Les sept erreurs de Rajae-le-taxi.

Tweet de Rajae Maouane après l’émission.

Ce dimanche, sur le plateau des Puncheurs (RTL-TVI), Rajae Maouane est venue défendre le programme du parti dont elle est co-présidente, Ecolo. Un exercice rondement mené face aux journalistes Christophe Deborsu et Martin Buxant qui n’ont pas manqué de mordant.

Sa venue semblait logique. C’était la journée sans voiture. Ecolo en a fait une affaire « personnelle ». C’est le parti de la mobilité douce par excellence. Au moins une fois par semaine, Elke Van Den Brandt — la ministre (Groen) de la mobilité à Bruxelles — nous est montrée à vélo. Sa porte-parole, Marie Thibaut de Maisières rappelle presque quotidiennement les bienfaits de la bicyclette. Chaque nouveau kilomètre de piste cyclable fait l’objet de félicitations incantatoires de l’ensemble des ministres écologistes. J’exagère à peine.

Tout aussi logiquement, la co-présidente du parti qui aimerait voir disparaître les SUV a défendu sa politique sur le plateau. Il faut réduire la place de la voiture à « seulement » 25 % (dixit Christophe Deborsu) de la voie publique. « Pourquoi ‘seulement’ », demande Rajae ? Parce que près de 3/4 des déplacements se font en voiture en Wallonie, et 46% à Bruxelles, lui répond Deborsu.

Et là, Rajae Maouane explique que « Les gens ne prennent pas assez les transports en commun. Si les gens choisissent la voiture, c’est parce que les autres transports ne sont pas développés. »

Un message politique, ce n’est pas que des mots.

Sauf que, voilà, quand Martin Buxant demande à Maouane comment elle est venue au studio en cette journée sans voiture, elle explique qu’elle a pris un taxi, parce que, de son domicile à RTL House, elle aurait mis 45 minutes à vélo, ce qui, selon elle, aurait été « compliqué ».

Et hop. Trois erreurs. Même si le taxi est autorisé ce jour-là, Rajae Maouane aurait déjà été mieux inspirée de venir en transports en commun ou à vélo. Parce qu’un message politique, ce n’est pas que des mots, c’est aussi une attitude et un engagement. Et quand on prétend baisser de moitié le trafic automobile à Bruxelles, ou qu’on s’enchante à chaque nouvelle hausse de la pratique du vélo, on heurte pas mal de gens qui craignent de ne plus pouvoir, à terme, utiliser un moyen de transport qui leur est nécessaire. À tort ou à raison.

Deuxième erreur : Rajae Maouane affirme qu’elle aurait mis 45 minutes à vélo. Bardaff. La DH a eu beau jeu de faire le test : ce déplacement prend tout au plus 22 minutes !

Ne jamais déforcer un mode de déplacement qu’on recommande par ailleurs.

Troisième erreur, et c’est probablement la plus grave. Elle explique que venir à vélo eût été compliqué. J’espère que sa coreligionnaire Elke Van Den Brandt est tombé de sa chaise comme j’en suis tombé de ma selle. Car le vélo est justement le moyen le plus sûr d’arriver à une heure donnée quelque part à Bruxelles. Bien plus sûr que les transports en commun. Et aussi que les voitures et les taxis. En quatre ans de vélo, je n’ai jamais mis plus de cinq minutes de plus que prévu pour arriver quelque part ! En voiture, il m’est arrivé de mettre une heure de plus que prévu par Waze. Certes, ce risque est moindre lors d’une journée sans voiture. Mais l’erreur de com est flagrante.

L’image qu’elle donne ainsi du cyclisme urbain est à l’opposé de sa réalité. Incidemment, elle le présente comme lent, incertain et même « compliqué », alors qu’il est exactement l’opposé.

La suite ne fut pas décevante et c’en est à se demander comment un parti aussi bien fourni en masters en communication peut se vautrer aussi lourdement.

La gaffe : promouvoir le mode de transport le plus polluant.

Dans l’après-midi, Rajae Maouane poste sur Twitter une photo d’elle-même à vélo… mais sur un Dott. Soit un vélo partagé. 

