Zakia eligenda est (selon Le Soir)*
*« Zakia doit être élue »
Ce sont deux articles parus sur une même page dans Le Soir de ce samedi. L’un est titré (sur Internet) : « Zakia Khattabi et la Cour constitutionnelle: des bizarreries entourent la procédure de vote ». L’autre n’hésite pas à clamer : « Les femmes soumises à une procédure plus stricte ». Ces deux articles sont largement influencés par les conclusions du professeur Anne-Emmanuelle Bourgaux, « constitutionnaliste de l’université de Mons qui a une belle audience dans les milieux Ecolo », selon Rik Van Cauwelaert.
Le Soir donne donc l’impression qu’il y aurait eu des irrégularités dans la non-nomination de Khattabi et laisse Bourgaux conclure que celle-ci aurait dû être élue juge constitutionnelle en vertu des votes exprimés il y a deux semaines au Sénat, mais aussi en vertu de la loi contre les discriminations, et de la Constitution. S’il laisse la professeure conclure, c’est néanmoins bien Le Soir lui-même qui se demande : « La candidate malheureuse va-t-elle introduire un recours en raison de cette application différenciée (sic) et genrée (sic) des règles légales ? (sic) » Et qui n’a pas hésité à titrer « les femmes soumises (sic) à une procédure plus stricte (sic) ». Le tout, sur base d’un point de vue tendancieux, sans grand effort de remise en contexte : le quotidien se dégage en effet un peu vite des remarques formulées par les deux dernières présidentes en date du Sénat, Sabine Laruelle et Christine Defraigne, reprises brièvement dans l’article.
Juge et partie
Pour rappel, le 17 janvier 2020, 38 sénateurs-trices avaient écrit le nom Zakia Khattabi dans leur bulletin secret, 2 autres avaient choisi le second candidat présenté par Ecolo, Fouad Lahssaini (un candidat de pure forme). Vingt autres avaient déposé un bulletin blanc ou nul. Sur 60 votants, Zakia n’a donc pas obtenu la majorité des deux-tiers au Sénat ce jour-là, qui était de 40 votes. Jusqu’hier, personne ne contestait ce résultat.
Alors, tout va bien ? Eh bien, pas selon Le Soir, où l’on n’est apparemment toujours pas revenu du fait que Zakia Khattabi n’a pas obtenu le poste qu’elle convoitait (job à vie avec un salaire d’avocat général près la Cour de Cassation — vers les 8000 € mensuels), à croire que voter pour elle était une obligation morale (dans un article à venir, je montrerai pourquoi ce n’était pas le cas.)
Pour prétendre que Zakia aurait été discriminée, il faut ignorer de nombreux éléments factuels
Mais coup de bol ! Selon Le Soir, des voix se seraient élevées pour s’étonner de la procédure appliquée à Zakia. Lesquelles ? Mystère ! En tout cas, Anne-Emmanuelle Bourgaux a farfouillé dans les nominations précédentes, où elle a effectivement trouvé un joli foutoir. Parce que, par le passé, « l’élection » des juges constitutionnels s’est faite selon deux modalités distinctes, soit deux interprétations d’une même loi. L’une serait « facile », l’autre « sévère » selon Bourgaux, et la pauvre Zakia aurait « subi » le second mode de calcul, et tatataaam, c’est uniquement pour ça qu’elle n’aurait pas été élue !
Le problème, c’est que, pour tenir ce raisonnement, de nombreux éléments doivent être purement et simplement ignorés : d’abord, l’évolution du mode de scrutin, clairement vers plus de « sévérité », moins de particratie, plus de démocratie et plus de sécurité institutionnelle ; ensuite, l’opinion des juristes qui « ne seraient pas d’accord entre eux » selon Le Soir, alors que le Sénat regorge de juristes qui, tous, ont approuvé le mode de scrutin appliqué à Zakia Khattabi et, du reste, à tou-te-s les candidat-e-s y présenté-e-s depuis 2007 !
Dura lex, durex
Mais d’abord, que dit cette loi ? L’article 32 de la Loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour Constitutionnelle stipule que « Les juges sont nommés à vie par le Roi sur une liste double présentée alternativement par la Chambre des représentants et par le Sénat. Celle-ci est adoptée à la majorité des deux tiers des suffrages des membres présents. » Donc, une fois sur deux, le vote se fait à la Chambre, et une fois sur deux, au Sénat. Notons qu’une majorité des deux tiers sert généralement à préserver quelque chose. C’est le côté Durex.
