement inexistant lorsqu’il s’agit de donner une voix aux étudiants. Nous remercierons quelque deux articles et reportages télévisés qui ont abordé le sujet. L’un d’eux dénonce une étude de la FEF qui nous explique que 60 % des étudiants sont en décrochage scolaire et 10 % envisagent d’arrêter leurs études pour trouver un travail (Bénédicte. A. para 2-3. RTBF.be)(2). Merci à la RTBF ! 

La RTBF, la chaîne publique qui est entrée dans une colocation à Ixelles le mardi 9 février, sans autorisation, et a refusé la demande des colocataires de ne pas les filmer (Anonyme, ULB Confessions, Facebook (1)). Si l’intention des chaînes télévisées et des journaux est en ce moment de faire peur aux autres étudiants, ça ne marchera pas. Prendre certains des « dépravés » comme exemple — ceux qui ont osé boire un verre ensemble (Scandale !) alors qu’ils faisaient partie de la même collocation — en criant : « faites attention ou vous finirez comme eux ! Mouhahahaha ! » ça ne marchera pas. Vous ne montrez pas l’exemple d’une chose interdite, mais l’illustration que certains individus de la police et certains journalistes d’une chaîne publique abusent clairement de leur pouvoir. Pourquoi font-ils ça ? Parce qu’ils pensent que, sous prétexte que nous sommes jeunes, ils peuvent ? Que nous ne sommes pas informés de nos droits ? Que nous avons peur de contredire les forces de l’ordre ? À raison, sans doute…

Un jeune homme de mon université arrivé en septembre du Pakistan a demandé sur le chat d’un de nos cours en vidéoconférence dans quelles circonstances la police a le droit de rentrer chez toi. Beaucoup d’étudiants lui ont répondu « un mandat d’un magistrat et c’est tout ». En réalité, ce n’est pas tout et en ce moment, il est dangereux de l’ignorer (parce que 750 et 4.000 euros c’est un danger). Il faut un mandat d’un magistrat et/ou un flagrant délit (donc en ce moment, laisser les rideaux d’une coloc de 11 personnes — ou moins que ça — ouverts leur donne le droit d’entrer dans ladite coloc). 

Une équipe de la RTBF refuse de ne pas filmer des… colocataires.

Alors que certains étudiants ne savent pas ces choses-là (peut-être parce qu’ils viennent de partout dans le monde ou tout simplement parce que les articles de presse qui l’expliquent sont quasi introuvables), d’autres les connaissent, mais n’osent simplement pas refuser quoi que ce soit à la police, qui n’a pas une réputation des plus glorieuses en ce moment. Ce qui crée une polarisation du problème. Au pôle nord, la police juste qui représenterait la majorité. Au pôle sud, la police qui abuse de son pouvoir, soit parce qu’elle le peut, soit parce qu’elle le veut, soit parce que parmi ses connaissances, quelqu’un est mort de la covid. 

Aujourd’hui, les étudiants sont terrorisés par les deux pôles. Même si la police, aussi, n’en peut plus. Ils ont sûrement aussi un manifeste à écrire. Rien de tel qu’un bon coup de gueule ! Mais revenons à notre plus important mouton : les jeunes, les students, les apprentis.

Il est dangereux d’épuiser une partie aussi importante de la population. Les étudiants subissent pour la plupart des changements hormonaux intenses, des crises d’adolescence plus tardives… ce qui désinhibe la procrastination, la déprime passagère et parfois le trente-sixième dessous. Et lorsqu’il y a une dépression en jeu, le jeu n’est plus à prendre à la légère. 

En écoutant les étudiants autour de moi, j’ai remarqué que ce qui leur manquait le plus — peut-être plus que de sortir et de se lâcher —, c’est d’avoir une voix, de la faire entendre et que cette voix soit considérée. Ils se sentent physiquement et mentalement seuls. Et leur seule échappatoire, ce sont leurs syllabus et autres travaux. Tu parles d’une échappatoire ! 

Ce qui manque me plus aux étudiants, c’est d’avoir une voix, et qu’elle soit considérée.

La plupart des étudiants ne peuvent pas avoir cours en présentiel depuis novembre dernier alors que le gouvernement se démène pour que jeunes en primaire et secondaire, eux, puissent se rendre dans leur établissement. Pourquoi eux et pas nous ? Certaines éducations sont-elles à privilégier ? Un savoir en vaut-il plus qu’un autre ?

Il faut écouter nos jeunes, écouter nos étudiants, les laisser parler sans les juger. Sans leur dire que « c’était pire en 39-45 ». Ils le savent. Alors, encourageons les étudiants. La covid nous a aussi montré qu’il y a un besoin croissant d’offre, d’organisation, de savoir et de savoir-faire ! 

Écoutons les étudiants ! Leur donner la parole dans les journaux et sur les plateaux télé peut redonner espoir aux autres, qui se retrouvent dans leur propos ! C’est notre manière à nous de tenir : voir que malgré ce long tunnel de solitude dont on ne voit pas la lumière au loin, nous ne sommes pas seuls et qu’à présent, la société ne s’en fout plus. 

Il est difficile d’exister en ce moment. 

Et parler, c’est exister.

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(1) Anonyme. (15 février 2021). ULB Confessions. Facebook. https://www.facebook.com/ULBConfessions

(2) Bénédicte. A. (2021). Une majorité des étudiants du supérieur en décrochage scolaire selon une étude de la FEF. rtbf.be. https://www.rtbf.be/info/regions/liege/detail_une-majorite-des-etudiants-du-superieur-en-decrochage-scolaire-selon-une-etude-de-la-fef?id=10665415

 


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©Marcel Sel 2019. Distribution libre à la condition expresse de citer l’auteur (Marcel Sel) et d’établir un lien avec cette page. 
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1 Comment

  1. Salade
    février 19, 14:06 Reply
    Ecoutons les étudiants, certes. Mais je ne vois aucun citoyen (jeune, vieux, chômeur, travailleur, etc) sur les plateaux TV. Pas de débats (mais pas avec Sacha par pitié) Le beau temps arrivant, le gouvernement et la clique des virologues - mais aussi les médias - vont être lynchés. On les offre sur un plateau de covid, pour les siècles des siècles.

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