Serge Klarsfeld s’est trompé de bouée. Mais alors, comment voter ?

Interrogé sur LCI sur ses choix politiques, Serge Klarsfeld, le vénérable chasseur de nazis, a affirmé qu’il était plutôt centriste et s’est avoué heureux de pouvoir voter pour le parti de son choix dans sa circonscription, où un duel LFI-RN est improbable. Mais il fut alors relancé par Darius Rochebin qui lui demanda ce qu’il ferait s’il était dans une circonscription où une telle confrontation avait bien lieu.

Serge Klarsfeld répondit : « Je voterais pour le Rassemblement National parce que l’axe de ma vie est la défense de la mémoire juive, la défense des Juifs persécutés, la défense d’Israël. Je suis confronté à une extrême gauche qui est sous l’emprise de la France Insoumise, avec des relents antisémites et une violence antisioniste. Le Rassemblement National a fait sa mue. Le Rassemblement National soutient les Juifs, soutient l’État d’Israël. Il est tout à fait normal, vu l’activité que j’ai eue ces 60 dernières années, qu’entre un parti antisémite et un parti pro-juif, je vote pour le parti pro-juif. »

Le droit au choix.

L’explication de Serge Klarsfeld n’indique en aucune manière qu’il aurait viré sa cuti — il est bien centriste. Elle démontre simplement que, lorsqu’on est désemparé, il arrive qu’on prenne une méduse pour une bouée. Les réactions à cette déclaration furent à la hauteur de ce que produisent les réseaux aujourd’hui ; mais aussi le personnel politique : il fut chaleureusement félicité par bien des opportunistes, et tout autant conspué voire qualifié de traître par bien d’autres. Les pires étant les antisémites cachés qui y trouvèrent une occasion de plus de vilipender un Juif, de préférence celui dont la réputation est la plus respectable !

Car Serge et Bea Klarsfeld sont parmi les rares exemples d’une véritable vie de résistance — ils ont échappé à une tentative d’assassinat en 1979 et pris de nombreux risques réels. Le choix hypothétique de Serge Klarsfeld ne peut raisonnablement oblitérer leurs réalisations et leur poids décisif sur la perpétuation de la Mémoire de la Shoah, particulièrement en France.

Mais nous vivons une époque des plus cruelles, où le moindre faux pas — ou perçu comme tel — peut vous valoir l’effacement brutal de tout le bien que vous avez pu faire auparavant.

Le droit à l’erreur

Certes, de mon humble point de vue, Serge Klarsfeld a commis une erreur. Ça arrive au plus grands. Et je la comprends comme ceci : après le constat que le pire massacre de Juifs depuis la Deuxième Guerre mondiale, qui aurait dû juguler l’antisémitisme, l’a au contraire déchaîné, la prétention du Rassemblement national à défendre les Juifs (et Israël) constitue un refuge, et pas seulement pour les Juifs.

Mais ce refuge est un piège.

Le Rassemblement national est un parti nationaliste identitaire. Un tel parti veut, à terme, une France « pure », constituée de « Français de souche ». Bien sûr, il ne le dit plus aussi clairement, parce qu’il a compris qu’un tel aveu lui fermerait les portes du pouvoir. Au mieux, on peut penser qu’en s’habillant en brave toutou, le loup perde un peu de son mordant, et que sa nocivité serait réduite. Mais voulons-nous vraiment prendre un tel risque ?

Car, même si Marine Le Pen et Jordan Bardella se contorsionent du mieux qu’ils peuvent pour se rendre respectable,  tout leur entourage, leurs soutiens, et notamment le site « Français de Souche », hurlent ce qu’ils sont vraiment.

Il faut savoir écouter. Il faut savoir l’entendre.

Alors, certes, le RN semble devenu philosémite. Il se veut même l’ami d’Israël. Étonnant non ? Ce même parti fut cofondé par un ex-Waffen SS et son dirigeant historique, Jean-Marie Le Pen, s’est fendu de quelques injures gravissimes à la Mémoire (Durafour crématoire, les chambres à gaz seraient un détail de l’Histoire), sans parler de sa proximité avec Dieudonné. En octobre 2018, il défendait encore le négationniste Robert Faurisson, prétendument au nom de la « liberté d’expression ». Quant à la subite respectabilité, en 2017, l’épisode Jean-François Jalkh (brièvement président du parti), rappelait aux distraits que le négationnisme et l’antisémitisme restaient bien endémique au « Front ».

Le droit à l’optimisme

On peut donc soupçonner Serge Klarsfeld d’avoir fait preuve d’un excès d’optimisme. Un humaniste a en effet tendance à donner une seconde chance même aux pires. Mais en politique, cet optimisme relève de la naïveté. On peut en effet légitimement supposer que le RN abuse du philosémitisme parce qu’il comprend que les Juifs, dans leur majorité, seraient des alliés dans son programme de limitation stricte de l’immigration musulmane.

