Quand la retraite des députés ne dépote plus, faut pas dépiter les salariés.
En grande pompe, et très fier de lui, le président de la Chambre Siegfried Bracke (N-VA) a annoncé un profond changement de la retraite des députés belges. Ils ne pourront désormais plus partir qu’à 65 ans (et à 67 ans en 2030), et devront avoir 45 ans de service dans un ou plusieurs de nos nombreux parlements pour prétendre à une retraite complète. Problème, la décision n’a pas été prise après un débat dans nos parlements et un vote, mais de façon assez peu démocratique, par un accord entre présidents.
Et surtout, ce recul de l’âge de départ ne concerne aucun des parlementaires qui siègent aujourd’hui ou ont siégé par le passé. En pratique, seuls les nouveaux élus (à partir de 2019, donc) devront partir à l’âge légal pour tous.
Siegfried Bracke a le culot de justifier cela par le fait qu’on ne change pas l’âge de la retraite et les avantages déjà promis aux députés en place. Cette logique est exactement à l’opposé de celle que sa majorité a imposée aux 4,5 millions d’autres travailleurs, pratiquement sans exception : ceux qui ont connu les régimes de pension précédents voient en effet l’âge de leur retraite reculer — celui ou celle qui pensait pouvoir partir à 62 ans a appris brusquement qu’il devrait travailler jusqu’à 65, 66 ou 67, selon son âge. Et le bonus pension s’est envolé.
Cette mesure privilégie donc les parlementaires actuels qui, eux, préservent leurs droits à une retraite à 55 ou 62 ans. Un double langage dur à avaler dans la société en crise. Un affront.
Le privilège qui tue.
On revient néanmoins d’encore plus loin : jusqu’en 2014, les parlementaires bénéficiaient d’un super banco : ils pouvaient partir à la retraite à 55 ans, et s’ils avaient passé 20 ans dans un parlement, ils bénéficiaient d’une retraite complète maximale (globalement entre 3 000 et 4 000 € nets par mois). De quoi faire rougir l’employé ou l’indépendant qui, après plus de 40 ans de carrière, dépasse à peine les mille euros et voit aujourd’hui sa carrière nécessaire s’allonger brusquement.
Au contraire, à 55 ans, après une seule législature de 4 ans (à l’époque), le parlementaire d’avant 2014 pouvait déjà espérer une retraite brute de quelque 1100 euros (1/5e d’une retraite complète de 5 400 € par mois). En net, ça fait à peu près pareil, on est sous le minimum imposable. En gros, vous travailliez normalement jusqu’à 51 ans, vous vous faisiez élire, et quatre après, youpie, la quille ! Même si c’était une assez petite quille.
C’est le gouvernement Di Rupo (socialistes, centristes et libéraux) qui a mis fin à ce privilège trop voyant en ces temps difficiles pour tant de Belges, passant de 55 ans à 62 ans (l’âge normal de la retraite pour tous à cette époque) et imposant 36 ans de carrière au Parlement pour obtenir une retraite complète. Sachant que peu de politiques passent autant de temps sur leurs strapontins — Laurette Onkelinx, ciblée par Siegfried Bracke, n’en est qu’à 29 ans. Mais déjà au moment de cette réforme, seuls les nouveaux députés — ceux qui n’avaient jamais siégé avant 2014 — étaient concernés par le recul de l’âge de la pension. À noter toutefois qu’à l’époque, il n’était pas question de reculer l’âge de la retraite pour la population.
Le superbanco banque encore.
Pour qu’on comprenne bien, ces deux réformes signifient qu’un-e député-e qui siégeait depuis 10 ans en 2014 et siège toujours au Parlement aujourd’hui, a gardé le droit de prendre sa retraite à 55 ans. Mais le calcul est un rien plus complexe : il ou elle ne touchera que 10/20e (les 10 ans de la situation précédente, retraite complète pour 20 ans de service) plus 2/36e (2 ans sous le nouveau régime, depuis 2014 : retraite complète pour 36 ans de service).
Autre exemple. Si la mesure des 45 ans s’appliquait dès ce mois-ci (les textes ne sont pas encore définitifs) et que le ou la parlementaire prenait sa pension en 2019, il ou elle toucherait alors 10/20e (jusqu’en 2014) plus 2/36e (jusqu’en 2016) plus 3/45e (de 2017 à 2019 inclus). Pour une retraite brute complète de 5 400, ça nous donnerait 3 733 € bruts/mois. Ce(tte) député(e) aurait une franche bonne pension, mais serait loin d’une retraite de parlementaire complète comme celle des vieux de la veille, pour laquelle il faut désormais avoir été élu-e 9 fois, ce qui est rarissime. Il ou elle serait même loin du maximum possible pour un-e haut-e-fonctionnaire, d’environ 6 200 bruts par mois, sauf cumul, bien sûr.