Et elle écrit : « Pour me rendre sur le plateau de RTL, j’ai opté pour un transport public : le taxi. Assez stressée par l’enjeu et par l’idée d’arriver en retard face aux puncheurs, ai pris un taxi et l’assume #multimodalité Mais pas de panique, j’ai profité de Bruxelles sans voitures après. »

Erreur 4 : le taxi n’est pas précisément ce qu’on entend généralement par « transport public », même s’il est légalement considéré comme tel. D’abord, parce que le terme se confond avec les « transports en commun », ce que le taxi n’est pas. Ensuite, parce qu’il est opéré par le secteur privé (même s’il est régulé). Ainsi, un Uber entre alors dans cette définition de transport « public » alors qu’il s’agit d’un service organisé par une multinationale privée et destiné à des personnes privées, selon un tarif qui n’est pas fixé par le secteur public. 

Et le taxi n’est évidemment pas un « transport en commun », soit la partie disons écologique des transports publics, parce que c’est un transport à la demande. Un taxi n’est rien d’autre qu’une voiture avec chauffeur qui se met à la disposition d’une personne pour un trajet précis, de porte à porte.

Ce qui explique d’ailleurs pourquoi le kilomètre en taxi émet plus de gaz à effets de serre que le kilomètre en voiture : il doit se rendre à un lieu précis pour charger le client, et revenir ensuite, à une station proche dans le meilleur des cas. Ainsi, The Conversation présente un tableau sans équivoque pour Paris : le taxi émet 50% d’équivalent CO2 de plus que la voiture individuelle (par passager-kilomètre).

Infographie The Conversation.

L’erreur 5 est donc d’avoir  fait la promotion du mode de circulation le plus polluant de tous, très loin au-dessus de la voiture individuelle, mais aussi vingt fois plus que le vélo individuel électrique et trente fois plus que le vélo mécanique qui, tout deux, émettent moins d’équivalent CO2 que… le tramway. Et ceci pour calmer les esprits.

Ceci n’empêche évidemment pas le taxi d’être indispensable en ville et de faire effectivement partie d’un plan multimodal vert. Pour autant, une écologiste devrait au contraire recommander de l’utiliser le moins souvent possible, plutôt qu’en faire la promotion. Tout comme elle devrait appeler à privilégier le vélo individuel à la trottinette en libre service (dite abusivement « partagée »), qui est quatre à cinq fois plus « polluante » et bien plus accidentogène. Le vélo électrique en libre service étant en revanche une bonne alternative.

Une photo vite fait, le meilleur moyen de s’enfoncer.

Sixième erreur : avoir tenté de prouver qu’elle a bien « participé » à la journée sans voiture (ce dont personne ne doutait) en prenant vite fait un vélo en libre service de marque Dott, et en se faisant photographier dessus en fin de journée, sur un pont vide de voitures, mais aussi de vélos. En cas de crise, ne jamais essayer de démontrer qu’on s’est rattrapé en dernière minute : personne n’y croit.

Enfin, la septième erreur, c’est la victimisation face à une critique légitime. Elle ne provient pas directement de Rajae Maouane, mais elle l’a copieusement partagée.

Il s’agit de partisanes, comme Leila Agic et Marie Peltier, qui se sont empressées de crier à la misogynie. Rajae Maouane a partagé un tweet de la première, qui fustige qu’on fasse « plus un ramdam autour d’une ecolo qui prend un taxi que sur un échevin inculpé pour viol ou d’un ancien ministre qui urine tranquillement sur la voie publique » Elle ajoute : « Être une femme en politique c’est toujours tout se prendre x1000. »

Outre que le chiffre « x 1000 » est fantasquement exagéré, Leila Agic compare des pommes et des poires. D’abord, Theo Francken (qui a pissé sur un parterre de fleurs alors qu’il était en état évident de grosse ébriété) a bel et bien fait l’objet de critiques, mais surtout de tweets ironiques, satiriques et rigolards qui n’ont certes pas servi sa crédibilité.

Ensuite, le ministre de la Justice Vincent Van Quickenborne a bien fait l’objet d’une shitstorm de dimension internationale, qui a atteint jusqu’à Quotidien en France. Lui n’était même pas accusé d’avoir « fait pipi » mais bien d’avoir simulé une personne qui pisse, après que trois convives de son anniversaire ont uriné sur un combi de police, en son absence. Il n’a pas été très loin d’y perdre son portefeuille (ministériel, s’entend). Les insultes ont aussi fusé.

