PTB et Vlaams Belang, même combat ? Réponse fessée à Georges-Louis Bouchez
Georges-Louis Bouchez, vous avez cru nécessaire d’assimiler le PTB et le Vlaams Belang dans un twit où vous rejetiez « toutes les extrêmes ». J’ai répondu sur Twitter en expliquant brièvement que le communisme avait pour but ultime « le bien de l’humanité » alors que le fascisme (ou plus précisément l’extrême droite) ne cherchait que le bien de sa communauté, au détriment de toutes les autres. Quelques railleries me sont tombées dessus, vous en avez liké plusieurs.
Alors quoi ? Serais-je devenu procommuniste ? Certes non. Mais le sujet mérite des nuances et le format de Twitter ne les permet pas. Les voici donc, cher Georges-Louis, sous un format plus long.
Com comme communiste
Certes, le PTB est un parti communiste à l’ancienne sous des habits modernes. Il fut maoïste, certains de ses membres n’ont toujours pas effacé Staline. Il est toujours marxiste-léniniste, oublieux des crimes de Lénine, dont la fondation de la Tcheka n’est qu’un aspect policier qui cache tortures et meurtres. Lénine est le père d’une dictature sanguinaire, et le responsable final d’innombrables crimes, dont les tragiques décimations de Trotsky : il s’agissait d’abattre sur place un soldat sur 10 de l’armée rouge quand elle avait fui devant l’ennemi. L’horreur soviétique atteignit le paroxysme sous Staline, mais le mal lui avait été infusé dès le départ.
Jamais rien qui ne ressemble à une forme de démocratie n’a été produit par ces régimes, parce que la dictature prétendument du prolétariat dérive forcément vers une dictature de ceux qui prétendent le représenter, soit quelques intellectuels plus ou moins féroces qui ont trop rarement reculé devant la barbarie. Mao, Staline, mais aussi Lénine, Trotsky et leurs entourages ont utilisé le concept de peuple pour justifier les pires exactions. Voilà ce qu’est, pour moi, le communisme de pouvoir. Une horreur. Et pourtant, le communisme, même de pouvoir, n’est pas que cela.
Lorsqu’on regarde l’histoire de la Pologne communiste, l’on découvre que la répression, bien réelle, a cessé à un certain moment d’être sanguinaire, au point que l’assassinat politique d’un prêtre a gravement gêné le pouvoir de Jaruzelski. Si Walesa a subi la prison dans des conditions plus que pénibles, il n’a pas non plus été éliminé. S’il n’y a aucun moyen de rendre le communisme démocrate, il n’a toutefois pas toujours été sanguinaire voire génocidaire non plus, au contraire du nazisme.
Dépossession n’est pas élimination
Ma conclusion est que le communisme, au-delà de son agression permanente envers les libertés, peut vouloir privilégier le bien de sa population, alors que le nazisme ne privilégiait que son « peuple identifié », à savoir les Allemands de « pure souche », en Allemagne, et devait pour cela éliminer tous ceux qui n’avaient pas eu l’heur d’être nés aryens, blancs, de langue allemande. Ce n’est pas le cas du communisme, sur papier. S’il a certes tendance à éliminer la richesse, il n’élimine pas pour autant physiquement les riches. S’il ne supporte pas la propriété, il n’en liquide pas forcément les propriétaires. La différence est fondamentale. Être riche n’est pas « génétique ».
Ensuite, il y a lieu de faire la différence entre les partis communistes de nos contrées et les régimes communistes passés (pour la plupart). À ce titre, si l’idée d’un PTB au pouvoir me terrorise (vous aussi, je n’en doute pas), il n’en va pas de même pour un PTB très minoritaire.
On peut s’appeler Georges-Louis Bouchez et tout de même reconnaître que, jusqu’à la chute du mur — qui m’a arraché des larmes de bonheur — les partis communistes européens ont joué un rôle social fondamental de représentation des masses laborieuses, le prolétariat.
Si je ne suis pas de ceux qui pensent que la Russie soviétique nous a libérés du nazisme (notamment parce que les pays qu’elle a annexés alors n’ont pas été libérés, mais soumis à une autre dictature, souvent atroce), ni de ceux qui prétendent que les communistes auraient « mené » la résistance dans nos contrées, on ne peut passer à côté du constat qu’ils y ont bien participé, et pas nécessairement sous les ordres de Moscou.
