À l’Église Sainte-Catherine (Bruxelles), l’antisémitisme colle comme un sparadrap MàJ avec droit de réponse.

Mise à jour du 21 octobre 2019, avec droit de réponse des Amis de Sainte-Catherine en bas de page.

C’est une affichette collée sur les vannes officielles de l’Église Sainte-Catherine. On y lit l’histoire d’un « miracle » consécutif au vol de seize hosties, en octobre 1369 : « En avril 1370, elles seront violemment transpercées à coups de couteaux dans une synagogue de Bruxelles : du sang en jaillira miraculeusement, sous les yeux des profanateurs ébahis ». 

À proximité, une autre affiche fait la promotion du livre de Véronique Hargot-Deltenre consacré à la légende, Le très saint Sacrement du Miracle, un miracle eucharistique à Bruxelles méconnu, qui accable les Juifs bruxellois de l’époque. L’affichette précise que l’œuvre, qui pérennise pourtant le vieil antijudaïsme catholique qu’on croyait exclu de l’Église depuis Vatican II, est en vente au prix de 10 € tant à l’accueil que dans la boutique de l’Église. 

L’opuscule est publié par « Les Amis de Sainte-Catherine », un groupe proche d’une congrégation plutôt radicale, en plein cœur de Bruxelles ! Depuis cinq jours, plusieurs personnes auraient alerté les curés du cru, qui auraient promis de retirer l’affiche. Sauf que ce matin encore, une fidèle constatait qu’elle était toujours là. C’est lent, tout de même, un curé rétrograde de nos jours. Rendez-nous Don Camillo !  

Episcopat-à-pas
L’épiscopat est au courant de la publication de ce pamphlet depuis au moins un an. Il a fait publier le 23 mai 2018 un statut critique sur la page Facebook de la CNCJ (Commission Nationale Catholique pour les Relations avec le Monde Juif). Un texte pour rassurer la « communauté juive » sur les bonnes intentions des catholiques. La CNCJ y reconnaît les errements historiques de Mme Hargot-Deltenre (une ex-candidate CDH, semble-t-il) : « Même si l’intention, louable, de l’auteure est de nourrir la ferveur et la dévotion eucharistique, son ouvrage contribue à remettre en avant, comme parfaitement authentiques, des phénomènes hautement douteux liés à des événements qui sont, eux, malheureusement authentiques, à savoir la mise à mort, en 1370, de plusieurs Juifs bruxellois et l’expulsion d’un certain nombre de Juifs de la ville. » Et aussi : « Quelque bonnes qu’aient pu être les intentions qui ont présidé à la rédaction de ce livre, sa publication est donc gravement inopportune, car elle risque de raviver l’antique hostilité antijuive dont beaucoup de chrétiens ne sont pas débarrassés et ainsi de nourrir un antisémitisme que l’Église ne peut que combattre résolument. »

Infatigable, l’intéressée épistole (à Mgr notamment) et rue dans les brancards. Dans sa réponse aux critiques de la CNCJ, elle s’insurge : « Halte à cette auto-flagellation. Pourquoi ne pas évoquer tout le bien fait aux juifs et dit des/aux juifs par l’Église et ses fidèles, même avant le concile ? Quid des persécutions juives contre des chrétiens ? Quid des attaques de juifs contre des processions du Saint-Sacrement et des crucifix historiquement attestées au moyen-age (sic) ? » Ah oui, parlons-en, des persécutions juives contre les chrétiens…

Confrontée à une virulente défenderesse d’une « tradition de plus de six-cents ans », l’Église aurait donc fait son travail… voire. Parce qu’un an après cette missive de la CNCJ, les restes de la congrégation rétrograde installée par Mgr Léonard (La Fraternité des Saints-Apôtres) dans l’église Sainte-Catherine, affichent sans vergogne la promotion, non seulement de l’ouvrage, mais aussi de l’antisémitisme intrinsèque qui s’en dégage. La prétention que les hosties volées eussent été transpercées dans une synagogue est farfelue, basée sur des témoignages « recueillis »… trente ans plus tard. Quand on connaît l’espérance de vie de l’époque, cette version convient plus à l’inquisition portugaise qu’à la vie catholique d’aujourd’hui !

Le changement, on Latran toujours…
Mais c’est toute l’histoire de ce « miracle » (célébré à Bruxelles jusque dans les années cinquante — soixante selon Véronique Hargot-Deltenre) qui sent le soufre. Plusieurs juifs ont en effet été brûlés à l’époque pour avoir volé seize hosties de l’église Sainte-Catherine, sur ordre « du Juif Jonathas » (argh). Ce fut aussi l’occasion d’expulser des Juifs de la ville. Ce type de légende a servi à « purifier » d’autres cités à l’époque.

Une théorie antisémite en vente à l’accueil et à la boutique de l’église Sainte-Catherine, en plein cœur de Bruxelles.