La victimisation : la mauvaise cerise sur le gâteau

Quant à l’échevin accusé de viol, on voit mal le rapport. D’abord parce que l’affaire était politisée au départ, puisque lancée par une échevin d’un autre parti (Ecolo en l’occurrence). Ensuite, parce qu’étant pour l’instant présumé innocent jusqu’au jugement définitif, les choses ne sont pas aux mains des médias, mais bien de la justice. Et enfin, il est archifaux de prétendre que cette affaire n’a pas fait de remous : faites une recherche sur Michel De Herde, et vous en tomberez de votre grand bi.

De son côté, Marie Peltier n’a pas hésité à évoquer le « lynchage des femmes progressistes », un « climat odieusement misogyne » ou encore, un « moment politique terrifiant ». Déjà, les attaques envers les femmes sur Internet ne sont absolument pas réservées aux « femmes progressistes ». Ensuite, s’il y a effectivement eu des réactions racistes et misogynes à ces erreurs de com, il ne s’agit pas pour autant d’un « climat » particulier : les insultes pleuvent en tout sens tout le temps sur Twitter, et le camp « progressiste » n’est pas en reste, y compris lorsqu’il vise des femmes.

Enfin, ce n’est pas ce bruit de fond vénéneux qui caractérise un « moment politique ». C’est au contraire l’accumulation d’erreurs de communication (tout comme dans l’affaire Schlitz), et l’incapacité à supporter la critique.

En partageant de tels tweets ou en remerciant leurs autrices, Rajae Maouane commet la septième erreur, celle de semer la confusion entre la critique légitime et les excès de certains comptes Twitter qui atteignent plus les femmes et plus les « racisées », mais n’épargne en réalité aucun sexe ni genre.

Cette dernière erreur est constante depuis 2014 (une mauvaise habitude lancée par Zakia Khattabi qui s’en était alors prise notamment à Dave Sinardet, et utilisée ensuite jusqu’à la déraison par la députée Margaux De Ré et plus récemment par Sarah Schlitz). Et c’est peut-être la pire, parce qu’elle dévoile un pan, disons, « terrifiant » d’Ecolo, pour autrui ou pour lui-même : son incapacité à traiter la critique autrement que par sa criminalisation, ce qui fait passer le parti pour illibéral, et le condamne à fonctionner en camp retranché victimaire.

Et c’est devenu systématique au point qu’on se demande si le confusionnisme victimaire (qui revient à mettre sur le même plan la critique légitime et les excès infractionnels pour se décharger de la première) ne témoigne pas tout simplement d’un manque de compétence au moins au niveau de la com. Il vaudrait d’ailleurs mieux que ce soit ça, parce que l’autre cause d’un tel confusionnisme, c’est le dogmatisme, et là, on entre dans une toute autre dimension, au goût amèrement totalitaire.

Mais au final, comme l’écrivait quelqu’un sur Twitter, s’il eût certes été bien plus efficace à tous égards d’aller chez RTL House en vélo, chère Rajae Maouane, il vous suffisait de mentir un tout petit peu à l’antenne, en évoquant une nécessité de dernière minute, et en ajoutant que vous en étiez désolée.

En politique comme partout ailleurs, la reconnaissance des torts fonctionne toujours mieux que les excuses bidon. Et le débat serait probablement déjà clos.

 


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© Marcel Sel, 2023. Reproduction interdite sans accord de l’auteur.

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4 Comments

  1. Simon J.
    septembre 19, 17:55 Reply
    Quand l’inconséquence est érigée à l’état de système!
  2. Georges-Pierre Tonnelier
    septembre 19, 20:17 Reply
    Merci pour cet article de grande qualité qui développe sous l'angle du bon sens et avec une grande rigueur journalistique le rapport de la co-présidente d'ECOLO avec les transports en commun.
  3. Deffense Ben
    septembre 20, 12:42 Reply
    Bravo Marcel pour ta démarche qui analyse toujours avec beaucoup de recherches et de précisions les événements. De très très nombreux "journalistes" feraient bien d'en prendre de la graine.

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