Pas la résistance, mais une résistance
Ainsi, le pacte de non agression entre soviétiques et nazis a immédiatement causé une scission dans le Parti communiste français, entre ceux qui ont suivi Staline au point de (chercher à ) pactiser avec l’occupant nazi (par exemple, pour publier leurs journaux), et ceux qui se sont immédiatement engagés, d’abord dans la lutte armée officielle, ensuite dans la résistance.
On ne peut oublier le travail des communistes de nos régions dans la lutte contre la déportation des Juifs. On ne peut oublier les communistes tombés pour la lutte contre le nazisme. On ne peut oublier qu’ils se sont engagés, dès la fin de la guerre, dans des gouvernements d’union nationale dont les fascistes étaient bien évidemment exclus. On ne peut oublier Guy Moquêt. On ne peut oublier l’Affiche rouge et les FTP-MOI. On ne peut, en résumé, oublier que, contrairement aux fascistes, des communistes ont donné leur vie pour nos libertés.
On ne peut mettre sur le même pied Aragon et Elsa Triolet ou Montand et Simone Signoret, et Léon Degrelle ou August Borms. On ne peut effacer d’un twit Juliette Gréco vendant l’Humanité à la criée dans les rues de Paris. On ne peut accuser des Eluard, Ferrat, Prévert d’avoir été complices de génocide, du goulag, d’horreurs à la pelletée comme on ferait le procès des antisémites dont l’extrême droite de l’Occupation a constellé son ciel millénaire, un Céline et ses pamphlets immondes, un Brasillach et sa volonté déclarée de se débarrasser de tous les Juifs, y compris les petits.
On ne peut non plus considérer que ces artistes étaient idiots, stupides ou égarés. Ils luttaient férocement pour plus de justice sociale, un point c’est tout.
Le communisme comme adjoint au libéralisme ?
Le communisme a joué un rôle considérable dans l’émancipation de nos travailleurs, notamment avec l’avènement du front populaire en France. Il a contribué à établir la semaine des quarante heures, les congés payés, qui ont ensuite été votés en Belgique par un gouvernement tripartite, regroupant catholiques, socialistes et — certes — libéraux. Mais aurait-il été voté par un gouvernement purement libéral ? Nul ne le sait.
L’idéologie communiste est aussi la racine des partis socialistes qui ont depuis évolué vers la sociale-démocratie, que nul ne songerait à classer dans les extrémismes, oui, celle-là même qui a lutté pour nous assurer des parachutes sociaux dont les électeurs libéraux bénéficient heureusement aussi, et qui a contribué, plus que toute autre idéologie, à pacifier nos sociétés.
Pour rappel, celles-ci eussent été livrées, sinon, aux libéraux et aux conservateurs du XIXe siècle, qui ne se souciaient alors que très marginalement du sort des travailleurs, au profit de celui des bourgeois de l’époque, qui s’étaient arrogés l’exclusivité du droit de vote. Les années d’atermoiements pour en arriver, enfin, péniblement, à interdire le travail des enfants, ou à instaurer l’école pour tous, témoignent de la nécessité de l’émergence de combattants pour la justice sociale, qui ne fut réellement incarnés que par les héritiers de Marx (et le père Daens, mais que n’a-t-il pas subi, lui, pour avoir osé défendre les petits ?) Relisez, Georges-Louis, certains discours des libéraux belges de la fin du XIXe siècle, et vous aurez honte. Profondément honte !
Je vais vous le dire autrement : sans Marx et ses héritiers, le libéralisme et le progressisme ne seraient pas ce qu’ils sont aujourd’hui.
Des partis qui ont évolué (et d’autre pas)
Le communisme européen, quelquefois à l’insu de son plein gré, a donc bien contribué, par ses luttes ouvrières d’avant et d’après-guerre, mais aussi via le socialisme et la sociale-démocratie, à forger la société dans laquelle nous vivons. Une société de progrès, plus égalitaire que n’importe quelle autre société dans le monde. Le tout, en préservant la propriété individuelle, un marché et une entreprises libre, une démocratie parmi les plus sûres. Une société moderne, fondée sur le dialogue social, les libertés, l’interdiction des discriminations, l’égalité notamment électorale des hommes et des femmes (que la Russie soviétique fut le premier grand État à instaurer). Le libéral que vous dites être ne peut que s’en réjouir.
