Francken et le Soudan : Hystérie et jours de fête.
Démission ! Démission ! crie la gauche francophone en roue libre depuis deux semaines, avec la presse francophone en soutien. C’est à peine si les articles nuançant l’acte d’accusation constant contre Theo Francken parviennent encore à se frayer un chemin sur les réseaux sociaux. Le secrétaire d’État est coupable de tout et de rien, dans un procès unilatéral qui ne fait honneur ni aux chevaliers blancs qui exigent sa démission sans avoir jamais fait leur propre examen de conscience, ni aux journaux francophones qui foncent, pour beaucoup, dans une seule direction, sans avoir présenté les multiples autres facettes du problème soudanais ou, plus nécessaire, des migrations en général. Et quand on découvre que la presse flamande a un tout autre point de vue, à la fois moins envahissant et plus contextuel (avec de grands articles dans De Standaard sur la torture d’un journaliste de Channel 4 au Soudan et le sort des migrants en Libye et en Tunisie), certains en concluent que les journalistes Flamands « soutiendraient » Francken. La réalité est toute autre. Ils ont simplement gardé, cette fois, une certaine forme de raison et un sens de la complexité.
Côté francophone, on a plutôt adopté la colère. La colère est aveugle. La colère est foldingue. Cette hystérie improductive, virulente sinon violente, est devenue un combat présenté comme obligatoire pour toute personne qui se dit, se pense, s’estime à gauche. Si l’on n’y adhère pas, l’on court le risque de se voir insulter. « Collabo », « Nazi », « complice de génocide » et que sais-je. Ce sont aujourd’hui des bataillons exaltés, excités par des harangues univoques, baïonnette antifasciste au canon, qui mènent Theo Francken à l’abattoir moral, hurlant que ah, ça ira, ça ira, les nationalistes à la lanterne ! Cette colère est née au parc Maximilien. C’est devenu le cœur battant de l’ire populiste. C’en est d’autant plus triste.
Parce qu’il y a là un mouvement magnifique de solidarité qui héberge, nourrit et abreuve des migrants qui, s’ils n’ont pas tous souffert dans leur pays d’origine, vivent tous l’enfer depuis leur départ. Mais à partir de cette solidarité humaine, de ces rencontres émouvantes avec des migrants chargés, tous, d’une histoire tragique, de l’évidente empathie qu’elles suscitent, un mouvement politique fait de bric et de broc, et campé très à gauche, s’est fondé, avec ses slogans (Francken est un collabo du génocide soudanais, la Belgique est protonazie), son projet (il faut ouvrir les frontières et accueillir tout le monde), et sa guerre picrocholine (il faut démissionner Theo Francken). C’est ce mouvement politisé et parfois fanatique, et non le mouvement de solidarité sur lequel il s’appuie, que j’ai eu le culot d’appeler « la gauche Maximilien ». Parce que le PTB, le PS, Ecolo, en pointe dans l’affaire, c’est la gauche que je sache, et parce que le parc Maximilien est devenu le propulseur du combat, la raison du combat, le levier du combat, personne n’a pu me démontrer le contraire.
Boosté par d’innombrables témoignages de rencontres parfois récupérés pour alimenter une émocratie assumée (« j’étais au parc Maximilien hier, ma fille a pleuré, monsieur Francken et monsieur Michel, vous êtes méchants »), son devenir était prévisible : c’est désormais un mouvement qui exclut le raisonnement, intolérant, qui éjecte tout « mal-pensant » de ses réseaux sociaux, tacle hargneusement et méchamment toute autre vision des choses, et n’hésite pas à commettre le délit au moins moral de la minimisation du nazisme.
Les pigeons de l’humanisme
Alors que le drame des migrants concerne des centaines de milliers d’humains en Europe et à ses portes, ce sont une petite dizaine de Soudanais, liés toujours au contexte du parc Maximilien, qui servent de justification à une guerre qui est devenue non seulement politique, mais aussi électorale, où chaque parti tente de tirer son petit profit d’une information à ce jour non vérifiée (la torture de six rapatriés), et que la presse francophone dans son ensemble n’a pas contextualisée, ou le moins possible. Le tout ponctué d’éditoriaux saignants envers « Theo ».
C’est vrai qu’il est difficile, même pénible, de résister à l’appel de la solidarité humaine. Il m’est tout aussi difficile, même pénible, de constater qu’au même titre que la presse flamande a des années durant protégé aveuglément la N-VA, c’est aujourd’hui la presse francophone qui fonce tout aussi aveuglément dans le sillage de quelques associations dont le discours n’a pas seulement été érigé en vérité absolue, mais qui s’est de surcroit attribué un caractère sacré. Vérité, sacralisation, émotion, voilà d’inquiétantes mamelles qui nourrissent la « gauche Maximilien ». Ce sont les mêmes qui alimentent les dictatures.
Alors que les personnalités politiques de gauche lancent quotidiennement leurs harangues contre « Theo », qu’une sorte de ferveur commune s’est emparée de tout penseur, journaliste, éditorialiste, commentateur, que la joie du combat ensemble, la certitude d’un surcroît d’humanisme, en amènent même à exiger un nouveau Mai 68, la raison, elle, n’a plus cours. Et quand des journalistes exultent après que Wouter Beke, président du CD&V, s’est arrogé un petit profit électoral en disant du bout des lèvres que Theo Francken devrait juger en conscience s’il doit démissionner ou non, on a envie de pleurer.
Car, bien sûr, une telle démission serait bien la dernière chose que Beke pourrait souhaiter. Elle ferait de Theo Francken un martyr (alors que tout le gouvernement soutient sa politique, voire la désire). Elle propulserait la N-VA plus haut encore. Et avec le succès annoncé du PTB, elle donnerait raison à Bart De Wever : il y a bien deux démocraties en Belgique, et elles n’ont plus rien de compatible. La fin du pays, dans l’esprit, est déjà réalisée. La gauche Maximilien se veut l’exact opposé de la N-VA. Mais elle est aussi radicale. La gauche francophone tient à montrer jour après jour que « le Flamand » majoritaire est inhumain, qui ne souhaite pas une politique migratoire plus tendre. Cette gauche est sourde à tout autre message que le sien. Elle est la meilleure alliée de Bart De Wever dans son cheminement subtil vers la séparation définitive des cœurs et de l’esprit. Face à face, les deux visions de l’humanité finiront par conclure la séparation définitive de la loi, de la solidarité nationale, de la Constitution, et du pays.