En clair et en pratique, « l’on » présente deux ou plusieurs candidat-e-s aux représentants du peuple et ceux-ci écrivent sur un bulletin secret, au choix, le nom de l’un ou l’autre de ces candidat-e-s, ou encore, aucun nom (vote blanc). Ils peuvent aussi dessiner un schtroumpf gamahuchant une schtroumpfette (vote nul). Très exceptionnellement, on présente un-e candidat-e seul-e.
Depuis 2013, on a toujours appliqué le mode « sévère ». Faut-il en changer pour Zakia Khattabi ?
Pour l’emporter, la loi précise donc qu’un-e candidat-e doit obtenir « les deux tiers des suffrages ». Et c’est là que le bât blesse : les votes blancs ou nuls sont-ils des « suffrages » au sens de cette loi ? Si non, l’élection est « facile », si oui, elle est « sévère » selon les critères retenus par Mme Bourgaux.
Mode facile : dans ce cas, on considère que les bulletins blancs et nuls ne sont pas des « suffrages », sont exclus de tout calcul, et que le candidat ou la candidate ne doit recueillir que 2/3 des votes nominaux.
Tapapigé ? Bon. Exemple dans le cas de Zakia. Il y a eu 38 voix pour elle, 2 voix pour le candidat factice Fouad Lahssaini, et 20 votes blancs ou nuls. Si on considère que ces vingt-là ne sont pas des « suffrages », Zakia ne doit plus réunir que les 2/3 des 40 votes nominaux (pour elle et Lahssaini), soit 27 votes pour être « élue » juge. Et comme elle a obtenu 38 voix, elle est largement au-dessus des deux-tiers requis selon ce mode.
Dans le mode « sévère », on considère que les votes blancs et nuls sont effectivement des « suffrages » au sens de la loi et, dans le cas de Zakia, on compte aussi les 20 votes blancs et nuls pour définir la majorité des 2/3 à atteindre. Il y avait 60 votes. Khattabi devait alors obtenir 40 votes (au lieu de 27). Elle ne les a pas eus. Recalée. Et grave atteinte au droit des femmes, selon Bourgaux et Le Soir.
Mais en fait, depuis 2013 (après l’élection de Thierry Giet, PS, à la Chambre), on a dans la pratique toujours considéré que les votes blancs et nuls étaient bien des « suffrages » (mode « sévère » donc). Et cette évolution est non seulement logique, mais aussi souhaitable. Il suffisait d’examiner quelques-unes de ces élections pour s’en convaincre. Au contraire, dans son article, Le Soir suit le raisonnement de Mme Bourgaux, sans relever ce qui me semble être des amalgames et absurdités.
Six juges juristes.
Tout d’abord, la professeure a fait l’amalgame (donc) entre les nominations juridiques et les nominations politiques. Trois des six sièges de juges de chaque rôle linguistique (soit douze en tout) sont en effet dévolus à des juristes qui doivent prouver une carrière et une compétence de (très) haut niveau. Leur cas est donc fondamentalement différent de celui des « politiques » comme Khattabi.
Pour les juges juristes, « on » présente leur dossier de candidature à la Chambre ou au Sénat, qui est ensuite examiné en commission, et enfin (après élimination éventuelle des candidats jugés irrecevables), leurs noms sont soumis au vote. Les dossiers de ces candidat-e-s ayant été examinés préalablement, on sait souvent à l’avance quel-le candidat-e est susceptible d’obtenir l’accord d’une large majorité des partis, sinon carrément l’unanimité, comme ce fut le cas pour Michel Pâques (voir plus bas) en 2018.
Dans tous ces cas — Le Soir le reconnaît —, qu’on eût appliqué le mode « facile » ou « sévère » n’aurait rien changé, le consensus s’étant dégagé dès avant le vote !
Confrontée à une noria des partis francophone, même la N-VA a présenté une candidate consensuelle.
