Zuhal Demir (N-VA) et le foulard de son père : Philippe Leruth exige qu’on n’en pense que du mal. Je réponds.
Philippe Leruth (L’Avenir et président de la Fédération internationale des Journalistes, excusez du peu) a, sur son blog, eu quelques mots assez agressifs envers une émission On refait le Monde (Bel RTL) à laquelle je participais hier soir. Non sans critiquer l’émission « sirupeuse » (présentée par le tonique Patrick Weber), il nous qualifie, Marc Metdepenningen, Christian Hubert et moi-même de « grands connaisseurs autoproclamés de la Flandre » (attention, Philippe Leruth connaît, lui ! ). Et nous reprochait de ne pas avoir taclé Zuhal Demir, nouvelle secrétaire d’État N-VA, comme il l’aurait souhaité et d’avoir, au contraire « longuement glosé sur les décolletés plongeants de la nouvelle secrétaire d’État » ou encore « cru pouvoir s’extasier sur le beau coup réussi par la N-VA en plaçant au gouvernement un pur produit de l’intégration réussie. » Sans préjuger de l’opinion de mes honorables confrères et bons copains, et au-delà de nos différences d’opinions parfois radicales, mais que nous savons échanger dans le respect mutuel, nous, voici ma réponse.
Mon cher Philippe,
On vous retrouve souvent dans la position du juge (alors qu’il vous suffisait de pondre un article sur Mme Demir), mais vous n’écoutez pas bien et, sur le long terme, vous vous contredisez.
Lorsque j’ai sorti Les Secrets de Bart De Wever, avant même d’avoir lu le livre, vous avez écrit un article cinglant « contre » ce que j’avais dit lors de ma conférence de presse, où vous étiez, si je me souviens bien, arrivé en retard (et dont vous n’avez donc pas entendu le préliminaire). À l’époque, vous me reprochiez de m’être consacré à « rattacher [la N-VA] à l’extrême droite ». Et vous aviez canardé en retour en affirmant que la N-VA n’avait jamais eu de propos déplacés envers les immigrés.
Aujourd’hui, je me réjouis que vous découvriez, cinq ans plus tard, que la N-VA a des « prises de position extrémistes, que ne renierait pas une Marine Le Pen en France, voire un Donald Trump aux États-Unis ». Et que vous placiez Zuhal Demir à la « droite extrême », me donnant finalement raison.
Votre retournement de veste n’a certes rien de déshonorant, c’est le rôle du journaliste de suivre l’évolution des choses et je me trompe plus souvent qu’à mon tour, mieux, je le revendique. En revanche, ce qui est plus dérangeant, c’est la démonstration que votre critique virulente de l’époque était bonne pour la corbeille, ne reposait sur rien, et qu’entre le journaliste professionnel avec carte de presse que vous êtes, président de la FIJ en sus, et le « blogueur » qui osait, selon vous, se qualifier « éditorialiste de blog », ce que, du haut de votre perception supérieure de la profession, vous dégagiez avec mépris, eh bien, tiens, tiens, ce n’est pas toujours le second qui se trompe.
Au passage, personne ne s’est autoproclamé grand connaisseur de la Flandre. Ça, c’est dans vos rêves, et pas un constat très factuel.
Mais c’est là bien le problème des donneurs de leçons, ils oublient souvent la première personne qui devrait être la cible de leurs examens, à savoir eux-mêmes. Et ils ont souvent du mal à reconnaître que leurs leçons passées ont pu être d’une effarante médiocrité.
Aussi, donc, vous écoutez mal. Dans On refait le Monde d’hier (eh oui, une émission à la fois politique et divertissante, pour vous, c’est du « sirop », pour moi, c’est parler à un public qui ne lit pas nos analyses technologiques), contrairement à ce que vous affirmez, on s’est bien interrogés sur la question de son soutien aux mesures de Theo Francken, que j’ai personnellement même qualifiées de comparables à celles de Donald Trump — oh, tiens, comme vous…
On s’est aussi demandé pourquoi la presse francophone a tant insisté sur ses photos de charme alors que la presse flamande n’était pas revenue sur ce sujet particulier. Il y a alors eu quelques minutes, disons, un peu légères. C’est le style de l’émission. Mais on se moquait plutôt de la propension de beaucoup à s’affoler pour un décolleté plongeant. Oh… comme vous !
