Dossier niveau 4 : c’est parce que le gouvernement refuse le débriefing qu’il faut le faire.
Alors que le pays vaque déjà à d’autres occupations, il en oublierait presque que pendant cinq jours, il a flippé suite aux mesures d’une ampleur inédite en Belgique, alors qu’on ignore toujours la nature réelle de la menace qui les a causées. Or, ce débriefing est indispensable. On doit savoir si la prise en otage des Bruxellois, et le vent de panique qui n’a fait qu’aggraver la piètre qualité de notre image à l’étranger, étaient justifiés.
Tout a commencé à Paris, le 13 novembre. Beaucoup de Belges, habitués des chaînes françaises, étaient restés médusés devant leur poste de télé jusque tard dans la nuit, quand une poignée de terroristes ont froidement exécuté 130 personnes. Ils apprendraient bientôt que la Belgique avait joué un rôle crucial dans ces attentats, en tant que base arrière, résidence de terroristes, zone de caches, plaque tournante d’armes et d’explosifs, ou encore, plateforme de radicalisation.
En Belgique, l’alerte est passée en niveau 3 le 16 novembre. Jan Jambon a déclaré que ce niveau ne baisserait pas « tant que Salah Abdelslam ne serait pas retrouvé ». Exactement une semaine après les attaques à Paris, c’est aux Bruxellois qu’on a annoncé qu’un attentat était « imminent ». D’emblée, le premier ministre Charles Michel évoquait un risque grave et surtout immédiat d’une attaque coordonnée, comme à Paris. Le Soir révélait cependant qu’on recherchait deux terroristes, dont un équipé d’une bombe. On suppose qu’il s’agissait de la ceinture d’explosif que Salah Abdelslam n’avait pas actionné à Paris. De fait, le niveau d’alerte s’est brusquement détendu lorsque cette ceinture a été retrouvée !
Didier Reynders a bien évoqué une dizaine de terroristes. Pourquoi le nier ?
Quelques jours plus tard, le même Jambon expliquait que retrouver Salah Abdelslam ne serait pas une condition suffisante pour redescendre au niveau 3 et Didier Reynders déclarait sur la chaîne américaine ABC qu’on recherchait en fait dix terroristes prêts à agir à Bruxelles. Après s’être offusqué de la simplification de son message par la chaîne US (qui avait omis dans un tweet de préciser que ces terroristes n’étaient pas forcément en Belgique…), c’est le même Reynders qui, sur Canal Plus, relançait la même théorie, évoquant « une dizaine, [ou] un peu moins, [ou] un peu plus » de terroristes.
Malgré les dénégations incompréhensibles du premier ministre le dimanche à la RTBF quant à ces déclarations, une dizaine de terroristes, c’est bien le minimum nécessaire pour monter une opération telle que Charles Michel l’avait décrite dès la première conférence de presse. Il faut des exécutants, mais aussi des préparateurs, un organisateur, des fournisseurs d’armes, des planques et les Jawad d’occasion, des convoyeurs, des logisticiens, etc. Dix, ce n’est qu’un strict minimum.
Mais on peut se demander si cette version de la « dizaine » de jihadistes ne contredit pas les événements, ou les déclarations du ministre de l’Intérieur. Car dix jours après l’alerte, la police fédérale n’a toujours arrêté que des seconds couteaux, sauf info contraire encore cachée au public. Ce sont principalement des gens qui ont convoyé Salah Abdelslam ou qui lui ont fourni une cache.
Les « vrais » terroristes, à savoir les exécutants, seraient donc — dans la version « dizaine » — toujours dans la nature. Pourtant, le niveau d’alerte est redescendu à trois ! Et tout ça, sans compter une « troisième » version qui a circulé, celle du frère d’Hasna Aït Boulahcen, la jeune femme qui a péri dans l’assaut à Saint-Denis. Il a en effet été écrit que ce Hassan Aït Boulahcen, résidant à Maasmechelen, avait réuni une dizaine de quidams pour venger sa sœur en s’en prenant à des intérêts français.
