Les réseaux sociaux forcent le journalisme à sortir de son corporatisme (réponse à André Linard). MàJ et Erratum.
Erratum sur la fonction d’André Linard en note de bas de page.
Le 20 septembre 2016, sous le titre Le journalisme citoyen n’existe pas, André Linard, ex-secrétaire général du CDJ (Conseil de déontologie journalistique) publiait dans La Libre une carte blanche qui illustre l’arrogance — souvent involontaire — qui caractérise encore, en 2016, une partie du monde journalistique. Reconnaissant d’emblée que son titre était « excessif », André Linard expliquait son papier par son « profond énervement devant une certaine idolâtrie de la parole citoyenne, qui serait par nature libre et indépendante, alors que les journalistes, eux, seraient noyés dans le conformisme et la soumission à des intérêts mercantiles qui les dépassent. » Pas faux. Mais il en déduisait ensuite que « soit on s’exprime en tant que citoyen, soit on pratique le journalisme, ce qui implique un niveau d’exigence différent. »
Je pense au contraire qu’on ne peut se revendiquer journaliste-journaliste si l’on ne considère pas le journalisme comme un acte citoyen avant tout. Celui-là même qui instruit correctement, précisément et sans biais (mais non sans opinion) la population sur l’actualité récente. Or, ce journalisme est de moins en moins la règle, du moins sur les versions Internet des journaux.
André Linard fustige à juste titre l’effet de mode qui amène la presse à « idolâtrer » le « journalisme-citoyen ». Pourtant, bien plus que d’idolâtrer d’autres formes d’information, la presse est toujours idolâtre d’elle-même : elle est quelquefois bien loin de correspondre aux splendides normes revendiquées par André Linard. Au sortir de l’affaire Wesphael, il me semble d’ailleurs urgent de confronter la production journalistique sur cette affaire à la description du journalisme par l’ancien patron de la déontologie. Je cite : « le fondement du travail journalistique [qui] est la recherche et le respect de la vérité ». Bon…
Ce mot vérité, tant chéri par le journalisme, est décidément mal choisi. Et l’on peut comprendre que des citoyens n’y croient plus quand, sur une même page web, un grand quotidien national donne deux informations exactement contradictoires, ne prenant même pas la peine de modifier son premier article !
Comment redresser l’image du journalisme si l’on cède aux modes passagères ?
Les questions du citoyen sont nombreuses. Comment peut-on défendre que le journalisme offre de meilleures garanties que la rumeur des réseaux, si l’on cesse d’informer en toute indépendance pour avoir trop courtisé ceux qu’on est censé subvertir ? Comment redresser l’image du journalisme si l’on cède aux modes passagères — en donnant, par exemple, trop d’importance à des sujets qui ne concernent personne ou presque, comme le burkini ? Ou si on omet sciemment des informations pour ne pas heurter la sensibilité de certains ? Je pense par exemple à la présence d’un député de la majorité à une manifestation d’extrême droite.
Si André Linard reconnaît que la parole citoyenne est légitime, il conteste qu’elle ait « besoin de se qualifier de journalistique pour être pertinente. » D’accord. Mais qui a parlé de journalisme citoyen, sinon… des journalistes trop prompts à se précipiter dans un filon à la mode ? Qui répercute des opinions citoyennes, parfois sous forme de simples twits rapidement copiés-collés, histoire de fournir au lecteur un article trendy vite fait, sinon… des journalistes ? Qui prétend, sur base de cinq ou six réactions glanées à la va-vite sur les réseaux sociaux, qu’une polémique est en train de naître, créant un fait — déjà oublié par les twittos eux-mêmes —, à partir de rien ? Qui reprend à son compte, sans beaucoup de précautions, des chiffres tout droit venus de calculatrices de partis parfois (souvent ?) scandaleusement partisanes sinon… des journalistes ? Dois-je comprendre que la diatribe d’André Linard ne visait pas tant les soi-disant « journalistes-citoyens » que ceux des « journalistes-journalistes » qui ont oublié, ne fut-ce que temporairement, leur mission fondamentale ?
Le journaliste-citoyen est-il au journaliste-journaliste ce que le cordon bleu est au chef-coq ?
