Uber, der Untergang. Pour UberPop et Uber X à Bruxelles.
Ce 23 septembre, le juge des cessations du Tribunal de Commerce de Bruxelles, rôle néerlandophone, a imposé à Uber de cesser ses activités dans les 21 jours. L’appel annoncé par Uber ne serait pas suspensif (1), ce qui signifie que même un appel ne changerait rien au délai. Uber devrait donc cesser ses activités mi-octobre, faute de quoi elle devra payer 10.000 € par infraction constatée avec un maximum d’un million d’euros. L’arrêt concerne « l’application appelée UberPop » mais ses effets portent aussi sur Uber X.
Car si le jugement lui-même ne mentionne pas le service Uber X, il concerne l’application Uber. Le juge écrit que « l’app spécifique de laquelle cette affaire traite est commercialisée sous le nom UberPop ». Or, l’app Uber permet de demander aussi bien une voiture Uber X que UberPop ; c’est la même. L’appli n’est pas interdite en soi, notamment parce que le tribunal a posé une question préjudicielle à la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) pour savoir si le transport non rémunéré de personnes peut-être considéré comme un service de taxi.
Néanmoins, sur le fond, le juge a estimé qu’en « transmettant des demandes pour des trajets rémunérés(2) dans la Région Bruxelles Capitale à des transporteurs qui ne disposent pas des autorisations [nécessaires] pour les services de taxi et [ou] de location de voitures avec chauffeurs, [Uber établit] des relations contraires aux pratiques de marché honnêtes ». C’est de la concurrence déloyale, et le juge a ordonné à Uber de cesser ces pratiques sous peine d’une amende de 10.000 € par infraction.
Uber X est illégal (et inintéressant)
Dès lors que les chauffeurs Uber X ne disposent pas non plus d’une autorisation pour un service de taxi, la décision les concerne évidemment aussi, puisque c’est Uber, et non son app, qui est ici condamnée à cesser les demandes de trajets rémunérés. À noter que les trajets Uber X sont, selon la firme, effectués par des chauffeurs disposant d’une licence pour conduite de limousines. Or, un service de limousine, selon l’ordonnance bruxelloise de 1995, doit porter sur une durée minimale de trois heures et doit être conclu au moyen d’un contrat type. Il doit aussi être facturé à l’heure.
L’appli facture au contraire le service Uber X avec un (léger) forfait de départ, au kilomètre, et par minute, sans le minimum de trois heures requis. Il s’agit donc bien d’un service de taxis et ses conducteurs sont en infraction dès lors qu’ils n’ont pas de licence pour !
À cela s’ajoute le fait qu’Uber a de gros problèmes à recruter pour Uber X. Du coup, le service est pratiquement inexistant, avec de 10 à 20 voitures en tout et pour tout. On peut comprendre les chauffeurs, les prix proposés sont très en dessous de ce qu’ils peuvent gagner en service limousine ; c’est risqué (la saisie de leur voiture de luxe, par exemple) et qui va rouler à perte pour les beaux yeux d’Uber ? Car, oui, les tarifs pratiqués, même sans les 20 % prélevés par la marque, ne permettent pas d’espérer gagner sa vie. Mais bon, ça, c’est une autre histoire donc je vous parlerai dans un article suivant. Revenons au jugement.
Uber, baba cool high tech (oooooooooooom)
Les attendus du jugement ratiboisent le discours convenu et parfois surréaliste d’Uber, qui constitue la légende que l’entreprise s’est construite pour séduire ses utilisateurs. Et c’est parfois très drôle.
D’abord, Uber conteste que son marché soit concurrent de celui des radios-taxis (TRB en l’occurrence). En gros, alors que les radios-taxis transmettent des demandes de transport de particuliers à des taxis, Uber ne fait pas ça du tout, du tout. Accrochez-vous, la société ricaine « facilite l’économie collaborative sociale grâce à laquelle des particuliers partagent des coûts » ! Chauffeurs et utilisateurs font même partie d’une « community » (en anglais dans le texte NDLA). Ajoutez quelques fleurs, la musique de Zabriskie Point, une poignée de hippies chantant Hare Krishna et Uber n’est rien de moins que le bienfaiteur de l’humanité !
Un bienfaiteur très techno (et un peu cher : à San Francisco, il prélève jusqu’à 30% de ses bienfaits) qui fait valoir au tribunal qu’il offre un système « peer-to-peer » où, contrairement aux taxis qui convoient des clients, les chauffeurs Uber, eux, « roulent avec » des passagers, ce qui n’a absolument aucun rapport ! Je ne sais pas si vous saisissez la nuance. Non ? Rassurez-vous, le juge ne l’a pas perçue non plus.