Le combat qu’on bat
Si ce mouvement furibard pense obtenir un infléchissement de la politique de Francken, c’est encore plus tragique : on n’obtient pas plus d’humanité en insultant le patron. Pendant qu’on hurle à sa démission, on perd toute arme pour obtenir, par exemple, le maintien en Belgique de cette jeune Arménienne (et de sa famille), scolarisée et intégrée, présente ici depuis 9 ans.
Et pourtant, l’on aurait eu des arguments pour y parvenir : Theo Francken veut présenter à son électorat un bilan qui correspond bien à sa promesse : une politique sévère mais juste. Maintenir une fillette de 11 ans intégrée en Belgique est la partie juste qu’on peut exiger de lui. Pour peu qu’on remplace l’hystérie par un appel à son humanisme (qu’il soit réel ou de façade, peu importe).
En revanche, le combat antifrancken tel qu’il est mené aujourd’hui est perdu d’avance, sur tous les plans. Il peut tout au plus sauver quelques dizaines de Soudanais d’un renvoi au pays. Au prix de tout le reste, de tous les autres. Il ne sert donc que la gloriole de ceux qui le mènent et les intérêts des partis politiques en lice pour les élections communales à l’automne de 2018 et les élections régionales, fédérales et communautaires du printemps 2019.
Six mois séparent ces élections qui établiront la nouvelle répartition des forces politiques pour cinq ou six ans. Le PTB est en pointe. Le PS cherche par tous les moyens à le contrer, ce moyen-ci vaut bien tous les autres. Ecolo veut obtenir sa part, qui se disputera au finish. Le CDH cherche à exister. Défi joue le bon père de famille, ne hurlant pas, mais récoltant le fruit de la militance généralisée en tirant, chaque semaine, une conclusion radicale et bien balancée.
Cette « gauche Maximilien » est accompagnée et soutenue notamment par la Ligue des Droits de l’Homme qui a jeté aux orties son devoir de neutralité et soutient la comparaison établie par une « action citoyenne » (financée par qui ?) entre Theo Francken et le nazisme. C’est tragique : cette ligue indispensable, ce regard critique permanent sur notre démocratie, neutre et éminent, est en train de suivre le même chemin que le MRAX, celui qui mène à une crédibilité nulle. Or, sa crédibilité est son capital. Mais la haine fervente est nécessaire, semble-t-il. Aux ligues comme aux partis. On peut donc prédire que cette campagne électorale risque d’être la pire jamais vue en Belgique, la plus violente, la plus excluante, la plus déchirante. Elle a commencé. Accrochez-vous.
On me reproche souvent d’avoir retourné ma veste. Non. Jamais. J’ai des années durant attiré l’attention sur le danger d’un parti qui continuait à commémorer des nazis, pour leurs « qualités flamingantes ». Je me suis demandé s’il était d’extrême droite. J’ai eu des réponses différentes, selon les moments, les dires et les actes. Je ne peux que constater que la politique de Theo Francken n’est pas d’extrême droite — si elle était conforme au souhait du Vlaams Belang, pas un seul musulman n’obtiendrait le statut de réfugié. C’est sur cette base qu’il faut juger le cas Francken. En l’analysant froidement. Pour chaque événement monté en crème chantilly d’un bel humanisme sans tache qui, hélas, décrit plus le paradis chrétien que l’humanité elle-même, il y a un contexte national et international, soigneusement dissimulé par la masse des acteurs publics francophones au profit d’une seule approche : comment faire tomber Francken et, sinon, au moins, comment le nazifier le plus possible ? Comment le faire haïr, comment l’accabler, comment le torturer, tout en épargnant son patron, Charles Michel.
On accumule les preuves comme on bâtit un bûcher. Tout peut servir. On entasse en prenant soin de ne rien analyser. De ne pas présenter une opinion qui pourrait contredire ce harcèlement. Ce fatras est tragique. Il amène encore plus sûrement la N-VA et Francken au prochain pouvoir. Mais peut-être est-ce là, justement, le souhait de ceux qui ont intérêt à continuer à exister, vibrer, s’autocongratuler debout et fiers comme Artaban, sur les cendres du pays. Et de sa politique d’immigration. Au nom de la bonne santé de six migrants.
J’ai beaucoup dit qu’on ne s’opposait pas à un nationalisme en produisant un autre nationalisme. De même, on ne combat pas un radicalisme par un autre radicalisme. Au danger que représente la N-VA est aujourd’hui venu se greffer un autre danger, une hystérie radicale et exclusive, et c’est justement parce qu’elle campe à gauche que je n’ai aucune intention de l’absoudre.
La charge de la brigade lourdingue
Voyez le dernier avatar en date de ce « cinéma francophone », révélateur : la masse médiatique, politique et militante francophone retwitte des articles qui attribuent au secrétaire d’État la décision d’expulsion d’un Soudanais arrêté en Belgique qui avait demandé l’asile en Allemagne, qui n’aurait pas encore tranché. Et publie en grand la photo de Francken. Mais selon De Standaard, c’est l’Office des Étrangers qui était à la manœuvre. La seule implication du secrétaire d’État est en fait positive : lorsque le Soudanais a obtenu de la Chambre du Conseil de ne pas être renvoyé au Soudan, Francken n’a pas fait appel de la décision. Et si l’on en croit le directeur de l’Office des Étrangers (et pourquoi pas ?), l’information est fausse, tout simplement : la procédure était bien terminée en Allemagne !
Peut-on comprendre cet acharnement ? Bien sûr, le populisme de Francken est détestable. Bien sûr, il twitte comme un Trump d’opérette. Mais le verbe et l’action sont deux choses différentes. Francken parle la langue vulgaire d’un certain « peuple » qui pense qu’il le comprend d’autant mieux. Et il applique en son nom une politique qu’il revendique « sévère mais juste ». Ce peuple acclame. Sévère : les séjours illégaux ne sont pas tolérés. Juste : les « vrais » réfugiés sont protégés. Ce sont ces deux bilans, le verbal et l’actif, qui font son succès. L’accuser de nazisme ne peut qu’amplifier ce succès, tant qu’il pourra montrer de façon crédible à son électorat que cette accusation est déplacée, fallacieuse, honteuse. L’accuser de nazisme, c’est le faire encore mieux élire. L’accuser de nazisme, c’est honteusement réduire la Shoah à une insulte comme une autre. C’est trahir l’événement fondateur de notre civilisation d’après-guerre. C’est mentir honteusement pour faire son intéressant.
