EXCLU : Comment Denis Robert a lynché un innocent.
Alexandre Perrin n’avait rien demandé à personne. Il travaille depuis quelques mois chez son second vrai employeur, un fonds d’investissement spécialisé dans l’économie verte. Il en est fier : il contribue au financement des énergies renouvelables. D’ailleurs, il va à son travail à vélo. Il bosse énormément. Il veut saisir sa chance. Il est en période d’essai. Il a besoin de se concentrer. Il sait que sa place se mérite, il fait tout pour la mériter. Il a 26 ans.
Alexandre a ses diplômes avec mention, pour lesquels il a bossé dur, déjà. De 2010 à 2014, il a alterné les cours et les stages, a passé toutes ses vacances d’été dans des entreprises ou à l’université. De grandes universités. De hautes études. Aujourd’hui, il vit à Londres, en colocation.
Alexandre prend 10 ans dans les dents.
Pour Denis Robert — le journaliste qui avait révélé l’affaire Clearstream —, la vérité est toute autre : Alexandre Perrin est un trader, mesdames, messieurs. Il a « la trentaine et un look de gendre idéal pour mamie tropézienne ». Il roule en Lamborghini. Il a vécu à Singapour, et auparavant au Japon. Il est plein aux as. Et il n’est « pas satisfait de sa carrière de trader ». Du coup, il a ouvert un compte Twitter à l’humour sauvagement ultralibéral, à l’effigie de Gordon Gekko, le trader infâme incarné par Michaël Douglas dans Wall Street. Le nom du compte : @skyzelimit.
Mais le tableau n’est pas encore assez noir. Robert en rajoute. Alex serait « une caricature des jeunesses […] FN », qui « parle un peu comme ses copains du Front ». Il est raciste, sexiste, homophobe, il déteste les Roumains, les musulmans, les grévistes, les jeunes, les intellectuels et les pauvres. N’en jetez plus !
Mais si, Denis en a jeté encore : on pense à un véritable lynchage à la lecture de cet article vitupérant qu’il a publié sur Facebook, qui a été effacé depuis (par Facebook, Denis, lui, insiste), mais que Revolisationactu a repris parmi d’autres versions disponibles sur la toile. Dans la foulée, il publiait d’autres informations et révélait l’identité d’autres Twittos anonymes, dont un vrai banquier, un vrai trader, un vrai directeur. Le papier a enflammé la toile. Les infos ont été reprises par l’Obs, Libé, Denis a été interviewé par un peut tout le monde. Alexandre a été condamné avant même d’être… entendu !
Les weekends, c’était mieux avant.
On est samedi matin. Le portable d’Alexandre commence à s’énerver. Des messages curieux lui arrivent sur Facebook et Linkedin. On le traite de fils de pute. Il serait une « sombre merde ». Alexandre ne comprend pas ce qui lui arrive. En un jour, il atteint 1200 vues de profil. On lui explique que « les prolétaires niquent ta mère, pauvre con ». Ça dure. Ça se répète. Ça castagne. Alexandre se demande, s’inquiète, hésite, panique. Il faut dire qu’entretemps, l’article Facebook de Denis Robert a disparu de la toile, il ne sait donc pas vraiment de quoi on l’accuse. Le soir, on lui envoie un lien vers le cache Google de cet article. Et il commence à comprendre : Denis Robert n’a pas seulement « révélé » qu’Alexandre Perrin était le faux Gordon Gekko. Il a aussi donné ses coordonnées Linkedin. À partir de là, la page Facebook était facile à trouver. Et la meute s’est précipitée. Dame, si c’est Denis Robert qui l’a dit…
« Je suis tombé des nues en lisant l’article. Il me désignait comme administrateur du compte @skyzelimit, dont je n’avais jamais entendu parler » (Alexandre Perrin).
