Contexte : Zakia B, chronologie d’une double hystérie.
Tout a pourtant commencé de façon sympatoche. Le weekend dernier, lors d’une manifestation du Vlaams Belang (extrême droite néerlandophone belge) en marge d’une expo islamique, la jeune Zakia B s’est prise en selfie avec l’un des leaders du parti, Filip Dewinter. Drôle : elle était voilée et faisait les grimaces les plus improbables devant des panneaux « pas de voile » brandis par les manifestants. Une façon souriante et désarmante de se moquer des islamophobes qui ont, eux-mêmes, été plus perplexes qu’agressifs — sur des photos de presse, on voit même des manifestants néofascistes souriants à sa présence incongrue parmi eux. On en venait à espérer : certains d’entre eux seraient donc récupérables ! Et on tenait notre héroïne du jour. Celle qui résistait à la haine d’autrui, celle qui montrait que l’humour désarme.
À la VRT (télévision publique flamande), on a rapidement interviewé Zakia B. On découvrait alors une jeune fille plutôt timide, modeste, qui refusait le statut d’icône qu’on lui tendait et trouvait même excessif certaines réactions anti-Vlaams Belang twittéessuite à sa fulgurante célébrité. Elle avait fait un selfie avec Filip Dewinter ? Elle assure qu’elle en aurait fait un avec n’importe quel autre homme politique qu’elle aurait croisé. Comme quoi, on peut être modeste, voilée, musulmane pratiquante et aimer un peu de paillettes.
On la sentait surtout perplexe, gênée de toute cette attention. Ça passera très vite, disait-elle. Elle ne savait pas à quel point elle avait raison. Ou plutôt, à quelle vitesse elle passerait du soleil au zénith, à la nuit la plus sombre !
D’héroïne du dimanche à antisémite d’occasion.
Car le lendemain, le mercredi 19 mai, badaboum ! Le compte Twitter de Prof D.A.H. Vintik diffusait un twit antisémite de Zakia B. En 2012 — elle avait 18 ans —, elle avait twitté une plaisanterie judéophobe venue d’extrême droite, aujourd’hui en vogue aussi chez certains « propalestiniens ». « Hitler n’a pas tué tous les Juifs. Il en a laissé pour qu’on comprenne pourquoi ils les avaient tués ». Le tout, enjolivé du mot-dièse #Fuckrs (« connards »), adressé apparemment aux Juifs en général.
Comme pour démontrer qu’aucun travail de contextualisation n’est fait quand on récupère des buzz du web, personne n’a relevé que ce twit avait été envoyé au plus fort de la guerre israélo-gazaouite de 2012, qui avait causé la mort de quatre civils en Israël et d’une cinquantaine à Gaza, dont des enfants. On déplorait aussi des centaines de blessés de part et d’autre. Comme toujours, les machines propagandistes des deux camps avaient alimenté la haine de l’autre sur internet notamment, et l’avaient diffusée internationalement. Zakia B s’y est laissé cramer les ailes, comme beaucoup d’autres, dans les deux « camps ».
Dès jeudi, le twit en question était repris par un blog-tabloïd néerlandais qui s’assume vulgaire, souvent considéré comme étant de droite populiste, GeenStijl.nl. Celui-ci, qui ne fait jamais dans la dentelle, titra « La fille au selfie s’avère être une raciste génocidaire ».
S’ensuivit alors une série d’attaques sur Twitter contre la jeune fille qui fut bientôt submergée de reproches. En mode damage control, elle a alors envoyé un twit affirmant qu’elle n’avait rien contre les Juifs et qu’on devait vivre ensemble dans la paix et l’amour, ajoutant que son twit avait été fabriqué de toutes pièces — ce qui était possible, j’ai moi-même fait les frais d’une falsification particulièrement sophistiquée.
Des médias dans l’immédiat.
À ce moment-là, les médias sérieux (ceux qui ne croient pas Geenstijl sur parole, par exemple) ne pouvaient plus accéder au twit antisémite. Zakia B l’avait effacé. Ils ne pouvaient (à l’instar de Robin Cornet, RTBF, sur Twitter) trancher ni dans un sens, ni dans l’autre. Le doute était permis : en descendant la timeline de la jeune fille voilée, on ne trouvait rien de politique. C’était un compte de jeune fan de groupes musicaux et d’acteurs et actrices : stars filles et garçons en tenue parfois sexy, news sur ses chanteurs favoris, plaisanteries, twits à Victoria Justice… Bref, un profil de jeune femme un peu midinette qui rendait la potentialité d’un twit antisémite peu crédible.
Puis, Zakia B effaça son compte avant de le fermer complètement. Elle n’avait pas supporté l’afflux d’insultes, de reproches et de menaces. Certains affirmaient qu’elle voulait éviter qu’on tombe sur d’autres twits « gênants », mais s’il avait fallu remonter jusqu’en 2012 pour en trouver un, c’est bien qu’elle n’en était pas coutumière. J’ai d’ailleurs pu parcourir toute sa TL jusqu’en 2013 et je n’en ai pas vu l’ombre d’un.
En quête de preuves.
Le compte désactivé, il devenait apparemment impossible d’obtenir encore la preuve de l’existence du twit antisémite. Mais toute l’après-midi du vendredi, certains possesseurs d’iPhone dont le cache semblait n’avoir pas été rafraîchi continuaient à envoyer de nouvelles captures d’écran, avec des heures et des déchargements de batterie crédibles. Le nombre de formats différents qui affluaient en temps réel rendaient la thèse d’un photoshoppage de moins en moins probable. Enfin, il y eut la preuve filmée d’un twittos (@neemjemoeder) qui accédait toujours au twit incriminé et le doute ne fut plus permis : Zakia B avait bel et bien twitté cette blague horrible.
@marcelsel en nog 1. pic.twitter.com/C4BfPreOou
— neemjemoederindemali (@neemjemoeder) 20 mai 2016
Samedi, la BBC publiait d’ailleurs ce qui était selon la chaîne le dernier twit du compte de Zakia B : « mon opinion d’il y a plusieurs années concernait les Sionistes qui répandent la haine plutôt que l’amour donc pour tous les autres Juifs, la paix soit sur vous. » Comme si la mauvaise blague était tout de même toujours valable pour les Juifs d’Israël, a relevé un autre twittos.
Entretemps, l’islamophobotwittosphère, surtout d’extrême droite, s’était largement délectée de ce changement de statut d’héroïne antiraciste à antisémite pur jus, le pire racisme sur notre échelle de Richter occidentale. Cela faisait évidemment leurs affaires et cela les blanchissait de leur propre racisme, institutionnel, celui-là.
À lire : pourquoi Zakia B n’est pas le vrai sujet de l’affaire.
12 Comments
GdeC
mai 24, 13:38marcel
mai 24, 14:08Zakia B, d’icône de la paix à génocidaire en 2 jours. Mais elle n’est pas le vrai sujet. | Un Blog de Sel
mai 24, 13:57Xavier VA
mai 24, 17:55marcel
mai 25, 00:45Xavier VA
mai 25, 10:25marcel
mai 25, 13:22Xavier VA
mai 25, 18:12marcel
mai 26, 00:37Jo Kotek
mai 25, 11:45marcel
mai 25, 13:27u'tz
mai 26, 06:35