Il faut se souvenir que le Concile de Latran était alors de l’histoire récente (1215). On y avait recommandé que les Juifs (et les Sarrasins) portassent une marque distinctive afin d’éviter « un commerce intime » entre des juif-ve-s et des chrétien-ne-s. Et on les exclut aussi de toute autorité et de relations commerciales et sociales avec les chrétiens. Petite nuance : lorsque le pape Innocent III apprit que, suite à ces décisions, des Juifs avaient été violentés, il recommanda de ne pas leur imposer de signes distinctifs qui pussent les soumettre à une telle violence. Sept-cent-trente ans plus tard, un Autrichien prouva qu’Innocent III n’avait pas tort de se méfier de tels marquages !

Mais l’idée était tout de même de forcer les Juifs à la conversion en leur imposant des mesures d’exclusion, parfois extrêmes. Simultanément, l’Église de l’époque n’hésitait pas à salir leur réputation. Et on mettait alors les petits plats dans les grands : plusieurs vitraux de Saint-Michel et Gudule racontent aujourd’hui encore l’histoire des hosties volées, qui a tous les aspects d’un pamphlet antijuif. Ainsi, c’est une juive convertie qui aurait dénoncé ses congénères, choquée qu’elle était par l’horrible sort fait aux hosties dans la synagogue. Lisons bien ce que cache cette information apparemment créée de toutes pièces des décennies après les événements : un-e juif-ve converti est non seulement sauvé-e, chers paroissiens, mais de surcroît, elle (il) perd sa « détestable » nature juive et — ô miracle — se transforme instantanément en citoyen-ne honnête salvatrice du Corps du Christ.

La persécution du Juif s’use
On s’interrogera aussi sur l’utilité de « poignarder » des hosties sous les ordres d’un rabbin, dès lors que contrairement aux catholiques, les juifs ne croyaient évidemment pas qu’elle pût contenir le corps du Christ. Le Concile de Latran officialisa en effet le concept de transsubstantiation — à savoir qu’à partir de 1215, tout catholique était invité à croire que « le pain » consacré contenait réellement le corps du Christ. Poignarder une hostie, c’était donc poignarder le Christ. Mais ça n’avait évidemment aucun sens pour un juif ! Quant à imaginer que ceux-ci, déjà sévèrement pourchassés, iraient prendre le risque de faire fondre sur eux la colère céleste d’un clergé si prompt à les exclure, c’est à mon avis déjà un point de vue un tantinet antisémite.

Les « faits » que certains dans l’Église continuent à prendre pour argent comptant, concernent le vol et la sanction des juifs. Ils seraient rapportés fidèlement par les textes de l’époque. Sauf que ceux-ci sont à prendre avec une pincée de distance. Car, il est peu douteux que les aveux des juifs exécutés fussent obtenus sous la torture. Et les récits, même — et surtout — officiels de ce temps ne donnaient que la version des accusateurs. Vu l’époque, absolument rien de tout cela n’est donc sûr. Et ce qui n’est pas certain, n’est pas du tout.

Ce qui semble évident, c’est que, si poignarder des hosties avait entraîné un miracle tel que l’apparition du sang (du Christ, donc), on n’aurait pas attendu trente ans pour le célébrer. Tout Bruxelles aurait bien évidemment été immédiatement pris d’une ferveur miraculeuse. Madame Véronique affirme que toute la ville en parla à l’époque des événements. Hélas, elle ne dispose pas d’enregistrements historiques permettant de le confirmer. Halala. La cassette audio manquait grave, de ce temps-là !

On ne bronze jamais assez
À vrai dire, même si les vitraux de Saint-Mich’ continuent à raconter cette fumeuse histoire, l’Église elle-même y croit si peu qu’elle a apposé — mais un peu trop discrètement — une plaque commémorative en 1977. C’est alors le cardinal Suenens qui l’a pieusement et justement inaugurée, dans une chapelle de la Cathédrale. Elle dit :

« En 1370, la communauté juive de Bruxelles a été accusée de profanation du Saint-Sacrement et punie pour ce motif. Le Vendredi saint 1370, à la synagogue, des Juifs auraient transpercé de poignards des hosties dérobées dans une chapelle. Du sang aurait coulé de ces hosties.

En 1968, dans l’esprit du deuxième concile du Vatican, les autorités diocésaines de l’archevêché de Malines-Bruxelles, après avoir pris connaissance des recherches historiques sur le sujet, ont attiré l’attention sur le caractère tendancieux des accusations et sur la présentation légendaire du miracle ».

Bien sûr, la plaque ne convient pas à Mme Hargot-Deltenre, qui rétorque sur son site : « La plaque de bronze n’a pas le même poids d’autorité que la Bulle d’Eugène IV qui authentifie le miracle. » Pauvre Suenens !