Le problème, c’est que Denis Robert a tout faux. J’ai pu vérifier qu’Alexandre a tout juste 26 ans. Et non « la trentaine » comme l’affirme le journaliste. Pourtant, il suffisait d’examiner le CV linkedin du jeune Perrin (plutôt que de chercher dans son regard de quoi le lier à la gendrie idéale d’une mamie tropézienne) pour voir qu’il ne peut pas avoir « la trentaine » aujourd’hui. Donc, en 2009, quand le compte Gordon Gekko est ouvert, notre Alexandre Perrin a 19 ans. S’il était trader, comme il est écrit dans la description sur laquelle l‘équipe de Denis Robert s’est basée pour incriminer le jeune homme, il était probablement le plus jeune trader du monde ! Et ce n’est qu’un début.
Encore un coups des Belges.
Tout commence par un-e journaliste qui se plaint d’être la cible de tagages intempestifs d’un twitteur belge de droite traditionnelle volontiers virulent : @BeluxGuy. Protégé par son anonymat, il n’hésite pas à interpeller la direction du/de la journaliste pour le/la décrédibiliser. Quelques-uns de ces twits arrivent dans les mains de proches de Denis Robert. Par ce premier compte, aujourd’hui fermé (de peur de voir son anonymat violé), ils entrent dans une étrange galaxie de Twittos « de droite » parfois très agressifs dont le pire est @LaCruzFX. Celui-ci n’hésite pas à traiter une twitteuse de « salope » ou à expliquer à une jeune femme de gauche que « le peuple t’encule à sec avec du gravier, Noémie ». Du lourd. Même mon correcteur regimbe, c’est vous dire.
Ils découvrent ainsi un monde que le twitteur compulsif (comme moi) ne connaît que trop bien. Sauf qu’ayant rencontré des Twittos extrêmement agressifs en vrai (in real life, comme on dit), je sais qu’ils cachent monsieur tout le monde et souvent des gens sympathiques. Et que le réseau social a tendance à leur inoculer un syndrome de chiasse verbale rabique chronique. Et de ça, on n’a pas l’habitude. Alors que l’écrit, dans le monde francophone, est traditionnellement plutôt une réserve d’élégance et de beaux sentiments, les réseaux, et plus encore l’anonymat sur les réseaux, en ont fait le réceptacle des pires débordements, du vomi de gloubiboulga de gauche au caca mégabronzax de droite. On n’a pas trouvé de remède à ça.
Et violer l’anonymat pose deux questions graves : qui peut s’ériger en juge ? Et surtout, qui répare les drames potentiels en cas d’erreur ?
Le petit grand complot du grand petit réseau.
Mais pour l’équipe de sympathiques défenseurs du peuple travailleur (ou pas), ces comptes révèlent un autre aspect des choses, plus important visiblement que ces questions fondamentales. Ils sont d’abord choqués par l’impression qu’il y a une sorte d’organisation — très active — qui semble chercher à influencer le monde virtuel en tapant systématiquement, sans nuances, sur la gauche, les syndicats, les travailleurs, les pauvres, l’assistanat, les intermittents du spectacle, etc. Ensuite, le ton crasse de cette droite musclée apparemment sarkoziste, ou « pire » les interpelle.
Une constante : beaucoup de ces comptes sont ou semblent anonymes et l’idée d’une cohérence organisée fait rapidement son chemin. Le premier identifié est le plus méchant de tous, @LaCruxFX, qui s’avère diriger les finances d’une filiale sud-américaine d’une grande entreprise française. L’homme qui explique à Noémie que le peuple la sodomise caillouteusement à 14 h, décide peut-être de renvoyer 50 travailleurs sans droit au chômage à 14 h 10, tout en twittant son mépris de la plèbe.
C’est du moins une façon solidaire et prolétaire de voir les choses qui, aux yeux de Denis Robert, justifie l’outing, à savoir la révélation du nom de la personne qui se cache derrière cet anonymat bien commode. Et Denis se lance dans une sale croisade qui peut, à terme, coûter cher à beaucoup de gens, des simples travailleurs, pour qui seul l’anonymat garantit une expression libre.
