Exclu : Le gros mensonge d’Uber fâche Pascal Smet.
Pascal Smet a remonté les bretelles de Filip Nuytemans, le représentant d’Uber à Bruxelles. Ce dernier a en effet été un pont trop loin, hier, dans La Libre, en impliquant le ministre dans son raisonnement, laissant penser que celui-ci avait passé un accord avec Uber pour une pratique qui a tous les aspects de l’illégalité.
Hier, je vous racontais que le « patron d’Uber Belgique » avait affirmé que « le ministre Pascal Smet [avait] donné son accord » au principe que les chauffeurs de « voitures louées avec chauffeurs » pouvaient, avec un simple contrat de plus de trois heures, rouler à volonté pour Uber X.
Or, le principe de la location de voiture avec chauffeur (ou LVC, concept règlementé à Bruxelles, souvent en limousine) implique notamment qu’elle ne peut ni stationner sur la voie publique, ni même rouler hors service (elle doit donc être dans un garage tant qu’un client ne l’a pas appelée et ne peux apparemment pas servir à des fins personnelles, par exemple.) Elle ne peut être commandée que pour un minimum de 3 heures à 30 € l’heure. Elle doit offrir un minimum de luxe particulier (on m’a parlé d’un véhicule valant au moins 40.000 €). Et, pour toute location, un contrat doit être signé au préalable, qui ne peut être réglé qu’après réception de la facture au domicile ou au bureau du client. Sans compter les autorisations nécessaires de l’entreprise qui offre ce service.
Le principe est donc clairement que chaque client (usager, donc) doit utiliser la voiture pendant au moins trois heures, ou du moins régler au moins 90 €. Cela exclut de toute évidence une course isolée à 15 €, par exemple.
Dans la réalité, les services de limousine (parce qu’il s’agit donc bien d’un service de luxe complémentaire, non-concurrent des taxis) sont autorisés à saucissonner les 3 heures et, par exemple, à faire plusieurs courses pour un même client, à des moments différents, pourvu qu’on ait 3 heures au total et, bien sûr, en principe, un minimum de 90 €. Mais les forfaits (chers) entre gares bruxelloises et hôtels, ou vers l’aéroport sont tolérés. On parle tout de même d’une quarantaine d’euros pour aller du Midi au Métropole, par exemple.
Comme toujours, Uber interprète la loi et les règles selon son propre code, dont l’article un est « quoique dise la loi, nous sommes au-dessus », l’article deux « payons nos avocats très cher pour justifier nos contournements de la loi », l’article trois « et quand nous serons condamnés, comme nous sommes à la fois techno, bobo et babacool, nous convaincrons le public que c’est la loi qui est mal faite, puisqu’elle n’est pas adaptée à Uber ».
Par exemple en lançant une pétition « populaire », pour laquelle Uber a un système standard, déjà utilisé à Londres, Amsterdam, Genève ou Bruxelles, sans vérification de l’email, ni du nom du signataire. J’ai ainsi pu signer la pétition Uber à Bruxelles sous le nom de Jean Valjean ou d’Astérix Obelix, avec des adresses fantaisistes, ou au nom de Pipi Caca, en France, avec un code postal à… six chiffres. (Voir les exemples au bas de l’article). Bref, le concept même de la World Company qui dicte ses lois soi-disant libérales aux politiciens en prétendant représenter la population sans présenter la moindre preuve réelle de cette représentation. Une des méthodes Uber pour tordre le bras aux politiciens en prenant les « usagers » à témoin.
Au passage, Uber revendique 50.000 utilisateurs. En 2014, elle payait 10.000 euros d’impôts. Mettons qu’il n’y avait que 20.000 utilisateurs à ce moment-là, ça nous ferait une moyenne de 0,5 par utilisateur, sachant qu’on ose imaginer que certains d’entre eux sont assez réguliers (j’en connais qui uberisent tous les jours). Voilà.
Uber détourne donc à nouveau le service prévu par l’ordonnance, mais en plus, elle met ça sur le dos du ministre ! Suite à mon article d’hier, le ministère a réagi rapidement, en m’affirmant que « rien [n’a été] autorisé, Uber n’a pas demandé l’autorisation pour commencer à exercer [en tant qu’] Uber X ». Pascal Smet a donc bien été mis devant le fait accompli et le fait qu’Uber utilise son nom pour se justifier l’a apparemment bien énervé. « Nous avons dit à Nuytemans notre façon de penser » m’a-t-on expliqué.
