Fermeture de @B3zero : pour le Comité Olympique, l’important, c’est de participer. Financièrement.
Après la suspension du compte @Cabinet_noir pour avoir posté une photo largement partagée sur les réseaux sociaux — apparemment à la demande du néonazi Bruno Hirout — Twitter France a définitivement suspendu un autre compte très suivi, celui de @B3zero, 40.000 abonnés. Pas un compte islamiste, pas violent, pas vulgaire, pas cru, non. Juste une initiative qui voulait rendre l’info intéressante, facile à lire, immédiate. Comme dans les cas précédents, impossible de contacter une personne chez Twitter France ou ailleurs, d’expliquer sa position ou de faire valoir sa bonne foi. Chez Twitter, on ne se justifie pas, on ne discute pas. Et on ne fait pas de commentaire.
Deux ans et plus dedans.
Le 13 août, B3zero aurait du fêter ses deux ans. Ça n’a pas été possible. Le compte avait été créé par le journaliste William Reymond, installé à Las Vegas. Auteur d’une dizaine de livres chez Flammarion, dont il a été directeur de collection, Reymond collabore régulièrement avec divers médias en France et au Québec, notamment en télévision. Il a créé le compte @B3zero au moment des troubles à Ferguson, avec de nobles arrières-pensées : « Tous les soirs, il y avait des manifs et aucun média traditionnel n’en parlait. L’idée aussi, c’était d’offrir de l’info à des lecteurs qui n’en n’ont plus rien à faire. Une de mes fiertés est d’avoir parmi mes followers des gens très instruits, des décideurs, des journalistes mais aussi des gamins de l’âge de mes fils qui ne liront jamais Le Monde, Libé ou Le Soir. Et de les intéresser à des sujets de société. »
Le compte est rapidement devenu populaire. Avec 49 500 tweets en 2 ans, généralement articulés en une info avec image, suivie du retweet de la source, il était un outil d’alerte et de réflexion pour beaucoup. Quatre Twittos y ont collaboré. En mars 2016, William Reymond a, dans la foulée, lancé le blog b3zero.com où, avec sa petite équipe, il a traité certaines informations de manière plus approfondie.
Et puis, le 11 août, l’erreur fatale. Il faut dire qu’elle est vite fatale, sur Twitter. @B3zero publie une capture d’écran télé (sous forme de vine, courte vidéo de 7 secondes en l’occurrence) où l’on voit la joie extraordinaire de l’haltérophile kazakh Nijat Rahimov aux Jeux olympiques, après sa victoire.
Copyright International Olympique
Or, le Comité International Olympique avait prévenu que toute image des JO envoyée sur les réseaux sociaux par des comptes ne disposant pas des droits d’auteurs pour ce faire serait sévèrement poursuivie. Un avertissement peu répercuté sur les réseaux. Le 12 août, Reymond reçoit un email lui annonçant la suppression du twit consacré à la danse de victoire du Kazakh pour violation de copyright. Il est accompagné de la plainte du CIO. Car oui, le CIO prend le temps de rédiger une plainte pour une vidéo de… 7 secondes !
Un second email lui annonce la suspension provisoire du compte (la « punition ») et l’invite à lire et à valider la politique de protection des droits d’auteurs de Twitter, puis à confirmer cette validation. William s’exécute. Le 13, il remplit aussi le formulaire d’appel disponible sur le site web de Twitter et envoye un email au support pour clarifier l’histoire du vine, s’excuser, parler de l’équipe, des abonnés, et du travail accompli en deux ans. La réponse tombe le lendemain : suspension définitive. Rideau.
Busé sur Youtube
On me dira que B3zero a effectivement violé les conditions générales de Twitter. Et ce serait la façon simple de conclure. Seulement voilà, ça n’arrange pas nos bidons à tous, Twittos, qui utilisons le réseau pour partager une opinion, donner une image la plus correcte possible du monde, informer, intéresser, partager les images et vidéos d’autrui.