Voire. Car si André Linard reconnaît que « des citoyens se révèlent excellents dans cette activité [journalistique], par exemple sur leur blog » (merci pour eux), il s’empresse de fustiger ensuite une blogueuse qui, lors d’un colloque, aurait dit que la déontologie revenait simplement à ne pas mentir. C’est un raccourci certainement grossier, mais si au moins les journalistes commençaient déjà par là, ils auraient meilleure presse. Sur base de cet exemple, André Linard semble conclure en comparant le « journaliste citoyen » au cordon bleu qui fait sa délicieuse popote, mais n’est pas pour autant chef-coq professionnel. Nous y voilà !
L’ancien « président »(1) du conseil déontologique reconnaît pourtant, mais du bout des lèvres, que la contestation du monopole de l’information via les réseaux et les blogs a parfois ané à une critique juste, mettant toutefois cette évolution au passé. Je pense au contraire qu’elle amène toujours, et amènera encore à l’avenir à une critique qui, faute d’être toujours juste, est indispensable.
Tout comme le quatrième pouvoir (ou devrait-on dire quatrième devoir ?) critique les trois autres, il est sain que le citoyen reste attentif, constamment, à ce que la presse produit parce que, comme toute activité humaine, le journalisme est susceptible de commettre des erreurs. D’abord dans le choix éditorial, qui peut tronquer la réalité — je pense par exemple aux multiples couvertures islamophobes de Valeurs Actuelles, mais aussi d’autres journaux moins radicaux ; à la relégation du drame d’Haïti au profit d’un fait divers pour la simple raison qu’il implique une victime journaliste et un prévenu politicien, satisfaisant ainsi une populace toujours prompte à se passionner pour un scandale qui implique des personnalités publiques.
Aujourd’hui, c’est d’abord à la presse de se remettre en question.
Ensuite, il y a une critique à mener en permanence du traitement de l’information journalistique, où certaines réalités dérangeantes peuvent être masquées, souvent de bonne foi. Enfin, les détails erronés susceptibles d’apparaître dans n’importe quel article ne font toujours pas l’objet d’un erratum, ce qui provoque la défiance des lecteurs. Oui, s’il faut une remise en question aujourd’hui, c’est aussi ou même d’abord de la presse qu’on l’attend.
Et je précise que le soi-disant « journalisme-citoyen » n’est pas une alternative à la presse : il y puise ses informations, peut-être avec un point de vue plus critique que celui du citoyen lambda. Ce « journaliste-citoyen » reste donc l’allié objectif du journaliste-journaliste. Car il a aussi intérêt à ce que la presse corresponde le plus souvent possible à l’image qu’elle se donne dans ses grands discours. Bref, l’un n’existe pas sans l’autre.
C’est d’ailleurs ce que l’ex-secrétaire (1) général du CDJ semble ne pas vouloir admettre en concluant son article par un paragraphe choquant. André Linard y assimile « à de rares exceptions près » le « journalisme-citoyen » à des forums qui appellent « à la haine, au racisme, à la violence », non sans fustiger « certains médias [qui] se complaisent à […] relayer [leur] violence » concluant sur cette base « n’est pas journaliste qui veut ».
Ce faisant, il jette l’opprobre sur un mouvement citoyen qui compte de très nombreuses voix qui, justement, s’opposent à ce racisme, à cette haine et à cette violence. Ce sont aussi ces voix qui constatent, atterrées, que les forums de bien des journaux ne sont toujours pas modérés. Que des messages de haine y fleurissent. Qu’ils ont de plus souvent recours aux titres « pute-à-clics ».
Le citoyen a pris la parole, il ne la rendra pas.
André Linard devra pourtant s’y résoudre : aujourd’hui, grâce aux (ou à cause des) réseaux sociaux, le citoyen a pris la parole. Il ne la rendra pas. Parmi les dames et les quidams qui s’expriment sur Twitter, Facebook, les blogs, il y aura toujours ceux qui le feront avec honnêteté et ceux qui profiteront de la distance que permet l’écrit pour vomir insultes et messages haineux. Mais ce n’est pas parce que la lie a pris place au fond du vin qu’il faut jeter la bouteille.
À moins qu’il ne s’agisse de ce vieux corporatisme qui mine aujourd’hui encore la crédibilité du journalisme. Ainsi, lorsque, sous un article d’un journal sérieux, plusieurs internautes démontrent que celui-ci contient une ou plusieurs erreurs, rares sont aujourd’hui les journalistes qui corrigent et font amende honorable. Rares, même, sont ceux qui lisent. Comme si l’article pondu était définitif. Ou comme si la voix du peuple n’était pour eux qu’un vague brouhaha sans intérêt qu’ils dominent de haut, tout imbus de leur sacro-sainte vérité. L’urgence est peut-être d’abattre ce piédestal !
