L’insupportable hommage de Jean-Claude Juncker à Fidel Castro. Un crachat à la face de ses victimes.
C’est une horreur. N’écoutant que la voix du romantisme « prolétaire » qui aveugle une partie des forces progressistes européennes depuis Jean-Paul Sartre, Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne a publié une lettre de condoléances ahurissante, prestement acclamée par des gauchistes nourris au fromage de Che qu’il a vilement flatté, au détriment des valeurs qu’il est sensé porter. Les droits de l’Homme, la liberté, l’égalité, les droits syndicaux, les droits des journalistes :
« Fidel Castro était l’une des figures historiques du siècle passé et l’incarnation de la Révolution cubaine. Avec la mort de Fidel Castro, le monde a perdu (sic) un homme qui était un héros pour beaucoup (sic). Il a changé (sic) l’histoire de son pays et son influence a porté bien au-delà de celui-ci. Fidel Castro reste l’une des figures (sic) révolutionnaires du 20e siècle. Son héritage sera jugé par l’Histoire. » (ma traduction)
Ce faisant, Juncker ne se contente pas de reprendre une dialectique radicale (figure révolutionnaire) sans l’ombre d’une contextualisation, il insulte aussi littéralement les victimes du castrisme et les deux millions de réfugiés et exilés (soit près d’un cinquième de la population cubaine actuelle). Il rejette dans l’oubli les dizaines de milliers de citoyens opprimés par le régime, qu’il s’agisse d’homosexuels mis en camp dans les années soixante, d’opposants exécutés ou torturés, d’intellectuels humiliés, d’écrivains enfermés, de journalistes poursuivis. Ou qu’il s’agisse des plus de 9 000 victimes du régime décomptées par CubaArchives.org ou, même simplement de la quarantaine d’hommes, femmes, enfants et bébés assassinés par des fonctionnaires(1) cubains en 1994 pour avoir tenté de rejoindre les USA sur le petit remorqueur 13 de Marzo, un crime de masse dont la Commission inter-américaine des Droits de l’Homme a attribué la responsabilité au gouvernement cubain(1). Les assaillants(1) savaient qu’il y avait des enfants à bord et que les fuyards n’étaient pas armés.
Qu’ont-ils donc fait pour être ainsi rayés de la mémoire européenne, ces Mayulis, 17 ans, Juan, 12 ans, Eliecer, 12 ans, Yasser, 11 ans, Yousell, 11 ans, Caridad, 5 ans, Giselle, 4 ans, José, 3 ans, Angel, 3 ans, Xicdy, 2 ans et Hellen, 5 mois ?
Qu’a donc fait la petite Hellen, 5 mois, pour être oubliée par Jean-Claude Juncker ?
Cuba, c’est aussi des centaines de milliers de boat people qui ont essayé d’atteindre l’Amérique, terre de liberté pour eux. En mars de cette année, neuf réfugiés perdaient encore la vie en tentant la traversée sur une embarcation de fortune, entre Cuba et la Floride.
Qu’ont fait les 1.500 militants des droits de l’homme encore en 2015, pour que la Commission européenne leur crache brusquement son mépris bureaucratique à la face ?
Pour Amnesty International, Cuba, c’est la censure, le verrouillage d’Internet, de considérables difficultés — et souvent l’impossibilité — de communiquer depuis l’étranger avec les militants des Droits de l’homme, des avocats menacés, des syndicalistes en prison ou intimidés. Cuba est aujourd’hui toujours l’exact opposé de l’idéal progressiste. Il l’était plus encore sous Fidel Castro, un régime qui aurait, selon ses opposants, été trois fois plus meurtrier que celui du sinistre Pinochet (3 600 exécutés et disparus pour 17 millions d’habitants, contre plus de 9 000 documentés par CubaArchives, pour une population de 12 millions de Cubains). Mais vu sa longévité, on va dire qu’il l’a simplement été autant.