Ce qui fait que la gauche Maximilien s’autorise malgré tout ça à formuler cette accusation récurrente depuis une certaine affiche d’Ecolo J, c’est le précédent « collaboratif » de Francken. Un précédent fumeux. On lui reproche d’avoir été présent à l’anniversaire d’un « ex-collabo », sénateur, et président d’honneur de la section de Zaventem, Bob Maes. Un procès fallacieux. Affirmer qu’il y est allé pour honorer l’action fasciste de Bob Maes plutôt que la fidélité au parti d’un vieux monsieur, ex-sénateur, considéré à la N-VA comme un homme des plus respectables, est un colossal procès d’intention. Si faute il y a, il faut l’imputer au président du parti, ou à tout le parti. Mais Francken a une sale gueule, on peut donc tout se permettre contre lui. Y compris le lynchage médiatique massif, coordonné, sans la moindre nuance, et injuste. Suis-je en train de défendre Francken ? Mais non ! Je défends le plus précieux de nos biens : la justice. Même les pires ordures nazies, avec des millions de litres de sang sur les mains, ont eu droit à un procès équitable. A-t-on donc oublié que c’était là aussi l’un des fondements de notre civilisation ?
Face à un tel lynchage, certains au MR se mettent aussi à affirmer qu’ils lâchent Francken. Mais sans se montrer. C’est d’une lâcheté et d’une hypocrisie ahurissante que la presse a aussi oublié de souligner : le skinhead de Lubbeek ne fait que mener la politique souhaitée par les réformateurs, inscrite dans l’accord de gouvernement, grosso modo la même qui fut auparavant applaudie par ce même MR et entérinée par Elio Di Rupo quand elle était menée par Maggie. Si Charles Michel ne se montre pas, c’est parce que pour lui aussi, les élections approchent. Autant ne pas soutenir trop ouvertement celui qui mène sa politique.
Con comme un contexte
Bien sûr, je suis pour l’accueil le plus décent possible du plus grand nombre possible. Et la politique d’asile doit être critiquée. Mais jamais la Belgique n’a eu une politique digne d’un État démocratique et riche. Et Theo Francken, matamore s’il en est, n’est pas pour autant celui qui l’aurait réduite à une peau de chagrin.
Selon Eurostat, la Belgique a renvoyé en 2016 0,65 migrant pour 1000 habitants. L’Allemagne, 0,92. Le Luxembourg, 0,71. Les Pays-Bas, 0,74. L’Autriche, 0,70. La Finlande, 1,09. La Suède (souvent prise en exemple), 1,2. Le Royaume-Uni, 0,72. Dans ce groupe occidental, seule la France est très en-dessous de notre pays, avec 0,21 migrants expulsés pour mille habitants. L’Allemagne et l’Autriche comptent toutefois une présence par habitant trois fois supérieure de personnes en séjour illégal. Chez Merkel, il s’agit d’une masse de 350.000 migrants expulsables.
Nous ne sommes pas les pires, pas les meilleurs, mais nous n’avons jamais fait mieux. Sous Theo Francken, le nombre de régularisations en première instance a atteint les 24.960 personnes (2016), contre 24.595 au plus haut du gouvernement Di Rupo, et un maigre 12.950 sous Leterme (ce nombre dépend bien sûr aussi du nombre de demandeurs d’asile). Et alors que le nombre de migrants en situation illégale n’a jamais été aussi élevé en Belgique (19.320 en 2016, contre 15.075 en 2013 — sous Di Rupo), le nombre de renvois vers un pays tiers ou le pays d’origine est à peine plus élevé sous Francken/Michel : 7.355 contre 7.170 en 2013, mais 7.840 en 2012 !
À l’époque, Maggie De Block était très fière de ses chiffres. Des critiques, il y en a eu. Mais une hystérie comparable à celle qu’on nous organise aujourd’hui, jamais.
Quand le premier ministre était de la bonne couleur
On peut pourtant présenter la politique de Di Rupo comme pire que celle de Charles Michel. Le cas le plus détestable de la période De Block/Di Rupo est probablement celui d’un opposant rwandais atteint du SIDA, renvoyé dans son pays, arrêté à sa descente d’avion, et retrouvé mort dans un état épouvantable quelques jours plus tard, après avoir été arrêté par la police locale dès son arrivée. La conclusion du cabinet de Maggie De Block était alors, selon des médecins spécialisés dans ce genre de cas, que rien ne démontrait que l’homme avait été tué par les autorités ! Quelqu’un a demandé la démission de Maggie De Block ? Non. Quelqu’un a insinué qu’elle aurait menti ? Non ! Quelqu’un l’a comparée à Ilsa la louve des SS ? Non plus. Pourtant, il y a eu mort d’homme.
Idem pour un Afghan renvoyé dans son « pays sûr », qui n’y a survécu que quelques semaines. Idem pour un Arménien à qui la Belgique a refusé des soins, et s’est vue ensuite condamnée à… 40 000 euros d’amende par la Cour européenne des Droits de l’Homme pour compenser son décès.
Quand on a découvert le sort funeste du jeune Afghan tué sur place quelques semaines après son expulsion de Belgique vers ce « pays sûr » qu’était l’Afghanistan, Maggie De Block a répondu qu’elle ne se sentait responsable de la mort de personne et qu’elle avait juste appliqué la loi. Ça avait suffi aux journalistes. À l’époque, le PS n’avait pas seulement fermé son bec, il avait carrément adoubé. Elio Di Rupo a même assuré, en 2012, à la DH, qu’il allait renvoyer plus de monde !
