Le jour où Greta Thunberg a cessé d’être sainte (chronique).
Elle fait le tour du monde. L’image de Greta Thunberg arrêtée avec beaucoup de complaisance médiatique par la police allemande. Elle était à Lützerath pour protester contre l’extension de la plus grande mine de charbon d’Allemagne. Rappelons aux libéraux qui la critiquent qu’elle s’oppose en réalité au parti écologiste d’outre-Rhin, les Grünen, qui participent au gouvernement allemand. Pour en finir avec le nucléaire, celui-ci envoie cent fois pire dans l’atmosphère : le charbon. Si vous trouvez qu’il ne faut pas fermer le nucléaire trop vite, eh bien, Greta Thunberg aussi.
Mais ce que dit cette image d’une Greta seule, manifestement amusée par son interpellation si courtoise — et ça me semble plus important — c’est bien qu’elle a changé de statut.
Souvenez-vous. Le 20 août 2018, un miracle se produisit dans l’allée qui mène au Parlement suédois. Une jeune fille y faisait la grève scolaire pour le climat, assise avec un carton revendicatif et son cartable. Seule. Mais un influenceur écologiste passa totalement par hasard après être tombé par hasard sur un mailing qui annonçait le micro-événement, prit une photo de la petite militante et la diffusa sur ses réseaux sociaux. Dans les heures qui suivirent, des journalistes et des caméras vinrent interviewer la petiote. Greta Thunberg était née. Et sa légende, avec.
Car elle avait tout pour incarner le sacré : le sexe féminin, l’âge juvénile, une apparente fragilité, et un autisme Asperger assumé. Il en fut d’autant plus aisé pour ses défenseurs de discréditer toute critique, rapidement convertie en agression envers la si jeune militante, que certains n’hésitaient pas à comparer à Jeanne d’Arc ! Ses contradicteurs, frustrés, l’appelèrent alors Sainte-Greta.
La réalité, elle, tenait un peu moins des Noces de Cana. Le rôle de Greta avait été pensé par un écologiste, Bo Thorén. Il avait cherché une égérie capable d’entraîner les teenagers dans la lutte contre le réchauffement. L’adolescente avait gagné le deuxième prix d’un concours de rédactions sur le climat organisé par le grand quotidien Svenska Dagbladet. Thorén la lut et lui proposa le rôle. Elle accepta. Et l’endossa merveilleusement.
Mais chut : révéler le marketing d’un miracle est sacrilège ! Car la légende s’est rapidement muée en Très Nouveau Testament, avec un message littéralement religieux, messianique, qui désignait les pêcheurs climatiques et annonçait l’apocalypse. Les verts crurent bientôt Greta seule capable de sauver la planète, et toute l’humanité avec !
Pourtant, elle ne fut entendue par les ados que dans quelques pays. Cela se traduisit par un mouvement « apolitique » d’écoliers en grève qui manifestèrent dans les rues. Il fut particulièrement bien suivi en Belgique notamment, où des profs, puis des écoles emboîtèrent le pas. Mais ces actions ne restèrent citoyennes que le temps de le dire. L’écologie politique récupéra prestement l’épopée et fit de madame Thunberg sa pasionaria, à fort renfort médiatique. Devenue porte-parole des enfants qui n’avaient donc même plus à venir à elle, Greta alla donc à l’ONU, rencontra Obama, fit la leçon aux parlementaires de plusieurs pays. Et obtint même une audience chez le pape François. Un grand moment œcuménique !
Mais comme souvent, l’engouement s’essouffla. Les jeunes finirent par rentrer dans le rang de l’école. Greta ne fit plus de grande apparition, ou alors, la presse n’y vint plus. L’oracle de Stockholm ne fut plus consulté que par ceux qui la percevaient comme la transcendance de ce qu’ils estimaient être eux-mêmes : des sauveurs de l’humanité. Mais en réalité, en l’enfermant dans un cocon trop protecteur, ils lui avaient aussi coupé les ponts avec le reste du monde.
Et puis, le 28 décembre 2022, Andrew Tate, ex-champion du kickboxing devenu influenceur machiste, défia Greta sur les réseaux sociaux. Elle le mit K.O. en deux tweets. Beaucoup des opposants de la Jeanne d’Arc du climat s’étonnèrent alors de sa présence d’esprit et de son sens de l’ironie. Pourtant, depuis son premier texte, elle avait été bluffante. Enfant génial, autodidacte exceptionnelle, communicatrice audacieuse (« how dare you ! »), interlocutrice brillante en interview, Greta Thunberg a du bagage et du bagout. Qu’on partage ou non son opinion, elle a sa place dans le débat. Sa sanctification était devenue un frein. Il fallait bien qu’un jour, elle se débarrasse des tabous construits autour d’elle et redescende parmi nous.
Quand Andrew Tate l’a interpellée en lui proposant de calculer les émissions de gaz à effet de serre de ses voitures de sport, elle lui a répondu en évoquant son « énergie de petite bite ». Ces termes la projetaient instantanément hors de son statut d’enfant fragile. Ecce Greta, l’adulte. La femme. Quand le macho de service se fit ensuite arrêter pour traite d’êtres humains, prétendument à cause d’une boîte à pizza qui aurait trahi sa présence en Roumanie, elle ironisa : « voilà ce qui arrive quand on ne recycle pas ses boîtes à pizza. »
Ite missa est. Greta n’est plus sacrée, et c’est une bonne nouvelle. Répandons-la. On va enfin pouvoir débattre avec elle, échanger des arguments. Et ça promet. Interviewée par la télévision allemande en octobre 2022, elle déclarait que fermer le nucléaire pour privilégier le charbon était une erreur. Comme je disais : le bagage et le bagout.
En fait, la véritable assomption de Sainte-Greta, c’était tout simplement de devenir Greta Thunberg.
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5 Comments
mélanippe
janvier 19, 08:12Arnaud de la Croix
janvier 19, 09:58Maria
janvier 19, 11:22RLejoly (@r_lejoly)
janvier 19, 11:36Franck Pastor
janvier 19, 15:33