Zakia B, d’icône de la paix à génocidaire en 2 jours. Mais elle n’est pas le vrai sujet.
C’est l’histoire d’une icône express, instituée héroïne de la paix en quelques heures sur ces réseaux sociaux qui fabriquent des Mahatma Gandhi à bon marché. C’est aussi l’histoire d’une jeune fille qui a un jour envoyé un twit antisémite. Et sa déchéance fut aussi rapide que sa gloire. À l’arrivée, on imagine Zakia B soufflée. Le mot-clé associé à son nom est devenu une tendance sur les comptes Twitter d’extrême droite et chez certains défenseurs d’Israël. Est-ce juste ? Un seul twit peut-il justifier qu’un citoyen lambda se retrouve, même temporairement, au même rang d’infamie qu’un Faurisson ? Peut-on lui coller la charge d’une opinion si largement répandue dans la société et en particulier chez les jeunes Arabes ? Et si non, que faire de cette affaire bien encombrante ?
Autre point de vue : est-il normal que les médias — qui ont largement contribué à glorifier Zakia B — répercutent les buzz des réseaux sociaux, créant des héros planétaires sans amplitude et sans passé, sans vérifier au préalable à qui ils ont affaire ? Surtout si c’est pour les envoyer pourrir dès le lendemain dans l’oubli, ou pire, dans les poubelles du réseau, avec la marque d’infamie « antisémite » collée au front…
À lire : Zakia, chronologie d’une double hystérie.
Quand le réseau s’enflamme, la presse se presse.
Montée très haut sans l’avoir voulu (ce sont les clichés d’un photographe de presse qui ont buzzé, pas son selfie), Zakia B s’est brûlé les ailes à un vieux twit pour s‘écraser, petite Icare des temps modernes, dans les tréfonds qu’elle n’attendait pas : ceux où l’on abandonne les pires antisémites, de Dieudonné à Jean-Marie Le Pen. La voilà même accusée dans une certaine presse d’être « génocidaire » !
Pourtant, il n’y a pas de commune mesure entre une jeune femme qui, en 2012, sort une blague raciste (deux autres accès d’antisémitisme ont été publiés, hors contexte, et sans référence à la Shoah) liée à la guerre de Gaza et des politiciens qui lancent au quotidien les amalgames les plus affreux. En Israël même, des déclarations hystériques comme l’accès de folie quasi génocidaire de la ministre de la… Justice Ayelet Shaked (« [Les mères des martyrs] devraient suivre leurs fils [dans la mort…] Elles devraient disparaître, tout comme les foyers dans lesquels elles ont élevé les serpents. ») alimentent cet « antisionisme »jusque dans nos campagnes, sans déranger beaucoup certains partisans de Netanyahou.
Quand le parti d’un négationniste fait la leçon à une néga-sionniste.
Si Zakia B se retrouve aujourd’hui dans le même bain que ces haineux professionnels, c’est uniquement de par le potentiel émotionnel et la puissance des réseaux sociaux. On ne peut évidemment pas hausser les épaules devant un twit antisémite, quel qu’en soit l’auteur. Mais il faut maintenir de justes proportions : les membres du Vlaams Belang présents à la manif sont, eux, des racistes professionnels bien que plus prudents.
Car il ne faudrait pas que le triomphe facile du Vlaams Belang (qui a largement diffusé le twit) dans l’affaire Zakia B nous fasse oublier que Roeland Raes, ex-vice-président et sénateur (payé par les deniers publics, donc) du Belang a été condamné pour avoir nié l’existence des chambres à gaz ! Dix ans après, suite à sa condamnation définitive pour négationnisme, le Vlaams Belang décidait de le garder. Entre-temps, des têtes pensantes du parti, dont un ex-président (Frank Vanhecke en l’occurrence), avaient affirmé à la télévision flamande que ce délit n’était en fait qu’une « opinion ». Logique, l’antisémitisme est dans l’ADN du parti. Son propre fondateur, Karel Dillen, qui fut président d’honneur jusqu’à sa mort en 2007, n’était autre que le traducteur néerlandophone du « premier négationniste » français, Maurice Bardèche, son ami.
Antisémitisme privé contre racisme public.
Zakia B n’est pas une personne publique, elle n’a pas de formation en communication, elle n’est pas une militante de l’antisémitisme, elle n’a jamais été sénateur, elle est juste connue pour avoir fait le clown et auparavant, pour avoir publié une blague affreuse et deux commentaires judéophobes. Il serait injuste et improductif de lui faire porter seule une culpabilité largement partagée dans notre pays, et pas que chez des Arabes ou des musulmans.
