À Bruxelles, l’islamisme et l’antisémitisme aux portes du gouvernement régional.

Image par PixelAnarchy de Pixabay

Dans une Europe où l’émiettement des partis rend toute formation plus compliquée, la Région Bruxelles-Capitale, siège de la Commission et du Conseil européens, est un cas d’école de la meilleure manière de rendre une ville-région ingouvernable. Ou de faciliter l’entrisme de factions extrémistes, par exemple islamiste.

Ainsi, le parti de Fouad Ahidar, dont les propos antilaïques et antisémites ont fait la triste renommée, se trouve, malgré un maigre 2,8 % des votes valables, en position de négocier un gouvernement bruxellois. Ou d’en consacrer le blocage longue durée, grâce à l’organisation kafkaïenne de la région. Ou comment la protection mal conçue de la minorité flamande se retourne contre tout le monde.

Depuis des lustres, les démocrates bruxellois craignaient une montée au pouvoir (ou un blocage des institutions par) des nationalistes ou des néofascistes flamands. Finalement, c’est le communautarisme et l’islamisme qui se présentent au portillon. Un scénario rendu possible par la double majorité nécessaire à la mise en place d’un gouvernement dans la Région Bruxelles-Capitale, l’une des trois entités territoriales de la fédération belge.

Bruxelles voit double

La double majorité linguistique, instaurée en 1989, visait à garantir les droits de la minorité flamande (dont la langue est le néerlandais) dans une ville où elle était historiquement majoritaire. Bruxelles s’est considérablement francisée au XXe siècle. Résultat : la présence flamande dans la capitale d’une Belgique à plus de 60 % néerlandophone s’est effondrée. Et l’on ne sait même pas à quel point : les recensements linguistiques officiels sont interdits.

Mais essayons quand même. Selon le baromètre Brio, une initiative flamande qui sonde les Bruxellois sur la langue parlée à la maison, 7,5 % d’entre eux y causeraient néerlandais et 4,3 % néerlandais et français. En comptant ces derniers pour moitié flamands, il y aurait donc un peu moins de 10 % de Flamands à Bruxelles.

Les Francophones de la Capitale eux-mêmes (ceux qu’en France, on appelle souvent incorrectement « Wallons »*) ne représenteraient aujourd’hui, selon le même calcul approximatif, que 52 % de la population. Les autres citoyens ont une ou deux langues maternelles étrangères.

La connaissance du français, langue véhiculaire depuis plus d’un demi-siècle, diminue aussi très rapidement. Seuls 81 % des Bruxellois en ont encore une bonne connaissance aujourd’hui, alors qu’ils étaient 96 % en 2007. La seconde langue connue étant l’anglais, avec 47 %.

Une minorité très bien servie

Afin de maintenir les droits de la minorité flamande, le Législateur belge a garanti une présence fixe de ministres flamands dans le gouvernement bruxellois, ainsi que de députés flamands au Parlement de la Région.

Commençons par l’assemblée. Depuis 2001, les Néerlandophones y ont un nombre garanti de 17 sièges sur 89, soit 19 % de la représentation politique. Ou encore, près du double de la proportion probable de la population flamande. Cette surreprésentation est en outre assortie d’une forme de véto trop complexe pour l’aborder ici.

Tout parti doit également obtenir 5 % des voix dans son groupe linguistique pour obtenir un premier siège. Concrètement, cela signifie qu’aux dernières élections, un parti francophone ne pouvait « monter » au parlement que s’il obtenait 19.488 voix (4,1 % des suffrages totaux) — un chiffre qu’aucun parti flamand n’a atteint ! Heureusement, côté néerlandophone, 4.019 voix — cinq fois moins — suffisaient. Soit 0,85 % des suffrages.