Et donc, Uber a bien décidé de son propre chef qu’Uber X était légal, se basant sur une certaine souplesse dans l’interprétation du règlement imposé aux voitures avec chauffeurs, avec l’accord des ministres successifs. Ces derniers ont alors pris soin de s’assurer que ces services ne concurrençaient pas déloyalement le secteur des taxis, conformément au droit qui, ben oui, interdit la concurrence déloyale.
Alors, pourquoi le ministère n’agit-il pas ? Eh bien, d’abord parce que l’ordonnance bruxelloise de 1995 (très vieillotte, elle a quand même vingt ans — et non dix comme j’avais écrit d’abord ! Une éternité pour un service qui n’en a que 250 ; les fiacres à la base !) est rédigée de manière assez vague, et ne dit pas, par exemple, que les 3 heures consécutives doivent impérativement concerner un seul client final. Ça tombe sous le sens, me direz-vous, mais dans le procès qui a mené à l’interdiction d’UberPop, Uber a contesté ce genre d’évidences. Le juge ne l’a pas suivi.
L’esprit de l’ordonnance est bien évidemment que c’est l’utilisateur final ou la société qui le représente qui doit consommer trois heures minimum, et non un intermédiaire comme Uber. Pascal Smet reconnaît d’ailleurs dans un communiqué de presse qu’ « Il est clair que le service Uber X ne correspond pas à l’esprit initial de la loi de 1995 qui entend distinguer les services de location de véhicules avec chauffeur des services de taxi.»
Mais le ministère n’ose pas aller plus loin « Il n’est toutefois pas clair si le service va également à l’encontre du texte de la loi, le fonctionnement du service pouvant être interprété de telle manière que toutes les conditions officielles sont remplies. » Ceci est faux. Au moins trois conditions ne sont pas remplies : l’envoi de facture après le travail, le minimum de 90 € sur une période de trois heures et le fait que les véhicules ne peuvent circuler que lorsqu’ils sont en service commandé.
À nouveau, Pascal Smet se retranche derrière le fait qu’effectivement, la Région bruxelloise a assoupli les règles de facto, notamment en permettant le travail au forfait pour certains trajets donnés (Gare du Midi/Eurostar/Thalys jusqu’au centre-ville ; Bruxelles – Aéroport(s)) mais dans ce cas, les tarifs sont toujours supérieurs ou très supérieurs à ceux des taxis (de 50 à 80 €) et la réservation se fait clairement à l’avance. En théorie, ces services devraient donc être réservés aux personnes morales ou physiques qui commandent au minimum 90 €, ou alors un trajet très cher en ville.
Uber X ne rentre donc pas dans ce moule, ni même dans la tolérance régionale, puisqu’il offre des trajets dans tous les sens, à partir de n’importe où à Bruxelles jusqu’à n’importe où, avec des voitures qui circulent en attendant le chaland, qui payera un minimum de 5 € (clairement illégal pour un service LVC), un prix de base de 1 € (clairement illégal pour un LVC), un prix au kilomètre de 1,25 € (clairement illégal pour un LVC) et un prix horaire de 0,25 € par minute, soit 15 € de l’heure (clairement illégal pour un LVC, facturé minimum 30 € de l’heure).
Le « truc » d’Uber est gros comme une maison. L’entreprise fait comme si elle était le client du chauffeur LVC. Admettons. Mais dans ce cas, le contrat du chauffeur à Uber doit être d’au moins 3 heures à 30 € par heure (et les heures consécutives au même prix), à quoi l’on doit ajouter la marge Uber, de 20 à 30% du prix. Bref, Uber devrait dans ce cas acheter le service Uber X au moins le double de ce que la société le vend ! Ce que l’entreprise de Kalanick ne fait évidemment pas. Uber X n’est donc pas un service de LVC et ce qu’elle « commande » à ses chauffeurs, non plus.
De ce fait, la décision du tribunal que j’avais évoquée il y a trois semaines s’applique (puisqu’elle s’applique à l’appli UberPop qui est la même que celle d’UberX) dès lors qu’Uber X offre en réalité un service de taxi et qu’il y a le constat de concurrence déloyale. Car même si les chauffeurs Uber X disposent de l’autorisation de fonctionner en LVC, ce n’est pas ce type de service pour lequel Uber transmet la demande de l’usager au professionnel, mais pour un service de taxi. Et pour rappel, Uber a été condamnée pour avoir transmis « des demandes pour des trajets rémunérés(2) dans la Région Bruxelles Capitale à des transporteurs qui ne disposent pas des autorisations [nécessaires] pour les services de taxi et [ou] de location de voitures avec chauffeurs ». Ceci doit évidemment être compris dans le sens du service offert : si Uber X est un service de taxi, les demandes de trajets ne peuvent être transmis qu’à des opérateurs de taxi dûment licenciés.
