Affaire Wesphael : en 2013, où étaient les éditos contre son maintien en prison ?
Le 6 novembre 2013, suite à un billet de Jan Nolf, le « justice-watcher » de la VRT notamment, je publiais sur mon ancien blog un article intitulé Il faut libérer Bernard Wesphael, ou le 4e pouvoir en jachère. Ce billet ne tenait pas compte d’une éventuelle culpabilité, ni d’une possible innocence du prévenu. Il rappelait simplement un principe qui me paraît fondamental, tout comme Marc Uyttendaele l’avait fait avant moi, avec plus de science évidemment, je ne suis pas juriste. Dans mon billet, je m’inquiétait du silence des médias. Aujourd’hui, Bernard Wesphael a été innocenté — ce qui ne signifie pas qu’il est innocent (nul ne le saura jamais avec certitude, sinon lui-même), mais bien qu’il n’a pas pu être prouvé au jury qu’il était coupable. L’important étant que la vérité juridique désormais établie est celle de son innocence, et qu’elle revient à reconnaître que son incarcération à l’époque était bien illégitime. C’est à la lumière de ce fait que je reposte mon article d’alors et que je repose la question : comment se fait-il qu’aucun média n’a pris sa défense ?
Il faut libérer Bernard Wesphael, ou le 4e pouvoir en jachère.
Il est toujours difficile de défendre un point de vue objectif dans le cadre d’un drame personnel. Une maman est décédée brutalement, un papa est accusé de l’avoir tuée. Les familles et les amis sont forcés de choisir un camp, sans toutefois savoir. C’est dramatique, on ne peut qu’être solidaire, mais ça ne peut nous empêcher d’exiger que la justice travaille correctement, quelles qu’en soient les conséquences éventuellement choquantes.
L’affaire Wesphael est en fait très simple : une femme est décédée et l’instruction vise à savoir si elle s’est suicidée, comme l’affirme Bernard Wesphael, ou si elle a été victime d’un homicide voire d’un assassinat (qui implique la préméditation), même si cette piste semble exclue vu les circonstances (mais apparemment retenue par le parquet). Aujourd’hui, on est au stade de l’instruction. Les informations qui atterrissent dans la presse sont des fuites dont on ne peut garantir la pertinence : même les certitudes de la police ne sont pas des vérités, ce sont seulement des certitudes de la police. C’est notamment ce que j’ai voulu montrer dans l’affaire Sverdloff, où la police était certaine que son amie Cindy s’était cassé le nez en tombant par terre, alors qu’aucun policier n’était présent !
Et c’est là que le bât blesse, car comme l’explique brillamment Jan Nolf dans un article paru dans Knack (ce sera votre leçon de néerlandais du jour), le seul cas où un parlementaire peut être maintenu en détention sans levée d’immunité parlementaire est le flagrant délit. Et en l’occurrence, il est loin d’être établi. Il doit s’agir d’un «crime qui se commet actuellement ou qui vient de se commettre». Le moins qu’on puisse dire, c’est que l’interprétation brugeoise est très, très souple avec ce principe. Il est évident qu’il n’y a d’abord pas de certitude qu’il s’agit d’un crime (il y a des présomptions basées sur des analyses qui, si l’avocat de Bernard Wesphael dit vrai, ne sont même pas encore versées au dossier), et encore moins que le crime, s’il y en a un, a été commis juste avant l’arrestation de Bernard Wesphael. Le moins qu’on puisse dire est que le flagrant délit est très, très loin d’être avéré. Pourtant, comme le précisait Jan Nolf sur Twitter, l’art 158 du Code pénal «sanctionne tout officier qui arrête un représentant sans autorisation et en dehors du cas de flagrant délit». Ce qui signifie que, s’il n’y a pas flagrant délit, le seul délit ayant été commis avec certitude est celui… du parquet de Bruges…
Ceci pour dire qu’il n’y a pas matière à hausser les épaules en disant «ouais, mais on est quasi sûr que c’est lui, et «vient de se commettre» est suffisamment vague pour justifier qu’on le maintienne en détention, et en plus, ce serait pire s’il s’évadait. Non, ça, c’est de la justice de café du commerce. Le droit, dans un État de droit, concerne tout le monde, y compris celui que tout le monde soupçonne parce que justement, il est toujours possible qu’un coupable que tout le monde a pris pour sûr soit innocent. Les règles de droit n’ont pas été inventées et établies au cas où, encore moins pour êtres enfreintes, mais parce que la justice a, petit à petit, affiné son fonctionnement suite à des injustices, ou pour protéger — c’est le cas de l’immunité parlementaire — des élus contre des manipulations politiques. Bien sûr, il s’agit ici d’une affaire «privée». Mais là encore, la Loi ne prévoit pas d’exception.
Ce qui est curieux, c’est qu’hormis Jan Nolf, je n’ai lu une défense de ce point de vue pourtant fondamental que sous la plume de Marc Uyttendaele, dans le Soir. Mais aucun journaliste ne semble avoir décidé d’en parler et la plupart des journaux et magazines font pédale douce. Même ceux qui ont défendu à raison la libération conditionnelle de Michèle Martin n’ont pas encore pris la plume pour demander la libération immédiate de Bernard Wesphael, ou du moins que le Parlement wallon se prononce de toute urgence (c’est déjà très tard) sur la levée, ou non, de l’immunité parlementaire du député. Et même là, nous avons un problème : dès lors que la certitude du parquet de Bruges semble ferme comme du roc, dès lors que Wesphael est déjà en prison, il semblerait inévitable que le Parlement conclue à la levée de son immunité. Ce qui revient à dire que désormais, il n’y a plus qu’à dire que les enquêteurs sont «certains» de leur coup au point de violer une règle fondamentale du droit démocratique pour que l’immunité soit levée. Ce genre de précédent est détestable.
C’est pourquoi la seule conclusion sociétalement acceptable serait : «il faut libérer Bernard Wesphael», et avant que le Parlement ne statue sur sa levée d’immunité parlementaire. Et ensuite, il faut expliquer à la population pourquoi cette décision doit être la même, qu’il s’agisse d’un membre d’un petit parti, d’une formation majoritaire, de l’extrême gauche ou de l’extrême droite. Cette opinion fait pourtant peur, apparemment, aux médias belges. Et ça, c’est probablement ce qu’il y a de plus effrayant dans toute cette histoire. Parce que lorsque les trois pouvoirs agissent en dehors des règles qu’ils ont établies, ou que la question de la légitimité de leur action peut être posée (et le moins qu’on puisse dire, c’est que c’est le cas), il ne reste plus que la presse. Amis journalistes, à vos crayons !
9 Comments
moinsqueparfait'
octobre 06, 18:45Salade
octobre 06, 20:56vince001
octobre 07, 06:56lievenm
octobre 07, 10:04marcel
octobre 07, 19:29Capucine
octobre 07, 18:24Tournaisien
octobre 07, 21:37moinsqueparfait'
octobre 08, 15:29Salade
octobre 11, 18:54