Si une surreprésentation est légitime dans les affaires « personnelles », où des règlements sont susceptibles d’altérer l’égalité entre tous, celle de la Région Bruxelles-Capitale couvre toutes les compétences. Ainsi, un électeur flamand de Bruxelles a, sur le papier, deux fois plus de poids parlementaire sur des décisions qui concernent toutes les langues et ethnies à égalité, comme la fiscalité, la mobilité, la santé, la rénovation des bâtiments, etc.

600 % de surpouvoir

Mais en plus de cela, les Néerlandophones ont droit à une représentation presque égale au sein du gouvernement bruxellois. Celui-ci doit compter, outre un ministre-président réputé neutre, deux ministres francophones et deux néerlandophones. Autant dire que la double formation communautaire, qui requiert une majorité dans chaque rôle linguistique, ajoutée aux réserves des deux camps par rapport à certains partis, ferait passer les péripéties d’Emmanuel Macron dans les champs du compromis pour une balade au soleil en tandem électrique.

Les deux ministres flamands actuels (en affaires courantes) se partagent ainsi des portefeuilles alléchants : la Mobilité, les Travaux publics et la Sécurité routière pour l’écologiste Elke Van Den Brandt ; les Finances, le Budget, la Fonction publique et la Promotion du Multilinguisme et de l’Image de Bruxelles pour le libéral Sven Gatz.

Deux des cinq membres du gouvernement (40 %) représentent donc environ 10 % de la population, soit 400 % de surreprésentation. Côté francophone, c’est l’inverse. La sous-représentation est d’environ 67 %. Au gouvernement, les électeurs flamands pèsent donc théoriquement six fois plus que leurs concitoyens francophones, y compris dans des domaines où ils ne risquent en réalité aucune discrimination, comme la mobilité, les transports en commun, le Code de la route ou les finances publiques.

Kafka exposant 6

Mais ça, c’est juste théorique. Parce que là où Kafka est littéralement dépassé, c’est que, dès lors qu’il est interdit de classer les électeurs linguistiquement, les Francophones ont de facto le droit de voter pour des partis néerlandophones (et inversement), ce qui leur permet, à leur tour, de profiter de la surreprésentation « flamande » pour augmenter la puissance de leur propre vote !

Et les Francophones semblent en profiter largement. Alors que la présence flamande ne cesse de baisser à Bruxelles, le nombre de votes pour des partis flamands croît vigoureusement à chaque élection depuis 2009 au moins : 10 % d’augmentation de 2009 à 2014 ; 26 % de 2014 à 2019 et encore 16 % de 2019 à 2024. Soit, en tout, 60 % en 15 ans !

En l’absence d’un parti d’extrême droite francophone crédible, on a donc longtemps craint que les électeurs radicaux de ce groupe linguistique ne votent massivement pour l’extrême droite du rôle flamand (le Vlaams Belang) et que ces voix transférées d’une communauté à l’autre finissent par valoir une majorité à ce partenaire flamand du Rassemblement national, en plus à droite (oui, c’est possible !)

En réalité, cette crainte ne s’est jamais concrétisée : le Vlaams Belang a certes obtenu 6 des 17 sièges néerlandophones en 2004, mais il n’a jamais fait mieux.

Le maillon fort

Plus fort encore : ce sport de transfert concerne aussi des candidats : puisqu’il est plus facile d’obtenir un siège côté flamand, il est arrivé que des Francophones se présentent sur une liste néerlandophone. Ainsi, en 2009, Sophie Brouhon s’est présentée sur la liste socialiste flamande et s’est ainsi assuré un siège de députée avec seulement 481 voix de préférence (sa 4e place sur la liste ayant joué), alors qu’au parti socialiste francophone, il fallait au moins 2106 voix pour espérer entrer au Parlement !

Mais il y a une limite à cette discipline de haut vol : dès lors que le nombre de sièges attribués aux Flamands est fixe, l’afflux d’électeurs et de candidats francophones réduit l’avantage. Alors qu’en 2004, un siège flamand requérait en moyenne 30 % d’électeurs en moins qu’un siège francophone, en 2024, ce bonus électoral n’était plus que de 15 %.

