Victoire dans l’affaire Michel Collon : on peut toujours dire « antisémite ».

Vous avez été nombreux à contribuer à mon tout premier crowdfunding. C’était en 2018, et il visait à me permettre de me défendre correctement suite à une citation au civil du journaliste Michel Collon, ex-dirigeant du PTB, inventeur des médiamensonges et militant antisioniste. 

Merci encore à tous, et de tout cœur pour cet incroyable soutien. Vos dons ont, avec les indemnités perçues et dues, presque entièrement couvert les frais liés directement aux deux procès (première instance et appel). Par souci de discrétion, je ne vais pas révéler les montants payés. Mais au total, les frais (avocat, déplacements, documentation, etc.) correspondent environ à un tiers de mon revenu annuel. Quant au temps perdu à réunir toutes les pièces, on parle en mois de travail.

Mais je suis très fier de pouvoir, et de ne devoir compter que sur la bonne volonté des amoureux de la liberté d’expression.

Cinq ans de bataille juridique
L’affaire était d’intérêt général — comme le confirme l’arrêt de la Cour d’appel de Bruxelles —, puisque Michel Collon entendait manifestement obtenir qu’on ne puisse plus qualifier d’antisémites que des personnes condamnées pénalement pour de tels faits. Lui-même ne se prive pourtant pas de qualifier autrui d’islamophobe ou de m’affubler du qualificatif de « blogueur d’extrême droite ». 

Pour rappel de l’affaire, le 18 avril 2018, je publiais un billet critiquant la présence d’Alexis Deswaef, alors président de la Ligue des Droits de l’Homme (aujourd’hui, Ligue des Droits humains) à un débat sur la solidarité avec les Palestiniens organisé par Michel Collon.

Un débat ? La rencontre s’annonçait plutôt comme une série de diatribes contre Israël, par une ribambelle d’usual suspects. Michel Collon avait aussi accusé, sans fondement, le « lobby pro-Israël » de l’avoir empêché d’organiser cette manifestation militante à Molenbeek. 

J’ai estimé insensé que le président d’une ligue fondée en réaction à l’affaire Dreyfus se complaise en compagnie d’« un conspirationniste aux penchants antisémites qui pense que la presse française “appartient à Israël” ».

Le 23 avril 2018, l’avocat de Michel Collon, Maître Fermon (un autre ancien du PTB), m’a sommé d’effacer (tout) mon article, ce que j’ai bien sûr refusé de faire. Il lui était du reste loisible de me demander un droit de réponse, que j’aurais publié pourvu qu’il fût légal. La cour m’a d’ailleurs fait l’honneur d’en citer notamment la dernière ligne : « Je persiste et signe, je m’appelle Marcel Sel ».

Le 27 avril 2018, soit neuf jours seulement après la parution de mon papier, Michel Collon me citait au civil pour calomnie et exigeait 10 000 euros de dommages et intérêts. Il fut débouté en première instance et fit appel. 

Petits instants cocasses au tribunal
Comme en 2018, la Ligue des Droits Humains s’est invitée (involontairement j’espère) dans les débats. Taquin, je lui avais, dans mon article du 18 avril 2018, servi un brunch bien satirique, et d’emblée : « D’esprit ludique, je suggère, dans les titres suivants, quelques nouvelles dénominations pour la Ligue de Droits de l’Homme. » Et je n’avais pas lésiné. Cette facétie a « permis » à Maître Fermon de s’enflammer longuement en s’offusquant que mes intertitres rebaptisassent la LDH « Ligue des Droits des Antisémites » (rendez-vous compte, monsieur le président !) « Ligue des Droits des Dictateurs sanguinaires » (il ose tout, madame la présidente !) ou encore « Ligue des Bras droits faisant Heil ! » (non, mais vous imaginez ça, madame la greffière !) 

En première instance, mon avocat Maître Jacques Englebert avait, pour toute réponse à cette demi-heure consacrée à la défense de la LDH, fait valoir l’air de rien que la Ligue ne s’était pas jointe à la cause. Rictus entendu du juge. En audience, l’économie a ses vertus.

En appel, j’étais représenté par Maître Audrey Adam devant une cour 100 % féminine — ce qui avait tout pour rassurer l’homme déconstruit de naissance invité malgré lui à l’audience. Face à un Fermon assez vitupérant — y compris contre la prétendue inconsistance du jugement de première instance qui m’aurait tour à tour qualifié, selon lui, d’humoriste et de journaliste — Maître Adam a efficacement rappelé la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme et énuméré sobrement les faits en commençant par la page Wikipédia de Michel Collon, qui n’est pas piquée des vers. Réponse de Me Fermon, en substance : n’importe qui écrit ce qu’il veut sur Wikipédia ! 