Il faut huit mois à la justice belge pour mettre un bracelet électronique à un (futur) terroriste.
Alors, deux ? Une dizaine ? Plus ? Avec ou sans Salah ? Le frère vengeur ou pas ? On ne sait pas. Mais les terroristes, eux, savent exactement quelle partie de leur réseau a été démantelé : les noms de presque toutes les personnes incuplées sont publics. Jusqu’ici, une seule d’entre elles, Ahmed Dahmani, chopé en Turquie, semble être un gros poisson. Et à lui tout seul, le symbole du dysfonctionnement belge : il a fallu à la justice belge huit mois (!) pour lui mettre le bracelet électronique auquel on l’avait condamné. Huit mois ! Et après s’être promené un peu partout en Europe sans que ça ne dérange personne, il s’est tranquillement évadé en Turquie quelques jours avant le passage des condés qui allaient le rendre traçable.
Une belle preuve d’impéritie et d’incompétence, de foirage, d’absence d’investissement, de cafouillage et que sais-je. Et là, il y a la première question du débriefing : le « Belgian bashing » est-il justifié ? Le gouvernement a déjà répondu que non. Et Didier Reynders a même été chargé de communiquer cette bonne parole à la planète médusée.
Cette question s’ajoute à une avalanche d’autres interrogations auxquelles il semble aujourd’hui exclu de répondre, parce que Charles Michel est en mode « tout est parfait, on est formidables » et ne veut lâcher aucun détail : l’enquête en pâtirait, dit-il. Probablement, mais il y a tout de même un moment où l’enquête commence à avoir bon dos. Du reste, elle n’a apparemment pas pâti du fait qu’on a tonitrué très rapidement qu’on cherchait Salah Abdeslsam à Molenbeek, qu’on le savait en Allemagne, qu’on avait retrouvé son gilet explosif. Ou du fait que la police fédérale a livré le nom d’un suspect recherché par les polices françaises qui avaient bien insisté pour qu’on ne le révèle pas…
Aujourd’hui, ce gouvernement demande aux journalistes, à l’opposition, à la population, d’approuver son attitude, et même de le féliciter, sans lui donner la moindre information sur la menace elle-même, ni la moindre réponse aux innombrables questions laissées en suspens par une semaine de terreur sans objet apparent.
L’économie bruxelloise a-t-elle été mise à mal pour 2, 10 ou 20 terroristes présumés ?
Quelques-unes de ces questions : s’il s’agissait bien d’une dizaine de terroristes, pourquoi avoir nié que Didier Reynders l’ait dit ? En quoi le révéler menaçait-il encore l’enquête après l’avalanche de perquisitions du dimanche 22 novembre ? Pourquoi veut-on cacher (et pourquoi aussi maladroitement) cette information ?
Qu’est-ce qui a fait baisser la menace brusquement trois jours après les perquisitions du dimanche ? Pourquoi a-t-on rouvert les écoles le mercredi, si on pensait toujours la menace imminente ? Comment a-t-on libéré si rapidement les forces de police nécessaires pour surveiller ces écoles, alors qu’elles manquaient encore la veille ? Pourquoi l’alerte a-t-elle brusquement baissé le jeudi ? A-t-on simplement constaté que la menace avait été surestimée ?
Ou encore : qu’est-ce que Salah Abdelslam, avait en commun avec cette attaque planifiée ? Pourquoi avoir trimbalé son frère de studio en studio pour l’appeler à se rendre ? Pourquoi avoir déclaré que l’alerte serait maintenue au niveau 3 tant qu’Abdelslam serait introuvable ? Était-il à lui seul suffisamment menaçant pour immobiliser un million de personnes et stopper net l’économie bruxelloise, noyer son tourisme pour quelques mois ?