Il y a donc bel et bien une réduction de la pension de tous les députés qui n’avaient pas 20 ans de service en 2014. Cela dit, il ne serait pas possible de réduire une pension déjà entièrement constituée, même s’il n’a fallu que 20 ans pour l’obtenir à l’époque. En même temps, le droit de partir à 55 ans est préservé pour plus de la moitié des députés fédéraux, et celui de partir à 62, pour tous !
Notons que ce droit n’est pas une obligation. Le fait est que nos « grand-e-s » député-e-s d’antan n’ont pas souvent tiré profit du vieux système. Ainsi, l’un des rares parlementaires qui pourraient aujourd’hui justifier 45 ans de carrière dans nos aréopages est Herman De Croo (Open VLD) — un recordman. Il est né en 1937 et en poste depuis 1968, excusez du peu. Selon les règles en vigueur avant 2014, il pouvait déjà partir à la retraite en 1992 (il y a un quart de siècle !) avec, dans la poche, une pension complète maximale. Les années qu’il a passées depuis au Parlement n’ont pas augmenté sa retraite d’un iota. Il a donc fait usage de ce droit excessif en bon père de famille.
Bien sûr, son revenu de député reste très supérieur à celui de la pension maximale autorisée (vers les 6 200 euros) et l’on peut dire qu’il en a tiré le meilleur profit. Mais on peut aussi mettre sa ténacité sur le compte du virus de la politique que l’on dit résistant, et même héréditaire, dans la famille De Croo. À vérifier…
Antisocialist tot in de kist.
Mais même s’il disposait de cet exemple magistral dans sa propre majorité, Siegfried Bracke a plutôt, et avec délectation, pris l’exemple de Laurette Onkelinx (PS) sur les ondes, histoire probablement de rappeler qu’elle est en place depuis des lustres et de faire croire que ça se passe comme ça (uniquement) chez les socialos. Laurette fait pourtant figure de débutante face à Herman. Née en 1958 et mandataire depuis 1987, elle aurait en effet pu prendre sa retraite en 2013, sachant qu’elle avait rempli son quota-pension dès 2007 et qu’elle avait l’âge requis. Elle non plus n’a pas souhaité raccrocher à 55 ans. Là aussi, un virus politique traînerait dans la famille.
Histoire de faire preuve d’élégance, Bracke aurait aussi pu chercher un exemple dans son propre parti – moins concerné. Karim Van Overmeire, ex-député Vlaams Belang passé à la N-VA, a commencé à la Chambre en 1991, pour siéger ensuite sans interruption au Parlement flamand, dès 1995. Né en 1964, il n’aura 55 ans qu’en 2019, mais de 1991 à 2011, il avait déjà couvert la carrière nécessaire pour une pension complète. Il peut donc joyeusement profiter du privilège dans trois ans. Cela dit, il est plus probable qu’il reste lui aussi. Pourvu qu’il soit réélu.
Ou alors, Bracque aurait pu évoquer Geert Bourgeois, ex-président de la N-VA et ministre-président flamand, député et/ou ministre depuis 1995, né en 1951. Il pouvait quitter le monde du travail politique en 2006, mais avec seulement une demie-pension (11 ans sur 20). S’il partait aujourd’hui, il aurait une retraite quasi complète. (19 ans sur 20 sous l’ancien régime et 2/36e sous le nouveau). À noter aussi que ses activités précédentes pouvant se cumuler, il est probable qu’il soit déjà au plafond-retraite. Là aussi, la bactérie du pouvoir est donc bien résistante.
Les privilégiés chambrés.
Mais voyons les autres, moins connus, et parfois en place pour cinq ans seulement. Si l’on se penche sur la seule Chambre des Représentants, un tiers des députés est là depuis au moins 2007 et a d’office 7/20e et 2/36e, soit 2 200 € brut de retraite constituée. D’ici la fin de la législature, ils auront dépassé le plafond du privé et pulvérisé celui des indépendants. Déjà pas mal.