Petit détail à propos des juges « juristes » : traditionnellement, ceux-ci sont également présentés par… les partis (on est en Belgique, hein, les gens !) Ainsi, en 2013, l’élection de la juge Riet Leyssen avait fait pas mal de remous, parce que la juriste avait été présentée par la N-VA, avec Mathias Storme comme candidat « factice » : les partis francophones avaient auparavant tenté d’empêcher la N-VA de présenter ses candidats. Contrairement à ce qui s’est passé pour Khattabi, le parti a réagi sainement à cette tentative d’obstruction, en présentant une personnalité consensuelle : Riet Leysen, qui était déjà référendaire à la Cour constitutionnelle. Sans carte de parti, son seul lien avec la N-VA était (très) daté et fluet : elle avait travaillé comme conseillère juridique au cabinet d’Hugo Schiltz, membre de l’ancienne aile gauche de la Volksunie (la N-VA étant née de son aile droite). Case closed.
Autre différence majeure entre politiques et juristes : lorsqu’il s’agit d’un-e juge « juriste », plusieurs candidats peuvent s’affronter. Ainsi, toujours dans le cas de Riet Leysen, un premier vote n’avait pas permis de dégager la majorité des deux-tiers en sa faveur. Il opposait en effet pas moins de quatre candidats, soit trois hommes et une femme : Lefranc (H), Leyssen (F), Senaeve (H), Storme (H). Les deux vainqueurs de ce premier tour étaient Leyssen et Senaeve. Au second tour, Riet Leysen l’a emporté avec les deux-tiers des voix, votes blancs ou nuls inclus (mode « sévère », donc), contre M. Senaeve.
Vous aurez remarqué que, si c’est bien une femme qui a obtenu cette majorité des deux-tiers, ce mode « sévère » prétendument appliqué uniquement aux femmes, était tout autant appliqué aux… trois hommes présentés ! Autrement dit, la thèse de Mme Bourgaux serait que, quand l’assemblée devine qu’une femme pourrait l’emporter — ou qu’elle a déjà décidé de ce résultat en petits colloques entre amis —, on l’affublerait d’une difficulté supplémentaire ! Et Le Soir suit et publie ce raisonnement.
Sur bases de ces éléments, on pourrait tout aussi bien conclure que le mode « sévère » favorise au contraire les femmes, puisque dans presque tous les cas récents, ce sont elles qui l’ont emporté sur les hommes qui leur faisaient face ! Au passage, j’indiquerais que, tout comme Michel Pâques, Riet Leysen avait fait l’objet d’une audience de candidature, contrairement aux candidats politiques dont on ne tente même pas de jauger les capacités !
Six juges politiques.
Les six juges restants sont les « politiques », soit trois par rôle linguistique. Ils sont présentés par leur parti qui les choisit au sein de son haras. Ils ne sont tenus à rien d’autre que d’avoir siégé cinq ans comme député-e ou sénateur-trice. Ici, pas d’examen des candidatures en commission, pas de diplôme requis, pas d’audience des candidats (c’est magique, non ?) C’est simplissime : un parti livre deux noms, point.
Pour les juges nommés politiquement, on a rapidement pris le pli de laisser chacun des six partis heureux élus (CD&V, Open VLD, SP.a, MR, PS, Ecolo) présenter deux candidats de leur choix pour l’affrontement final, et de considérer que les autres partis n’avaient qu’à avaliser ce double choix, via le mode « facile ».
Jusqu’en 2013, les partis se sont donc habitués à sélectionner un-e « vrai-e » candidat-e à faire élire, et un-e autre, dont le seul rôle est de permettre l’élection du premier ou de la première, autrement dit, de prier l’assemblée d’avaliser le choix du parti dont c’est le tour ! Évidemment, cela peut permettre de récompenser un-e ancien-ne député-e pour services rendus, pratiquement sans contrôle démocratique, en l’envoyant gagner 11.000 patates par mois (10.897,95 € bruts selon le commentateur Karambar ci-dessous, soit environ 5000 nets — j’avais d’abord écrit 8000 sans préciser « bruts»), à vie, comme juge « suprême ». Vu sous cet angle, ça fait quand même très république bananière…
Abusé, levez-vous !