L’on se demande si Jean-Claude Juncker aurait rappelé, à sa mort, le fait que Pinochet était « un héros pour beaucoup ». Non. Fort heureusement, non. Pas plus qu’il ne l’aurait fait à la mort d’Erich Honecker, dirigeant de la RDA. Le mur de Berlin n’a pourtant fait « que » 250 victimes tout au long de son histoire (1600 pour le Rideau de Fer entre les deux Allemagnes) ! Mais Fidel Castro, lui, a droit aux mots « héros », « influence », « figure révolutionnaire »…
Le général Pinochet était aussi un héros pour « beaucoup ».
Il ne faut plus dire trop haut, désormais, que Castro était un tyran, un dictateur, un salopard de grande envergure : la Commission européenne vient de facto d’imposer le blackout sur les crimes, meurtres, violences, tortures, et agressions insupportables et permanentes contre les libertés les plus élémentaires à ses propres yeux. Un scandale. Une horreur.
Le fait que Castro était un héros pour « beaucoup » de gens (que représente ce « beaucoup » ?) n’a aucune valeur. Le dire revient à occulter l’idée qu’il était une ordure sanguinaire pour beaucoup d’autres. Et en particulier pour ses victimes, leurs amis, leurs descendants. Il y a bien d’autres ordures que beaucoup voient en héros, Herr Juncker ! Et pour qui vous n’auriez même pas envisagé de le relever. Mussolini, Pinochet, Lénine ou Mao en sont quelques-unes. Je vous épargne le nom de celui auquel je ne peux m’empêcher de penser, tant il revient à la mode. Mais dans tous ces cas, comme dans celui de Castro, cette adoration exécrable n’a qu’une place : l’oubli. Jamais un tel argument ne devrait jamais servir d’alibi pour servir la diplomatie.
Fidel Castro est mort. Un tyran est mort. On peut lui chercher toutes les excuses, on peut rappeler l’embargo américain (mais alors, il faut aussi évoquer l’expropriation des entreprises US dès son arrivée au pouvoir), parler de l’éducation pour tous (mais alors, il faut rappeler tous les interdits de cette éducation) et les énormes progrès médicaux cubains (mais non sans mettre en balance la paupérisation et la misère de masse). La conclusion de la vie de Fidel Castro ne changera pas : « un tyran est mort ». Point.
Erdogan, Orban, Sissi, Assad, Poutine et les autres « héros pour beaucoup ».
À l’heure où le Parlement européen vient d’appeler à suspendre les négociations d’entrée de la Turquie dans l’Union, notamment parce qu’elle ferme des journaux et enferme des journalistes, célébrer un régime qui n’a eu de cesse de verrouiller toute opposition, mais aussi tous les médias, et de rafler tout journaliste un peu critique, est une insulte intolérable envers le projet européen lui-même.
Que des imbéciles qui se pensent progressistes se soient laissés aveugler par un régime qui ne l’est en rien, libre à eux. Que des syndicalistes européens croient que Cuba est leur modèle, alors qu’ils y seraient pourchassés systématiquement, libre à eux. Que des partis d’opposition, soi-disant à la pointe de l’antifascisme, présentent Fidel Castro comme un héros de la liberté alors que ses actions auraient été qualifiées de fascistes par n’importe lequel de leurs adhérents s’il vivait là-bas, libre à eux.
Mais quand le texte solennel publié par le président de la Commission européenne ne se réfère qu’à ces crétins dévoyés, et enterre d’un coup de pelle des milliers de victimes et des millions d’exilés et de réfugiés, il achève et s’approprie l’œuvre de désinformation castriste qui, dans les années soixante, avait un temps convaincu une gauche en quête de héros. Hélas, si face aux horribles réalités, elle est en partie revenue de Fidel au pays des Merveilles, elle ne semble toujours pas disposée à considérer Castro et son régime pour ce qu’ils ont réellement été. Une horreur.