On ne peut donc admettre ni le silence, ni le fait que beaucoup s’excitent sur la jeune fille, à défaut de plus gros poisson, la clouant au pilori à peu de frais. Le problème de fond est un million de fois plus important et ne se résoudra pas par un énième lynchage médiatique. On ne sait pas si Zakia B était sincère quand elle a écrit vendredi qu’elle n’avait rien contre les Juifs et on ne le saura peut-être jamais. Mais dans un pays où on accepte les excuses (non détaillées) d’un ministre comme Theo Francken (qui avait douté sur Facebook de la valeur ajoutée des immigrants africains), d’un Bart De Wever (qui avait comparé Israël et l’Allemagne nazie) ou qu’on n’en exige même pas du commissaire européen Karel De Gucht (« les Juifs ont la conviction d’avoir toujours raison »), on ne peut que prendre acte des explications de la simple citoyenne Zakia B et l’inciter à réfléchir sérieusement à l’incohérence dont elle a fait preuve, prônant la paix un jour, agissant au contraire un autre.
À son crédit, elle a, en guise de preuve de bonne volonté, diffusé la vidéo d’un juif orthodoxe et d’un musulman qui se promènent ensemble à New York, recueillant des félicitations des deux « communautés » et vantant la tolérance. Une passionaria de l’antisémitisme ne l’aurait pas fait. Alors, on espère qu’elle a compris sa faute. Et on clôt cette partie du dossier : qu’elle retourne dans l’anonymat dont elle n’aurait jamais dû sortir !
Élargir le débat de 4.000 km.
Car au final, il ne s’agit pas d’elle. La question fondamentale que son cas nous pose est : comment expliquer à toute sa génération qu’elle doit faire l’effort de distinguer l’État (Israël), le projet (le sionisme — avec ses innombrables définitions), la politique cruelle ou criminelle (l’occupation de la Cisjordanie, la Nakbah), et le droit des Israéliens au respect et à la paix ?
Comment leur faire dépasser la simple logique d’opposition entre le très gentil et le très méchant ? Comment les atteindre pour leur montrer, par exemple, la proportion importante d’Israéliens qui ne soutiennent pas l’occupation ? Comment leur faire prendre conscience du désarroi de citoyens israéliens qui ne voient plus d’autre solution que les propositions les plus dures prônées par leurs dirigeants, après des décennies de guerre et de guérilla, des dizaines d’attentats, des centaines de roquettes lancées sur des villages « juifs » et la récente avalanche de crimes au couteau, souvent contre des civils ?
Comment leur expliquer que si leur mère était israélienne, elle réagirait probablement comme les mères israéliennes ? Et bien entendu, comment mettre tout autant les jeunes « sionistes » belges à la place des Palestiniens de Gaza ou de Ramallah, eux qui sont assommés de simplismes savamment distillés au quotidien par le pouvoir israélien, et qui en refusent tout dialogue ? Comment court-circuiter leurs aînés qui les encouragent souvent à prendre parti pour l’un ou l’autre camp, aveuglément, et radicalement ?
Comment revenir à un débat raisonnable, sans violence et sans préjugés — le seul type de débat tolérable à 4.000 km du conflit ? Si le tous ensemble intéresse réellement Zakia B, ou son alter ego juif belge défenseur invétéré du sionisme likoudien, ainsi que toute les autres jeunes de leur génération, ils doivent accepter de recadrer leurs points de vue et commencer par rejeter leurs excès de langage. En privé comme en public.
Mais pour ça, il faut organiser leur rencontre. Le défi est posé aux ministres de l’Éducation, aux enseignants, aux animateurs, aux imams, aux rabbins, aux parents, aux polémistes, aux penseurs, aux intellectuels, aux médias.
Si la condamnation d’un commentaire antisémite est indispensable, il est contre-productif de rester calé sur un mode vindicatif. La société doit ensuite tout mettre en œuvre pour apprendre aux jeunes à refuser l’agression et à s’engager dans le débat. Elle doit parvenir à faire prendre conscience de la colossale complexité de la question israélo-palestinienne en combattant le manichéisme, en se débarrassant des gangues patriotiques des deux propagandes israéliennes et palestiniennes qui pourrissent les relations entre jeunes belges. C’est urgent.
