Le message perdu d’Anja Reschke ou quand la culture du buzz massacre la lutte contre le racisme.
MàJ du 10 août (en gras italique).
Cette semaine, une journaliste allemande a appelé à lutter contre le racisme. Elle a rappelé des principes élémentaires face à une montée infernale de la haine sur Facebook et ses corollaires in real life (attaques de réfugiés, incendies criminels, etc.) Elle a démoli en quatre paragraphes les théories fumeuses de l’extrême droite sur la soi-disant liberté d’exprimer n’importe quoi y compris la haine la plus sordide, sur les réseaux. Et cet appel vital qu’on doit pouvoir attendre de tout chroniqueur ou journaliste qui se respecte un peu, c’est quoi d’après vous, pour les médias, au mois d’août ?
Serait-ce « Un appel indispensable à traduire et à poster en bonne place dans les journaux ? » Non, de ça, ils se fichent.
Serait-ce « Une volée sanitaire contre la violence qui s’installe ? » Que nenni !
Allez, osons faire comme si ce problème ne concernait que nos voisins : serait-ce « une gifle aux Allemands qui pensaient qu’on n’évoquerait plus jamais l’éventualité future d’un gazage d’hominidés par leurs concitoyens à la télévision publique ? » Même pas !
Non, chers amis, cette remise en perspective indispensable de la haine sur Facebook, c’est tout simplement UN BUZZ. Quelques exemples. Boursorama : « Le discours antiraciste d’une présentatrice allemande fait le buzz ». Midi Libre : « Une présentatrice allemande fait le buzz en dénonçant le racisme sur internet ». Le Soir : « Buzz : une présentatrice allemande s’indigne du racisme anti-migrants. »
Buzz, buzz, buzz, buzz et encore buzz ! De quoi couvrir l’appel à l’indignation de la « présentatrice ». Comment mieux démontrer que ce qui compte d’abord pour les médias dans notre société ultramédiatisée n’est plus le message fondamental, mais le nombre de clics qu’il obtient ! On se fout éperdument que la société aille à vau-l’eau, ce qui importe désormais, c’est le nombre de clics qu’un quidam obtiendra en disant ce qu’il pense. La valeur n’est donc plus dans le message, mais dans sa diffusion.
On pourrait espérer que le rapportage du buzz engendre un relais, une plus grande diffusion du message. Mais non, c’est l’inverse qui se produit : le travail médiatique primaire s’arrête au constat qu’il y a eu buzz. Ou comment « l’objectivité journalistique » remplace l’analyse du sens par une présentation quantitative de l’événement.
Le problème, c’est qu’une fois que tous les grands médias ont annoncé un buzz, les analyses que certains en feront a posteriori n’intéresseront plus que quelques internautes. La masse s’empare de l’événement, le diffuse, papote sur Facebook, s’invective, et dans cette masse, les appels à la haine prolifèrent, ceux-là justement que « la présentatrice » condamnait et appelait à condamner. Mais il n’est déjà plus question d’écouter « la présentatrice allemande » mais bien de savoir si son message est indispensable, scandaleux, nul, chiant, si elle n’a pas besoin de changer de coiffeur, si elle a l’air conne ou pas, s’il ne faut pas changer la couleur derrière elle, si les Allemands ont vraiment changé depuis la guerre, und so weiter.
Or, au lieu de se pavaner en découvrant un buzz pour essayer d’être plus rapide que le journal concurrent, on aurait pu, non, on aurait impérativement dû reprendre le message de la « présentatrice allemande », le relayer en appelant à son tour à un engagement de la « population honnête » contre les incendiaires virtuels ou réels, les semeurs de haine qui facilitent le passage à l’acte. Ce n’est pas une opinion de gauche, c’est le fondement de ce vivre-ensemble qu’on nous promet de gauche à droite. Et c’est urgent parce que des Zemmour nationaux ou locaux (Destexhe, oui, je parle de toi) ont, à force de présenter l’antiracisme comme une horreur, ouvert grand les portes à l’expression du racisme le plus immonde, le plus abject, le plus nazi avec l’air de ne pas y toucher, en se faisant passer pour de grands intellectuels.
Mais au lieu de s’emparer du texte de la « présentatrice », l’on se focalise sur ses retombées. Ainsi, en titrant « Remontée (sic) contre le racisme, cette (sic) présentatrice (sic) émeut (sic) les internautes (sic) », La Libre traite l’info comme si ce qui comptait était « l’émotion des internautes » (les internautes allemands hein, attention, c’est pas nous qui sommes concernés, hein, ça se passe ailleurs). Cette titraille nous donne l’impression qu’il y a un brin d’hystérie chez cette « présentatrice » qui serait — ohlala — « remontée (!) contre le racisme », mesdames, messieurs ! Bon, dans son édition de ce lundi, La Libre consacre tout de même Anja Reschke « Personnalité » du jour en soulignant le côté bien trempé de la dame. Problème : lorsqu’on met une personne à l’honneur, en général, on prend soin de s’informer un tout petit peu sur ses activités. Or, Anja est présentée comme « Présentatrice (sic) du JT (sic) de la chaîne publique allemande ARD (sic) ». Ce qu’elle n’est pas, à moins que l’ARD n’ait oublié de la mentionner sur son site, et pire, omis de la faire passer à l’antenne…
Dommage pour La Libre parce qu’en ligne, juste à côté de ce « buzz report », il y a un bon édito de Francis Van de Woestyne sur le refus des socialistes belges francophones d’accueillir des réfugiés à Tournai. Et puis, d’autres grands journaux encore plus lus n’ont pas fait mieux.
