COVID : la valse des chiffres qu’on déchiffre et qui ne disent pas grand chose.
Le monde (oui, tout le monde) a pris l’habitude de comptabiliser les cas de COVID « confirmés ». Autrement dit, les cas détectés par un test. En caricaturant à l’extrême, cela revient par exemple à comptabiliser le nombre d’excès de vitesse en fonction des gens qui se font flasher. C’est donc une vision trompeuse de la réalité de la pandémie. Combien de Belges, d’Anglais ou d’Allemands ont réellement été atteints par le coronavirus ? Personne ne le sait au juste. De deux pays où la situation est plus ou moins similaire (mettons dans une fourchette de 10 ou 20%), ce sera peut-être celui qui teste le plus qui paraîtra le plus contaminé, tout en faisant « mieux » que l’autre !
Pourtant, c’est notamment en fonction de ces chiffres qu’on mène les politiques. Il y a bien sûr aussi les décès, mais ils interviennent avec un certain retard — jusqu’à un mois après la contamination. Quoique si l’on examine les graphiques, on voit que le pic des décès intervient une à deux semaines après les pics de taux de positivité. Parce que, par-dessus le marché, on teste à un moment lambda après la contamination qui est extrêmement variable. Après une semaine. Après 10 jours. Et pour les tests sanguins, parfois après des mois. Quant aux admissions à l’hôpital, elles ont aussi un retard par rapport à la contamination. Typiquement, les pics d’hospitalisations ont environ une semaine de retard sur les pics de positivité (en pourcentage).
On vous dira peut-être que le plus sûr est justement de regarder ce taux de positivité. Actuellement, il est de 5,5%, lissé sur les 14 derniers jours. Et là encore, on est au doigt mouillé.
Car, rappelez-vous, il y a quelques mois, on ne testait que les symptomatiques. On arrivait alors à des taux bien supérieurs, comme le 29 mars 2020, avec 34,23%. À en croire Sciensano, il y avait alors 22.000 cas environ, détectés en un jour. En réalité, si on avait testé aussi les asymptomatiques, il y en aurait à coup sûr eu considérablement plus. Mais combien ? Le double ? Le triple ? 100.000 ? En un jour ? No-one knows.
En tout cas, fin décembre, 14% des Belges avaient des anticorps, selon une étude conjointe de Sciensano et de la Croix Rouge. Chouette, une info fiable ? Que nenni. Il faut deux semaines pour que ces anticorps soient détectables, et l’on ne sait pas (encore) s’ils perdurent au-delà de plusieurs mois. Autrement dit, au moins 14% de la population avait été contaminée fin décembre. Ils étaient 2% début mars. Et 5% avant l’été pour les donneurs de sang (mais ceux-ci sont-ils généralement plus prudents, ou pas ? Allez savoir.) La réalité oscille entre 14 % et… on ne sait donc pas.
Depuis fin novembre, alors qu’on reteste « tout le monde », le taux de positivité sur les tests a baissé de moitié, de 10 à 5%. On rêverait d’une forme de fiabilité. Mais la question est dès lors ce que contient ce tout le monde. Rappelez-vous. À l’automne, on se faisait peut-être plus tester si on avait un soupçon. Outre les symptomatiques, il y avait tous les cas contacts. Et ensuite, le testing est devenu plus « commun ». Jusqu’à la fermeture des frontières, on se testait peut-être plus souvent pour savoir si on pouvait aller à l’étranger, ou lorsqu’on en revenait. Aujourd’hui, les raisons ont évolué. Certains se testent même juste « au cas où », ou après une lockdown party. Dans certaines universités, il suffit de dire qu’on est enrhumé pour obtenir un test gratuit. Ou même, on se teste avant un dîner avec un ou deux invités de trop (oui, j’ai entendu ça aussi !)
Et donc, même en comparant un taux de positivité de deux périodes où l’on teste « librement », on n’est encore sûrs de rien ! Imaginons qu’aujourd’hui, deux fois plus de personnes non exposées se fassent tester qu’en novembre. Ou imaginons l’inverse. Ces 5,5% lissés sur les deux dernières semaines ne veulent alors toujours pas dire grand chose.
La presse nous transmet et même nous explique des chiffres (et nous dit même parfois que tout cela est factuel…) qui n’ont en réalité qu’un sens assez grossier. On se rend certes bien compte que les choses vont mieux aujourd’hui qu’il y a trois mois, mais on ne peut s’assurer de la mesure précise de ce mieux. Et quand je vois les chiffres qu’on nous montre, soit aujourd’hui 718.000 cas détectés au total, (et sachant que dans les premières périodes les plus aigües, on n’a testé que les cas si symptomatiques qu’ils requerraient un passage à l’hôpital), je me dis que les Belges qui l’ont eu doivent déjà être plusieurs millions. Combien ? Au moins 14%, ça, c’est quasi sûr. Mais sommes-nous à 20 ou à 30% ? Saurons-nous même quand on aura atteint les fameux 70% de l’immunité de groupe (sachant que même ce taux n’est qu’une hypothèse) ?
Est-ce grave ? Probablement. C’est tout de même la première fois de mémoire d’homme que toute la société est suspendue à des chiffres si flous, si peu pertinents, balancés jour après jour. Au début, on laissat d’ailleurs souvent entendre qu’ils représentaient le nombre de cas nets, ce qui trompait allègrement le public. Depuis, on a pris l’habitude d’ajouter « cas détectés », ce qui est certes plus factuel, mais à force de lire ce simple adjectif, on finit par l’oublier. Et pourtant, les totaux publiés par qui que ce soit, par pays, sont tout simplement faux ! Tout cela ne semble pourtant pas diminuer la confiance des lecteurs et auditeurs face à ces chiffres.
On vous dit que l’incidence est d’autant en Allemagne et d’autant en Belgique, mais faute de prendre un panel représentatif de la population à tester chaque semaine (par exemple), on n’a en fait qu’une idée très vague de la situation. Tout le temps.
Or, les chiffres ont, depuis longtemps, représenté, en quelque sorte, « la science », les « faits incontestables ». Ça fait déjà un moment que ça s’érode. Cette confiance intrinsèque dans le chiffre fait qu’on en balance facilement dans les partis, et ensuite dans les médias, trop souvent hors contexte, ou même juste tels quels. On écrit cette semaine : « La Wallonie met 200 millions », sans préciser la part du budget que ça représente. Ni ce qu’on peut faire avec une telle somme. 200 millions, 7 milliards, 400 milliards finissent par n’avoir plus qu’un sens, identique, à savoir « beaucoup » !
Et même les scientifiques s’y sont mis, pour faire passer leurs idées ou leurs conclusions : « quatre-cent académiques du monde entier ont signé notre carte blanche ». En oubliant évidemment de préciser que, dans le monde, pour la spécialité en question, ils sont peut-être un million ! Bref, en négligeant de communiquer le sens des chiffres, c’est aussi la science elle-même qu’on trahit.
Avec la Covid, on arrive peut-être dans une nouvelle ère, celle où il faudra se méfier plus encore des chiffres que de n’importe quelle autre fait révélé. Eh ouais.
Esprit critique, tu vas avoir un putain de boulot !
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45 Comments
Lucien
février 05, 12:16marcel
février 06, 19:02Lucien
février 06, 23:39Lucien
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février 18, 12:59ut'z
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février 07, 18:40Lecteur Neutre
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