Denis Robert publie le vrai nom de @LaCruzFX, qui lance un dernier râle de rire jauni, affirmant que Denis s’est trompé, puis ferme aussitôt son compte. C’était donc bien lui. Les suivants sur la liste sont @jabial et @zebodag. Le premier dirige une banque d’affaires, le second est trader à son compte. De très beaux trophées que Denis et les Roberts ne peuvent s’empêcher de mettre à leur tableau de chasse. Mais les deux anonymes assument, ne ferment rien. Continuent.
Z comme Ze (avec des tas de Zéros)
Zebodag révèle son identité, qu’il n’avait en fait pas réellement cachée. Il s’appelle Ali Bodaghi. À l’école, on l’appelait Le Bodag(hi). En arrivant à Londres, il a converti Le en Ze. Et donc, Ze Bodag, ce n’est pas de l’anonymat, c’est son surnom. Plutôt populaire chez ses abonnés Twitter, c’est chez lui que les défenseurs des anonymes outés par Denis Robert ont été chercher le « Ze » dont ils préfixent, en masse, leur dénomination sur le réseau, avant d’éructer leur colère contre les journaleux du dimanche, pour le droit à l’anonymat, à la richesse, à l’opinion, contre les manifestants quand ils lynchent un keuf.
Un contre-mouvement, les Anti-Ze, est déjà en place. Aussi virulent. Aussi agressif. Contre la loi Khomri, pour la CGT, avec les manifestants, surtout quand des flics les cognent. Les deux mouvements ne sont en fait que le reflet de l’opposition entre deux visions du monde, qui s’affrontent aujourd’hui sur tous les terrains, de la rue aux plus feutrés des salons. Comme une société en phase de dissolution qui ne peut plus que gueuler.
Ali Bodaghi se serait bien passé de devenir une sorte de symbole d’oppression pour les uns, de résistance pour les autres. Mais voilà, c’est une cible de choix : en plus de son opinion, il a un brevet de pilote et un petit avion ! Caramba ! Non, non, pas un jet. « Un petit avion, ça coûte à peine plus cher qu’une grosse voiture », explique-t-il. Il a fui l’Iran avec ses parents, il a connu l’exil, fut un réfugié, il a monté les échelons un par un. Aujourd’hui, il gagne beaucoup, énormément même, et paye aussi énormément d’impôts. On l’accuse aussi d’avoir prouvé qu’il avait versé de l’argent aux restos du cœur.
C’est comment qu’on freine ?
Sur Twitter, « Ze » choque à gauche — il m’a choqué moi-même — parce qu’il en a contre les niches fiscales (des journalistes par exemple) et les statuts spéciaux (des intermittents entre autres). Pour l’équipe de Denis Robert, c’est insupportable : sans le statut d’intermittent, ils auraient beaucoup plus de mal à trouver les professionnels pour produire leurs documentaires. De même, le journalisme, déjà pénible financièrement, deviendrait une véritable mission religieuse. Bodaghi répond qu’il veut que chacun ait un salaire décent, mais pas au prix de « privilèges ». Une vision de l’État très libérale — certains diront ultralibérale. Mais une vision de l’État quand même.
Contre en banque.
Jabial, lui, est d’une autre trempe. Un blindé. Il avait choisi l’anonymat pour pouvoir vitupérer ses visions politiques sans impliquer la banque qu’il dirige. « Mon compte est privé, il n’implique pas la banque. Celle-ci n’a pas d’opinion politique. Je ne mêle pas l’un et l’autre. » Il n’adhère à aucun parti, et certainement pas à l’extrême droite : « aucun parti en France ne correspond à ma vision politique », dit-il. Il assume pleinement l’agressivité de certains de ses twits. Il hait « les centrales comme la CGT et SUD qui font la grève non contre l’État mais contre les usagers, voire contre le peuple. C’est inacceptable » et tout le monde peut le savoir. Un moment, il se demande même, sur son statut, si l’État n’est pas une forme de terrorisme, excusez du peu.