Seule l’histoire de l’Afghan avait fait grand bruit à l’époque, mais sans menacer la position de Maggie De Block, en qui Elio avait « toute confiance » pour régler les problèmes. Et que la presse francophone aimait bien, au point de dresser des portraits sévères mais justes…
En trois ans, il y a pourtant eu au moins trois morts, bien réels, contre six cas de torture supposée chez Francken, non recoupée, et limitée dans le temps (trois heures, au plus).
Et que dire de la politique des années 90, où on n’attendait même pas que des Soudanais « génocidaires » s’occupent de liquider nos migrants : on étouffait nous-mêmes Semira Adamu ! Le ministre de l’Intérieur de l’époque était socialiste, Louis Tobback. Il avait mis trois jours à démissionner du gouvernement. Pour rappel, Semira était renvoyée vers le Nigéria, un pays qui pratique la torture systématique. Elle voulait juste éviter un mariage forcé. L’article 3 de la CEDH n’intéressait pas, alors, le parti socialiste.
Effet Debeuf
L’hystérie actuelle se fonde sur les déclarations de Koert Debeuf, directeur de l’Institut Tahrir pour l’Europe — dont il refuse de divulguer les sources de financement. Lui, pourtant, n’a rien d’un hystérique. Il a très justement attiré l’attention sur l’invitation d’une délégation soudanaise dangereuse. Mais ses paroles ont été diffusées comme l’évangile, sans recoupement. Ça ne signifie pas qu’il ait tort, mais ça montre un traitement peu équilibré de l’information. En septembre, c’est Koert Debeuf qui a assuré que les fonctionnaires soudanais venus en Belgique étaient des agents des services secrets, alors que la sûreté de l’État le niait. Mais seule la thèse de Debeuf a été retenue. Curieusement, personne n’a accusé la sûreté de l’État de mensonge. Ce serait pourtant un grave mensonge dans son chef, qui mériterait enquête. Ou une preuve d’incompétence. Mais elle n’est pas dirigée par Francken, donc on s’en fout.
La suite est connue, la gauche Maximilien a servi de boutefeu côté francophone, et tout le monde s’est engouffré dans la brèche.
C’est aussi Koert Debeuf qui a récemment amené les témoignages de six Soudanais qui auraient été torturés (sur moins de dix rapatriés récents). Si la presse flamande a généralement pris la précaution d’y mettre le conditionnel, faute de recoupement, la presse francophone n’a pas toujours eu cette présence d’esprit. Dans l’une, « des Soudanais disent avoir été torturé », dans l’autre, ça devient « des Soudanais ont été torturés ». Et la torture en question consistait à donner des coups de bâtons sur les jambes, trois heures durant, avant de libérer les victimes le lendemain. L’Office des Étrangers, lui, met ces témoignages en doute. Il ment forcément. Il rappelle aussi que les interrogatoires au retour sont courants, y compris dans les pays démocrates. C’est évidemment faux. Par ailleurs, le Commissariat général aux Réfugiés et à l’Asile (CGRA) a lancé une enquête. Elle sera bien entendu impossible, les témoins ne lui diront pas la vérité ! Voilà, en gros, les interprétations commodes qui permettent d’alimenter le dossier à charge de Francken.
Pourtant, tant que cette enquête du CGRA n’est pas bouclée, il n’y a pas de smoking gun, et toute la suite des accusations contre Theo Francken est sans objet.
L’article 3 a bon dos
Côté francophone, on a donc monté le cas du Soudan et ces quelques cas de tortures (que je considère probables — c’est une opinion) en épingle. C’est une erreur. Non pas que j’aie la moindre tendresse pour la torture, mais bien parce que la torture existe dans pratiquement tous les pays qui nous envoient des migrants, qu’ils aient droit à un statut de réfugié ou non. On nous explique que Francken a violé l’article 3 de la CEDH en renvoyant des ressortissants vers des pays qui pratiquent la torture, et que c’est horriblement grave, épouvantable, du jamais vu. Ah ? Je m’en vais donc voir chez Amnesty International qui pratique la torture. L’organisation expliquait en 2014 que ce sont pas moins de 141 pays. Dont la Russie, le Maroc, l’Afghanistan, l’Irak ou… les États-Unis, à des niveaux divers. Combien des 250 000 migrants renvoyés d’Union européenne (28) l’ont été vers des pays pratiquant la torture ? Combien de fois a-t-on violé la loi, sous Francken, De Block, Tobback ou autre ? En Belgique, France, Allemagne, ou autre ? Réponse qui nuance l’accusation de non respect de l’article 3 : des dizaines de milliers de fois !
Toujours selon Amnesty, le Soudan ne fait « même » pas partie (en 2014) des pays pratiquant systématiquement la torture. Or, la Belgique a, de tout temps, renvoyé des migrants vers plusieurs de ces pays « pires », et continue de le faire, sans que le moindre reproche ne lui soit fait. Il s’agit du Congo, du Maroc, le l’Érythrée, de la Somalie, et plus loin, de la Syrie, du Népal, de l’Ouzbékistan, des Philippines et du Mexique. En 2013, sous Di Rupo, la Belgique renvoyait 700 citoyens de ces pays. En 2016, sous Francken, elle en renvoyait 705.
Le Soudan fait partie de la catégorie « pratique généralisée, mais non systématique de la torture », avec la Chine, le Kazakhstan, le Turkménistan, le Cambodge, le Bangladesh, l’Irak, l’Égypte, le Sud-Soudan, la Centrafrique, le Congo Brazzaville, le Cameroun, la Tunisie, la Mauritanie, le Mali, le Brésil ou la Colombie. En 2016, un cinquième des rapatriés par les 28 pays de l’Union européenne venaient de ces pays, dont 18 500 rien que d’Irak et 11 100 du Maroc ! À comparer à dix Soudanais.
Sachant que, selon Amnesty International, outre ces « tortionnaires en chefs », 57 % des pays du monde pratiquent la torture de façon régulière, et que les pays de retour interrogent régulièrement leurs ressortissants revenant d’Europe, il y a en réalité très peu de cas où les risques de torture sont nuls, voire acceptables.
