Maire de Téhéran : c’est toute la Vivaldi qui a déposé le ver dans le fruit.

Le psychodrame du mois a des vertus étonnantes. Le très antinationaliste éditorialiste Michel Henrion, et Défi, se sont basés cette semaine sur des informations venues de… la N-VA. L’enjeu est presque devenu un jeu : parvenir à faire tomber Hadja Lahbib.

Si même l’Open VLD et le CD&V ont vociféré, Ecolo s’est distingué avec Cogolati à la Chambre et une pique dans la presse venant de son vice-premier ministre Georges Gilkinet, pourtant très heureux de la libération de Van De Casteele. 

Il faut dire que dès sa nomination aux Affaires étrangères, Hadja n’a pas été épargnée par le parti de la sororité et du privilège blanc qui, décidément, n’accorde sa protection due aux pauvres femmes « racisées » qu’à celles qui épousent ses thèses intersectionnelles.

Ce qui est étonnant, c’est qu’Hadja Lahbib, qui a tout de même fait une carrière de journaliste brillante et pris le relais de la très populaire Sophie Wilmès, a dès son arrivée aux Affaires étrangères été présentée comme une incompétente. Une gourde. Une blonde. Comme si les compétences étaient si bien distribuées dans le gouvernement fédéral (et les autres) ! LOL.

Bête noire
Et depuis, peu importe ce qu’elle fait ou pas, Hadja Lahbib est identifiée comme la créature du président du MR, le libéral Georges-Louis Bouchez, la personnalité politique la plus haïe à gauche. On peut même soupçonner une certaine gauche de ne pas supporter qu’une personne issue de la diversité soit passée à droite. Épiphénomène de la condescendance racistoïde d’une gauche en perdition, qui s’est appropriée les personnalités issues de l’immigration au point de considérer comme « traîtres » celles qui passeraient ailleurs. Zuhal Demir ou Assita Kanko en savent quelque chose. Darya Safaï, aujourd’hui citée en exemple par ses opposants politiques, les intéressait si peu quand elle fustigeait le régime iranien il y a plusieurs années déjà, que la N-VA a pu la recruter tranquillement. En un clin d’œil, la nationaliste d’origine iranienne est devenue un témoin dont on boit avidement les paroles.

Sauf que voilà, dans l’affaire Van De Casteele, Hadja Lahbib a montré qu’elle était très loin d’être une incompétente. On peut — c’est mon cas — considérer que l’échange d’otages contre un terroriste avec un pays voyou est une erreur qui sert plus l’émocratie qu’elle ne sert l’État et les innocents en général : ils sont des milliers à pourrir dans les geôles iraniennes, et aucun ne nous remerciera ce geste qui permet au pouvoir iranien de se renforcer. 

Mais dès lors que c’était le choix du gouvernement, Hadja Lahbib a — avec Alexander De Croo — très bien géré l’affaire, libérant non seulement Olivier Van De Casteele, mais aussi trois autres otages européens, histoire de faire taire les critiques des autres pays de l’Union qui nous trouvaient trop complaisants — à raison selon moi — avec cette saloperie de régime des mollahs. Autrement dit, she fucking did the job. 

Une libération à conséquences
Vint la libération d’Olivier Van De Casteele. Alors que les écologistes et quelques socialistes ont tout fait pour tenter de récupérer sa libération, et que la presse en faisait des unes ronflantes, ce sont les mêmes qui, aujourd’hui, fustigent la ministre des Affaires étrangères pour les conséquences de — mais oui — cette même libération ! Car c’est « à cause » d’elle que la Belgique a dû étendre les négociations à d’autres européens. C’est « à cause » d’elle que l’Iran espère désormais obtenir un échange similaire avec la Suède (pour le prof de la VUB Djellali). C’est « à cause » de tout ça qu’il eût été diplomatiquement délicat de refuser un visa à un maire déjà invité par la Ville de Bruxelles. Un ancien tortionnaire, au demeurant. Mais ce ne serait pas le premier qu’on accueille à Bruxelles !

Mais nous vivons avec un monde politique en camps retranchés qui voient tous leurs concurrents au sein du gouvernement comme des cibles à abattre. Ecolo, le PS, le MR s’en sont fait une spécialité côté francophone. Le matin, on négocie un accord du gouvernement. L’après-midi, les présidents de parti le dénoncent et tirent à boulets rouges sur les autres.

La ville est iranienne, la campagne, belge
En d’autres circonstances, la venue du maire de Téhéran aurait certes provoqué un tollé chez les opposants et leurs soutiens, mais n’aurait pas dépassé les frontières des cercles militants. On leur aurait consacré une manchette. Après tout, on commerce bien avec la Chine ou l’Arabie Saoudite et on est allé joué au foot au Qatar.