Mais quand Denis Robert affirme qu’il est pinochiste en brandissant un twit sorti de son contexte, Jabial se fâche et produit l’ensemble de la discussion, démontrant facilement le contraire. Et tire à boulets rouges sur l’équipe d’en face « Je suis à 100 % pour la liberté de la presse mais ce type n’est pas un journaliste qui cherche à informer, c’est un militant qui cherche à déclencher une chasse aux sorcières. Je ne me laisserai pas faire. » Puis, fulmine : « c’est quand même fou que tous ces journalistes relaient ce que Denis la Malice a dit sans donner les éléments à décharge. »
Je n’ai pas trouvé le moyen de le contredire.
Quant à l’organisation imaginée par Denis Robert, elle s’effondre dès qu’on s’adresse aux intéressés. Certains ne se suivent pas mutuellement, d’autres se sont bloqués. Il y en a qui se détestent. Ensemble, ils ont tout au plus 5 ou 6.000 abonnés. Ce n’est même pas un phénomène, c’est une concrétion occasionnelle. Mais Denis Robert semble vouloir y trouver une sorte de complot inconscient de droite ultralibérale contre les syndicats — comme si la droite avait jamais été très ouverte au syndicalisme, bonjour le scoop !
Wall street se fait Hara-Kiri à Singapour.
Puis vient le top du top. Le compte Gordon Gekko. C’est un compte parodique du personnage de Wall Street, cynique à donf, sans foi ni loi, dominateur (« je ne crée rien, je possède ») et même pas intéressé par le fric. « Ce n’est pas l’argent qui me motive. C’est le jeu. Le jeu entre des gens. C’est tout. » Même pour un trader dont les dents raclent le plancher, Gekko est too much. Une caricature de lui-même.
Un Twittos a donc eu l’idée, vers 2009-2010, de créer un compte méchamment parodique. Horriblement parodique. Bien vite, Gordon Gekko aka @skyzelimit est devenu une sorte de Hara-Kiri ultralibéral néocon. Le docteur Choron des capitaines d’industrie. Aussi vulgaire, mais antipopulaire. Peut-on rire d’un twit où Gordon Gekko reprend une info sur 117 cadavres de migrants échoués sur une plage en Libye, assortie du commentaire « De toute façon, je prévoyais de passer mes vacances à Cogolin, plutôt » ? Ça dépend. Est-ce qu’on se moque des migrants tués ou du trader qui n’en a rien à cirer et montre son inhumanité ? On peut rire de tout, ou pas ?
Denis Robert relève que Gordon Gekko retwitte aussi de vraies infos, de droite « ultralibérale ». Et surtout, qu’il laisse libre cours au racisme et à l’islamophobie. Sur le maire de Londres, musulman, il se demande quand il va se faire sauter. Et c’est assez systématique. À force, on se dit que @skyzelimit n’est pas seulement parodique. Il y a des excès qui mettent mal à l’aise. Mais sur Twitter, beaucoup de choses peuvent mettre mal à l’aise : on se répète volontiers. Alors, quand Denis Robert descend le fil du compte, il pète les plombs. Le compte devient la cible ultime, Gordon Gekko delenda est. S’il y en a un qu’il faut outer plus que tous les autres, c’est celui-là. Et c’est là que tout va capoter.
L’inspecteur était fermé de l’intérieur.
L’enquête de Denis Robert démarre à partir du cache d’un compte StockTwit (le twitteur des tradeurs). Il n’a pas fallu chercher loin : c’est là-dessus qu’on tombe en premier quand on tape @skyzelimit dans un cache. Et dans StockTwit, un nom apparaît à côté du pseudo : Alex Perrin. Selon son profil, le compte, ouvert en 2010, appartenait à une personne active : Professional • Equities, private companies • Technical • Income • Swing trader. Une autre description du profil stipule : Murex consultant in Singapore, previously in Japan.