Ceci lui permet au passage de charger la barque des musulmans haïs : ils seraient antisémites, rendez-vous compte ! Certes, il y a un grave problème d’antisémitisme dans l’islam contemporain, mais surtout chez ceux qui s’expriment le plus. Il n’est pas pour autant généralisé. Et il n’est pas absent non plus dans les autres couches de la population. Ce problème, il faut le traiter, en parler, le combattre. Il faut expulser ceux qui incendient les esprits. Et la gauche a lourdement fauté en faisant l’inverse.

Mais si le RN parvenait au pouvoir et obtenait quelque succès — par exemple par une « remigration » même très partielle — dès que les Juifs ne lui seraient plus nécessaires, on doit craindre qu’ils constitueraient, à nouveau, une cible.

Car, comme les islamistes ont pour graal la généralisation du Califat, les nationalistes identitaires trouvent le leur dans la pureté nationale et, comme toute formation extrémiste qui a un objectif inavouable pour la masse des électeurs, ils n’hésitent pas à manipuler, mentir, inventer pour y parvenir. Quitte à utiliser comme vecteur l’exact opposé de leurs convictions. Les islamistes se prétendent féministes pour mieux effacer la femme, les nationalistes identitaires se prétendent philosémites pour mieux effacer la différence. Et en France, ils se souviendront un jour qu’être juif, à leurs yeux, est bien une différence. Serge Klarsfeld, êtes-vous réellment prêt à prendre ce risque ?

Le droit de ne pas choisir

Mais il y a une deuxième raison pour laquelle Serge Klarsfeld a tort et ça intéresse tout le monde, je pense. Dans ces élections, il n’y a pas, en réalité, à choisir entre la peste et le choléra. Et voici pourquoi.

Tout d’abord, un tiers des Français peuvent bien envisager de voter Rassemblement National selon les sondages, encore faudra-t-il que le parti présente un candidat crédible dans leur circonscription. Confronté à un candidat sans expérience ou sans charisme, l’électeur, même convaincu par le parti de Bardella, mais pas par la personne qui l’incarne, peut encore lui préférer des candidats plus connus, plus experts, ou plus rassembleurs. La victoire du Rassemblement national ou de LFI n’est donc pas aussi acquise qu’on le dit, parce qu’ils ne parviendront pas à fournir toutes leurs circonscriptions en personnalités crédibles.

Ensuite, puisqu’il s’agit de choisir entre la peste et le choléra, pour quelle raison donnerait-on sa voix à la maladie politique qui, des deux, a le plus de chances de l’emporter — comme le préconise Serge Klarsfeld ? Une LFI avec quelques sièges de plus à l’Assemblée (qui pourrait, tout au plus, l’amener à 10%) est moins nuisible qu’un RN à, mettons, 40%.

Le droit de prévenir

Mais il y a mieux. L’issue de la bataille ne se décidera pas au second tour dans les circonscriptions où le RN et LFI risquent d’arriver face-à-face, mais bien au premier. C’est là où l’on peut empêcher ces duels fatals d’identitaires de gauche et de droite.

En revanche, l’élection se décidera bien au second tour dans les circonscriptions où le RN ou LFI seront opposés à des démocrates. Dans toutes les circonscriptions où seule une des deux extrêmes passera au second tour, l’enjeu sera de militer et de voter pour le candidat démocrate, quitte à se boucher un peu le nez pour voter à gauche quand on n’aime que la droite et inversement.

Le pouvoir de guérir

Mais alors, que faire dans celles où LFI et RN seront face-à-face au second tour ? Eh bien on peut choisir de ne rien faire du tout ! S’abstenir ou voter blanc. Pour qu’en cas de succès, ils puissent revendiquer le moins de voix possible.

Parce que ce n’est probablement pas dans ces circonscriptions-là que l’élection se jouera. Elles sont probablement déjà acquises à un des deux partis. Le résultat sera inévitable. On n’empêchera pas l’un des deux de gagner cette circonscription, quoi qu’on fasse, et d’envoyer un député à l’Assemblée.

Et alors quoi ? Laisser aux « seuls » électeurs des autres circonscriptions le soin d’empêcher LFI et/ou RN d’arriver au pouvoir ou, de manière plus optimiste, d’avoir encore plus de députés pour pourrir le débat à l’Assemblée ?

Mais oui ! On peut très bien refuser l’alternative. Se dire que sa voix ne servira que la prochaine fois !

Et c’est là l’erreur de Serge Klarsfeld. Lui, en particulier, n’aurait pas dû choisir. Pas seulement parce qu’un parti comme le RN ne change pas de nature, quel que soit le costume qu’il porte pour le faire croire. Mais aussi parce que, tout simplement, ce n’est ni utile, ni nécessaire.

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