Toutefois, la moitié des députés fédéraux actuels n’a pas eu de mandat à la chambre au cours des deux législatures précédentes. Quoique certains viennent d’un parlement régional ou communautaire, ou du Sénat, ou ont déjà eu un mandat auparavant. En clair, moins de la moitié de nos représentants fédéraux actuels est donc concernée par la réforme de 2014 et ne pourront partir qu’à 62 ans (comme tout citoyen).
Rien qu’à la chambre (150 députés), en trois législatures, c’est en fait la bagatelle de 350 députés qu’on a vu défiler. De ceux-là, 275 ont droit à la retraite à 55 ans, 75 attendront 62 ans, et aucun ne devra patienter jusqu’à 67 !
Au final, le changement est au niveau du portefeuille : ceux qui sont en poste depuis moins de 20 ans ne pourront plus compter sur une retraite aussi généreuse par rapport aux années accomplies. Laurette Onkelinx, Herman De Croo et Karim Van Overmeire s’en fichent : leur retraite est déjà au maximum. Mais même Siegfried Bracke — soyons justes — y perdra : il n’a accompli qu’un cinquième de son parcours sous le régime 20 ans (de 2010 à 2014), et une raouette sous le régime à 36 ans (de 2014 à 2016 inclus). Ayant 55 ans depuis 2008, il peut partir à la retraite quand il veut. Mais elle serait plus maigre. Même si ses 29 ans à la VRT doivent aussi valoir leur pesant de cacahuètes, il n’a clairement pas élaboré le nouveau système à son bénéfice.
La démocratie dépitée ?
Tout cela étant dit, il reste la nécessité pour toute démocratie de s’assurer la présence d’un maximum de talents en politique. Et la rémunération est, jusqu’à un certain point, un critère de recrutement de bon personnel. Les salaires de nos dirigeants et représentants restent peu attractifs par rapport à ceux du privé. Dans ce cadre, une retraite plus avantageuse (deux à trois fois celle du privé) est évidemment un plus. Même si, comme les retraites sont imposées, au final, ils n’auront pas beaucoup plus que 3 000 à 3.500 euros net par mois. Confortable, luxueux, mais pas nabab. Bref, c’est un incitant comme un autre.
Mais l’argent est-il l’incitant idéal ? On peut se demander si les partis qui demandent à leurs députés de rétrocéder une partie importante de leurs émoluments sont si dépourvus de talents, ou si leurs représentants sont au contraire plus motivés par le bien public que par l’argent qui va avec la fonction. Sauf que, parfois, à l’arrivée, cet engagement provoque de véritables cas de détresse qui donnent une toute autre image du député. C’est le cas, par exemple, chez Ecolo. Un parti où l’on constate qu’après une législature, certains anciens mandataires ont carrément du mal à retrouver du travail.
C’est là que l’on découvre qu’une étiquette politique, même verte (!), peut être un frein à l’emploi ! De quoi se demander ce qui traîne dans la tête de certains employeurs. C’est de là qu’est née l’idée d’un droit au chômage pour anciens députés. Après tout, ils ont travaillé pour le bien commun, il est inadmissible qu’ils le paient en tombant sous le seuil de pauvreté. Et sur cette mesure peut-être plus importante que la retraite (mais moins populaire), Siegfried ne s’est pas braqué : ce droit est désormais prévu dans le lot de nouvelles mesures.
Si on peut râler parce que nos élus ont une (très) bonne retraite et parce que Bracque a eu des mots pour le moins maladroits envers les salariés et a forcé sur le PS, force est de reconnaître que d’autres points de la réforme vont dans le bon sens. Même s’ils n’ont pas autant fait parler d’eux. Comme quoi notre Siegfried peut se trouver, selon les jours, d’un côté ou de l’autre de la célèbre ligne. Non pas celle qui séparait les Allemands des Français. Mais celle qui sépare l’affront de la justice.
N’hésitez pas à contribuer à la constitution de mon complément de retraite d’indépendant à raison de deux euros minimum !
15 Comments
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septembre 17, 01:18Rivière
septembre 17, 11:44Georges-Pierre Tonnelier
septembre 17, 12:21Philippe
septembre 19, 09:46guypimi
septembre 19, 11:40Dominique
septembre 19, 20:39François
septembre 20, 21:16Renal de Waterloo
septembre 21, 08:17Salade
septembre 21, 12:23Salade
septembre 22, 17:30Salade
septembre 22, 18:49Salade
septembre 23, 14:03Salade
septembre 24, 16:32Salade
septembre 26, 11:10vince001
septembre 26, 07:17