La résolution sur le génocide arménien qui n’évoque pas… le génocide arménien.
Mise à jour du 23/6 à 12h20 en fin d’article.
La résolution de Peter De Roover (N-VA) « sur le génocide arménien », vous allez rire (enfin non, vous n’allez pas rire), ne reconnaît pas formellement et précisément le génocide arménien. Elle me donne raison quant à mon récent billet sur le fait que le gouvernement belge n’a pas réellement « reconnu » ce génocide. Pour rappel, voici comment était formulée la loi adoptée le 18 janvier 2001 par l’Assemblée nationale française en reconnaissance du Génocide arménien : « La France reconnaît publiquement le Génocide arménien de 1915 ». Point. Ni plus, ni moins, un paragraphe.
Le titre fait déjà tache. Il ne s’agit pas d’une loi sur le génocide arménien, même pas d’une résolution sur ce génocide, mais d’une « résolution relative à la commémoration du centenaire du génocide arménien » ! Dans ses attendus, la résolution déposée par De Roover (qui est donc la version officielle de notre gouvernement), évoque bien les multiples reconnaissances du « génocide arménien » ailleurs et notamment, la résolution du parlement flamand dont un paragraphe est limpide : « [le Parlement flamand] reconnaît le génocide arménien ».
Le premier ministre « considère » mais ne reconnaît pas.
Mais rien de tout ça dans la résolution déposée à la chambre. D’abord, celle-ci reprend in extenso la déclaration de Charles Michel que la presse, unanime, avait considérée comme une reconnaissance du génocide arménien par le gouvernement. Très rapidement, certains ont même évoqué une « reconnaissance officielle ». Plus gros, des journaux néerlandophones — notamment Het Nieuwsblad — mettaient carrément entre guillemets une déclaration que Charles Michel n’a jamais faite : « Le gouvernement belge reconnaît le Génocide arménien », alors que le premier ministre n’a prononcé ni les mots « reconnaît », ni le mot « arménien » ! La déclaration de Charles Michel reprise dans la résolution de Peeter De Roover au point M des attendus :
« Prenant acte des propos tenus par le premier ministre en séance plénière, le 18 juin 2015 : ‘Mon point de vue est connu et très clair. Je considère que les événements tragiques qui ont eu lieu entre 1915 et 1917, sous le dernier gouvernement de l’Empire ottoman, doivent être qualifiés de génocide, et telle est la position du gouvernement belge.’ »*
Autrement dit, Charles Michel et le gouvernement « considèrent ». Une considération n’est pas une reconnaissance. De Roover n’écrit d’ailleurs pas « prenant acte de la reconnaissance par le premier ministre […] » mais bien « prenant acte des propos tenus par le premier ministre […] ». Si le parti le plus important de la majorité n’écrit pas lui-même « suite à la reconnaissance du génocide arménien par le premier ministre et le gouvernement », il devient même incompréhensible que la presse l’ait tintamarré !
Suite à mon article, on a pourtant dit que je jouais sur les mots. Frédéric Cauderlier, le porte-parole du premier ministre m’a même un peu taquiné sur Twitter… Je ne vais pas m’en plaindre, je trouve très bien qu’il y ait communication même si c’est dans l’adversité. Mais le choix des mots en politique n’est jamais anodin, chaque terme est pesé, et ici, on n’a pas soupesé l’idée même de « reconnaître ».
La résolution de De Roover confirme mon sentiment de départ : il n’est pas question pour la Belgique de reconnaître officiellement le génocide des Arméniens, Assyriens et Grecs pontiques, la résolution demande seulement qu’on le commémore. Serait-ce un effet comique à la Monty Pythons ? Elle sera adoptée — si elle est adoptée — des semaines voire des mois après la commémoration du génocide à Erevan, à laquelle la Belgique n’a envoyé que des diplomates de seconde zone. Et l’on peut espérer que le gouvernement acceptera d’admettre que, ben oui, ce serait bien de « commémorer » un génocide qu’il n’aura pas formellement reconnu.
Pourquoi faire court et clair quand on peut faire tarabiscoté ?