Car la médiocrité médiatique du traitement journalistique du buzz atteint même Le Monde, qui titre : « En Allemagne, une présentatrice veut ‘clouer au pilori’ les xénophobes ».
Ah, factuel, quand tu nous tiens…
Mais quelle horreur, ce détachement ! Quelle horreur, cette excision du message fondamental par l’objectivité froide, inerte, inodore ! Oui, Anja Reschke — car son prénom n’est pas Présentatrice ni son nom de famille Allemande — a utilisé l’expression clouer au pilori. Mais c’est ça qui comptait dans son message, Le Monde ? Vraiment ? Juste ça ?
Je vous laisse juge, j’ai traduit son texte intégral ci-après.
Eh non, bien sûr, ce n’est pas le fait d’avoir parlé de pilori qui a fait le succès de l’intervention d’Anja Reschke. C’est le fait d’avoir rappelé aux Allemands leur passé avec une telle force. Et ce qui comptait dans son kommentar, c’est le fait — enfin ! — d’avoir présenté la lutte contre le racisme sur les réseaux et ailleurs comme l’attitude minimale, la moindre des choses, le fondement de nos valeurs.
Objectivité ? Journalisme ? On les cherchera en vain dans cet article du Monde qui nous affirme d’emblée que « Mme Reschke […] présentait le 5 août une tranche d’information sur la télévision publique du nord de l’Allemagne ». Eh non, ce n’est pas du tout ça qui s’est passé.
Et puisqu’Anja Reschke a fait la part belle « aux blogs », lanceurs d’alerte selon elle, contre l’immonde société qui se dessine, donnons-lui raison en rétablissant le contexte de son intervention, sur ce blog.
L’émission Tagesthemen (Sujets du Jour) de la 1re chaîne allemande ARD donne régulièrement la parole à un-e journaliste d’une antenne régionale, qui commente, seul-e sur fond bleu, le premier sujet présenté dans l’émission. Généralement, ce commentaire est critique. Dans l’édition du 5 août, c’était au tour d’Anja Reschke, directrice du département Politique intérieure des programmes télé de la NDR et rédactrice en chef des émissions thématiques Panorama.
La NDR, c’est la Norddeutsche Rundfunk, la chaîne régionale du nord de l’Allemagne, qui diffuse depuis Hambourg et couvre quatre Länder.
C’est donc bien sur la première chaîne nationale que la journaliste Anja Reschke, de la NDR, a été invitée à donner son opinion sur le premier thème de l’émission. Elle n’a rien « présenté ». Ce n’est pas une « présentatrice », c’est une directrice de l’info, une rédactrice en chef (selon la traduction qu’on donnera à Leiterin ou Cheffin, ses titres en allemand), au pire, une journaliste. Elle a réagi selon un rituel bien établi au sujet principal du jour : les commentaires enragés contre les immigrés et les réfugiés sur les réseaux sociaux.
Ce faisant, Anja Reschke a simplement rappelé des principes fondamentaux : les appels à la haine sont illégaux, leur prolifération se concrétise dans des faits graves — on a recensé des dizaines d’incendies criminels contre des centres de réfugiés en Allemagne —, il n’est pas possible de les tolérer ; la justice seule n’est pas suffisamment efficace contre la haine sur les réseaux : la population doit s’en mêler.
Que cet appel ait fait le buzz montre qu’une partie de la population n’attendait que ce « coup de gueule » salutaire pour se manifester, partager la séquence, dire ce qu’elle en pensait. Une démonstration qui devrait inciter les médias à rappeler, à leur tour, que l’expression du racisme sur les réseaux, sans même se cacher derrière un pseudo, relève gravement le seuil de tolérance de la société aux actes racistes proprement dits. C’était ça et seulement ça, l’info liée à Anja Reschke cette semaine. Pourquoi tant de journaux sont-ils tombés dans le panneau du buzz ?
J’arrête ici le coup de gueule et le commentaire et vous invite à lire le texte intégral de l’intervention d’Anja Reschke qui a, ensuite, été assaillie de commentaires encourageants mais aussi de commentaires horribles qu’elle a rediffusés en soulignant bien le nom de ces répondants qui se sont rendus à leur tour coupables d’incitation à la haine raciale.
Et je la diffuse et vous invite à la partager, parce qu’on ne peut la tolérer, parce qu’on doit la chasser ensemble de nos pages Facebook, parce qu’on doit dénoncer chaque infraction publiquement, quelle qu’en soit l’origine et la cible. N’hésitez pas à ne partager que le verbatim ci-dessous, il est en diffusion libre.
Verbatim : ce qu’Anja Reschke a dit (ma traduction libre de l’allemand, le texte intégral est disponible sur la page Facebook de Panorama).
