Francken, PPE : La victoire d’Orban n’est pas celle qu’Hongrois.
Après sa victoire aux élections magyares, Theo Francken a rendu hommage à Viktor Orban, l’homme qui, apparemment, aurait tout compris de la gestion des migrants en Europe. Son message Twitter à cette occasion : « victoire monstre de la droite en Hongrie. Après l’Autriche [et son extrême droite], l’Italie [ses populistes et son extrême droite], et tant d’autres États membres, la droite gagne largement et la gauche perd. L’UE devra d’autant plus s’investir pour un nouveau modèle migratoire. STOP à toutes les migrations illégales par bateau ou autre ».
Un message qui rend perplexe : Francken dit-il que le modèle d’Orban est le bon, ou plutôt qu’un bon modèle (selon lui) sera plus facilement mis en œuvre avec une Europe (très) à droite ?
Dans les deux cas, toutefois, on notera que Theo Francken ne fait pas la différence entre la droite et son extrême (autrichienne ou italienne) ni entre une droite conservatrice « normale » et une droite populiste aux messages hideux, comme l’est celle d’Orban.
Ensuite, il laisse son électeur confondre la migration « illégale » (ce qu’il dit combattre) et la migration tout court (ce qu’Orban combat). Une faute lourde, mais il n’est pas le seul à en avoir commis dans ce dossier.
Faute lourde, d’abord, parce qu’Orban ne rejette pas simplement les migrants « illégaux », comme Theo Francken prétendait le faire jusqu’ici pour une « gestion rigoureuse, mais juste », il rejette toute présence musulmane en Europe, au nom d’une chrétienté européenne. Et il limite donc aussi sévèrement toute arrivée et toute reconnaissance de réfugiés authentiques. Il refuse d’ailleurs de prendre son quota de réfugiés, prétendant ouvertement qu’il s’agirait là d’un « diktat » de l’Union européenne. « Diktat » qui, soit dit en passant, a été approuvé par la Belgique, et donc indirectement par Theo Francken ! Cohérence, quand tu nous tiens !
En rendant apparemment hommage à la politique d’Orban (qu’il avait auparavant décriée), Theo Francken déforce donc son propre message, mais aussi celui du gouvernement : ce n’est pas une « gestion rigoureuse, mais juste » qu’il salue et prend en exemple, mais bien une « gestion totalement inhumaine et absolument injuste ». L’extrême droite européenne s’y est d’ailleurs reconnue aussi, offrant de nombreuses félicitations au Poutine hongrois, ce qui permet aux opposants à Francken de le classer un peu facilement parmi eux.
Oui, facilement, car sa politique reste aux normes ouest-européennes et l’on peut donc toujours penser qu’il cherche par là à récolter des voix qui, sinon, iraient à l’extrême droite du Vlaams Belang. Mais le doute est désormais aussi autorisé : n’est-ce pas sa propre gestion qu’il tente de tirer vers l’extrême droite ? Est-il vraiment sincère quand il se félicite du nombre croissant de réfugiés reconnus par le Commissariat général aux Réfugiés et Apatrides ? En d’autres termes, que se passerait-il si la N-VA était seule au pouvoir ou si l’Union européenne n’imposait pas certaines barrières aux populistes européens, auxquels Theo Francken s’est désormais rallié littéralement ? Sa joie après la victoire d’Orban fait légitimement froid dans le dos. Il serait donc bon de lui poser clairement la question : qu’est-ce qu’il approuve, ou pas, dans la politique du gouvernement hongrois ?
D’autant que la campagne d’Orban aurait plutôt dû provoquer des hauts le cœur à la N-VA, devenue officiellement philosémite. D’abord, parce qu’elle est teintée d’antisémitisme lorsqu’elle s’attaque vigoureusement, systématiquement et radicalement au milliardaire-bienfaiteur Georges Soros, qu’un des députés du Fidesz (d’Orban) a même présenté sous la forme d’un cochon sur Facebook. Et les affiches du Fidesz, où le « juif puant » Soros est représenté en marionnettiste, rappellent celles des antisémites hongrois d’avant-guerre. Mais Orban fait comme s’il ne savait pas que Soros est juif. Les antisémites, eux, savourent sa campagne. Du coup, la défense de certains orbanistes rappelle l’analyse en Belgique de la logorrhée extrémiste de Francken : ce serait le seul moyen d’empêcher le Jobbik (extrême droite) d’accéder au pouvoir. Quelle est la part de vrai là-dedans ? Au moins, la N-VA n’est pas homophobe, pas antisémite et ne cherche pas à censurer des médias.