Cette résolution, une trentaine de fois plus longue que la loi française de reconnaissance, commence par un point qui sonne déjà comme une défense : « [La Chambre des Députés] demande au gouvernement fédéral de reconnaitre que la Turquie actuelle ne saurait être tenue pour responsable du drame vécu par les Arméniens de l’Empire ottoman. » Voilà déjà un peu de pommade pour Erdogan, histoire de faire passer la suite. Notez qu’on parle ici du « drame » vécu par les Arméniens, et non de génocide. On oublie aussi les autres populations exterminées, bien qu’elles soient reprises dans le développement qui précède. Pas très grave ça, on les intègrera peut-être bien par amendement.
Au point 2, la résolution demande donc — c’est presque un gag — au gouvernement « de participer à la commémoration du centenaire du génocide arménien, et ce, dans un esprit de solidarité européenne et de justice ». Je vous laisse réfléchir là-dessus.
Au point 3, De Roover montre les crocs. Attention, bonnes gens, les députés y prient Charles Michel et son équipe « de condamner tous les cas de crimes contre l’humanité et de génocides, et de réprouver fermement toute tentative négationniste ». En filigrane, certains y verront une tentative de la N-VA de mettre la Belgique devant ses responsabilités pour les crimes contre l’Humanité commis au Congo, de Léopold II à l’indépendance (puisque l’Apartheid, que le Congo belge a connu jusqu’à ses derniers moments, peut être aussi considéré comme un crime contre l’Humanité).
Concours d’enfoncement de portes ouvertes.
Si c’est ça, je félicite Peter De Roover (eh oui, parfois, je suis d’accord avec la N-VA). Mais justement, en priant le gouvernement de condamner tous les génocides, et non pas uniquement le génocide des Arméniens, Assyriens et Grecs pontiques, on se demande bien ce que cette résolution apporte de nouveau. D’autant que la formulation s’enfonce dans le marasme de la pensée victimaire, certains génocides potentiels n’étant pas reconnus par tous. Srebrenica (moins de 10.000 hommes assassinés) est considéré comme un génocide par l’ONU, mais pas les exterminations de certaines tribus autochtones aux USA (hommes, femmes et enfants)… Le génocide ukrainien par Staline (Holodomor), il fait encore l’objet de nombreuses discussions et affronte l’incertitude d’un programme initial ciblé d’extermination. On évoque déjà un génocide des yézidis voire des chrétiens par l’Organisation État islamique mais là non plus, les historiens ne sont pas d’accord sur l’usage du terme. Il y a ensuite le génocide vendéen, dont la reconnaissance est réclamée à corps et à cris par une certaine droite française. Et puis, la qualification de génocide pour le sociocide cambodgien est-elle bien la bonne ? Bref, sous ce vocable de crimes contre l’humanité et génocide, on peut mettre tout et n’importe quoi. Ou pas.
Mais un seul génocide « fête » aujourd’hui son centenaire, et c’était le seul sujet à aborder dans la résolution. Le reste est du blabla car qui doute aujourd’hui que la Belgique, fondamentalement, condamne bien par principe tout génocide ou crime contre l’Humanité (hormis les siens jusqu’ici — c’est notre petit côté turc) ?
Continuant sur sa lancée, Peter propose de « rendre hommage à la mémoire des victimes innocentes de tous les génocides et crimes contre l’humanité ». Bon, ça ne mange pas de pain. Puis, « de plaider pour qu’une prévention en temps utile et une répression effective des génocides et des crimes contre l’humanité fassent partie des priorités majeures de la communauté internationale et de l’Union européenne ». BHL sors de ce corps, dirais-je. C’est là que la résolution commence méchamment à ressembler à un concours d’enfoncement de portes ouvertes.
Pommade et vaseline en stock.
Se disant qu’il n’avait pas suffisamment mis de vaseline au point 1, Peter De Roover en remet au point 6, proposant « de considérer les déclarations [de] Recep Tayyip Erdoğan, et de son premier ministre, Ahmet Davutoğlu, par lesquelles les deux hommes ont exprimé leur empathie et reconnu que des exactions avaient été commises contre les Arméniens ottomans, comme une avancée positive », suite à quoi il est question « d’encourager la Turquie à profiter de l’occasion importante offerte par la commémoration du centenaire du génocide arménien pour fournir de nouveaux efforts en vue d’affronter son passé, notamment en ouvrant ses archives, pour reconnaître le génocide arménien et ouvrir ainsi la voie à une véritable réconciliation entre les peuples turc et arménien ».