Toujours en vertu du concept de community, Uber affirme : « il y a une forme de contrôle social. Les chauffeurs reçoivent un ‘score’ (en anglais dans le texte NDLA) et si quelque chose tourne mal, tout le monde le sait. » Ah, ben voilà qui est rassurant !
Oui mais ces quelques bonnes vieilles babaganoucheries assorties de futuristeries ubertechnologiques n’ont pas suffi à impressionner le juge non plus.
Comment annuler toutes les lois du monde.
Certaines explications d’Uber frisent le délire. Accrochez-vous : selon Uber, dès lors que l’ordonnance de la Région bruxelloise impose une licence pour conduire un taxi, ceux qui n’en ont pas, ainsi que les particuliers, ne peuvent donc être considérés comme des vrais chauffeurs de taxi, et peuvent donc « faire le taxi » comme bon leur semble, puisqu’ils n’ont pas de licence et ne sont donc pas vraiment des taxis !
Vous suivez ? Pas tout à fait ? Allez, je vous fais le même raisonnement avec les cuisiniers de restaurants. Si on leur impose un accès à la profession, ceux qui n’en ont pas ne sont donc pas des vrais cuisiniers de restaurants et donc, ils peuvent cuisiner dans des restaurants ! Ou encore. Les conducteurs qui n’ont pas de permis ne sont donc pas de vrais conducteurs, donc ils n’ont pas besoin de permis pour conduire !
Le juge, qui n’a apparemment rien compris aux concepts fondateurs de la nouvelle économie (moi non plus, j’avoue…) renvoie Uber dans les cordes sur ce coup-là aussi.
Chez Uber, ce n’est pas le passager qui décide de la destination…
Plus gros encore (mais si, c’est possible !), Uber prétend que son service ne peut être considéré comme un service de taxi puisque l’ordonnance bruxelloise précise qu’un tel service implique que le passager décide de la destination. Quoi ? Ohlala ! Pas de ça chez Uber ! Car « dans le cadre [du service Uber], la destination n’est pas définie par le passager mais par le chauffeur ! »
Je vous laisse méditer là-dessus.
Car, oui, mesdames, messieurs, si le passager demande bien d’aller à un endroit X sur l’app Uber, c’est en fait le chauffeur qui décide de l’y amener, figurez-vous ! Donc, c’est lui qui décide de la destination… Tous les Jésuites de la Pampa réunis n’auraient pas trouvé mieux !
Mais le juge, qu’on espère amusé par cette nouvelle facétie, a renvoyé Uber à la dure réalité : chez Uber comme ailleurs, c’est évidemment le passager qui établit la destination, dans le sens de l’ordonnance.
Monopole ? Quel monopole ?
Uber s’est également portée partie civile contre TRB qu’elle accusait d’abuser de sa position dominante. Mais l’entreprise américaine n’a pas déposé d’éléments permettant d’en juger. Cette partie-là est mise en attente, Uber n’ayant par exemple pas fourni d’informations sur le nombre de chauffeurs qu’elle « fait rouler » à Bruxelles ni sur le nombre de voitures, le nombre de trajets, le revenu, etc. Or, pour analyser un marché, il faut en avoir une vision complète. On peut douter du fait que la société de Kalanick accepte de révéler ses chiffres, c’est un secret extrêmement bien gardé et ça pourrait aider le fisc à estimer combien Uber a fraudé ou fait frauder. Il est même impossible d’obtenir les bilans 2014, y compris de la petite filiale belge, Uber BVBA (alors qu’ils devaient être déposés à la Banque Nationale avant le 31 juillet, en principe).
Uber affirme encore n’être qu’intermédiaire et donc ne pas avoir besoin de licence. Mais c’est aussi le cas de TRB pour ses services de dispatching. C’est un marché libre. Et Uber n’a pas démontré que TRB avait une position de monopole (elle ne semble pas l’avoir, ne représentant déjà que 35 % du marché, hors Uber, selon des professionnels du secteur). Mais en utilisant des chauffeurs sans licence, Uber fait donc bien, selon le juge, une concurrence déloyale aux taxis-radio bruxellois.
Chez Uber, on ne rémunère pas, on indemnise. Sauf quand on rémunère.