Est-ce un hasard si la situation s’est brusquement détendue quand il est apparu que Salah Abdelslam avait quitté le pays ? S’il s’agissait de dix autres terroristes, ont-ils quitté la Belgique aussi ? A-t-on une idée de leur localisation ?
Les cibles changeantes n’ont pas aidé.
Qu’est-ce qui a permis aux enquêteurs de penser que seuls les centres commerciaux étaient visés ? Pourquoi certains ont-ils laissé entendre que les transports en commun l’étaient, alors que d’autres ont affirmé par la suite qu’ils ne l’étaient pas ? Quel rôle a-t-on attribué au frère d’Hasna Aït Boulahcen, cousin d’Abdelhamid Abaaoud, dont on a dit qu’il était préparait quelque chose et dont on a brusquement cessé de parler ?
Est-il vrai que certaines informations cruciales provenaient du Maroc ou de Turquie, et que ces pays sont aujourd’hui mieux informés des mouvements de jihadistes dans nos pays que nos propres services ?
Et bien sûr, pour plus tard : la Sûreté de l’État et la police fédérale ont-elles été à la hauteur ? Ont-elles suffisamment d’équipement ? Les effectifs sont-ils suffisants en vertu des défis que nous ont lancés les Daéchiens ? Pourquoi le gouvernement a-t-il initialement réduit le budget de la sûreté, après l’attentat du musée juif ? Quand aurons-nous une vraie équipe de surveillance des sites jihadistes ? Etc.
Je n’ai pas les réponses à ces questions. Quand on les pose aujourd’hui, on nous répond que tout va extrêmement bien, qu’on a la meilleure police du monde, que le gouvernement a été extrêmement rapide, performant, qu’il a fait des choix excellentissimes. Seulement, voilà, on vit en démocratie, et cela signifie qu’il nous est interdit de croire un gouvernement sur parole. Cela implique que, comme dans les autres pays d’Europe — France en tête — il nous faut plus de réponses.
Elles sont en suspens. À la chambre, l’opposition a visiblement mis la pédale douce sur le sujet. Or, on ne peut pas lâcher une équipe gouvernementale qui est parvenue à imposer un black-out à la presse et un lockdown des réseaux sociaux. Une telle autocensure demandée et obtenue par le gouvernement impliquait des explications ultérieures, faute de quoi, il prend le risque qu’on la lui refuse la prochaine fois.
Jan Jambon a remercié, dès le lundi 23, les médias et les réseaux sociaux pour avoir « obéi ». Ce choix de mot est terrible, inacceptable : nous n’avons pas « obéi ». Jamais ! Nous avons choisi ! Et c’était conditionnel. Les journalistes et les internautes ont fait leur part du deal. Ils attendent du gouvernement qu’il fasse la sienne.
En attendant que les médias aient le temps de le faire en profondeur, cette fin de semaine sera celle de mon débriefing, encore à tâtons, encore plein de zones d’ombre, pour qu’on n’oublie surtout pas d’y revenir plus tard.
Je publierai les articles progressivement. Les liens seront actifs au fur et à mesure des publications.
Paniekvoetbal : le jour où la N-VA a fermé Bruxelles.
18 mesures N-VA et des dizaines de questions.
Disneyland-Jihâd.
Quand Molenbeek se faisait du Moureaux.
Le déni, de Molenbeek au Juste-Lipse.
12 Comments
Raymond Peeters
décembre 04, 06:44u'tz
décembre 09, 03:51Renal de Waterloo
décembre 04, 09:48Degenève
décembre 05, 10:28u'tz
décembre 07, 00:37Eridan
décembre 04, 13:42Lison
décembre 04, 17:16moinsqueparfait'
décembre 04, 23:24Evgeni
décembre 05, 17:33wallimero
décembre 08, 00:09VILLERS Yves
décembre 08, 12:53u't z
décembre 08, 15:49