Le p’tit commentaire. Formation : le PS a-t-il alimenté le PTB en jouant son jeu ?
Et si le succès du PTB, qui lui donne aujourd’hui une position d’arbitre et de roi de la gauche, était en partie dû au PS lui-même ? Et si les grands partis étaient systématiquement mal avisés quand une extrême se présente comme alternative ?
Il est bluffant de voir à quel point on peut comparer la situation wallonne et son miroir inversé, celle de la Flandre. Côté wallon, on invite un parti d’extrême gauche (le PTB) à une négociation dont on sait d’avance qu’elle est vouée à l’échec. Côté flamand, on fait mine de draguouiller un parti d’extrême droite (le Vlaams Belang) en le traitant comme un partenaire éventuel, sachant qu’il n’y a même pas de majorité possible avec lui. Curieusement, alors qu’une majorité « facile » est à portée de main dans les deux cas (deux partis en Wallonie : le PS et le MR ; trois partis en Flandre : la N-VA, le CD&V et l’Open VLD), on investit beaucoup dans l’écoute de l’extrême, histoire de ne pas vexer ses électeurs.
Tout aussi curieusement, beaucoup de commentateurs francophones reprochent (partiellement à juste titre) à la N-VA d’avoir alimenté les voix du Vlaams Belang, mais je n’en ai pas encore lu un seul présentant la même analyse pour le PS.
L’électeur préfère toujours le goût du vrai.
Reprenons une idée basique peut-être vérifiée. Elle est de Jean-Marie Le Pen : quand un parti traditionnel tente de jouer sur les terres idéologiques d’un parti extrémiste, l’électeur préfère toujours le goût du vrai. Autrement dit, ça ne sert à rien qu’un Sarkozy (par exemple) joue les petits fachos de quartier, les voix iront alors chez les spécialistes de fachotage.
En gros : « Si je veux une politique dure envers les immigrés, pourquoi irais-je voter pour un parti qui propose une politique moyennement dure ? » En faisant semblant de proposer plus de dureté (tout en limitant celle-ci dans les faits à ce qui est légalement acceptable), ne rend-on pas l’ultradroite fréquentable puisqu’on légitime son discours ?
On retrouve précisément ce questionnement avec la N-VA. Certes, dans un premier temps, Theo Francken a capturé les votes anti-immigrés de Flandre par son discours apparemment radical. Mais il a au moins partiellement échoué à les garder. Parce que ceux qui lisaient #nettoyage pensaient qu’il allait « remballer tous les immigrés ». Et ce n’est pas ce qui s’est passé.
Alors, quand un parti propose, contrairement à Francken, l’arrêt immédiat de toute immigration, les déçus du mélange discordant discours/action de Theo sont allés voter pour « le goût du vrai ». Bien sûr, c’est toujours une théorie, parce qu’on ne sait pas dans quelle mesure les choses auraient été différentes si Francken avait eu un discours plus policé.
Comme la N-VA, le PS a joué à plus extrémiste que l’éxtrémiste.
Mais la même question devrait se poser pour le PS. Voyant arriver le communisme à l’ancienne requalifié « marxisme 2.0 », et dopé à la surmilitance la plus chatoyante, le vénérable parti socialiste, pourtant social-démocrate depuis belle lurette, s’est lui-même déguisé en horde gauchistissime hurlant du « bain de sang social », voire du « génocide social », jouant là aussi à se montrer plus extrémiste que l’extrémiste.
Confrontés à un PTB qui promettait un grand soir et une révolution (mais une douce, hein, binamé, une révolution bisounours, avec un goulag confortable !), et hurlait au massacre du peuple par les « millionnaires », les électeurs de gauche, déstabilisés, ont pu trouver chez Raoul ce « goût du vrai » et au final, il est possible que la brusque radicalisation du PS ait alimenté ce choix.
Une radicalisation difficile à croire pour beaucoup, parce que Di Rupo, lui, peut difficilement hurler crédiblement « à bas les parvenus » quand, dans son propre camp, on a martelé qu’un socialiste pouvait gagner pléthoriquement sa vie dès qu’on a mis le doigt sur de gros revenus de mandataires. Au contraire, dépourvu de tels encombrants (Publifin, Samusocial, Donfut, etc.), le PTB pouvait à loisir rappeler que la vraie gauche, c’est lui ! Car comment croire que Di Rupo soit réellement « contre » un « bain de sang social », quand son propre cœur a « saigné » après qu’il a signé, comme premier ministre, l’envoi de dizaines de milliers de chômeurs au CPAS, auquel ils n’avaient même pas tous droit ?
Le PS aurait-il dû présenter le PTB pour ce qu’il est, plutôt que de jouer la concurrence ?
À cela se sont ajoutés deux phénomènes : la barre à gauche toute d’Ecolo, qui s’est retrouvé englué dans les mêmes combats que le PTB, au point où on se demandait parfois qui suivait qui (et on se le demande toujours, quand on voit des proches d’Ecolo souhaiter une Wallonie gauchissime), et le refus systématique de vrais sociaux-démocrates (y compris de leurs relais dans la presse) de présenter le PTB pour ce qu’il est : un parti marxiste à l’ancienne, encore marqué par ses funestes passions passées (stalinisme, maoïsme) à peine travesti par un 2.0 qui ne devrait tromper personne totalement incapable de présenter un programme chiffré qui ne ruine pas irrémédiablement la Wallonie, voire le pays.
Le gloubiboulga s’est concentré à la FGTB, où l’entrisme communiste a si bien fonctionné que le syndicat s’est partagé, pour le premier mai, entre son parti de référence, le PS, et l’ennemi objectivement le plus dangereux de celui-ci, le marxisme pur et dur.
Les choses auraient-elles été différentes si, au Nord, Theo Francken avait moins flirté avec l’extrême droite ? Le PS aurait-il eu un meilleur score s’il avait systématiquement déconstruit les propositions populistes du PTB, et s’il s’était profilé comme le parti de la raison de gauche, le seul capable de gérer le social dans un marché irrémédiablement libre et capitaliste, et de faire progresser le bien-être des travailleurs par petites avancées prudentes mais pertinentes et efficaces ?
Certes, rien ne le dit. Mais nous voilà dans une situation bien compliquée où, avant que le PS ne négocie sérieusement un vrai plan de relance économique, sociale et climatique avec le MR, les deux gagnants des élections doivent d’abord donner l’impression qu’ils se réconcilient. Une pièce de théâtre à la Feydeau, certes amusante pour les observateurs, mais qui fait perdre du temps précieux dans un nombre impressionnant de dossiers, au moment où les urgences requièrent des actes plus que des slogans. Au moment où les sauveurs de la planète ont troqué le pragmatisme indispensable pour une « intersectionnalité » improductive et tyrannique.
Mais évidemment, je peux me tromper !
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©Marcel Sel 2019. Distribution libre à la condition expresse de citer l’auteur (Marcel Sel) et d’établir un lien avec cette page.
4 Comments
Salade
juin 12, 21:14Keyzer
juin 13, 08:27marcel
juin 13, 09:03ut'z
juin 14, 00:29