Comparaison sans compassion
Comme dans tout procès, la logique eût voulu qu’on juge la politique de Theo Francken sur sa réalité globale et qu’on la compare aux politiques passées et aux politiques voisines, parce que les migrations impliquent de nombreuses autorités et ont des effets économiques, politiques, humains extrêmement complexes. Ce droit au benchmarking est un minimum. Au contraire, la « gauche Maximilien » focalise l’attention médiatique sur quelques centaines de non-demandeurs d’asile qui, pour la moitié, veulent rejoindre le Royaume-Uni, qui ne veut pas d’eux. Une façon commode de cacher que notre pays accorde le statut de réfugié à plus de la moitié des Soudanais qui le demandent.
À partir de cette charge qui ne devrait même pas revenir à notre pays (qu’on affrète un bateau et qu’on y mette tous ceux qui veulent aller chez Theresa May, puis qu’on accuse les Britanniques de refaire le coup de l’Exodus s’ils lui refusent l’entrée dans ses ports !), les militants organisent une charge politique opportuniste contre le gouvernement, usant et abusant d’une détresse humaine certes révoltante, mais qui n’est que le pâle sommet d’un iceberg monstrueux.
Si on veut vraiment éviter qu’un rapatrié subisse un interrogatoire brutal (c’est plutôt de cela qu’il s’agit, plus que de « torture »), on retombe sur la réponse impossible de la « gauche Maximilien » : il faut régulariser tout le monde ! Non, pas seulement tous les Soudanais. Mais les Soudanais, les Nigérians, les Somaliens, les Érythréens, les Marocains, les Égyptiens…
À noter : Koert Debeuf lui-même ne demande pas à Theo Francken de ne plus rapatrier de Soudanais, car même les Nations-Unies en rapatrient, reconnaît-il ! Debeuf lui demande simplement de le faire en toute sécurité. Et il lui reproche uniquement d’avoir fait preuve de naïveté en invitant — sur le modèle français — des officiels soudanais. Au passage, rappelons que cette invitation avait un objectif pratique : permettre d’identifier des personnes qui, soit, n’ont pas de papiers, soit, pourraient usurper une identité. Pour rappel, le Soudan a déjà exporté des terroristes en Libye. Savoir qui est qui n’est pas seulement utile, ça peut aussi être vital. Ça n’excuse pas qu’aucun des officiels belges présents lors de ces coopérations ne parlaient « soudanais ». Il faut le rappeler. Mais ce détail est aujourd’hui couvert par les appels furieux et inutiles à la démission !
Soudain, le Soudan
Une autre attaque scandaleuse date de septembre. Quelqu’un a alors ressorti un débat au Parlement belge où l’on expliquait que le pays ne pouvait supporter l’afflux de réfugiés juifs allemands. Dans une ambiance où les mots « rafles » et « génocide » planaient autour du secrétaire d’État, cela revenait à comparer notre politique d’alors, infâme, à celle d’aujourd’hui. Or, sauf exceptions (rares), notre pays ne renvoie pas de « juifs allemands soudanais » au Soudan. Entendez, ceux qui ont été victimes du génocide. Ceux-ci obtiennent pratiquement toujours le droit de séjour chez nous, soit en tant que réfugiés, soit sous le statut de protection subsidiaire. Ceux que nous renvoyons doivent donc être comparés aux Allemands non-opposants et non-juifs. Il n’y a donc aucune comparaison possible entre la politique des gouvernements belges d’avant mai 40 et la nôtre, fût-elle celle de Theo Francken.
Ou alors, on peut en dire autant de ses prédécesseurs. En 2016, selon Eurostat, cinq Soudanais avaient été renvoyés dans un pays tiers par la Belgique, contre 10 renvois en 2013, sous Di Rupo, dont cinq directement vers le Soudan, et autant par le même gouvernement en 2012, l’année où le mandat d’arrêt pour génocide indirect a été lancé par le TPI (celui de 2008 ne comprenait pas la qualification de génocide). Francken ne ferait donc pas autrement que le gouvernement précédent, dirigé par un socialiste qui aujourd’hui écrit « S’il s’avère qu’il a menti, @FranckenTheo doit quitter le gouvernement ! #Soudan ».
Autour de nous, même constat. En 2016, l’Allemagne a renvoyé 60 Soudanais, dont 35 vers des pays tiers (et donc, 25 vers le Soudan). La France, 65, mais aussi 155 en 2015 et 80 en 2014, massivement en direct vers le Soudan. C’était sous François Hollande. Sa coopération avec le régime soudanais ne date pas de cette année, elle est constante depuis 2014, au point que des Soudanais arrêtés en France ont carrément été présentés à l’ambassade du Soudan ! Or, il ne viendrait pas à l’idée d’Elio Di Rupo ou de la Ligue des Droits de l’homme de qualifier Hollande de « nazi » ou de « collabo ».
L’Italie en a renvoyé 40 en 2016 (pour la première fois, toujours selon Eurostat). Les Pays-Bas, 50. La très sainte Suède, 35 (tous vers des pays tiers). La Norvège, 30, dont un tiers directement vers le Soudan.
Coupable avant que d’être
Cette comparaison temporelle ou géographique n’a cependant pas droit de cité. Est-ce parce que le jugement de Francken a été établi dès avant ce procès public ? Probablement, car même des faits qui devraient aller à son crédit sont utilisés pour aggraver son cas. Exemple, un rapatrié soudanais qui aurait déclaré à l’Institut Tahrir avoir été torturé nie auprès d’un journaliste. Conclusion ? Il a peur. Autre exemple : un rapatrié originaire du Sud du Soudan renvoyé « volontaire » (en signant un papier dont il affirme ne pas avoir compris le sens — là encore, une déclaration unilatérale non recoupée) déclare n’avoir subi aucune torture, mais un simple interrogatoire à l’arrivée. Conclusion ? Il ne perd rien pour attendre. Or, ce fait indique que la torture ne serait pas systématique, y compris pour ces Sud-Soudanais dont le CGRA déconseille pourtant l’exportation vers le Soudan.