Et rien de tout cela, pas un iota, pas une mesurette, pas une chiquenaude, ne nous fut apporté par le fascisme. Rien. Du tout.
S’ajoute à cela que le communisme a pu évoluer. En 1976, Berlinguer, Marchais et Carillo fondaient l’eurocommunisme, se détachaient de la tutelle de Moscou, rejetaient en bloc le Goulag, l’absence de libertés dans les régimes frères et renonçaient à la dictature du prolétariat, ouvrant la porte à de nouvelles formations certes d’obédience communiste, mais qui articulaient désormais leur action dans la société occidentale autour du rôle de « pousseurs de luttes », d’aiguillons, de secoueurs d’idées.
Dans les campagnes présidentielles françaises, aujourd’hui encore, seuls ces partis-là traduisent le désarroi du monde ouvrier que les autres partis, y compris de gauche, n’entendent plus, parce qu’ils s’en sont trop éloignés. Ce faisant, ils ont contribué et contribuent toujours à maintenir un équilibre social qui serait rapidement détruit si on n’écoutait que vous et votre allié d’hier, les nationalistes-conservateurs de la N-VA dont, soit dit en passant, certains ténors tiennent encore beaucoup trop souvent un discours qui tirent la société flamande (et un peu la wallonne) vers de tragiques dérives ; des ténors que votre parti a bien trop peu rappelés à l’ordre pendant les quatre ans de gouvernance commune.
Rouge sang contre noir de mort.
Aucun militant fasciste, nazi, néonazi ou d’extrême droite n’a jamais apporté la moindre pierre à l’édifice de la justice et de l’équité. Aucun, jamais, nulle part. Aucun militant, aucun sympathisant de ces idéologies-là n’a jamais contribué à plus d’égalité. Et c’est bien là que la différenciation aurait dû s’imposer à vous.
Parce qu’on peut adhérer à un parti communiste, quels que soient ses défauts, pour des raisons humaines, humanitaires et humanistes. La raison est simple : le but ultime du communisme est le bien de l’humanité, même si les idéologues et politiciens communistes ont de ce bien une vision destructrice et liberticide, même si le marxisme n’est qu’une illusion de justice, même si, considérant les expériences réalisées, il n’y est jamais parvenu.
Mais c’est cette ambition chantée, l’internationale, le genre humain, qui explique qu’autant de bonnes volontés, d’humanistes, de vrais progressistes se tournent aujourd’hui encore vers un parti comme le PTB, ou coopèrent avec lui. À tort, à mon avis. Nous somme d’accord là-dessus. Mais venez me comparer un Vincent Engel à un Filip Dewinter, et je promets de vous écraser une citrouille pourrie sur la gomina à notre première rencontre !
À l’opposé, le Vlaams Belang a été fondé par Karel Dillen, qui a traduit son ami le premier négationniste français Maurice Bardèche. Trop jeune pour collaborer, Dillen a fricoté dès 1951 avec les premiers néonazis et les derniers nazis, lors du Congrès de Malmö organisé par le nazi suédois Pär Engdahl, animateur des réseaux d’exfiltration de criminels SS par la « ligne nord », et qui visait rien de moins que la refondation du nazisme. Y participaient également le nazi britannique Oswald Mosley, le nazi allemand Fritz Rössler, et un autre nazi, Karl-Heinz Priester, qui a toujours regretté de n’avoir pu entrer dans la SS, après avoir eu un rôle de dirigeant dans les Jeunesses hitlériennes. Ça fait beaucoup de nazis.
Le Vlaams Belang ne s’est jamais soucié que de la blancheur de la Flandre, de la flamanditude des Flamands, et de la christianité de cette flamanditude. Il ne s’est jamais intéressé qu’à l’élimination des mosquées et son rêve le plus cher est aussi celle de ceux qui y pratiquent leur religion. Ou, mieux : des Arabes, des Turcs, des Noirs et s’ils n’osent pas y adjoindre les Juifs, ils n’en pensent pas moins. Ah oui, j’oubliais : des Francophones.