Ensuite, parce que la campagne du Fidesz n’a reculé devant aucun argument populiste. Une autre affiche de la campagne d’Orban (apparemment financée par… le gouvernement !) présentait Soros félicitant les leaders des autres partis politiques devant une clôture que ces derniers venaient de couper à l’aide d’énormes pinces. Le slogan : « Ils veulent abattre la clôture [qui nous protège des migrants et réfugiés] ». L’idée : Soros — tête de Turc de Viktor Orban utilisé à toutes les sauces depuis qu’il a investi 500 millions dans l’accueil des réfugiés — et tous les autres partis font tout pour ouvrir la porte aux migrants, seul le Fidesz (de Victor Orban) s’y oppose.
Preuve s’il en faut du caractère outrancier de cette campagne : parmi les leaders figurant sur l’affiche (Bernadett Szél — écologiste, Ferenc Gyurcsány — centre gauche, Gergely Karácsony, — coalition socialiste), il y a Vona Gábor, le président (démissionnaire depuis) du parti d’extrême droite radical et antisémite Jobbik qui, bien évidemment, n’a aucune intention de laisser entrer le moindre migrant ! Mais voilà, Gábor est sensible à l’origine commune (mais lointainissime) des Turcs et des Hongrois, et « compense » son antisémitisme par une certaine admiration de l’islam. Ça suffit apparemment au Fidesz pour le prétendre « promigration ».
« Cette affiche est ridicule », m’a-t-on expliqué lors de mon récent passage à Budapest, ahuri de voir des citoyens tomber dans un piège aussi stupide. Imaginez une affiche qui prétendrait que Marine Le Pen veut ouvrir la porte aux réfugiés… Ce n’est même plus du populisme, c’est littéralement prendre les électeurs pour des imbéciles ! Mais c’est aussi la démonstration d’une campagne totalement décomplexée. Non pas nécessairement « de droite dure », comme me l’expliquait une Budapestoise : « Orban, ce n’est pas tant de l’extrême droite, c’est surtout la corruption organisée, il veut juste se maintenir au pouvoir par tous les moyens pour arroser ses amis. »
Étonnante conversation, aussi, avec une autre Hongroise qui m’assure que la Hongrie, avec lui, n’est pas plus agréable à vivre que sous le communisme. Certes, il y a l’aide européenne qui alimente la capitale et un peu l’arrière-pays, mais, m’indique-t-on par ailleurs « il y a des millions de pauvres en Hongrie. Des gens qui n’ont souvent pas internet, et qui sont informés par les médias contrôlés par Orban et son parti. »
Une déçue de la « démocratie » ose même une comparaison avec l’époque stalinienne « à terme, il veut tout contrôler dans la vie des Hongrois, à commencer pas l’information, c’est un retour progressif à l’époque stalinienne ». C’est vrai que l’information officielle domine largement le paysage médiatique : un grand journal d’opposition (de droite) vient d’ailleurs de jeter le gant. Ce n’est pas un hasard, le Fidesz n’hésite pas à manœuvrer pour nuire à toute presse qui s’avèrerait critique envers son leader.
Je comprends mieux les références de plusieurs de mes interlocuteurs à l’époque « stalinienne », quand on m’explique que la Hongrie communiste s’est distinguée de la plupart des autres pays du bloc soviétique par une liberté relative de l’opinion : « en Hongrie, Janos Kádár [dirigeant communiste de 1956 à 1988] a lâché la bride plus qu’ailleurs, on avait une certaine impression de liberté. » Il a en effet entamé une libéralisation de l’économie hongroise dès le début des années 80. C’est d’ailleurs par la frontière hongroise, ouverte dès juillet 1989 (mais déjà très perméable auparavant) que les premiers Allemands de l’Est sont passés à l’Ouest, avant la chute du mur en novembre. « Aujourd’hui, les Hongrois de la campagne ne sont pas mieux lotis qu’à l’époque », m’assure-t-on.
Un tableau stressant qui contraste avec la propreté et les belles façades de Budapest. « Oui, mais Budapest, c’est la manne européenne » m’explique un jeune. Cette manne européenne que bien des habitants de la ville perçoivent et saluent, mais qu’Orban discrédite avec virulence, tout en prenant volontiers l’argent : « dans une ligne de métro construite grâce aux fonds européens, il a mis des affiches qui critiquaient l’Europe, c’est ridicule ! » C’était en 2017, et l’affiche « arrêtons Bruxelles » a aussi été placée dans des trains également financés par l’UE ! Les Budapestois un tant soit peu informés raillent encore cette campagne sans-gêne. Mais baissent les bras.
