Pour le ministre belge des migrations, 200 morts en mer ne suffisent pas.
Mise à jour du 7 août. « Allez, hein ! Presque tous sont [ont été] sauvés. Ce titre, c’est de l’émotion à bon marché. Certains prennent des risques inconsidérés [énormes]. Est-ce toujours la faute de l’Occident ? »
Voilà la réaction du secrétaire d’État belge aux Migrations Theo Francken (N-VA) à un twit de Lisbeth Imbo qui diffusait la une du journal De Morgen d’aujourd’hui. En accroche : « Des dizaines de morts, des centaines de morts… » et en titre principal « Cela ne suffit pas encore ? »
Car oui, il y aurait quelque 200 disparus dans le chavirement d’un nouveau navire qui transportait 700 personnes dont 400 ont été sauvées. Ce bilan épouvantable porte à plus de 2000 les migrants disparus en mer cette année, pour rejoindre l’Europe. Il n’est pas imaginable de traiter cette information autrement que sur un ton tragique. Surtout quand on représente un État, comme c’est le cas de Theo Francken. Ce qu’il écrit sur Twitter ou sur Facebook, c’est en notre nom à tous. Et là, il vient d’insulter la mémoire de 200 cadavres fraîchement noyés, des hommes, des femmes, des enfants.
À un internaute qui disait rêver que la N-VA était un bateau en train de chavirer, qu’il en sauverait un, Jan Peumans, et conclurait qu’ils sont donc presque tous sauvés, Theo Francken répondit « La haine à ce point profonde, mon gars ? Ohlala, pauvre âme ».
Oui, je sais, c’est étonnant, mais le ton de certains élus de ce gouvernement dominé par un parti conservateur (1) (ou ce gouvernement « de droite », si vous préférez) est franchement peuple. C’est une habitude chez Theo Francken. Certains trouvent ça bien. Bon, c’est moderne. Allez, les gars, putain, ça change de l’élégance d’autrefois.
Francken a des circonstances atténuantes. Maigres, mais il en a. Dans son twit en néerlandais, il a remplacé un verbe par son initiale (w) pour worden ou werden. Ceci peut donc être pris au passé ou au présent. Il n’est donc pas clair si « presque tous sont [ou ont été] sauvés » porte sur les sauvetages en général, toute l’année, ou sur le sauvetage d’hier. Dans le second cas, ce serait considérer 200 vies pour à peu près rien. Un certain nombre d’internautes l’ont compris comme ça. Dans le premier cas — mettons que ce soit le bon —, c’est refuser de considérer un bilan tragique (plus de 2.000 morts) au prétexte que cela ne représente qu’une fraction des migrants. Le secrétaire d’État ajoute qu’au fond, c’est à leurs risques et périls et dévoile la nature quelque peu néocolonialiste de son nationalisme : « est-ce toujours la faute de l’Occident ? »
J’aurais envie de répondre : « est-ce toujours la faute de ceux qui fuient les conflits, la misère, les persécutions ? »
Il a, depuis hier, une autre circonstance atténuante : il a réclamé et obtenu l’ouverture de 2500 nouvelles places pour les demandeurs d’asile. On ne peut que l’en féliciter, tout en soulignant que cela ne découle pas d’un excès d’humanisme mais des obligations de l’État. Ce qui ne peut nous empêcher de féliciter Theo Francken et le gouvernement pour cette attitude correcte. On attend maintenant qu’il règle les cas de réfugiés médicaux atteints du SIDA par exemple avec autant de volontarisme, et on finira par le trouver moins inhumain que Maggie de Block. C’est en tout cas une excellente opération de communication : plutôt que de répondre aux attaques, Theo Francken agit à l’opposé de ce que son image inspire et résout un problème qui concerne plus de 2.500 réfugiés. Mais ça ne résout pas sa propension à twitter des horreurs, qu’il reprend ensuite.