L’équipe cherche alors plus d’informations sur Gordon Gekko. Celui-ci a fait l’objet d’un article publié par Bilan.ch le 3 octobre 2012, titré Les Tribulations du Trader le plus abject de l‘Univers. Un article mi-chèvre-mi-chou qui révèle que Gekko a 3.000 abonnés. « Ses interventions cumulent racisme, misogynie, vulgarité, méchanceté et orthographe approximative. Un personnage que vous allez adorer détester. » Une phrase attire l’attention des Roberts. Selon Bilan, l’administrateur du compte parodique Gordon Gekko vit à Singapour. Le journal a tiré l’info d’un article publié sur le blog de Paris-Singapore, intitulé Gordon Gekko, Trader et exilé fiscal à Singapour. L’article est paru à peine plus tôt, le 12 septembre 2012, et @skyzelimit en était très fier, il s’en est vanté, regrettant toutefois de ne pas avoir pu déconner autant qu’il le souhaitait.
Dans l’article, Gordon Gekko déclare être arrivé à Singapour à 33 ans, après 10 ans au Japon. Ça correspond au profil StockTwits. Il évoque les petits arrangements entre amis qui permettent de grimper l’échelle sociale, les bonnes écoles. « Après faut s’imaginer sur la PIE via la CTE en deuxième sur la Lamborghini pour vraiment apprécier tous les charmes de la Cité-Etat. » La PIE ? La CTE ? Des noms de routes locales. Seuls ceux qui sont passés à Singapour connaissent.
Comme pour Bilan, cette interview convainc Denis Robert que la personne derrière Gordon Gekko habite Singapour, qu’il possède une Lamborghini et qu’il est bourré de fric, il le reprend dans son article et ajoute même que pour lui, une Lamborghini ou une Ferrari « est une faute de goût » par rapport à une Jaguar. Or, rien ne dit que tout cela est vrai. Pour rappel, c’est un compte parodique qui est interviewé. Et même, tout peut être faux, y compris le fait que l’administrateur de Gordon Gekko vit à Singapour.
On demande le petit Alex à la réception.
C’est pourtant sur cette base-là que les Roberts planchent. On cherche donc un Alex Perrin ou Alexandre Perrin, qui aurait été au Japon et à Singapour. Et on le trouve sur Linkedin. Sauf que voilà, Alexandre Perrin, le vrai, jure qu’il n’a jamais été au Japon, et surtout, il peut prouver qu’en septembre et en octobre 2012, il n’était absolument pas à Singapour, mais bien à Londres ! En réalité, il n’ira dans la Ville-État que deux ans plus tard, en 2014, pour un stage de trois mois. Et en 2012, il n’avait pas 33 ans, mais bien 22 ! On découvre, ahuri, que Denis Robert n’a même pas checké le timing avant de crier haro sur un jeune vingtenaire !
Interviewé par Les Inrocks, il se retranche derrière l’attitude de Gordon Gekko après son outing. D’abord, il a fermé son compte après avoir twitté « Je viens de voir comment ils ont eu accès à mes informations privées. Merde. » Pour Robert, emballez, c’est pesé : ce twit prouve que @skyzelimit est bien le garçon outé.
Mais il y a une autre manière de le percevoir : selon un témoin qui a requis l’anonymat, le twit répondait à l’envoi de la « preuve » qui a amené Denis Robert et ses amis à accuser Alex Perrin. Le « merde » correspond alors à l’incrédulité devant la maigreur de la preuve. Denis la malice (comme disent les ZE) ajoute que Gekko a fermé son compte. Et qu’Alexandre Perrin aussi. Si la fermeture des comptes de Perrin ne prouve rien (il était harcelé), celle de Gekko peut effectivement avoir un sens.
Mais s’il joue, comme on me l’a expliqué, son rôle de composition à fond, il peut aussi fermer son compte pour rire. Dans le passé, il a en effet déclaré qu’il n’avait rien à cirer de son nombre de followers.