Cocos contre führieux
Donnez le pouvoir au PTB, et nous aurons peut-être bien un régime qui nous excluera, vous et moi, pour mauvaises pensées. Mais donnez le pouvoir au Vlaams Belang, et notre pays sera la honte de l’humanité pour les siècles à venir. Si vous n’êtes pas capable de faire la distinction entre d’une part des militants un peu fadas qui croient au grand soir rouge, parce qu’ils pensent erronément que c’est le meilleur moyen de défendre les minorités, les dépossédés, les homosexuels, les damnés de la terre, et d’autre part des militants fous führieux qui veulent associer la terre et le sang, qui haïssent tout ce qu’ils ne sont pas, qui commémorent encore les complices du génocide nazi, qui pour certains retourneraient volontiers massacrer de l’Untermensch russe si l’occasion se représentait, je crains que Montesquieu ou Voltaire vous souffletteraient les fefesses d’une flagelleuse verge bleue s’ils étaient encore de ce monde.
Certes, le communisme, presque partout où il a été au pouvoir, a commis des crimes atroces. Et certes, le PTB comme le Vlaams Belang sont des partis liberticides et antidémocrates. Certes, la presse francophone a été bien trop tolérante face à la désinformation de Peter Mertens et ses affidés, et trop généreusement avide de la sympathie (réelle) de Raoul.
Certes, ce parti communiste aux oripeaux couverts des toiles d’araignées héritées d’un passé aussi atroce que poussiéreux pratique l’entrisme dans tous les secteurs, utilise des méthodes de recrutement consternantes, joue sur les peurs sociales avec un aplomb insensé, se pare de la plus décomplexée des démagogies pour avancer cachée vers son ambition ultime, un État communiste planifié, la suppression des libertés, de la propriété privée (déjà supprimée pour ses propres militants) et donc, certes, l’idée qu’elle pourrait un jour diriger ce pays doit nous tétaniser.
Mais pour autant, ses adhérents et ses sympathisants ne sont pas les alter ego des milices néonazies qui tournoient autour du Vlaams Belang. Des discours de haine et de rejet d’autrui de ce parti couvert du goudron gluant et pestiférant de la pire infâmie qui fut jamais, l’élimination systématique, industrielle et planifiée de six millions de Juifs et des Tziganes, sans distinction d’âge, pour le seul fait d’être juifs.
Cher Georges-Louis, toutes les extrêmes sont dangereuses, je vous l’accorde. Toutes sont liberticides, c’est évident. Mais toutes les extrêmes ne se valent pas. Et les sympathisants de l’une ne sont pas les adorateurs de l’autre. Vous auriez dû le préciser. Mais suis-je naïf ! J’oublie toujours que je suis un boomer. Quelqu’un d’une génération qui croit encore que la politique ne peut se départir de la pédagogie, de l’honnêteté et de la rigueur.
À vous voir, un jour, dans un café. Plutôt qu’un exemplaire du Chasseur français, vous me reconnaîtrez à un recueil d’Aragon que je poserai sur la table. Pour me prouver que je me trompe, vous n’aurez d’autre choix que d’emporter Bagatelles pour un Massacre de Louis-Ferdinand Céline. Mais je suis assez sûr que vous lui préférerez une amende honorable. Et un recueil d’Éluard ou de Prévert.
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26 Comments
Didier
février 18, 15:45marcel
février 18, 18:43Didier
février 19, 08:22Didier
février 19, 08:36Salade
février 18, 15:53Bruno Dandolo
février 18, 16:00marcel
février 18, 18:38u'tz
mars 06, 19:22Salade
février 18, 16:14marcel
février 18, 18:30Salade
février 19, 20:01Arnaud de la Croix
février 18, 17:14marcel
février 18, 18:29BEN
février 18, 17:58marcel
février 18, 18:29Yann Bonnin
février 19, 11:12marcel
février 23, 13:05Janssen
février 19, 11:48u'tz
février 20, 20:51Salade
février 22, 10:42Vincent Engel
février 23, 09:43marcel
février 23, 10:34mbo
février 23, 19:40Rudy Deblieck
février 25, 13:08u'tz
février 25, 20:06u'tz
mars 11, 22:44