Dans ce mode « facile », les sénateurs ou députés n’avaient en effet pas la possibilité de voter contre les deux candidats présentés par un parti, puisque les votes nuls et blancs étaient perdus (pour rappel, ils n’entraient pas en compte pour le calcul des deux-tiers à atteindre). Le seul moyen qu’ils avaient pour s’opposer à l’élection d’un-e des candidat-e-s poussé-e-s par un parti, c’était de voter pour l’autre ! Autrement dit, le parti dont c’était le tour faisait ce qui lui chantait.
Les dérives que ce système « facile permet sont évidemment innombrables. Le PTB pourrait ainsi « placer » à la Cour Constitutionnelle un chauffagiste qui aurait été député pendant cinq ans et qu’on n’aurait jamais vu (ou presque) à la Chambre, et dont l’expertise juridique se résumerait à la connaissance du taux de TVA sur les robinets Grohe.
Quand une constitutionnaliste (et Le Soir) propose d’abolir le contrôle parlementaire dans la nominations des juges constitutionnels !
Mais ça va bien plus loin ! Imaginons que le Vlaams Belang, deuxième parti de Flandre, présente un jour « sa » liste de deux candidats — mettons Filip Dewinter et Dries Van Langenhove (leader de Schild en Vrienden dont les membres s’échangeaient des messages « nazis »). Et que tous les autres partis tentent de s’y opposer en présentant un vote nul ou blanc. Seuls les députés du Belang voteraient nominalement, et ils sont 18. Appliquons alors la méthode « facile » que madame Bourgaux voudrait faire appliquer à Khattabi pour qu’elle puisse être nommée. Dans ce cas, les votes nuls ou blanc de tous les partis sont purement et simplement ignorés dans le calcul des deux tiers. Seuls comptent les 18 votes exprimés, tous du Belang. Le gagnant ne doit donc emporter que 2/3 de 18 votes, soit 12 votes. Imaginons que Dewinter obtienne 5 des 18 votes Vlaams Belang, et Dries, les 13 restants. Et constatant l’extraordinaire effet antidémocratique du vote « facile » : même si tout le reste de l’assemblée a voté blanc, Dries Van Langenhove est nommé juge constitutionnel, contre l’avis des 132 autres députés !
Certes, c’est un cas extrême. Mais c’est aussi une parfaite démonstration par l’absurde de l’inanité et de la dangerosité du mode « facile » qui revient à rien de moins qu’à abolir le contrôle du parlement au service du parti présentateur. Et l’idée même d’une nomination par les deux-tiers des présents énoncée dans la loi est donc rendue purement et simplement caduque. Convenons que ça ne peut être le sens de l’article 34.
Car si le législateur a exigé cette majorité des deux tiers (et non une majorité simple), c’est de toute évidence pour laisser au parlement la décision finale, et pour placer un garde-fou dans une fonction sensible, puisqu’elle participe tout de même à défaire les lois votées… par le parlement lui-même ! On ne peut souhaiter une telle aberration qu’en partant du principe que ce qu’Ecolo décide doit être validé par le reste de la démocratie belge. CQFD.
Le Sénat n’est pas marteau
Heureusement, nos parlementaires ne sont pas si bêtes (mais non, mais non !) Si la méthode contestée par Bourgaux et par Le Soir comme étant « sévère » est devenue la règle, c’est parce qu’elle a un avantage démocratique décisif : elle seule permet au parlement de réellement choisir entre trois options : le candidat A, le candidat B ou aucun des deux.
Et de fait, depuis 2007, le Sénat a systématiquement appliqué le mode « sévère ». Le cas de Michel Pâques, prétendument « impossible à déduire » selon Mme Bourgaux — ce qui aide évidemment à entretenir la théorie du genre discriminé —, n’a pas d’intérêt ici, pour deux raisons : d’abord, il ne s’agit pas d’un juge « politique » mais d’un juge « juriste » pour lequel la compétence et le CV priment. Ensuite, Michel Pâques avait, selon une source éminente au Sénat, tant impressionné les parlementaires lors d’une brillante audition, que son élection ne faisait aucun doute — il obtint d’ailleurs rien de moins que l’unanimité ! Dans ce cas, il n’y avait pas à choisir entre un mode ou l’autre. Il n’y avait qu’à voter tous en chœur !