Autre argument contre Francken, « l’ONU » — rien que ça — l’a contredit, et il aurait donc « menti ». En réalité, c’est le Haut Commissariat aux réfugiés de l’ONU qui s’est défendu sèchement après que Francken avait affirmé qu’il faisait suivre les expulsés vers le Soudan par l’OIM (organisation internationale des migrations) qui en dépend. Une version contre l’autre, mais la version du HCR seule a obtenu crédit. Or, si Francken a bien insinué en interview radio (toujours réductrices, et sous un feu de critiques violentes sur les réseaux) que le HCR (via l’OIM) était impliqué, ce n’est pas ce qu’il écrit sur son site : « Avant d’organiser les rapatriements, l’Office des étrangers a conclu des accords avec l’agence de l’ONU OIM pour suivre les rapatriés. De plus, ceux qui le souhaitent peuvent être suivis de près par le réseau ERIN de l’OIM […]. Ces gens sont alors accueillis par un collaborateur de l’OIM à l’aéroport, conduits à la maison, et ensuite accompagnés dans leur recherche de logement, de travail et d’enseignement. » Cela correspond à ce que dit le HCR, à un détail près : au lieu de « ceux qui le souhaitent », Francken aurait dû écrire « ceux qui rentrent volontairement ».
À noter que l’ONU, qu’on présente comme une si noble institution, renvoie aujourd’hui des réfugiés des camps kenyans vers l’enfer sur terre, à savoir Mogadiscio. Le moyen est particulièrement hypocrite : on limite la nourriture des réfugiés qui sont alors obligés de s’endetter, puis, on offre 450 $ à ceux qui veulent bien rentrer dans cette ville épouvantable, risquant leur vie à chaque coin de rue. On ne parle pas là d’une dizaine de jeunes risque-tout, mais bien de familles entières, de femmes, d’enfants !
La presse a aussi manipulé une info de façon atterrante : une lettre du CGRA à Theo Francken présentée comme l’avertissant du danger encouru par des Soudanais du Sud au Soudan. Alors qu’il s’agissait en réalité d’une note descriptive ne contenant aucune recommandation. Cette lettre avait auparavant circulé plusieurs jours parmi les organisations des droits de l’homme (au sens large) avant que la presse ne finisse par la publier. Elle décrit en fait simplement la politique du CGRA. Elle arrive à un moment où la situation au Soudan est réexaminée. En réalité, elle pose elle-même question : si la situation est si dangereuse, pourquoi le Commissariat général aux réfugiés et apatrides n’octroie-t-il pas à tous les Soudanais un des deux statuts protecteurs ?
Mentir, tout le monde s’en tire
Et puis, il y eut le mensonge. Ce fameux mensonge qui à lui seul justifierait la démission de Francken, à entendre certains. Or, en Belgique, le mensonge en politique est une seconde nature, surtout chez les ministres. Depuis toujours. Lorsqu’ils sont confrontés à une information gênante, c’est ce qu’ils font. Quand ils veulent vanter leur réussite, ils n’hésitent pas. Quand ils ont envie de tirer sur le voisin, ils mentent encore. Après, s’ils sont pris la main dans le sac, ils s’excusent et tout va pour le mieux.
Il n’y a que dans le cas de Theo Francken qu’on en fait un objet de démission. Qu’a-t-il donc fait de si grave ? Il a « caché » qu’il y avait un rapatriement d’un Soudanais (un !) prévu en janvier. Il ne l’a su, selon lui, qu’après avoir affirmé publiquement qu’il n’y en avait pas. Sous le feu intense d’une salve de critiques politiques inédites depuis son intronisation en 2014, on doit pourtant pouvoir admettre qu’il ait pensé qu’il était plus sage de ne pas révéler cette information immédiatement après l’avoir obtenue, d’abord, effectivement pour « éviter un appel d’air » : annoncer qu’il n’y aura plus de renvoi de Soudanais depuis la Belgique peut attirer les Soudanais des autres pays limitrophes. On s’en convainc quand on voit qu’un Soudanais entré par l’Italie est venu en Belgique après avoir vu son statut de réfugié refusé en Allemagne.
Ensuite, Francken a peut-être voulu éviter d’énerver plus encore la horde furibarde qui fonçait sur lui et continue aujourd’hui à mener ce vain combat au finish. Mais dès lors que tous les rapatriements étaient de toutes façons annulés en janvier, est-il donc si grave qu’il ait préféré ne pas « avouer » ce seul cas, dont il a pris connaissance après s’être énervé sur le premier ministre, qui l’a pourtant abandonné en rase campagne ? C’est un point de vue qui me semble raisonnable. Par ailleurs, si on doit chercher la source de l’ensemble de la problématique, elle n’est pas chez Theo Francken, mais chez Charles Michel, le premier ministre, qui lui a demandé d’éviter à tout prix un Calais bis à Bruxelles. Heureusement, le président du MR Olivier Chastel l’a reconnu.
Appel d’AirBNB
À propos de l’appel d’air, souvent présenté comme une « excuse » de Francken (et dont il abuse en effet), il a plusieurs fois été démontré, qu’il s’agisse d’un centre de réfugiés à Paris destiné à héberger les migrants arrivant dans la capitale, qui a immédiatement été débordé par un afflux, notamment de refoulés d’Allemagne et de Sangatte. Ou simplement de l’appel d’Angela Merkel (que j’avais salué à l’époque, et qui a raté surtout parce que l’Allemagne s’est retrouvée seule — même la PS français l’a lâchée) « wir schaffen das » qui a poussé un nombre important de migrants au départ et à la traversée parfois mortelle de la mer Égée, et qui a saturé toutes les voies vers ce pays, avec pour résultat final la fermeture des frontières allemandes et, deux ans plus tard, l’arrivée en masse de l’extrême droite au Bundestag.
Le prix payé par des milliers de migrants qui ont répondu à l’appel de Merkel est aujourd’hui encore colossal, humainement épouvantable, et il se paye en Libye, en Tunisie, en Grèce, en Serbie, en Hongrie, etc. Des migrants revendus plusieurs fois par les tribus libyennes affirment qu’ils n’auraient pas pris la route s’ils avaient su. Le retour d’une poignée de Soudanais n’est qu’un avatar dans cette gigantesque catastrophe humaine. Et personne n’est innocent.