Pour toutes ces raisons, les condoléances de Jean-Claude Juncker à Fidel Castro sont impardonnables. C’est par ces gestes ignominieux qu’on tue, petit à petit, le rêve d’un continent où l’égalité, la liberté, les droits individuels sont des valeurs qui surpassent tout. Ici, elles n’ont pas dépassé la volonté de plaire à Raoul Castro et à sa famille. Et c’est un cadeau formidable aux régimes simplement populistes ou largement dictatoriaux d’ailleurs et d’ici — de la Turquie à la Pologne en passant par la Hongrie et l’Égypte — qui pourront, à l’avenir, rappeler à la Commission, qu’ils ne sont finalement pas pires que cette « figure révolutionnaire » qui fut, un jour, qualifiée de « héros pour beaucoup » par un dirigeant européen, dans un moment d’infinie lâcheté et d’oubli criminel.
Si vous préférez la libertad à la fabrication de héros, n’hésitez pas à contribuer à mon trabajo à raison d’au moins 2 €.
(Note : je n’accepte pas plus de 50€ par trimestre des mandataires politiques, quel que soit leur bord.)
(1) Mises à jour suite à une remarque partiellement pertinente du commentateur « Michel » ci-après. J’avais auparavant écrit « garde-côtes » au lieu de « fonctionnaires » et « militaires » alors qu’il n’est pas démontré que les assaillants l’étaient. Pour que chacun puisse se faire une idée, j’ai aussi ajouté le lien vers l’examen de l’affaire par la CIDH qui a condamné Cuba et validé les témoignages. Aucun des agresseurs n’avait été poursuivi par Cuba au moment de l’examen du dossier, ils avaient au contraire été présentés comme des héros.
74 Comments
Salade
novembre 26, 22:16marcel
novembre 27, 01:39L'enfoiré
novembre 27, 20:23Salade
novembre 26, 22:17Salade
novembre 26, 23:18marcel
novembre 27, 01:38Salade
novembre 27, 13:44marcel
novembre 29, 17:00Salade
novembre 29, 18:22Degenève
novembre 26, 23:26BHL l 'entarté
novembre 27, 00:04denis dinsart
novembre 27, 14:05moinsqueparfait'
novembre 27, 01:55Salade
novembre 29, 18:28Brozovic
novembre 27, 03:25act
novembre 27, 04:46marcel
novembre 29, 17:06Salade
novembre 29, 18:25X69X
novembre 29, 21:47moinsqueparfait'
novembre 30, 00:35Michel
novembre 27, 09:49marcel
novembre 29, 17:05moinsqueparfait'
novembre 29, 19:39L'enfoiré
novembre 27, 10:38marcel
novembre 29, 17:03X69X
novembre 29, 22:08marcel
décembre 06, 11:07L'enfoiré
novembre 27, 10:40marcdodinval
novembre 27, 11:41Tournaisien
novembre 27, 15:07Eridan
novembre 27, 16:52Salade
novembre 29, 18:29Capucineke
novembre 27, 17:12Capucineke
novembre 27, 18:35Capucineke
novembre 27, 18:57u'tz
novembre 27, 19:10José Fernandez
novembre 27, 20:55marcel
novembre 29, 16:57Marcx
novembre 27, 21:37Salade
novembre 29, 18:34u'tz
décembre 12, 00:05Nobels
novembre 27, 23:14marcel
novembre 29, 16:51Wallon
novembre 28, 09:28marcel
novembre 29, 16:51Degenève
novembre 29, 20:14mélanippe
novembre 28, 11:59marcel
novembre 29, 16:46u'tz
décembre 12, 00:13serge
novembre 28, 15:38Dagniau Marcel
novembre 28, 18:00marcel
novembre 29, 16:45MUC
novembre 28, 19:33marcel
novembre 29, 16:44MUC
novembre 30, 09:07marcel
décembre 06, 11:06u'tz
décembre 12, 00:19Michel
novembre 28, 21:02marcel
novembre 29, 16:30Salade
novembre 29, 19:01Wallimero
novembre 28, 22:57u'tz
décembre 12, 00:27Salade
novembre 30, 17:40u'tz
décembre 12, 00:28Salade
novembre 30, 20:05Salade
décembre 01, 14:35Capucineke
décembre 01, 20:47u'tz
décembre 02, 01:18Degenève
décembre 04, 23:36u'tz
décembre 05, 01:41Salade
décembre 05, 11:00u'tz
décembre 12, 00:01Didier Melin
décembre 06, 09:29Jo
décembre 28, 09:41