On doit au contraire se réjouir que les vieilles coutumes qui fonctionnaient bien du temps où les partis traditionnels se partageaient le gâteau peinardos dans leur coin aient fini par céder le pas à une pratique plus démocratique. Car depuis la nomination de Thierry Giet (PS – 2013) par la Chambre, qui s’était encore faite sur le mode « facile », toutes les nouvelles nominations politiques se sont faites sur le mode « sévère » dans les deux assemblées. Et pour les nominations non-politiques, seule celle de Michel Pâques n’a pas eu à se faire sur un mode ou l’autre, puisqu’il y avait unanimité !
Le genre… de robe
Prétendre qu’on serait plus sévère avec les femmes est aussi absurde : on n’en sait rien, puisque seules des femmes ont été élues juges « politiques » depuis Thierry Giet ! On pourrait même affirmer, avec une mauvaise foi similaire à celle de l’article du Soir, que le mode « sévère » favorise au contraire les femmes, puisqu’elle gagnent chaque fois !
Mais plus sérieusement, le procès fait par Anne-Emmanuelle Bourgaux me paraît en soi déplacé. Depuis une grosse décennie, comme la Cour Constitutionnelle était saturée d’hommes, et à l’exception de Thierry Riet (PS) on a en effet pris soin, surtout côté flamand, de présenter systématiquement des femmes aux postes de juges politiques. Trees Merckx-Van Gooy (2007) pour le CD&V, Fientje Moerman (2018) pour l’Open VLD et Yasmine Kherbache, nommée en décembre 2019, pour le SP.a. (ajoutons Riet Leysen, juge « juriste » présentée par la N-VA.) En fait de prétendue misogynie, on est au contraire passé à grande vitesse d’un mode hypermasculin (aucune femme sur 12 juges avant l’élection de Trees Merckx) à une représentation équilibrée des genres ! Utiliser ce succès pour prétendre à une discrimination, c’est quand même surgonflé !
Mieux : côté flamand, les femmes sont aujourd’hui en majorité. Et c’est côté francophone qu’on devrait avoir honte, mais alors, vraiment honte. Car du MR (Moerman, 2001) à Ecolo (Snappe, 2001) en passant par le PS (Giet, 2013), tous les juges portaient encore des slips ou des caleçons jusqu’à la candidature de Khattabi ! Donc, oui, il y a bien eu discrimination genrée par le passé, mais de la part des partis francophones !
Les attendu-e-s d’Ecolo
Plutôt que de s’interroger sur les raisons de l’échec de Zakia Khattabi, dont la candidature n’a pas plue à plus d’un tiers de l’assemblée, en s’inquiétant d’une procédure prétendûment « sévère », Le Soir aurait donc dû — suis-je extrémiste de le penser ? — se réjouir de l’abandon d’un mode de scrutin particratique et dangereux. Au prix, certes, de la conclusion que le rejet de la candidature Khattabi s’est déroulée démocratiquement.
Il est en effet légitime pour un-e député-e de considérer Zakia Khattabi comme inacceptable et de voter contre — qu’on trouve ça immoral n’a juridiquement aucune espèce d’importance. La façon dont Ecolo a cherché à imposer son choix à tous est même choquante. Le parti lui a même assigné en deuxième choix un candidat imbuvable pour beaucoup : en 2008, Fouad Lahssaini a organisé au Parlement une rencontre avec des responsables du… Hezbollah et de la chaîne radicale Al Manar. L’affaire avait fait grand bruit à l’époque. Pour rejeter la candidate Zakia Khattabi, le seul moyen en mode « facile » aurait donc été de voter aux deux-tiers pour cet ancien député décrié ! À moins bien sûr qu’on trouve normal de confier un siège de juge à un ancien fan du Hezbollah…
On peut aussi se demander comment Ecolo — le parti qui allait faire de la politique autrement — a pu s’accommoder de nominations purement politiques, et de l’habitude prise de présenter un second candidat factice…
Quand militer pour la nomination de Zakia Khattabi amène à recommander des pratiques antidémocratiques.