Vint alors la conclusion de son plaidoyer (en substance) : la liberté d’expression vaut pour les gens honnêtes, mais pas pour un « humoriste de mauvais goût comme Monsieur [Sel] ». Je n’ai pas pu réprimer un gros éclat de rire.

Car à la prétendue inconsistance du premier jugement, Maître Fermon répondait par une autre, de son cru : un jour, je serais donc un « blogueur d’extrême droite », un autre, juste un « petit comique ». Faudrait savoir !

Deux cours, deux styles
En première instance, le tribunal avait estimé que m’interdire de qualifier Michel Collon d’antisémite revenait à me priver d’une liberté dont il usait lui-même, reconnaissant au passage à mon article « le ton railleur » qui serait le mien. Miam. L’arrêt de la cour d’appel est plus dense.

Il confirme ainsi que « la mise en balance entre le droit à la liberté d’expressions de M. [Sel] et le droit à la vie privée de M. Collon doit être opérée en tenant compte notamment de la contribution à un débat d’intérêt général, de la notoriété et du comportement antérieur de la personne visée ». À cela s’ajoutent le mode d’obtention des informations, leur véracité, ou encore les répercussions de la publication.

L’arrêt reconnaît de plus que M. Collon « participe de manière active et militante au débat public et qu’il doit donc accepter […], plus qu’un simple citoyen, que ses opinions et prises de positions publiques soient critiquées, d’autant qu’il se prononce de manière polémique et engagée sur des sujets […] sensibles tels que le conflit israélo-palestinien. »

La cour rappelle qu’étant moi aussi polémiste, j’étais poursuivi pour avoir publié un « billet d’humeur » qui reprochait « à Alexis Deswaef de mettre en péril la crédibilité de la Ligue des Droits de l’Homme en s’associant à des personnes qui, par leurs actions ou leurs discours, entrent en contradiction manifeste avec la défense des droits de l’homme ». C’est là une lecture très fidèle de mon intention et du sens du billet.

La satire n’empêche pas l’intérêt général
Elle ajoute que « ni le style employé, ni la virulence des termes utilisés notamment à l’encontre de la Ligue des droits de l’homme et de son président […] ne suppriment l’intérêt général du débat suscité par l’article », en matière de défense des droits de l’homme et de la question de l’antisémitisme. 

Si elle considère que mon article n’est pas un travail d’investigation (alors que j’ai tout de même consulté 323 sources avant de rédiger), la cour reconnaît une opinion caractérisée par « un ton provocateur et satirique », ce que je ne contesterai évidemment pas. Avant d’énumérer plusieurs des nombreux articles qui ont, par le passé, accusé Michel Collon de confusionnisme, de défendre les régimes d’Assad ou de Khadafi, ou encore d’être proche du cercle belge des amis de Dieudonné — selon les propres termes de la cour. 

L’arrêt conclut également que j’avais le droit d’écrire que Michel Collon pensait que la presse française appartenait à Israël, dès lors qu’il avait lui-même déclaré « En France, c’est particulièrement caricatural, ils sont quasiment tous dans le business, quasiment tous marchands d’armes ou liés à Israël, donc là, c’est très fort. » Si mon résumé ne convient certes pas à Michel Collon, il n’en est donc pas moins légitime.

La cour estime enfin que « dire [comme l’a fait Michel Collon] que les frères Kouaichi, auteurs de l’attentat de Charlie Hebdo ne sont pas tombés du ciel, mais ont été armés, formés militairement et endoctrinés par Monsieur Fabius et ses amis pouvait être interprété par M. [Sel] comme une volonté d’attribuer à M. Fabius une responsabilité dans les attentats de Paris et d’y voir des relents antisémites. » Laurent Fabius étant d’origine juive.

Je m’étais basé pour ce faire sur une transcription exacte de Conspiracywatch, que je salue au passage.

On peut dire « antisémite » (à certaines conditions)
Michel Collon avait par ailleurs sous-entendu qu’on ne pouvait qualifier d’antisémite que ceux qui avaient été condamnés pour de tels faits. Je considérais cette tendance particulièrement dangereuse. 

À la suivre, on n’aurait donc pas pu qualifier Dieudonné d’antisémite avant un jugement pénal. Ni Zemmour de raciste. Ni Meyssan de complotiste. Et un internaute (sais plus qui…) a ajouté que dans un tel cas, on ne pourrait même pas accuser Goebbels ou Hitler d’antisémitisme ni de racisme, puisqu’ils n’ont jamais été condamnés pour de telles qualifications !