Au lieu de ça, il règne aujourd’hui un immense silence, on a déjà réduit l’affaire au cas de Zakia B, et on ne veut plus en parler. Il faut dire que dès qu’on écrit Israël ou Palestine sur Facebook ou Twitter, les commentaires qui tombent ensuite en avalanche feraient passer un ring de full-contact pour le Lac des Cygnes.
L’enjeu de l’échec
Faire d’une jeune fille le symbole de la haine antisioniste ne sert à rien en soi. En revanche, nous devons partir du constat établi pour tenter d’universaliser le propos, pour pacifier notre société multiculturelle et multiconflictuelle. Il ne faut pas ostraciser outre mesure les Zakia B, ce qu’il faut d’abord, c’est leur parler !
Car un twit ignominieux ici ou là n’est que le sommet d’un iceberg bien plus nocif. C’est dans les écoles, au contact des communautés, dans la rue, que la rancœur sort ses pires effets, quand des élèves doivent quitter un établissement parce que leur judéité leur vaut des harcèlements inacceptables, qu’un commerçant voit sa vitrine taguée ou détruite, qu’un rabbin se prend des pierres sur la tête, ou des crachats. Il en va de même quand un-e élève est harcelé-e parce que sa couleur de peau ou sa religion est peu répandue dans une école, ou parce qu’il ou elle parle une langue autre, quand on menace des mosquées, quand on s’attaque à une femme parce que voilée.
Et ce travail, nous devons le faire ensemble.
Ensemble signifie que nous devons accepter un débat ouvert. Et admettre que défendre verbalement même Ayelet Shaked ou Khaled Mechaal (Hamas) n’est pas un crime mais une opinion. Radicale, certes, mais pas plus épouvantable que ne l’est la défense pourtant facilement tolérée ici d’un Bachar El-Assad, d’un Raoul Castro ou de la junte chinoise. Un débat ne peut avancer s’il commence sur des interdits. Parce qu’on ne fait pas la paix avec ceux qui pensent comme nous, mais avec ceux qui ont une opinion opposée.
Le débat, l’ouverture, l’éducation sont le préalable à toute pacification. Et ce que révèle cette affaire, c’est qu’on en a un urgent besoin. Et qu’on est très loin du compte.
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61 Comments
Zakia B, chronologie d’une double hystérie. | Un Blog de Sel
mai 24, 13:59Burton
mai 24, 14:09astérix
juin 11, 14:52astérix
juin 11, 15:26Capiaux Alain
mai 24, 14:46marcel
mai 24, 16:07Jester
mai 26, 12:30Cédric Lemaire
mai 25, 11:35Arnaud de la Croix
mai 24, 15:15marcel
mai 24, 16:14Wallimero
mai 24, 21:46marcel
mai 25, 00:57Arnaud de la Croix
mai 24, 16:21marcel
mai 24, 16:53u'tz
mai 29, 13:15astérix
juin 11, 15:05Wallon
mai 24, 17:35Capucine
mai 24, 17:35u'tz
mai 24, 20:24MUC qui est Contre les Raciste
mai 24, 20:51marcel
mai 25, 00:51MUC qui déteste tous les racistes
mai 25, 18:11marcel
mai 26, 00:36Jester
mai 26, 12:33MUC
mai 31, 09:26u'tz
mai 29, 13:28MUC
mai 31, 09:24alain capiaux
mai 24, 21:25Salade
mai 25, 10:09moinsqueparfait'
mai 25, 15:31Rivière
mai 25, 19:50Arnaud de la Croix
mai 26, 08:32marcel
mai 26, 12:51Rudi
mai 26, 09:51marcel
mai 26, 12:48Rudi
mai 27, 07:47Salade
mai 30, 11:09u'tz
mai 26, 22:03mélanippe
mai 27, 10:32mélanippe
mai 27, 10:53mélanippe
mai 27, 11:01mélanippe
mai 27, 11:04mélanippe
mai 27, 11:54mélanippe
mai 27, 12:39Hécate
mai 27, 16:12u'tz
mai 29, 19:40Lachmoneky
mai 31, 09:25Salade
mai 29, 17:33u'tz
mai 29, 20:53Hécate Mélanippe
mai 30, 10:45Hécate Mélanippe
mai 30, 10:46Hécate Mélanippe
mai 30, 11:41Hécate Mélanippe
mai 30, 11:45Salade
mai 30, 18:45Salade
mai 31, 17:54Hécate Mélanippe
juin 01, 11:05Hécate Mélanippe
juin 01, 15:43Hécate Mélanippe
juin 01, 15:44Hécate Mélanippe
juin 01, 16:16astérix
juin 11, 19:21Eric
juillet 27, 08:40