Avec son inénarrable sens de la rhétorique, l’entreprise prétend aussi que l’argent transmis aux chauffeurs est « une indemnité qui peut [les] aider à maintenir [leur] propre véhicule pour le partager avec d’autres » et qu’il ne s’agit donc pas d’une rémunération. Le juge n’a pas suivi, faisant au contraire remarquer que le concept de rémunération ne dépend pas de ce à quoi l’argent versé est destiné, mais bien du coût réel du transport. Ben oui. Le bénéfice d’un restau ne sert pas non plus à maintenir le restau pour le partager avec d’autres, hein… Si l’argent versé est supérieur au prix de revient, il y a rémunération, point. Tous les comptables savent ça.
Détail amusant, à ce sujet, Uber se piège elle-même dès lors que dans son dépliant promotionnel de recrutement de chauffeurs, elle écrit que le service permet de « gagner de l’argent pendant votre temps libre […] entre 19 h et 2 h du matin, vous pouvez gagner plus de 100 € [et] obtenir un revenu de façon simple. »
Ahlala. Le double langage ne paye pas.
Uber a donc été déclarée illégale à Bruxelles. Sa propagande a été largement déconstruite par le tribunal : Uber n’est pas une « app » et ce n’est pas du covoiturage, contrairement à ce que certains médias continuent à affirmer malgré deux décisions de justice. Ce n’est pas de la nouvelle économie, c’est simplement une façon technologiquement sophistiquée d’appeler… un taxi !
Sachant que l’attrait principal d’Uber est d’être moins cher, le fait que l’entreprise de Kalanick ne puisse plus opérer, à l’avenir, qu’avec des taxis disposant de licences, la rend de facto obsolète. Sauf que cette obsolescence-là, Uber ne l’a probablement pas programmée !
De tout ça, il reste la légende créée par des originaux aux USA. Dommage, c’était presque marrant, leur vision du monde. Hormis pour le mal causé à des gens qui ne demandaient qu’à gagner leur vie en « roulant avec » des clients et n’avaient pas besoin, en pleine crise, d’une concurrence désormais juridiquement déloyale.
À noter que la Région Bruxelles Capitale, représentée par son ministre a été déboutée dans cette affaire, ne pouvant se substituer aux entreprises concernées. Elle devra payer quelques menus frais. Enfin, ça aura au moins fait travailler un cabinet d’avocats… pour rien.
- C’est stipulé dans les attendus mais j’attends une confirmation d’un juriste (on est dimanche…) pour passer à l’indicatif.
- Terme souligné dans l’arrêt.
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42 Comments
Salade
septembre 27, 23:54Thomas
septembre 28, 10:14u'tz
septembre 28, 23:49u'tz
septembre 29, 00:09Patrick ododiem
septembre 28, 08:02Marcel Sel
septembre 28, 10:00Lachmoneky
septembre 28, 12:12Lachmoneky
septembre 28, 12:18transport rémunéré
octobre 05, 01:22André Unis
septembre 28, 09:22Marcel Sel
septembre 28, 10:04André Unis
septembre 28, 10:51Marcel Sel
septembre 28, 11:12André Unis
septembre 28, 13:24Georges-Pierre Tonnelier
septembre 28, 11:14Asterix
octobre 06, 18:23Obelix
octobre 06, 18:25Marcel Sel
octobre 06, 18:54Marcel Sel
octobre 06, 18:58Lachmoneky
septembre 28, 12:21Hansen
septembre 30, 07:55Salade
septembre 28, 10:52Lachmoneky
septembre 28, 12:24Salade
septembre 28, 23:23Georges-Pierre Tonnelier
septembre 28, 11:06Marcel Sel
septembre 28, 11:10Georges-Pierre Tonnelier
septembre 28, 11:36Alex
septembre 28, 11:17Jester
septembre 28, 12:21Marcel Sel
septembre 28, 18:51Jester
septembre 29, 10:40Jester
septembre 29, 10:43serge
septembre 28, 16:13Helena VAN DEN NESTE
septembre 28, 16:57Marcel Sel
septembre 28, 18:15Lachmoneky
septembre 28, 20:17Marcel Sel
septembre 28, 20:37Lachmoneky
septembre 28, 22:03Selon Uber, Pascal Smet encouragerait les courses illégales. | UN BLOG DE SEL
octobre 14, 17:25Exclu : Le gros mensonge d’Uber fâche Pascal Smet. | UN BLOG DE SEL
octobre 15, 15:17PATRICK DE GEYNST
juillet 31, 12:32Enrique
janvier 04, 00:36