En ce qui me concerne, j’ai commencé par préciser que j’étais antinationaliste et que j’avais de gros problèmes avec la politique de la N-VA, mais que tout ce que je dirais ensuite partait du principe que, de toute façon, Elke Sleurs allait être remplacée par un-e autre N-VA, aspect inéluctable.
C’est dans ce contexte que je suis rapidement passé sur les photos sexys qui émoustillent la presse francophone (au point que vous avez vous-même ressenti le besoin d’en illustrer votre article plutôt qu’avec la photo de la prestation de serment — chercheriez-vous à ramener Zuhal à son statut de bomba un peu légère tout en affirmant le contraire ?), j’ai ensuite évoqué la première femme au gouvernement issue de l’immigration turque.
Ah oui : je me suis trompé à l’antenne, et je m’en réjouis. Parce que l’erreur est humaine, et que Marc m’a corrigé, à l’antenne aussi, rappelant à chacun que nous sommes faillibles. J’avais donc affirmé que Zuhal Demir était la première membre d’un gouvernement fédéral issue de l’immigration d’un pays musulman, alors qu’elle est la seconde. La première (Anissa Temsamani) a fait un passage éclair de 2 mois (74 jours) dans le gouvernement Verhofstadt II, en 2003, et n’est de ce fait pas apparue sur les listes de ministres que j’avais. Mais Zuhal est bien la première d’origine turque, et kurde. Au temps pour moi.
L’amende honorable nous grandit et nous crédibilise, vous devriez essayer.
Je me suis donc réjoui, dans le contexte d’un poste qui revenait de toute façon à un-e N-VA, du fait qu’il revienne à une fille de mineur de fond, d’une immigration relativement mal considérée en Belgique, qui a fait des études brillantes et obtenu quelque 10.000 voix de préférence sans activer le communautarisme « musulmaniste », ni le soutien à Recep Tayyip Erdogan, au contraire !
Je n’aime pas l’idéologie de Zuhal Demir et je l’ai clairement exprimé, mais elle n’est pas que son idéologie. Elle est aussi une femme, turque et kurde, fille de mineur, partie avec le moins de chances possible, qui s’est hissée au sommet de l’État.
À propos de ses photos au Parlement, j’ai expliqué qu’elle exposait ainsi son intégration « totale » en allant plus loin que ce qu’une députée belge de souche (comme on dit chez Marine) aurait fait. C’est un exemple d’émancipation qui peut intéresser de jeunes femmes de milieux fermés. Je m’en réjouis.
Eh oui, on peut avoir, comme moi, des amies voilées parce qu’elles l’ont choisi, et défendre celles-ci bec et ongles, et en même temps, se dire que l’attitude de Zuhal peut être un modèle pour des filles à qui le voile est imposé, et qui cherchent au contraire à s’en émanciper.
J’ai aussi expliqué que le problème de cette intégration style N-VA, c’est qu’elle veut créer des immigrés-flamands parfaits, et je ne sais plus si je l’ai dit dans l’émission (vu qu’on a un temps limité), mais j’avais dans mes notes la phrase « la N-VA veut des immigrés musulmans qui mangent du porc à la troisième génération ».
Je me suis encore interrogé sur la contradiction entre une Zuhal Demir extrêmement émue du sort des réfugié-e-s sur place, une femme, d’origine kurde, encore attachée à l’émancipation kurde au point de rendre visite à un local décoré de symboles du PKK en Flandre, et qui pleure face caméra quand elle est confrontée au drame des réfugiés. Mais qui adhère toujours à la politique de Theo Francken ici.
J’ai aussi précisé que je trouvais très positif qu’une femme remplace une femme dans ce gouvernement très masculin, mais rappelé que Zuhal Demir avait voté contre la proposition d’imposer un certain pourcentage de femmes dans les conseils d’administration d’entreprises.
Je me suis réjoui du symbole qui consiste à porter le foulard de mineur de son père (où avez-vous péché que c’était un foulard de la FGTB ?) Pour rappel, ce foulard des mineurs, qui n’est pas rouge pour des raisons syndicales (ou alors, ils étaient tous syndiqués…), leur servait à se protéger des courants d’air, mais aussi à se protéger les poumons quand ils foraient (après l’avoir mouillé), protection dérisoire qui ne les a pas empêchés de s’étouffer à petit feu. Vous trouvez scandaleux de porter ainsi une mémoire soi-disant syndicale quand on est antisyndical ? Aujourd’hui ? En pleine affaire Publifin ? Au moment où l’on révèle à quel point le système socialiste a manipulé le salarié liégeois au profit de quelques bêtes de course d’une infâme Nomenklatura ?