D’autant que cette violation des conditions générales peut elle-même être mise en doute. Car William Reymond n’a pas créé ce petit film, il n’a pas capturé l’écran télé, il l’a trouvé sur Twitter et l’a partagé, en y associant même le nom de l’auteur. Plus curieux encore : le compte twitter de l’auteur est non seulement toujours actif, mais le vine en question, cinq fois plus long, est toujours visible, tout comme des dizaines d’autres captations des JO ! Et des centaines d’autres Twittos font de même, sans souci…
Or, si l’on prend à la lettre les conditions générales de Twitter, c’est le premier diffuseur qui est en faute : « Tous les Contenus, qu’il s’agisse des Contenus publiés ou communiqués à titre public ou privé, sont placés sous la seule responsabilité de la personne à l’origine de la communication de ces Contenus. » Une fois un contenu publié, le droit d’utilisation par les autres Twittos est de facto cédé via Twitter : « En soumettant, publiant ou affichant des Contenus sur ou par le biais des Services, vous nous accordez une licence mondiale, non exclusive, gratuite, incluant le droit d’accorder une sous-licence, d’utiliser, de copier, de reproduire, de traiter, d’adapter, de modifier, de publier, de transmettre, d’afficher et de distribuer ces Contenus sur tout support par toute méthode de distribution connue ou amenée à exister. » Cependant, « Vous reconnaissez que toute utilisation des Contenus publiés ou obtenus via les Services, est à vos entiers risques et périls. » Bref, dans tous les cas, Twitter est sauf, mais le Twittos, c’est une autre affaire.
J’ai connu une mésaventure similaire sur YouTube : ayant repris une vidéo de la VRT d’une séquence aux relents antisémites, et l’ayant sous-titrée en anglais pour les non-néerlandophones, j’ai vu mon compte YouTube suspendu avec une menace claire : une récidive, et c’était la porte. Or, cette vidéo avait notamment été reprise par un mémorial de la Shoah américain. Elle avait donc certainement une valeur informative, de par ma traduction, et illustrait un de mes articles. Mes explications à YouTube n’ont fait l’objet d’aucune réponse. J’ai donc cessé définitivement l’exercice. Pendant ce temps, l’horreur s’affiche sans vergogne sur le même réseau.
Un standard qui déshaltère
Le fichier twitté par B3zero a aussi été partagé par des dizaines, sinon des centaines d’autres comptes, y compris un compte certifié d’un média que je ne nommerai pas. Le fichier vine a depuis été effacé par Twitter dans ce cas précis mais le compte est resté actif. D’autres Twittos ont partagé un gif animé des mêmes images, toujours en ligne aujourd’hui. Selon William Reymond, cela pose une question de standard : pourquoi supprime-t-on un compte, et pas tous les autres ? D’autant que l’intention de B3zero n’avait rien de nuisible.
« Ce n’était pas une capture vidéo de bonne qualité, pas un évènement sportif, non, juste la joie du mec. » (William Reymond)
De nombreux internautes se sont insurgés contre la fermeture apparemment « pour l’exemple » de B3zero, relevant les nombreux autres comptes qui avaient, de même, enfreint la politique hyperstricte du CIO. Dans le cas de B3zero, il semble que les censeurs de Twitter aient tenu compte d’une première suspension durant l’Euro 2016, suite à la publication (également partagée par des milliers d’autres comptes, dont le mien — sans réaction de Twitter) du fameux commentateur islandais fou de joie après la victoire de son équipe nationale.
Dura lex, sex lex.
Or, ces « infractions » si graves semblent bien innocentes lorsqu’on les compare aux horreurs que le réseau n’a pas censurées. Qu’il s’agisse de contenus ultraviolents, ultraradicaux, insultants, de diffammation, ou de vidéos à caractère sexuel. Ainsi, des comptes Twitter diffusent chaque jour, et depuis plusieurs années, exclusivement des gifs et des vines de fellations, de sodomie, de bondage, de bukkake, de sexe brutal, de « gangbang » (plusieurs hommes avec une femme). Et cela, sans avertissement. Les vidéos démarrent automatiquement. Twit après twit, ces comptes violent sciemment et systématiquement la politique de Twitter. Et, pour rappel, l’âge minimal requis pour s’inscrire sur le réseau et voir de telles vidéos est de… 13 ans !
Dans un autre contexte, le compte de Wikileaks (3,4 millions d’abonnés) a diffusé, sans la moindre censure, une vidéo montrant les corps des victimes de l’attentat de Nice, juste après le massacre. Certains visages sont reconnaissables (je les ai floutés sur la photo), on y voit aussi des personnes démembrées. Là aussi, en violation flagrante des règles du réseau : « Si des images de mort sont tweetées gratuitement, Twitter pourra vous demander de retirer le contenu, par respect pour les personnes décédées. » Quod non.