Alors, je ne dis pas qu’on peut de facto imposer l’astreinte prévue, dès lors qu’il manque dans le jugement une petite précision et qu’Uber joue sur chaque mot. Mais il me semble que si Uber interprète si gaiement la législation, le gouvernement bruxellois devrait pouvoir, à son tour, étendre le jugement obtenu par les radios taxis à Uber X.
Tous ces détails semblent avoir échappé au ministère de Pascal Smet qui se retranche derrière « l’interprétation juridique ». Comme je l’ai écrit dans mon papier d’hier, si les éléments ci-dessus ne suffisent pas au ministère, il reste aux taxis à tous suivre l’exemple d’Uber et à laisser conduire des chauffeurs dotés de la simple licence « voiture avec chauffeur », à remplacer les taximètres par l’appli eCab par exemple, et à offrir des prix encore plus bas que l’Américain. C’est possible, à condition de strontcher les chauffeurs comme la société de Kalanick le fait (à Paris, ils sont en train de constituer un syndicat tant leur situation devient précaire), et de prendre moins de 20% sur les courses, la perception minimale d’Uber.
Pour ma part, j’envisage de sortir mes poubelles n’importe quel jour de la semaine au prétexte que rien ne précise dans la loi que l’on ne peut pas sortir trois poubelles de couleurs différentes tous les jours. Ben oui, c’est pas écrit exactement comme ça. Ou je vais prendre les sens uniques le samedi en affirmant que rien ne précise que ce jour-là en particulier, c’est interdit. Ah ben non, la loi ne précise pas « le samedi ». Allons, soyons créatifs avec la législation ! Soyons Uber ! Interprétons les réglements ! On va bien s’amuser !
Cela étant dit, l’innaction de Pascal Smet (on pourrait évidemment faire saisir les véhicules en infraction par rapport à la règlementation LVC, comme ce fut le cas pour les UberPop) est probablement liée à sa Geek-attitude ou plutôt à l’image moderne qu’il veut se donner. Le ministre ne veut apparemment pas être celui qui aura bouté Uber hors de Bruxelles. Il a ses électeurs BOBO qui aiment bien Uber et croient aux mirifiques promesses de l’entreprise sur la mobilité, l’emploi ou le soi-disant « revenu complémentaire ». Du coup, l’entreprise peut bien violer l’esprit et la lettre de l’ordonnance bruxelloise, casser tous les marchés, inciter à frauder, et désormais mentir comme un arracheur de dents en prétendant que le ministre de la Mobilité bruxellois l’a autorisée à jouer avec la législation. Ça ne suffit pas à ce que notre sympathique ministre socialiste tire les conclusions qui doivent l’être. Au contraire, il réserve, m’a t-on murmuré, une petite place pour Uber dans le « nouveau cadre juridique général moderne pour toutes les formes de transport rémunéré de personnes dans la Région » dont il rappelle, dans son communiqué de presse, la « nécessité ». C’est probablement le sens de son inénarrable slogan électoral : « On doit repartir de l’avant ! ». Ah ben c’est sûr que de l’arrière, c’est plus difficile…
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21 Comments
Selon Uber, Pascal Smet encouragerait les courses illégales (MàJ) | UN BLOG DE SEL
octobre 15, 15:18Jacopo GIOLA (@jacopogio)
octobre 15, 15:56Marcel Sel
octobre 15, 19:24Salade
octobre 15, 16:17Rivière
octobre 15, 18:40Marcel Sel
octobre 15, 19:25u'tz
octobre 16, 00:02Rivière
octobre 15, 18:45Marcel Sel
octobre 15, 19:25Martine- bxl
octobre 15, 19:33Jester
octobre 16, 09:57Marcel Sel
octobre 17, 14:27Darth Ph11
octobre 16, 10:05Patrick
octobre 16, 11:12Marie-Hélène
octobre 16, 11:54Marcel Sel
octobre 17, 14:25serge
octobre 19, 10:14Marcel Sel
octobre 19, 12:34serge
octobre 19, 15:11Marcel Sel
octobre 19, 20:02Dam Wall
décembre 22, 12:44