C’est l’algèbre électorale : plus les Francophones votent côté flamand parce que c’est avantageux, plus cet avantage se réduit. Et plus la garantie offerte à la minorité flamande profite… à la majorité francophone !

« Kafka », je vous avais dit !

Loin derrière et tout devant

Si l’extrême droite n’a jamais réussi à profiter de ce système gazeux, le loup est venu du bord politique que, jusque là, les politiques belges avaient ignoré ou choyé, mais jamais franchement rejeté : l’islamisme. En clair : la liste Team Fouad Ahidar, arrivée seconde aux élections de juin 2024, avec 3 sièges sur 17. L’on peut raisonnablement estimer qu’elle doit ce relatif succès à un apport important de voix francophones. Du reste, son site est bilingue, son président est bilingue, ses électeurs sont massivement musulmans.

En d’autres termes, le communautarisme religieux a compris comment profiter du communautarisme linguistique !
Et personne n’a rien vu venir.

Car la Team Fouad Ahidar est un tout nouveau parti, aligné derrière la star des quartiers dont elle porte le nom. Vieux briscard de la politique bruxelloise, Fouad Ahidar était jusqu’à récemment un député socialiste flamand chevronné et très populaire chez les musulmans. Il était aussi chef de groupe et président de parlement.

Quelques mois avant les élections législatives et régionales de juin 2024, il a « fui » son parti où il avait déjà perdu de sacrées plumes notamment pour avoir justifié les pogroms du 7 octobre 2023 en Israël. Selon Ahidar, « l’attaque du 7 octobre n’était qu’une petite réponse à 75 ans de massacres ». Il a réitéré ces propos à la RTBF mercredi dernier : « Proportionnellement, le 7/10, c’est une petite attaque ».

Il avait également qualifié « les Juifs » de « vrais psychopathes » et de « tueurs en série ». Des accusations qui ne l’ont pas empêché d’être invité dans les médias belges, où il se présente comme un bon père de famille pacifique et sympatoche.

Allah bonheur !

Mais ce sont surtout ses positions islamistes qui ont dérangé le parti socialiste flamand (appelé Vooruit ; En Avant). Car Fouad, qui annonce vouloir le bonheur de tous et se revendique musulman, est un grand défenseur de l’abattage rituel sans étourdissement. Ce qu’il a justifié par son expertise métaphysique : « Je ne peux pas imaginer un instant que Dieu va laisser souffrir un animal ».

Bien sûr, il prône le port des signes religieux dans les services publics (surtout le voile, bien sûr) pour les élèves, enseignants, policiers, fonctionnaires divers et variés. Dans une récente interview à la RTBF, il s’est même plaint que la politique décidait de tout, en lieu et place de la religion ! C’est l’islamisme.

À peine avait-il quitté son parti en décembre 2023 que Fouad Ahidar lançait donc son propre parti, ainsi qu’une campagne à marche forcée, principalement auprès de la communauté musulmane, et surtout en français. Ce qui lui a finalement valu 3 sièges sur les 17 sièges flamands. Un petit exploit tout de même. Et une position d’arbitre en tant que deuxième parti flamand de la Capitale, derrière les écologistes de Groen (4 sièges). Un seul autre parti flamand ayant plus de 2 sièges.

Nationalisme ou islamisme, il faut choisir

Las, ce seul concurrent à trois sièges est la N-VA, le parti nationaliste-néoconservateur flamand, dont les partis francophones ne veulent pas dans la Capitale : il veut la flamandiser et la rattacher à la Flandre. Et les Bruxellois tiennent à leur autonomie régionale.

Mais si l’islamisme s’installe ainsi dans la « capitale » de l’Europe, ce n’est pas un succès « musulman » pour autant. Fouad Ahidar n’a obtenu que 13.000 voix — soit 2,8 % des suffrages bruxellois — alors que la population originaire de pays musulmans à Bruxelles représenterait 24 % des citoyens en 2022 selon l’analyste Jan Hertoghen.