On en vient à rire nerveusement quand on relit les conditions d’utilisation, qui interdisent notamment les « menaces violentes », le « harcèlement » ou la « conduite haineuse », toutes choses quotidiennes sur Twitter, au point qu’on saurait même pas par où commencer le nettoyage. Certains comptes en ont même fait leur spécialité. Mais il faut souvent plusieurs signalements pour que le fournisseur de réseau « social » réagisse. Ou pas.
En fait, hormis le jihadisme, effectivement censuré avec une relative efficacité par Twitter (du moins, depuis qu’Anonymous a, en mars, dénoncé la bagatelle de 9.200 comptes Twitter… mais David Thompson parvient toujours à trouver des infos de takfiristes sur ce même réseau…), les suspensions et suppressions de compte visent surtout la violation des deux critères mis bien en avant par l’entreprise dans ses conditions : la marque déposée et le droit d’auteur. Et là, tout dépend de la réactivité des ayant-droits.
Éthique en toc
Mais reconnaissons-le, Twitter n’est en fait que le révélateur d’une époque où l’éthique, les bonnes mœurs, les manières, ou encore le vivre ensemble ont cédé le pas aux valeurs sonnantes et trébuchantes. Et là, pas moyen de s’expliquer, de se justifier, de négocier. Dans le cas de B3zero, Twitter n’explique pas. Pourtant, quelque part, une décision a bien été prise.
« Tous les messages que j’ai reçu sont des textes automatisés sans jamais avoir eu l’occasion de m’expliquer avec un être humain. » (William Reymond)
On comprend évidemment que le réseau offre son service gratuitement, et que cela implique qu’il fait à peu près ce qu’il veut et ne peut répondre personnellement aux millions d’utilisateurs. Toutefois, les contenus de comptes comme B3zero valorisent aussi le réseau. Ceux qui produisent des twits informatifs et organisent une vie sociale à partir de leur compte lui donnent une âme qui compense la violence parfois étouffante par ailleurs. Un compte comme celui qui a été entretenu par Reymond et ses amis depuis deux ans représente aussi un investissement lourd, des efforts quotidiens, un réel travail à fonds perdus d’avance (ou alors, à très long terme). Et il est presque impossible de publier 50.000 twits sans violer, ici ou là, le droit d’auteur, souvent sans en avoir conscience. Surtout si l’auteur d’une infraction n’est pas inquiétée, mais uniquement ceux qui la rediffusent.
Pour échapper à coup sûr à la censure Twitter, il faut être d’une rigueur telle qu’il devient quasi exclu de (re)twitter ce qui n’émane pas des grands médias et des agences de presse. Parce qu’eux seuls offrent une (certaine) garantie que leur contenu ne viole pas le droit d’auteur. Cela réduit considérablement l’intérêt de Twitter en tant qu’outil d’information.
Licence de twitter
On se retrouve là face à un paradoxe : le partage, encouragé par Twitter, dont c’est l’essence, peut valoir d’en être exclu. Dès qu’un média « reconnu » diffuse une image, fût-elle des JO, il autorise de facto l’ensemble des Twittos à la réutiliser, selon les conditions générales de Twitter. En revanche, la même image non-assortie de ce label « payé », invisible, ne pourra pas l’être, et la retwitter peut vous faire perdre votre compte, votre investissement, des années de regroupement d’abonnés.
Cela peut arriver à n’importe qui, n’importe quand. Autant le savoir : chaque Twittos est comptable, lorsqu’il partage un contenu trouvé sur le réseau, des éventuelles entorses au droit d’auteur de celui qui a, le premier, posté une image, et peut en payer les conséquences, souvent même à la place de celui-ci. Même sourcer l’image ne protège pas le Twittos : B3zero avait bien ajouté le nom de l’auteur.
« Twitter s’est construit sur cette ambiguïté là. Nous encourager à partager du contenu alors qu’il est, par définition, protégé par du droit d’auteur. (William Reymond) »
On me rétorquera que dans ce cas-ci, B3zero ne pouvait pas ignorer que l’image était « volée » : il ne s’agissait pas d’une retransmission autorisée, mais d’une capture d’écran télé. Mais c’est aussi ce qui fait l’anecdotique de la chose, ce qui le rattache au vécu. En reproduisant en tout et pour tout sept secondes d’un événement universellement partagé, capturée dans un contexte privé, de qualité médiocre ou, disons, « vivante » , on n’imagine pas mettre sérieusement en péril les revenus du Comité International Olympique. Au contraire, en reprenant un événement particulièrement positif, on en fait l’apologie.