Je ne dis pas, c’est très joli, mais d’après la diplomatie turque, les archives ottomanes sont bien ouvertes, ce seraient les archives arméniennes qui ne le seraient pas… Belle intention, mais un paragraphe pour rien. Sans compter la condescendance sportive sur le thème de l’encouragement de ce gouvernement turc qui n’aurait donc pas bien compris de quoi on parle. Bien sûr qu’il sait, mais il ne veut pas qu’on en parle.
Les trois points suivants portent sur la réconciliation entre l’Arménie et la Turquie, sur l’exemple européen. Ouvrez vos frontières, voyez ce qu’ont fait la France et l’Allemagne, prenez exemple sur nous, patati patata.
Le changement, c’est pas maintenant.
Mais comme je l’avais soupçonné dans mon article précédent, à aucun moment, le texte ne demande au gouvernement belge de reconnaître le génocide arménien ni ne prend acte qu’il l’ait fait. Or, c’était la chose que l’on espérait, que l’on appelait de nos vœux, en ce centenaire. Surtout pour un pays qui publie article sur article contre la minorité belge d’origine turque dont une partie importante ne reconnaît pas ce génocide. Pour l’Histoire, la seule attitude digne était une reconnaissance en bonne et due forme. Mais si ce pays en est décidément incapable, laissons donc retomber la chape de plomb sur les silences, les complicités, les non-dits, et foutons la paix à ceux qui prennent prétexte de la mollesse belge pour nier et inciter à nier ce génocide. De toutes façons, la majorité des Belges s’en fiche, pour info, mes articles sur le sujet sont moins lus que mon dernier papier sur les poubelles d’Ixelles !
Au final, toutes ces gesticulations pour tourner autour du pot vont peut-être empêcher la Turquie de rappeler son ambassadeur (comme elle l’a fait quand des États ont vraiment reconnu le génocide). Mais certainement pas de continuer à suivre la ligne dont l’AKP ne déviera jamais, celle de la négation ferme du génocide des Arméniens, Assyriens et Grecs pontiques.
La N-VA proposait la force du changement ? Dommage. Sur ce dossier, elle aurait pu faire la différence.
Mise à jour : Le porte-parole du MR m’informe par Twitter que « ce texte date de jeudi dernier. Une nouvelle version sera déposée cet après-midi ». Dont acte. Mais quand même, une majorité qui dépose une résolution pour remplacer une résolution déposée par elle-même une semaine plus tôt… Me dis qu’on n’a pas fini de suivre Rocambole dans cette histoire…
* Pour rappel, ma traduction était : « Mon point de vue est connu et très clair. Je suis d’avis [mon opinion est] que les événements tragiques entre 1915 et 1917 [provoqués] par le dernier gouvernement de l’Empire ottoman doivent être qualifiés de génocide et c’est la position du gouvernement belge. »
Si cet article vous a plus, vous pouvez contribuer à mon blog en versant une participation de 2€ minimum via le bouton Paypal dans la colonne de droite ou en achetant le premier volume de mon recueil de billets de blog.
0 Comments
Didier
juin 23, 12:05Marcel Sel
juin 23, 16:43Didier
juin 24, 15:57Marcel Sel
juin 24, 17:20Agaman
juin 29, 20:03Pfff
juin 23, 12:11Rik-Rak
juin 23, 14:51Marcel Sel
juin 23, 16:47Rik-Rak
juin 24, 10:01Marcel Sel
juin 24, 14:45Pfff
juin 24, 11:59L’enfoiré
juin 23, 15:11L’enfoiré
juin 23, 15:22lievenm
juin 23, 18:35Marcel Sel
juin 23, 22:10denis dinsart
juin 23, 16:51Marcel Sel
juin 23, 22:05u'tz
juin 23, 23:12u'tz
juin 23, 23:39Pfff
juin 24, 12:04Andy
juin 25, 12:14Empêtré, le gouvernement belge minimise le « génocide arménien ». | UN BLOG DE SEL
juin 24, 13:34