La révolte du voile en Iran et l’affaire Van De Casteele ont évidemment ajouté une dose émotionnelle à cette visite. Le témoignage de Daria Safai, dont le maire de Téhéran aurait (rappelons l’usage du conditionnel lorsqu’une information ne peut être recoupée) lui-même demandé l’arrestation il y a 23 ans, en a ajouté une autre. 

S’y est mêlé l’opportunisme de partis en campagne. On est déjà en période électorale. Faire tomber Hadja Lahbib, devenue très vite l’une des personnalités politiques les plus populaires du pays, a l’air d’un graal pour l’opposition. Et quand je parle d’opposition, je pense à tous les partis, y compris du gouvernement, dont la couleur n’est pas le bleu.

Faire tomber, en plus Alexander De Croo, serait pour certains mieux encore. Alors, on y travaille. Notons au passage qu’un seul parti tirerait vraiment ses marrons du feu en cas de démission : la N-VA.

Metropolis, c’est du chinois
Mais voyons les choses d’un point de vue plus général. Metropolis est une organisation internationale qui milite pour la bonne gouvernance des zones urbaines (y compris pour l’égalité des genres). Elle regroupe 150 villes de plus d’un million d’habitants. Y figurent notamment Téhéran, mais aussi  29 villes chinoises, dont Pékin, Shanghai, Shenzhen, les villes russes de Moscou et Kazan, La Havane, etc. Du 12 au 15 juin, elle organisait son sommet mondial à Bruxelles avec la Région bruxelloise, Eurocities et l’OCDE. Parmi les orateurs et oratrices, des dirigeants de l’OCDE et d’Eurocities, Anne Hidalgo, des éminences de Barcelone, Florence, Mexico. Les activités incluaient des visites de Bruxelles, mais aussi d’Anvers, Gand et Louvain. 

Toutes ces villes élisent le Conseil de Direction de Métropolis, dont Alireza Zakani est l’un des septs co-présidents. Mais on y retrouve aussi… Pascal Smet (vice-président régional) et une flopée de Chinois dont aucun n’est manifestement ouïghour. Ceci signifie que Pascal Smet siège effectivement dans le comité directeur, aux côtés d’Alireza Zakani. 

Il y a deux façons de traiter cette information. La première, c’est d’assumer qu’on est dans une organisation internationale où le niveau de démocratie des membres et des dirigeants s’efface devant le pragmatisme diplomatique. C’est ce qu’on fait en général. Le maire de Téhéran est invité parce qu’il est co-président. 

L’autre, c’est d’appliquer les standards des droits humains à ce type d’organisation. Et dans ce cas, la première question est : pourquoi Zakani y a été élu in the first place. Et la seconde, sachant qu’il a été élu, qu’est-ce que Bruxelles foutait dans une telle organisation ?

Selon qu’on pense que des canaux doivent rester ouverts ou non, on donnera une réponse différente à ces questions. Mais si l’on tient à appliquer les standards des droits humains à de telles entités, il n’y a plus beaucoup d’organisations internationales auxquelles il serait légitime d’adhérer, l’ONU en tête.

Le CV d’un Poutine
Une deuxième question est de savoir si le passé des personnalités qui s’y retrouvent est un argument. Le maire de Téhéran y vient en tant que maire et non en tant qu’ex-dirigeant d’une milice violente. Que sait-on du passé de bourgmestres chinois, ou de celui de La Havane ? Si l’on doit exclure les bourreaux, ayons une pensée pour Vladimir Poutine qu’on a si souvent invité à l’ONU, au G8 et à la COP21, à Paris ou en visite officielle à Bruxelles en 2001. Est-on bien sûr qu’il n’a pas ordonné des meurtres quand il était directeur du FSB, après avoir été officier de sa version soviétique, le KGB ? Et que dire du bourreau des Ouighours et de tant d’opposants chinois, Xi Jingping reçu en grande pompe en Belgique encore en 2014 et que des centaines de personnalités sont allé congratuler il y a quelques mois ? 

Tout le problème de la diplomatie et des relations internationales est donc que rien n’est simple. La meilleure preuve, c’est que ce même mois de juin, Paris invitait Mohammed Ben Salman, connu pour prôner une forme larvaire d’émancipation des femmes en Arabie saoudite, mais aussi pour avoir donné l’ordre d’assassiner et de démembrer un journaliste en Turquie. Ce bon client et excellent fournisseur d’hydrocarbures, on peut. Mais le maire de Téhéran, on ne peut pas ?

Je ne fais que poser la question. Je n’ai moi-même pas la réponse, et je suis d’autant plus bluffé par le nombre de personnes qui la détiennent avec une certitude absolue et hurlent à la démission. À ce propos, qu’attend Rudi Vervoort pour donner la sienne ? Et Philippe Close, un des orateurs de l’événement ? Pourquoi se limiter à Pascal Smet et à Hadja Lahbib ?