Deuxième paradoxe, et non des moindres : le CIO amasse des fortunes colossales au nom du sport, de l’effort personnel, de la participation, de la noblesse d’âme et du fair play, et au moindre dollar égaré, il censure ceux qui s’enthousiasment du sport, de l’effort personnel, de la participation, de la noblesse d’âme et du fair play.
La machine est l’avenir de l’homme
Et puis, cette douloureuse impression de plus en plus courante face aux entreprises technologiques : l’absence ou la difficulté de tout contact personnel avec un interlocuteur à responsabilité. Au moindre problème, on se retrouve devant un mur. Si la bonne foi reste un argument face à n’importe quel tribunal, il n’est plus de mise face à ces entreprises, dont Twitter.
D’où un troisième paradoxe : les réseaux sociaux sont totalement asociaux quand il s’agit de leurs propres abonnés ! Peut-être Twitter devrait-il proposer un service plus humain, moyennant un abonnement modique, par exemple. Ça permettrait à des initiatives informatives et socialement respectables de travailler sans se demander si, demain, tout leur travail ne sera pas supprimé d’un coup de baguette furieuse.
Il nous reste, tous, à croiser les doigts à chaque image que nous partagerons à l’avenir. Après avoir constaté que le caractère « social » des réseaux dits « sociaux » est une illusion, eux qui privilégient, pour se défendre financièrement, la récolte de dollars en masse au nom du sport, laissant le champ libre à l’insulte, au film de cul le plus rugueux, à l’image horrible (pourvu qu’il n’y ait pas de copyright dessus), à la haine, parfois même aux suppôts du terrorisme, bref, au contraire du vivre-ensemble. C’est une logique économique. Pas sociale.
Mais soyons justes, ce n’est pas Twitter qui est à l’origine du dévoiement radical du droit d’auteur, conçu à l’origine pour protéger les créateurs démunis de la spoliation par les éditeurs. Ce droit est aujourd’hui au service de grands événements mondiaux qui ont perdu beaucoup de leur noblesse en écrasant les plus faibles (favelas, travailleurs du Qatar,…) pour promouvoir — ô si mal — le sport, le vivre ensemble, la paix et la participation. Gageons que Pierre de Coubertin est en ce moment en train de battre le record du monde du nombre de retournements dans une tombe par minute. Et rêvons de l’époque où les Jeux olympiques se focalisait sur le sport amateur et sur le dépassement de soi comme principale rémunération. Parce que l’origine de la fermeture de B3zero, avant tout, c’est bien la politique rigoriste du plus grand événement sportif jamais imaginé.
« Je n’ai pas partagé ce vine par provocation ou par bêtise. Ni pour m’élever contre la politique de Twitter. Je l’ai posté car je me suis dit qu’il ferait vibrer nos lecteurs, qu’il était la raison pour laquelle le sport continue malgré tout à me faire rêver, la vidéo était partout, la qualité était pourrie, ce n’était pas la compétition mais son après. Je me suis dit que c’était pour cela que je venais sur Twitter, que l’essence du réseau social était là. Je me suis trompé… » (William Reymond)
Note d’intérêt : j’étais un abonné enthousiaste à @B3zero. Il y a quelques mois, William Reymond m’a proposé de rédiger pour le blog du même nom ce que je n’ai pu faire par manque de temps et à mon grand regret. Cet article a donc probablement un biais partisan
Si cet article vous a intéressé, n’hésitez pas contribuer à hauteur de minimum 2 €. Si vous êtes le président du CIO, le minimum est cependant de 2 millions de dollars. Héhé.
14 Comments
Georges-Pierre Tonnelier
août 18, 12:10Tournaisien
août 18, 12:47Benoit Delvaux
août 18, 13:51marcel
août 18, 18:05Georges-Pierre Tonnelier
août 24, 09:40Salade
août 18, 14:02u'tz
août 18, 22:42Braindegeek
août 19, 10:32Salade
août 21, 10:26Capucine
août 22, 09:20Salade
août 22, 22:11Capucine
août 23, 19:58Degenève
août 23, 21:14marcel
août 24, 00:46