Et pour cause, quand je l’interroge sur Viktor Orban, une jeune femme me répond en colère : « comment est-ce possible que les partis centristes de vos pays occidentaux gardent le Fidesz dans le PPE ? Ne venez pas vous plaindre du succès de Viktor Orban, vous faites tout pour ! » Désespérée serait plus juste : rien ne semble en mesure d’arrêter l’autocrate dans le pays, et hors du pays, les démocrates s’en fichent comme de l’an quarante — tout en critiquant, c’est commode, « les Hongrois ».
Car oui, Theo Francken n’a pas l’exclusivité des félicitations. Les partis centristes et de droite occidentaux sont aussi complices. Avis au CDH, au CD&V, aux Républicains français, aux chrétiens-démocrates allemands et bien sûr, à Jean-Claude Juncker, qui s’est permis de plaisanter publiquement avec l’un des hommes politiques européens les plus susceptibles d’entraîner son pays dans une dérive autocratique et anti-européenne en l’accueillant d’un « salut, dictateur » ! Une phrase qui n’a pas rendu l’UE rassurante aux yeux des opposants hongrois. Le pompon fut les félicitations du président du PPE, le français Joseph Daul, suite à la victoire du Fidesz, juste après un twit assez peu philosémite de son confrère magyar.
Tout au plus l’Europe est-elle parvenue à limiter la mainmise d’Orban sur quelques médias restés plus ou moins neutres, quand elle l’a empêché d’imposer une taxe exorbitante à RTL Klub, la seule chaîne télévisée de grande écoute qui échappe encore aux diktats du pouvoir.
Nous, occidentaux, ne pourrons donc pas dire que nous n’avons aucune responsabilité dans la dérive hongroise tant que nous laisserons le centre et la droite européenne cultiver une courtoisie de bon aloi avec Viktor Orban. C’est à eux que nous devons nous adresser d’abord pour que le Fidesz soit exclu définitivement du PPE au Parlement européen. Il ne suffit pas, comme l’ont fait quelques parlementaires notamment belges (et c’est déjà un pas), d’exiger, mais gentiment, l’exclusion du Fidesz, sachant bien sûr que ça ne sert à rien. Ils doivent aller un kilomètre plus loin, en menaçant de quitter le PPE si le Fidesz n’est pas exclu — qui a droit à un commissaire européen — eh oui ! Il suffirait que Les Républicains le fassent pour que les centristes allemands, obsédés par une Ostpolitik désormais désuète, se mettent, peut-être, à comprendre que le gouvernement hongrois doit encore mériter sa place en Europe, et le Fidesz, dans la formation dominante au Parlement européen, à la Commission et au Conseil.
Voici donc quelques devoirs de vacances :
- Pour le MR (et Richard Miller), si prompt à vouloir interdire le parti Islam : exiger de Theo Francken des éclaircissements sur sa joie après la victoire de Viktor Orban.
- Pour Theo Francken, préciser si sa politique idéale est de ne plus accueillir personne, ou s’il est réellement en phase avec les décisions du CGRA.
- Pour le CDH, le CD&V, Les Républicains et les autres partis du PPE : cesser de confondre compromis et compromission.
Si cet article vous a intéressé, n’hésitez pas à contribuer à mon travail à hauteur de minimum 2€.
25 Comments
Eridan
avril 12, 16:58lievenm
avril 12, 20:38marcel
avril 13, 12:57u'tz
avril 13, 20:58u'tz
avril 13, 20:48marcel
avril 14, 17:50u'tz
avril 18, 18:17antoine dellieu
avril 19, 13:14u'tz
avril 13, 21:19Wallimero
avril 14, 16:23marcel
avril 14, 17:49Wallimero
avril 15, 20:54marcel
avril 15, 23:50u'tz
avril 17, 01:02Wallimero
avril 17, 20:23antoine dellieu
avril 19, 13:07u'tz
avril 19, 16:07Salade
avril 14, 22:06Salade
avril 16, 17:52u'tz
avril 17, 01:12antoine dellieu
avril 19, 13:09u'tz
avril 19, 20:41Salade
avril 18, 11:49antoine dellieu
avril 19, 13:16u'tz
avril 19, 20:47