Il y a une troisième raison possible : Denis Robert a écrit que de nombreux twits de Gordon Gekko étaient passibles de poursuites judiciaires. De quoi, tout de même, se méfier. Même s’il y a des tas de copies d’écran, tout effacer semble raisonnable. Il y en a même une quatrième, le harcèlement. Pour avoir vu une centaine de Twittos me basher après ma critique d’un dessin de Kroll, je sais que j’ai à deux reprises failli fermer mon compte Twitter en quelques jours. J’ose à peine imaginer le nombre de twits agressifs que @skyzelimit a vu arriver. Ceci expliquerait aussi qu’il a rouvert et refermé son compte déjà deux fois. Mais s’il s’agissait vraiment de notre jeune Alexandre Perrin, pourquoi prendrait-il le risque de revenir ?
Il y a une dernière raison : si Gordon Gekko habite bien à Singapour, s’il est bien passé par le Japon, le souffle de l’outing par Denis Robert est passé tout près de lui, il n’a pas envie de prendre de risques. Il ferme. Il rouvre. Ça canarde toujours. Il attend. Il rouvrira peut-être. Après avoir pris quelques précautions. Qui sait.
Mais si c’est cela, alors Denis Robert a pris pour preuves de ses affirmations, des réactions qu’il aurait lui-même provoquées !
Grand final avec quiproquo et gaffe en gros.
Et puis, il y a le détail qui tue. Si Gekko était Alexandre Perrin, il saurait qu’il n’était pas à Singapour lorsque l’interview de Paris-Singapore l’y situait, en 2012, mais bien à Londres. Et il saurait tout autant qu’il est n’est allé à Singapour (pour un stage en entreprise) que deux ans plus tard. Il aurait alors tout intérêt à faire affirmer par Gordon Gekko que celui-ci était bien à Singapour en 2012, et qu’il venait bien du Japon à ce moment-là. Et de confirmer qu’il avait une Lamborghini. Car je doute que le jeune analyste Perrin qui vit aujourd’hui en colloc eût une telle caisse il y a quatre ans quand il allait à l’univ…
Singap, l’âge, la bagnole… voilà trois choses qui ne correspondent absolument pas à Alexandre Perrin, mais que Denis Robert avait prises pour certaines. En laissant la légende (éventuelle) installée, celui-ci aurait alors facilement pu se distinguer de Gordon Gekko.
Or, @SkyZeLimit a fait exactement le contraire : quand il a rouvert son compte momentanément pour défendre Alexandre Perrin et affirmer que ce dernier n’était pas l’administrateur du compte, il a aussi affirmé qu’il n’était pas à Singapour en 2012 ! Pourquoi, au contraire, ne pas laisser croire à Denis Robert que le vrai @SkyZeLimit était à Singapour, dès lors qu’Alexandre Perrin peut prouver au contraire qu’il était à Londres ? Je suis convaincu que seule une personne qui ne connaît pas les détails de la vie de Perrin peut avoir commis une telle « bourde ». Ou plutôt, peut avoir cru aider Perrin en faisant le contraire. Ou alors, bien entendu, quelqu’un qui certes, veut aider Alexandre Perrin, le jeune qui n’a rien à voir dans l’hisoire, mais aussi cacher qu’il vit à Singapour et a passé des années au Japon.
Ascenseur pour les chafouins.
Après tout ceci, et après mes contacts avec lui, je suis convaincu qu’Alexandre Perrin n’est pas @skyzelimit. En tout cas pas cet Alexandre Perrin là. Pour l’être, il faudrait qu’il soit extraordinairement doué en manipulation, plus âgé, moins occupé. Est-ce que je peux le prouver ? Non. Pas de manière absolue. Mais est-ce qu’on peut prouver qu’on n’est pas quelqu’un qu’on vous accuse d’être ? Je ne pourrais le faire que si le vrai @skyzelimit (me) dévoilait son identité, et il est apparemment inaccessible.
Mais après avoir examiné les deux dossiers, je peux affirmer une chose, sans l’ombre d’un doute : avec les éléments qu’il possédait, Denis Robert ne pouvait en aucun cas être sûr de viser la bonne personne. Il s’est basé sur des apparences, des déclarations faites au second degré, des coïncidences. Il n’a pas contacté l’intéressé. Il s’est trompé sur son âge, son passé, son activité (Perrin n’est pas trader mais analyste et seulement depuis un an), il n’a pas pris la peine de lire le CV de sa victime qui permettait d’estimer son âge. Il a imaginé une vie dont il ne savait rien. Il a confondu les réseaux sociaux avec la vraie vie. C’est juste tragique. Catastrophique.