Un choix de concert, une suite déconcertante
Il reste que lorsque la libération d’Olivier Van De Casteele a été décidée par ce gouvernement voici un an, ce sont tous les partis de la majorité qui se sont engagés dans une négociations avec un État-voyou. Au risque de le conforter dans l’idée qu’on peut échanger des otages européens contre des terroristes.  Et dans ce cadre, il ne pouvait être question d’oublier le professeur Suédo-Iranien, Ahmadreza Djalali, qui était aussi professeur invité à la VUB et a donc un lien avec la Belgique. Lui, il a été condamné à mort. 

Les tractations dans l’affaire Van De Casteele ne se seraient donc pas terminées avec sa libération (la libération de trois autres ressortissants européens l’indiqueraient d’ailleurs). Je pense que cette négociation avec l’Iran était une erreur grave, mais la majorité des Belges semble penser le contraire, ainsi que les sept partis de la Vivaldi. 

Alors, la question des visas peut elle aussi se poser de multiples manières. Exemple : peut-on refuser un visa au maire de Téhéran sachant que ça pourrait contribuer à condamner définitivement Djalali à être pendu à un filin métallique accroché à une grue ? 

Vous avez deux heures pour répondre à cette rédaction de terminale.

Plus de questions que de réponses
Il y en a des tas d’autres : y a-t-il d’autres négociations en cours dans le dossier Van De Casteele ? Quelles garanties Bruxelles a-t-elle données à Metropolis et donc à Téhéran au moment d’organiser ce très important meeting à Bruxelles ? La ministre des Affaires étrangères pouvait-elle faire autrement que laisser octroyer les visas ? Et question subsidiaire : la Sûreté de l’État a-t-elle eu le temps d’examiner les octrois de visas et si oui, a-t-elle à son tour laissé venir des membres des services secrets iraniens — dans un pays où à peu près tout officiel fait peu ou prou partie de la machine infernale à écraser des opposants (H/F/X).

Une chose me paraît sûre : dès que le feu vert a été donné, l’Iran s’est fait un malin plaisir à grossir sa délégations le plus possible et à y intégrer des personnes indésirables. Mais ça n’est que la conclusion d’un enchaînement dont, soit on assume tous les aspects, soit on les rejette tous.

Car si chaque parti se positionne comme il le souhaite, il siérait à la politique que cela se fasse en toute cohérence. On ne peut pas, le lundi, signer un gros contrat avec la Chine, et le mardi hurler à la démission parce qu’on parle avec Téhéran. On ne peut pas exulter quand Olivier Van De Casteele est libéré par les efforts du gouvernement et donc d’Hadja Lahbib et Alexander De Croo et, quelques jours plus tard, demander leur tête parce qu’une telle action impose aussi, ensuite, une plus grande tolérance pour les officiels iraniens qui voudraient se rendre dans notre pays pour une conférence internationale dont il n’est en fait que l’hôte.

Mais que voulez-vous, la Belgique est un surréalisme et tient apparemment à le rester !

 

 


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© Marcel Sel, 2023. Reproduction interdite sans accord de l’auteur.

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4 Comments

  1. SIMON Jean
    juin 21, 13:22 Reply
    Il est clair que la NVA supporte mal le succès d’une MR francophone.La diplomatie doit être flamande pour ces agités du bocal linguistique.Faire tomber De Croo serait pour eux un rêve qui pourrait se réaliser en agitant sournoisement toute l’opposition à la Vivaldi et pas que! On se retrouve comme toujours en Belgique face à des pratiques politiciennes et partisanes qui n’honorent pas leurs auteurs et la démocratie représentative n’en sort pas grandie.La particratie érigée à l’état de système est la mérule de notre société.
  2. Rudy Deblieck
    juin 21, 13:32 Reply
    Ik denk dat hoewel jij links en ik rechts genoemd worden, dat ons moreel kompas niet zoveel verschilt, Marcel😊
  3. ThM55
    juin 22, 07:31 Reply
    Excellente analyse. Écœurant de voir ces politiciens prédateurs pousser à sa démission en visant clairement Bouchez à travers elle. Cependant elle a fait une grosse erreur en ne formulant le véritable argument qu’hier devant la chambre. C’était pourtant évident, et cela aurait pu être accepté si elle l’avait dit d’emblée. De Roover l’a relevé et l’accuse maintenance d’avoir menti devant la chambre. Elle se retrouve dans une situation intenable, hélas.
  4. Anne-Rose Gingold
    juin 29, 13:22 Reply
    Excellent article qui remet les pendules à l'heure. Malheureusement aucun de ceux, qui mène l'assaut contre Hadja Lahbib, ne prendra le temps de regarder sa montre.

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