J’ai donc demandé à mes avocats de souligner ce point qui me semblait essentiel : si j’étais condamné, l’utilisation même de l’accusation d’antisémitisme risquait de devenir condamnable. Or, on ne peut lutter contre le racisme, l’antisémitisme, le sexisme ou l’homophobie si l’usage de ces termes peut être réprimé lorsqu’ils sont utilisés sur des bases factuelles. 

La cour nous a entièrement suivis sur ce point, écrivant noir sur blanc que « le terme antisémite n’est pas réservé à ceux qui ont été condamnés pénalement pour de tels faits. » 

L’arrêt conclut « En l’espèce, M. [Sel] pouvait parfaitement considérer que les prises de position de M. Collon — en dépit de ses dénégations — cachaient de l’antisémitisme et pouvaient entraîner de dangereuses dérives. Il disposait d’une base factuelle suffisante pour exprimer son opinion à ce sujet et n’a pas outrepassé les limites de sa liberté d’expression en accusant M. Collon — dans un style propre au caractère satirique de son blog — d’être antisémite et de réveiller “la théorie du grand complot juif internationaliste et impérialiste qui a fait le beau jour du nazisme” ».

J’ignore si c’est voulu, mais l’arrêt de la Cour d’appel se clôt délicieusement sur une citation de Michel Collon qui appelait dans un de ses articles  « à défendre la liberté d’expression ». Et là, j’ai un petit conseil amical pour Collon : cher Michel, la liberté est une rue à double sens, et on y roule  mieux quand les uns ne tentent pas de museler les autres en envoyant, par exemple, un « polémiste » sans moyens au tribunal !

Effets pervers
Voilà donc un arrêt qui me réjouit et me rassure sur le droit à la liberté d’expression en Belgique. 

Mais la dizaine de procédures (1) qui me sont servies avec celle-ci (Michel Collon ayant inauguré la série) fait que désormais, je fais beaucoup plus attention à chaque ligne que j’écris. Que je ne finis pas les deux tiers de mes articles, de peur des conséquences. Que j’hésite à retrouver le « ton railleur » qui était le mien. Je n’oserais probablement plus rédiger cet article comme je l’ai fait en 2018. 

L’effet pervers, c’est qu’aujourd’hui, même si je tweete toujours autant, sur mon blog, je me tais plus souvent que je ne l’ouvre.

Et c’est là que je me rends compte — une fois de plus — que les ennemis de la liberté d’expression (je sais, le terme semble grandiloquent, mais la réalité est là) dans notre pays ne sont pas les lois ou les tribunaux. Et pas forcément « l’extrême droite ». Ce sont, comme tous ceux qui me poursuivent depuis 2018, des journalistes et des institutions du journalisme, de gauche extrême ou intersectionnelle. C’est probablement ce qui fait le plus mal. Au cul.

Le jour où la corporation aura compris que c’est anormal, et dangereux pour elle-même en tout premier lieu, elle pourra à son tour nous rassurer !

Remerciements

Il me reste à remercier trop de gens pour les nommer tous. Tous les contributeurs pour leur soutien ô combien précieux. La Ligue Belge contre l’Antisémitisme pour son soutien moral. Mes avocats dans cette affaire, Jacques Englebert et Audrey Adam. Tanguy Roosen, de la SACD, qui a essayé de m’obtenir une aide judiciaire, refusée toutefois par le Comité belge de ma société d’auteurs.

Et le très regretté Marc Metdepenningen, chroniqueur judiciaire historique du Soir. De ce ket d’exception, je retiens la phrase qu’il m’a dite quand je l’ai appelé — avant tout le monde — pour lui dire que Collon me collait un procès : « T’en fais pas, hein, Marcel ! Ils vont perdre » !

Voilà donc quatre procédures-bâillons gagnées définitivement (1). Une de perdue parce que, pour des raisons indépendantes de ma volonté, je n’ai pas pu me défendre. Restent quatre autres à gagner. Le prochain rendez-vous est en mai. Puis septembre, puis octobre. Puis, peut-être, les appels.

Comme disait Winston, ceci n’est pas le commencement de la fin, mais c’est peut-être la fin du commencement !

(1) Je compte chaque appel comme une procédure, puisqu’il requiert un avocat, des échanges de conclusions, des frais divers et… du temps.

 


Si vous souhaitez soutenir la suite de mes aventures judiciaires, vous pouvez me soutenir en faisant un don. Notez qu’en-dessous de 2€, les frais sont prohibitifs.

© Marcel Sel, 2023. Reproduction interdite sans accord de l’auteur.

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3 Comments

  1. Christine
    mars 26, 10:48 Reply
    Je te l'avais bien (pré)dit. Courage pour les autres et n'oublies pas la notion de procédure téméraire et vexatoire pour les suivantes.

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