En réalité, c’est le dogme de la gauche Maximilien qui doit être remis en question. L’ouverture des frontières, voulue par les « no-borders » très actifs au parc est une hérésie si au moins cinq grands pays ne la coordonnent pas. Et ça ne risque pas d’arriver. Une des notions totalement absente du débat (enfin, « débat », faut le dire vite) médiatique et politique actuel en francophonie est que la Belgique est extrêmement perméable et qu’une politique trop permissive, et toute mesure trop « protectrice » risque effectivement d’amener un afflux insoutenable de refoulés venus de France, des Pays-Bas, d’Allemagne, etc. vers Bruxelles ! S’il y a un pays qui ne peut probablement pas se permettre d’ouvrir ses frontières, c’est bien la Belgique. Un autre pays de passage a récemment payé le prix politique d’une trop importante présence de migrants. C’est l’Autriche.
On pourrait demander à la presse francophone pourquoi elle consacre autant de pages, d’articles, de recherche de smoking gun pour six à dix Soudanais, et pratiquement rien à l’esclavage, aux viols, aux meurtres en Libye, financés en partie par l’Italie, avec l’accord de la Belgique, mais aussi du Conseil et de la Commission européenne, pour éviter que des migrants n’arrivent jusqu’à chez nous. Pratiquement rien sur l’envoi de troupes italiennes au Niger pour verrouiller la frontière. Pratiquement rien sur les migrants qui végètent dans l’un ou l’autre pays en attendant… d’être renvoyés, comme en Tunisie. Alors, soyons logiques : s’il faut exiger la démission de Francken pour moins de 10 Soudanais, il faut exiger celle de Juncker et de tous les ministres de l’immigration européens, ainsi que tous les Premiers ministres de l’UE — y compris Angela Merkel qui a dû mettre fin à l’accueil, pour les centaines de milliers de malheureux bloqués à nos frontières ou dans l’un de nos pays dans des conditions atroces en hiver.
À choisir entre trois heures de coups de bâtons sur les jambes et deux années d’errance dans les Balkans, avec le risque de crever de froid et de faim plusieurs hivers de suite, avec toute sa famille, je prends les coups de bâtons et l’interrogatoire de deux jours. Sans l’ombre d’une hésitation.
Y’a pas de May
Le pire, c’est qu’en réalité, une bonne proportion de ces migrants « calaisiens » pourraient obtenir un statut de réfugié sur notre territoire ou ailleurs, mais ils n’en feront pas la demande, pour deux raisons : la première est que suite à l’imbécile protocole de Dublin (qui impose que le traitement de la demande d’asile se fasse dans le premier pays qui aurait repéré le migrant), ils risqueraient d’être renvoyés dans leur pays d’arrivée en Europe, où leur dossier pourrait être moins scrupuleusement examiné, du fait d’un afflux déjà jugé insupportable par les habitants. La seconde est qu’aucun humain ne souhaiterait être remballé à 2 000 ou 4 000 km de son Graal — ici, le Royaume uni — qu’il pourrait atteindre en quelques heures avec un bon passeur, un bon budget et beaucoup de chance. Quand Theo Francken fait comme si les réfugiés refusaient sciemment de demander leur statut, il trompe évidemment son monde. Mais cette façon d’aborder les choses n’est pas une exclusivité belge, ni franckenienne.
Et cela change peu de choses au fait que cette situation est aujourd’hui à la fois insoluble et dangereuse, tant pour les réfugiés qui tentent désespérément la traversée vers le Royaume-Uni — ce qui a déjà coûté la vie à des dizaines de migrant-e-s — que pour de simples automobilistes. En juin, en France, un chauffeur est mort suite à l’érection d’un barrage par des migrants. Régulièrement, des chauffeurs routiers ont subi des jets d’objets divers par des migrants tentant de les faire arrêter pour monter dans leur bahut. Même constat chez Eurotunnel de comportements dangereux, surtout pour les migrants eux-mêmes, avec jusqu’à 2 000 tentatives de passage dans le tunnel sous la Manche en une seule journée, selon Le Figaro. À cela s’ajoute la violence certainement aggravée par le désespoir, notamment dans la jungle de Calais, mais aussi partiellement intrinsèque à certaines sociétés qui y étaient représentées, comme cette traductrice pachtoune violée par trois personnes, afghanes selon elle.
Que Charles Michel et Theo Francken ne veuillent à aucun prix une « jungle de Calais » à Bruxelles n’est pas seulement compréhensible, c’est de la bonne gestion. Et pas seulement pour les citoyens belges, mais aussi pour les migrants eux-mêmes. Il est effarant de constater que ce n’est pas tant « au pays » qu’ils risquent le plus, même pas à Khartoum, mais bien au passage vers l’Europe, pendant leur transit à l’intérieur de l’Europe, et lors d’une des innombrables tentatives désespérées de passer au Royaume-Uni.
La France elle-même se débat depuis des années avec cette situation inextricable. Elle a tout tenté : un giga-hangar pour héberger les migrants (Sangatte), prévu pour 800 personnes, et en accueillant bientôt 1800 dans des conditions rapidement sordides, inhumaines. Selon des sources gouvernementales françaises, un total de 70 000 migrants aurait transité par Sangatte en seulement trois ans (imaginez ça au parc Maximilien…) Suite à la fermeture du centre qui avait ouvert un appel d’air (eh oui), un certain laisser-faire (provoquant l’érection de la « jungle » de Calais) a d’abord fait baisser la population candidate au périlleux voyage, avant qu’elle ne remonte dans les années 2000. Là aussi, les conditions devinrent rapidement inhumaines. Provoquant à la fois une magnifique mobilisation de certains citoyens, mais aussi l’inverse : une hausse du Front national dans la région.
Suite au démantèlement de la jungle de Calais, un certain nombre de candidats au refuge au Royaume-Uni se sont repliés sur Bruxelles. Et c’est là qu’intervient le parc Maximilien. Aujourd’hui, il n’y a toujours pas de solution, puisque les Anglais n’ont pas changé de politique (et pourquoi ne tire-t-on pas sur la vraie responsable, soit la perfide Albion ?), et des migrants qui arrivent à Bruxelles cherchent toujours à contacter des passeurs qui leur feraient passer la manche au péril, toujours, de leur vie.