Deux phénomènes expliquent ce relatif insuccès. D’abord, de nombreux musulmans sont rétifs au communautarisme, dont ils comprennent qu’il leur retombera un jour ou l’autre sur la tête. Ensuite, trois autres partis draguent activement les musulmans pratiquants : le PTB (communiste), Ecolo et le Parti socialiste — dont des candidats de Molenbeek invoquent tranquillement Allah avant une réunion électorale, y compris devant la bourgmestre socialiste Catherine Moureaux, qui ne bronche pas.

 

Mais à ce jeu, Fouad Ahidar fait toujours mieux, en recrutant des admirateurs de pontes islamistes radicaux, prêcheurs de jihad, apôtres de châtiments corporels et universalistes… mais de la Charia. Ses candidats semblent avoir carte blanche, l’un envoyant à ses prospects électoraux une publicité pour le pèlerinage à La Mecque, d’autres lançant sans complexe leur candidature depuis… une voiture de la police bruxelloise !

Médiateur radical

Résultat : la protection de la minorité flamande peut transformer le succès d’estime de la Team Fouad Ahidar, gagné de la façon la plus populiste qui soit, en portefeuille ministériel. Car pour former le gouvernement bruxellois paritaire, les négociations se font de façon distincte dans les deux communautés. Et le premier parti flamand, l’écologiste « Groen », a jeté le gant après une annonce de la majorité francophone de… reculer de deux ans l’interdiction des voitures diesel Euro 5 dans la capitale. Il devient dès lors impossible de former un gouvernement sans les nationalistes flamands de la N-VA, ou la Team Fouad Ahidar.

Mieux : depuis la défection de Groen, c’est Fouad Ahidar lui-même qui est en position de médiateur gouvernemental ! Et alors que plusieurs partis ont émis un non vibrant à l’idée de l’inclure dans la future coalition, les verts et les socialistes flamands semblent tout de même prêts à négocier avec lui.

Ce ne serait qu’une compromission de plus, après des années de tolérance pour l’islam conquérant, celui-là même qui nuit à l’image des musulmans discrets ou bien intégrés qui n’en peuvent plus de cette soumission de la gauche à une extrême droite islamiste qu’elle refuse — tout comme les médias — de considérer comme radicale. Elle est pourtant populiste, religieuse, antilaïque, antisémite.

Antisémitisme autorisé

Dans sa dernière interview en date, à la RTBF, Fouad Ahidar se plaint que la politique décide de tout, s’immisce dans tout. Pour un peu, il trouverait exagéré qu’on lui interdise d’affirmer sur une chaîne locale que « les Juifs sont de vrais psychopathes, des tueurs en série ». Il faut dire que, selon lui, UNIA, l’organisme fédéral chargé de lutter contre les discriminations, n’a pas trouvé à redire sur cette déclaration pourtant clairement antisémite. Et dans les médias, on en a finalement peu parlé.

Car en Belgique, les politiques ne sont pas les seuls à se compromettre. Et tout le monde est un peu responsable de cette nouvelle obligation de choisir entre la peste islamiste et la petite vérole nationaliste flamande.

Mais dans une ville dont l’emblème est un petit garçon qui fait pipi, ça n’étonne plus personne.

(*)Les Wallons sont les habitants de la Wallonie, Bruxelles étant une région distincte.

 

Tant que vous êtes là…


Cet article est le fruit d’un travail de recherche et de rédaction. Vous pouvez me soutenir en faisant un don. Notez qu’en dessous de 2€, les frais sont prohibitifs.

 

Previous La Belgique subventionne la promotion du Hamas. À Bruxelles. MàJ.
Next Ecolo et les Frères 3 : le CCIB ou comment le parti a fait monter l'islamisme au parlement.

You might also like

0 Comments

No Comments Yet!

You can be first to comment this post!

Leave a Reply

Attention, les commentaires n'apparaîtront qu'après modération.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.