Le bedeau a bon dos.
L’épiscopat a effectivement réagi à la publication du pamphlet miraculeux de Véronique Hargot-Deltenre. Mais avec mollesse. Une source m’informe qu’il aurait aussi promis de prier les curés de Sainte-Catherine de retirer de l’église le texte antisémite et la promotion d’un livre qui donne foi à une légende qui l’est tout autant. Mais le pouvoir ecclésiastique est complexe et même le primat de Belgique ne peut imposer ses vues. Il ne peut que prier ses subordonnés de faire cesser l’outrage antijuif. Et les restes de la congrégation radicale qui occupe toujours Sainte-Catherine, désavouée dès 2016 par Mgr De Kesel, et dissoute par le Vatican, sont probablement trop contents d’utiliser leur indépendance pour le narguer. 

Jusqu’ici, rien n’y a fait. Sainte-Catherine ne peut que constater qu’elle est victime d’un affreux sparadrap. Ni les demandes auprès des bedeaux, curés et vicaires du cru, ni les actions gênées de l’épiscopat n’ont abouti. Il ne reste plus que la presse, et peut-être Unia, pour inciter les autorités ecclésiastiques à faire preuve… eh oui : d’autorité.

Il faut dire que les amis de Sainte-Catherine, proches de leurs prêtres, n’hésitent pas à promouvoir le site intégriste riposte-catholique.fr qui défend à son tour la sulfureuse congrégation Pie-X de Mgr Lefèvre. Qui, elle aussi, colle à l’Église comme un… sparadrap.

(Merci à tous ceux qui se sont déjà mobilisés pour faire retirer l’odieuse affiche, et merci de tout cœur aux témoignages qui m’ont permis de rédiger cet article — je mettrai les crédits photos sur demande).

MISE À JOUR : DROIT DE RÉPONSE
N’étant pas astreint comme la presse écrite à publier les droits de réponse qu’on m’envoie, j’ai toutefois toujours respecté ce principe sur mon blog. Voici le droit de réponse que m’a envoyé les Amis de Sainte-Catherine le 6 août 2019. En m’excusant du retard. Il va de soi que je maintiens tout ce que j’ai écrit ci-avant.

Communiqué 

Suite à la publication sur les réseaux sociaux de soupçons d’antisémitisme à l’église Sainte-Catherine, l’ASBL « Les Amis de Sainte-Catherine » communique les éléments suivants : 

  1. Le livre « Le Très-Saint Sacrement de miracle 1370 – 2020, un miracle eucharistique à Bruxelles méconnu » a été écrit par Véronique Hargot-Deltenre et édité par l’association « Les Amis de Sainte-Catherine » en mars 2018. Cet ouvrage a pour objectif de lever un coin de voile sur le miracle eucharistique qui a eu lieu à Bruxelles en 1370, sa portée sociale, religieuse, artistique et politique, l’immense dévotion locale et nationale qu’il suscita ainsi que les innombrables grâces et bienfaits qui en découlèrent. (Voir l’introduction en première page du livre).
  2.  La volonté de l’auteur est d’encourager la dévotion eucharistique dans le sillage d’une tradition longue de plus de 600 ans au coeur de Bruxelles. Cet objectif est par ailleurs reconnu par la commission nationale catholique pour les relations avec le monde juif (CNCJ) dans son post du 23 mai 2018 sur sa page Facebook (note 1). 
  3. Tant l’auteur que l’ASBL redisent fermement que l’antisémitisme est en soi détestable et contraire aux fondements du christianisme
  4. Nous condamnons avec la plus grande fermeté toute forme d’antisémitisme.
  5. De plus, l’auteur du livre consacre un chapitre sur la question de l’antisémitisme. Cette partie de l’ouvrage ne laisse aucun doute sur la position de Véronique Hargot-Deltenre à propos de nos frères juifs. Elle se réfère à l’article 4 de Nostra Aetate (note 2). 

Il est inacceptable que certains se permettent d’écrire un article sans même contacter l’auteur de l’ouvrage attaqué voire sans lire ce dernier. L’auteur se réserve le droit d’attaquer pour diffamation et calomnie l’auteur des propos tenus par voie de blog. L’article de ce dernier est à la fois faux et écrit sans la moindre rigueur. 

Bernard DE LA CROIX 

Président  

1. Post du CNCJ du 23 mai 2018 

2. Nostra Aetate, article 4 : « En outre, l’Église, qui réprouve toutes les persécutions contre tous les hommes, quels qu’ils soient, ne pouvant oublier le patrimoine qu’elle a en commun avec les Juifs, et poussée, non pas par des motifs politiques, mais par la charité religieuse de l’Évangile, déplore les haines, les persécutions et les manifestations d’antisémitisme, qui, quels que soient leur époque et leurs auteurs, ont été dirigées contre les Juifs »  


 

Si cet article vous a intéressé, n’hésitez pas à rétribuer mon travail par une contribution libre de minimum 2€. Celles-ci contribueront à payer ma défense dans le procès en appel que me fait Michel Collon (Investigaction) pour l’avoir qualifié d’antisémite, après sa défaite en première instance.

(Note : je n’accepte pas plus de 50€ par trimestre des mandataires politiques, quel que soit leur bord.)

 

©Marcel Sel 2019. Distribution libre à la condition expresse de citer l’auteur (Marcel Sel) et d’établir un lien avec cette page. 

 

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