Dans un temps où la presse perd des plumes à chaque nouvelle étude CIM, où elle lâche de plus en plus souvent ses principes pour tenter de préserver son lectorat, les défis ne manquent pas pour le journaliste-journaliste. Parmi ceux-ci, il y a la façon d’intégrer l’évolution technologique qui le met parfois en concurrence avec le journaliste-citoyen. Certes, ce terme est mal choisi, mais admettons qu’il traduit une réalité dont les journalistes et les déontologues feraient bien de débattre ouvertement, plutôt que de la rejeter par des procès faciles et des amalgames vite emballés.
Et à propos de l’engouement de la presse pour le journalisme citoyen, je le conteste absolument : cette année, un seul de mes articles a été publié dans un journal de grande audience (La Libre, en l’occurrence), et je n’ai pas été invité une seule fois à m’exprimer sur ce satané « journalisme-citoyen ».
Bien sûr, André Linard est une personnalité honorable et vénérable qui a connu tous les aspects du travail journalistique. Mais de l’intérieur. Il est peut-être temps de sortir de ce corporatisme que le citoyen ne comprend plus. La question n’étant pas de savoir si les citoyens savent se transformer en journalistes, mais bien comment les y aider, les soutenir, les intégrer, le cas échéant, au paysage médiatique, et comment les médias peuvent gérer une situation inédite qui doit susciter la méfiance dans bien des cas. Mais aussi l’enthousiasme que mérite l’émergence d’une nouvelle forme, libre et populaire, d’opinion.
Signé Marcel Sel, journaliste ou citoyen (à vous de choisir).
(1) Dans le corps du texte, j’avais qualifié André Linard de président à deux reprises. Comme indiqué à la première ligne, il en fut bien le secrétaire-général et non le président.
Petite explication de comment bien se planter : n’ayant pas trouvé la structure du CDJ sur le site (c’est un menu tout en haut, à cliquer), j’avais un peu vite conclu qu’il n’y avait pas de titre de président du CDJ. Partant de là, j’avais sciemment utilisé le mot président comme synonyme de secrétaire-général : celui qui préside aux destinées du CDJ. Mais je pensais ne l’avoir fait qu’une fois et j’espérais que le lecteur, ayant pris connaissance du premier paragraphe, comprendrait qu’il s’agissait d’un synonyme et non d’un titre.
En fait, j’avais utilisé président deux fois dans le texte, et le synonyme n’est pas passé comme tel (des guillemets eussent donc été un minimum) et surtout, il m’avait échappé que ce titre qualifiait celui qui préside le Conseil lui-même, aujourd’hui Marc De Haan qui est de surcroît directeur-général de BX1 où j’expertise ma non expertise dans les Experts. Je n’aurais donc pas dû oublier qu’il y avait un président au CDJ ! Quel manque de confraternité ! Quel oubli des faits !
Marc De Haan, qui est donc l’actuel président du CDJ m’a donc gentiment remonté les bretelles en me rappelant le devoir de vérité, héhé. Après avoir tout bien vérifié et constaté que j’étais dans l’erreur, j’ai donc corrigé les deux instances de président en secrétaire général comme tout journaliste-journaliste le ferait. Et comme tout citoyen-journaliste ou journaliste-citoyen devrait le faire, j’ai ajouté ce paragraphe explicatif pour garder une trace de ma double bévue, et modifié le titre afin que la correction apparaisse clairement et incite le lecteur à en être informé. Une façon de rappeler que les blogs aussi assument leurs responsabilités.
P.S. : Je dis souvent que mes lecteurs sont mes rédacteurs en chef. CQFD : parfois, ils sont même président !
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moinsqueparfait'
octobre 08, 19:33vince001
octobre 11, 07:53marcel
octobre 13, 20:34vince01
octobre 14, 10:04Salade
octobre 08, 22:24Pfff
octobre 09, 14:17marcel
octobre 10, 08:22Salade
octobre 09, 19:52marcel
octobre 10, 08:17Salade
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octobre 10, 10:53moinsqueparfait'
octobre 10, 09:29Salade
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octobre 14, 10:38Salade
octobre 14, 15:40denis dinsart
octobre 15, 14:44denis dinsart
octobre 15, 14:47Renal de Waterloo
octobre 24, 10:35moinsqueparfait'
octobre 14, 23:20moinsqueparfait'
octobre 16, 19:57Rivière
octobre 11, 19:06Pfff
octobre 12, 16:34