Monsieur Leruth, moi, je vois une fille de mineur qui a réussi. Elle est dans un parti que j’abhorre, et que vous auriez dû abhorrer plus tôt — au moins, j’ai pour moi le luxe de la cohérence.
Mais il faut être dépourvu de toute humanité pour ne pas être touché par l’hommage rendu, non pas au syndicaliste, mais au père, au courageux mineur turc, à celui qui, venu d’un pays où la femme a peu de droits, a permis à sa propre fille de s’émanciper. Lui a donné les armes pour se dépasser. L’a nourrie et chauffée et éduquée au prix de ses poumons, est passé sur le rejet par les autochtones et le mépris de beaucoup. Se retrouver, enfin, au poignet de sa fille au moment où elle prête serment au roi.
J’aurai l’occasion de m’en prendre à la politique de Zuhal Demir. Mais tout n’est pas politique. Il est des moments où des symboles qui concernent les minorités (dont une, majoritaire, ne semble pas vous préoccuper : les femmes) priment. Il y a de quoi se réjouir de la non-réduction du nombre de femmes dans le gouvernement, déjà scandaleusement bas, l’arrivée d’une fille d’immigrée, fille de mineur, fille de kurde, émancipée, exemple de réussite, l’élection récurrente d’une personne originaire d’une communauté partiellement fermée, sans clientélisme et sans communautarisme, prouvant que c’est possible.
Et puis, ce petit foulard fait entrer son père, le mineur, les mineurs, dans les plus hautes et dignes sphères de notre pays. Ce foulard est privé, il est son droit, respectez-le.
Philippe, dans toute cette émission, c’est mon féminisme qui a parlé. Un féminisme de mec, forcément imparfait et toujours à la limite de l’imposture. Un féminisme hésitant, maladroit, parce que je ne suis pas une femme, tout simplement. Mais je constate qu’à cet égard, aucun parti belge n’en rattrape un autre, quand je vois la quasi-absence de femmes dans le gouvernement PS-CDH de la Wallonie, je pense qu’en leur nom, vous n’avez pas la moindre leçon à donner sur le sujet. Je constate que la (!) FGTB reste très masculine (au contraire de la CSC) alors que les femmes sont justement les plus discriminées dans ce pays. Ce regard, tout président que vous êtes, vous n’avez pas su l’avoir.
Car évidemment, ce n’est pas le statut, l’émancipation ou le respect des femmes qui vous intéresse. C’est la politique. En son nom, vous passez à côté de l’essentiel. Parce qu’il vous fallait cogner les autres. Vous fâcher tout rouge. Rouge FGTB. Faire le prof.
Le père de Zuhal n’est probablement pas d’accord avec vous. Sa fille a réussi. Sa fille tient tête. Sa fille l’a emmené, par la main, par le poignet, du fond de la mine jusqu’aux ors du pouvoir. Un geste rare, un geste beau, un geste digne d’être reconnu par ses pires adversaires politiques. Parce que combien, de ces mineurs de fond, même syndicalistes, ne seraient pas fiers de leur fille, un jour comme celui-là ?
34 Comments
phileruth
février 25, 18:51marcel
février 25, 21:08wallimero
février 26, 08:17Tournaisien
février 25, 19:09marcel
février 25, 20:37lievenm
février 26, 16:21marcel
février 27, 13:41u'tz
février 26, 21:35marcel
février 27, 13:38u'tz
février 28, 01:39Capucine
février 25, 19:16u'tz
mars 02, 23:02jpp
février 26, 10:17u'tz
février 26, 11:58Tournaisien
février 26, 21:53u'tz
février 28, 02:02Nobels
février 26, 16:18marcel
février 26, 17:56Tournaisien
février 27, 11:24marcel
février 27, 13:37mélanippe
février 27, 13:39mélanippe
février 27, 13:54mélanippe
février 27, 14:13mélanippe
février 27, 14:15mélanippe
février 27, 14:18marcel
mars 01, 19:46mélanippe
mars 03, 10:23mélanippe
mars 03, 13:07mélanippe
mars 03, 13:11mélanippe
mars 03, 13:30mélanippe
mars 03, 13:38u'tz
mars 04, 20:59mélanippe
mars 13, 15:30Noiret Tina
avril 09, 22:56