À moins que « autrement » chez les verts signifie désormais « plus autocratiquement », soit sans tenir compte de l’opinion d’autrui. Car avant la présentation de Zakia Khattabi, la candidature au poste de juge constitutionnel se négociait entre partis, en vue d’une élection sereine, ce qui fut notamment le cas pour une autre femme de gauche issue de la diversité, Yasmine Kerbache (SP.a). Quand ce fut son tour, même la N-VA a pris soin de présenter une personnalité susceptible de satisfaire tout le monde. Au contraire, et pour la première fois dans l’histoire de la Cour Constitutionnelle, Ecolo a voulu forcer la main aux autres, en présentant une candidate clivante et un contre-candidat imbuvable aux yeux de plus d’un tiers de l’assemblée. L’échec était prévisible. Et, même après celui-ci, Ecolo a agi comme si la démocratie lui appartenait. Il a ensuite hurlé au crime de lèse-majesté, de racisme, de misogynie, de réactionnariat…
Étrange supplément weekend : la logique de Bourgaux rappelle celle appliquée par Zakia Khattabi elle-même au Conseil des Femmes francophones en 2018. Elle avait alors exigé qu’il élise sa pouliche (féminin de poulain, je précise) Ecolo pour la seule raison que, jusque là, on avait toujours élu des présidentes issues de partis et que donc, il fallait continuer ! Là aussi, le parti qui allait changer la politique s’était opposé à une évolution bénéfique (la dépolitisation du CFF) à son propre bénéfice politicien ! Tout comme Anne-Emmanuelle Bourgaux semble vouloir qu’on revienne à des pratiques moins démocratiques, rien que pour que Zakia puisse être élue ! Avec le soutien d’un grand quotidien, qui plus est… Mais elle peut aussi avoir survolé trop vite son sujet. Ça arrive.
Plutôt que de s’intéresser à cette dérive politicienne inquiétante du parti par excellence qui aurait dû s’en garder, Le Soir s’est donc fendu de deux articles qui font la part belle à une « étude » très orientée, écoutant et rapportant les estimations d’une seule constitutionnaliste, au détriment de l’évolution souhaitable pour notre démocratie. Aujourd’hui, il semble qu’Ecolo tienne à représenter Zakia Khattabi une quatrième fois, et des articles comme ceux-là continuent à faire mousser une partie de l’opinion publique francophone selon un modus operandi devenu systématique : soit tu approuves tout ce que fait [ou impose] Ecolo, soit on t’arrosera d’accusations d’immoralité, de sexisme, de racisme, de haine. Or, à force d’exiger ce qu’on ne peut obtenir, et en prenant ses électeurs à témoin de ces échecs mis sur le compte d’une prétendu rage antiverte, on finit par les transformer en fanatiques.
Au final, des articles comme ceux-là sont nuisibles au parti lui-même, devenu incapable de comprendre qu’il n’a pas à exiger que l’un-e de ses candidat-e-s soit approuvé-e par le reste des assemblées parlementaires. On a envie de crier « Ecolo, reviens » ! Mais tant que la presse entrera dans les nouvelles logiques particratiques, autocratiques ou autoritaires d’une formation désormais persuadée qu’elle détient le rôle sacré de sauver la planète, ça n’arrivera hélas pas.
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40 Comments
Barbara Dufour
février 02, 19:10marcel
février 02, 19:27ut'z
février 04, 00:13marcel
février 06, 10:24ut'z
février 04, 00:07marcel
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février 04, 00:16ut'z
février 04, 00:21ut'z
février 04, 21:07Salade
février 02, 19:34marcel
février 03, 01:06Salade
février 03, 12:08marcel
février 04, 00:08ut'z
février 04, 00:26Salade
février 04, 13:51ut'z
février 04, 21:18Karambar
février 05, 09:58ut'z
février 04, 21:09Marc
février 02, 19:34marcel
février 03, 01:06EWBANK Alexis
février 03, 10:47marcel
février 03, 10:49ut'z
février 04, 00:31Ben Deffense
février 03, 15:39marcel
février 04, 00:08ut'z
février 04, 00:34ut'z
février 04, 00:02lievenm
février 04, 09:51marcel
février 04, 10:32ut'z
février 04, 21:26Ludovic NYS
février 04, 16:45marcel
février 06, 10:24Ludovic NYS
février 09, 20:47marcel
février 13, 18:20Salade
février 04, 16:47Salade
février 17, 11:38Karambar
février 05, 09:37marcel
février 06, 10:23mbo
février 15, 20:19marcel
février 16, 01:54