Ensuite, Robert a amalgamé des twits qui se voulaient humoristiques — même s’ils étaient insupportablement lourds — à des opinions. Là non plus, à supposer qu’Alexandre Perrin eût pu être Gordon Gekko, rien ne démontrait que ses forfaits reflétaient ses opinions. Serait-il si fier d’être dans le secteur du développement durable si c’était le cas ?
Condamner l’auteur, quel qu’il soit, et le qualifier de fasciste, nazi, raciste et que sais-je, sans l’avoir entendu, sur de telles bases, relève du procès stalinien. À moins que « Je suis Charlie » ne vaille que pour les gens qui pensent comme Denis Robert ? Putain ! C’est le contraire de la gauche, c’est le contraire de la justice, c’est le contraire de la justesse !
Le faire, de surcroît, en reportant ces reproches sur une personne dont on n’a même pas prouvé qu’elle avait le moindre lien avec @skyzelimit place l’article de Denis Robert à un milliard d’années-lumière du journalisme.
Ceci montre qu’on est toujours à l’âge de pierre des réseaux sociaux. Autrefois, on ne pouvait être lynché médiatiquement que quand on existait médiatiquement. Aujourd’hui, il suffit que quelqu’un fasse un lien entre une page LinkedIn et un article publié en 2012 à Singapour, via un compte twitter qui a choqué des journalistes, pour se faire lyncher sans même savoir de quoi il est question, à 26 ans, et risquer de perdre son boulot, se voir harceler par une meute ingérable de petits moutons bêlants de rage leurs frustrations hoquettantes, prêts à suivre n’importe quel gourou pourvu qu’ils aient de la haine à vomir, une victime à honnir, un symbole à brûler.
Dans l’équipe de Denis Robert, un doute flottait. On se demandait si on ne s’était pas trompé. « Il y a 1 % de chances. Mais dans ce cas, on lui doit les plus plates excuses ». Eh oui, Denis. Je crois désormais qu’il y a 99 % de chances que c’est tout ce qu’il vous reste à faire. Vous excuser. Et pour le coup, faites ça bien.
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35 Comments
Pije
juin 08, 22:53Fleur D.
juin 08, 23:31marcel
juin 09, 15:56Laurent
juin 10, 14:54Christophe Choupinou Gilles
juin 30, 10:45François Pignon
juin 09, 10:30Jean-Marc Leroy (@jmlg21)
juin 09, 12:24marcel
juin 09, 15:54astérix
juin 11, 13:52Keyzer Sözé
juin 09, 12:42Martine- bxl
juin 10, 17:26Christophe Choupinou Gilles
juin 30, 10:51Jester
juin 09, 13:49Nadine ZAGO
juin 09, 15:40geneghys
juin 11, 09:03Franck Pastor
juin 09, 17:50Anti-Ze ??
juin 09, 17:58lievenm
juin 09, 22:17Michael Lamberg
juin 09, 22:44Aurian Bourguignon
juin 10, 00:48geneghys
juin 10, 11:07Martine- Bxl
juin 10, 17:58astérix
juin 11, 13:39Marcx
juin 10, 18:09insoL
juin 10, 19:58marcel
juin 12, 18:11u'tz
juin 10, 21:26Nic
juin 10, 23:20astérix
juin 11, 13:55geneghys
juin 13, 08:24Denis Robert s’excuse (un peu) d’avoir outé la mauvaise personne – INTELLINEWS
juin 13, 21:16PATRICK DE GEYNST
juillet 29, 12:31marcel
août 01, 17:53Le pouvoir du victimisme. Épisode un : Florence, Denis et les Golden Corbeaux. | Un Blog de Sel
septembre 11, 15:16Le doxing, la plaie Twitter en vogue à droite, inventée par la gauche. | Un Blog de Sel
septembre 16, 12:11