« Supposons que je dise publiquement : “Je trouve que l’Allemagne devrait aussi accueillir des réfugiés économiques”, que se passerait-il selon vous ? Ce n’est qu’une opinion. On peut l’exprimer. Il serait aussi bien qu’on puisse en discuter sur base d’arguments objectifs.
Mais ce n’est pas ce qui se passerait si je le faisais. Je me prendrais un flux de commentaires haineux. “Kanaques de merde, que va-t-on encore leur céder, trop c’est trop, on devrait les brûler.” Ce genre de choses. Comme d’habitude.
Jusqu’il y a peu, les auteurs de ce genre de commentaires se cachaient encore derrière un pseudonyme. Mais désormais, cela se fait de plus en plus ouvertement, sans cacher son identité. Apparemment, ce n’est pas plus gênant. Au contraire. Des phrases comme “les ordures, on doit les noyer en mer.” obtiennent des encouragements enthousiastes et des paquets de j’aime. Celui qui n’était qu’un petit quidam raciste jusque-là trouvera ça tout à coup terriblement agréable.
Bien sûr, on peut dire “oui, bon, il y aura toujours des idiots, au mieux, ignorons-les” mais ce ne sont pas que des mots. Au contraire, il y a déjà des incendies criminels contre des centres de réfugiés. Les tirades de haine sur Internet ont depuis longtemps enclenché les processus de dynamique de groupe. Le nombre d’actes de violence d’extrême droite a grimpé.
Ça ne peut pas durer. Bien sûr, il y a la possibilité de poursuivre les auteurs de ces messages haineux. Cela se fait de plus en plus. Un de ces semeurs de haine sur Facebook, un Bavarois, a été condamné à une amende pour incitation à la haine. Ça peut déjà faire effet.
Mais ce n’est pas suffisant. Les rédacteurs de messages haineux doivent comprendre que cette société ne tolère pas leurs écrits. Du moins, si nous ne pensons pas que tous les réfugiés sont des parasites qui doivent être chassés, brûlés ou gazés. Dans ce cas, nous devons le leur faire savoir clairement.
S’y opposer, dire les choses tout haut, résister, clouer ouvertement la haine au pilori, quelques blogs méritoires le font déjà. Mais il y en a trop peu. La dernière contestation des gens honnête date d’il y déjà 15 ans. Je pense qu’il est temps de remettre ça. Et je me réjouis d’avance des commentaires qu’on postera à propos de… mon commentaire. »
61 Comments
Bison, la colle super-puissante
août 08, 14:53Schoonaarde
août 10, 19:55u'tz
août 12, 00:07u'tz
août 12, 00:10Pierre istace
août 08, 16:14Schoonaarde
août 09, 16:25Hansen
août 11, 08:36u'tz
août 12, 00:15GdeC
août 08, 16:54Marcel Sel
août 09, 15:49Sara Bray
août 08, 17:15et si on prolongeait l’appel d’Anja Reschke ? #NoPegida #NoLegida #NoFN #NoNazis | les échos de la gauchosphère
août 08, 17:46GdeC
août 08, 17:55Tournaisien
août 08, 18:35Hansen
août 11, 08:41trucmuche33
août 08, 20:17GdeC
août 09, 21:00Rivière
août 09, 22:35Pfff
août 08, 21:06Marcel Sel
août 10, 09:36Christophe Gilles
août 10, 10:45Pfff
août 10, 19:21Christophe Gilles
août 11, 19:41Christophe Gilles
août 11, 19:47Pfff
août 12, 12:54Pfff
août 12, 13:59Christophe Gilles
août 09, 00:38L'enfoiré
août 10, 08:47Christophe Gilles
août 10, 10:55L'enfoiré
août 10, 13:41Christophe Gilles
août 11, 19:37Pfff
août 12, 11:50Wallon
août 09, 10:25Schoonaarde
août 10, 20:06Le message perdu d’Anja Reschke ou quand la culture du buzz massacre la lutte contre le racisme. - Les punaises de l'info
août 09, 10:28Schoonaarde
août 09, 11:44u'tz
août 09, 18:02Schoonaarde
août 10, 20:08u'tz
août 11, 21:58Pfff
août 12, 11:54Salade
août 09, 22:56GILLES - BXL
août 09, 21:50L'enfoiré
août 10, 08:32L'enfoiré
août 10, 08:36Le mouvement de Laurent Ozon et ses racailles menacent France Terre d’Asile | les échos de la gauchosphère
août 10, 15:24Stéphane Corbion
août 11, 10:36Capucine
août 11, 10:53xavier
août 11, 12:40Marcel Sel
août 11, 18:29xavier
août 12, 12:37Bison, la colle super-puissante
août 11, 22:06Hugues CREPIN
août 16, 11:11Xavier
août 19, 16:07GdeC
août 21, 12:38Xavier
août 28, 12:09u'tz
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août 12, 10:30Salade
août 12, 11:21Salade
août 12, 15:36Sirop halal : la haine servie à la louche exige des réactions fortes. | UN BLOG DE SEL
août 13, 15:10Hugues Crépin
mars 13, 11:25