La vie et tout autre chose
Cette vie, négligée au moment du passage, est pourtant devenue un argument massue de cette « gauche Maximilien ». À lire certains de ces activistes, Theo Francken renvoie des « enfants » soudanais « à la mort », rien de moins. Pour appuyer ces dires, ils ne disposent pourtant d’aucun cas réel de migrant soudanais tué à son retour au Soudan. Mais ils utilisent un double abus de langage qui se base sur le fait que le dirigeant du pays est poursuivi pour génocide au Darfour, un génocide daté (2002-2003), dans le cadre d’une guerre ethnique.
C’est vrai, bien évidemment, qu’Omar El-Bechir est inculpé pour participation (indirecte et présumée) à un génocide passé. Mais pour rappel, les Soudanais des régions concernées ne sont en principe pas renvoyés et dans un cas de retour volontaire forcé (le migrant aurait signé un document qu’il ne comprenait pas), la RTBF ne constate pas de torture.
Le seul rapport entre le génocide et la politique de Theo Francken réside donc dans l’absolutisme de l’État soudanais — courant dans d’autres pays d’origine des migrants. Celui-ci est habilement mis à profit par la Ligue des Droits de l’Homme et consorts pour établir un lien apparemment factuel entre le génocide nazi et la politique du gouvernement Michel. Or, c’est une chose d’argumenter de la violence du régime soudanais en rappelant qu’il a organisé un génocide, ce qui constitue une partie du contexte. Mais c’en est une toute autre d’étendre la culpabilité de ce génocide à la Belgique au prétexte qu’elle cherche (comme la France) à connaître l’identité des migrants en impliquant des officiels soudanais dans cette recherche.
À cela s’ajoute l’utilisation opportuniste du terme « rafles », qui serait légitime s’il n’était constamment instrumentalisé, à nouveau, pour rapprocher la politique de Theo Francken et celle de Vichy. On parle de « quotas », de « déportation », de « rafles » et on vous demande si cela « ne vous rappelle rien ». Bien sûr, cela ne peut rappeler que les rafles de Juifs en Belgique en 1941 et 1942, ou la rafle du Vel d’Hiv à Paris. On nage dans le fantasme et l’hystérie. Ou, plus précisément, dans la minimisation du Génocide nazi.
Quelle immigration ?
C’est Michel Rocard, un socialiste, qui a dit qu’on ne pouvait pas « accueillir tout le malheur du monde ». Il avait raison. D’abord, parce que lorsqu’on prétend qu’on peut, il est difficile de fermer les vannes. Remember Angela. Des dizaines de milliers de migrants sont aujourd’hui coincés dans des circonstances épouvantables pour avoir cru qu’elle accueillerait tout le monde. Ou que les autres pays de l’UE suivraient son mouvement généreux.
Et l’humanité ? Elle rame. La réalité est épouvantable dans bien des pays. Elle l’est là où des Européens financent des groupes dangereux et leur confient la « gestion » des migrants. Elle l’est quand l’Italie envoie aujourd’hui des troupes pour bloquer la migration aux frontières sud du Niger. Elle l’est quand l’ONU ne parvient plus à gérer décemment les camps de réfugiés somaliens au Kénya. Le malheur du monde ne se résume pas à quelques réfugiés soudanais, souvent de jeunes hommes. Il massacre de jeunes vies, partout où l’on porte le regard. Il torture jusqu’à chez nous, dans nos commissariats. Il est insupportable, indescriptible, inamovible. Personne ne peut supporter qu’aujourd’hui encore, l’homme soit un tel loup pour l’homme. Il pousse aussi au cœur de nos pays, où la pauvreté s’installe et se propage. Pouvons-nous au moins apaiser les déshérités de nos pays, quelle que soit leur origine, migrants et non-migrants ? Hélas, ce défi-là ne sera pas relevé par un haro sur Francken ou sur qui que ce soit d’autre. En fait, il n’a jamais été relevé par personne !
Bonne année !
71 Comments
lievenm
décembre 31, 21:43marcel
janvier 01, 14:20lievenm
janvier 01, 18:52marcel
janvier 02, 13:20u'tz
janvier 02, 14:38Larry Moffett
janvier 04, 12:52Salade
janvier 01, 15:55marcel
janvier 02, 13:22Salade
janvier 03, 21:55Salade
janvier 05, 23:37marcel
janvier 06, 12:49Tournaisien
janvier 01, 16:35marcel
janvier 02, 13:22u'tz
janvier 02, 15:09u'tz
janvier 02, 14:47serge
janvier 08, 11:33Péters
janvier 01, 18:03u'tz
janvier 01, 23:57marcel
janvier 02, 13:20u'tz
janvier 02, 14:21u'tz
janvier 02, 14:24marcel
janvier 03, 02:34u'tz
janvier 03, 03:11marcel
janvier 03, 19:08u'tz
janvier 03, 19:43Salade
janvier 02, 12:08Tournaisien
janvier 02, 12:47Lel
janvier 02, 19:43marcel
janvier 03, 02:14Tournaisien
janvier 03, 09:10u'tz
janvier 03, 20:15Tournaisien
janvier 04, 19:10u'tz
janvier 07, 11:41miyovo
janvier 02, 13:33marcel
janvier 03, 02:35u'tz
janvier 03, 04:08Frédéric Louwet
janvier 02, 14:01Yves Moreau
janvier 02, 14:53marcel
janvier 03, 02:32Lel
janvier 02, 19:39marcel
janvier 03, 02:14Tournaisien
janvier 03, 09:16u'tz
janvier 03, 19:38Tournaisien
janvier 04, 19:12u'tz
janvier 07, 10:43Eric HAUWAERT
janvier 02, 21:32Leon Maleve
janvier 03, 14:31marcel
janvier 03, 19:06Leon Maleve
janvier 03, 14:34marcel
janvier 03, 19:05u'tz
janvier 04, 21:49Bernard Lambeau
janvier 03, 22:14marcel
janvier 04, 18:23Bernard Lambeau
janvier 04, 19:01marcel
janvier 06, 16:26u'tz
janvier 04, 22:29Tournaisien
janvier 04, 19:34u'tz
janvier 07, 19:54Tournaisien
janvier 09, 22:26u'tz
janvier 11, 20:15Blog à part » Aux frontières du réel
janvier 04, 19:50Salade
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janvier 07, 19:29u'tz
janvier 07, 19:31Eridan
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janvier 08, 19:58u'tz
janvier 15, 23:32Dekais
février 11, 13:37