Le twit de Theo Francken n’est pas passé inaperçue. Bart Eeckhout, chroniqueur au Morgen a trouvé la réaction « étonnante ». Theo Francken lui a répondu qu’il était « occupé jour et nuit à garantir l’accueil des demandeurs d’asile » ou encore que son twit paraissait plus « dur » que son intention. Ou au final « chaque noyé en est un de trop, que ce soit clair. Le défi pour éviter cela est énorme, » Tout cela après avoir invité Liesbeth Imbo à lui donner la solution si elle l’avait et reconnu que « sauver tout le monde est impossible. » Bref, son premier twit aurait dépassé sa pensée. Un peu comme quand il doutait sur Facebook de la plus-value des immigrés arabes ou turcs, alors que les asiatiques en offraient certainement une selon lui. Ou quand il affirmait, il y a quatre jours, que les réfugiés avaient « de l’argent ».
Triste ? Pénible ? Insupportable ? À vous de voir. Mais voilà, c’est comme ça, nous avons un parti libéral francophone qui a permis que des gens comme Theo Francken parviennent au pouvoir et aient un portefeuille. On les avait prévenus, maintenant, qu’ils en assument les conséquences et les dérives. Ou la noyade. Car oui, trouver des places pour les réfugiés arrivés, c’est bien. Mais cela ne change rien à la politique en Méditerranée que notre pays soutient, Theo Francken en tête. Pour sa défense, la Commission européenne a publié hier un communiqué de presse atterrant où on peut lire qu’il est facile de s’indigner de la mort de milliers de gens, mais plus difficile de « se lever et agir ». Eh bien, qu’ils agissent alors ! C’est leur rôle, non ?
Enfin voilà, sauver tout le monde est donc officiellement impossible pour la Belgique et la Commission. Or, ce qui amène les réfugiés et ceux qui cherchent un avenir économique à risquer leur vie, c’est l’impossibilité de rejoindre l’Europe autrement que par des moyens potentiellement mortels. Ils font froidement le calcul, avant de partir : « j’ai 9 chances sur 10 d’y arriver ». On peut se demander à quel point de désespoir, d’absence d’avenir, ou de misère il faut arriver pour accepter le risque. Payer l’épargne d’une vie à un passeur, et parfois celle de tout un village. Pour avoir un avenir. Ou finir au fond de l’eau. Un peu comme ceux de nos aïeux qui espéraient l’Amérique et coulaient à cause d’un iceberg. Les temps n’ont pas changé, seule la couleur de peau des immigrants ont changé. L’héroïsme de celui qui quitte tout est toujours le même.
Le pire, c’est que contrairement aux immigrants européens qui arrivaient à Manhattan, ceux-ci, quand ils arrivent, personne ne leur pose une question fondamentale : « qu’est-ce vous savez faire ? » Et l’on renvoie par charter des compétences dont on manque parfois ici, et surtout un courage et une volonté dont aucun Européen n’a plus fait preuve depuis de décennies. On remballe aussi des réfugiés qui ont quitté des zones de guerre. On renvoie de ce fait nos propres grands-parents qui fuyaient les bombardements nazis, ou les Juifs qui tentaient d’entrer en Suisse et étaient remis gentiment par des douaniers trop serviles à la Gestapo.
La solution de nos gouvernements, tous passés à droite finalement — y compris les socialistes —, du Pôle Nord à la pointe de Chypre, n’est qu’un patch maladroit et improbable. Un patch qui tue et nous salit. Ce qu’il faut à l’Europe est une vraie politique d’immigration avec des propositions d’emploi, des ambassades qui informent et recrutent. Un filtre au départ et non des murs à l’arrivée. Et pourquoi pas, investir dans des formations aux métiers qui manquent de bras ici, dans les pays d’origine ? Ce type d’organisation, le Canada l’a mis en place depuis longtemps.
L’Europe tue parce qu’elle est frileuse, trop étroite d’esprit, trop minable ou alors trop raciste pour lancer un vrai projet d’immigration. Au lieu de ça, elle dépense des milliards à sauver des malheureux de justesse — quand elle y parvient — à gérer des situations d’urgence de Grèce à Calais, tout cela en fournissant au monde un exemple lamentable quand elle voudrait se présenter comme le parangon de la morale sociétale. Des diplomates turcs se seraient insurgés de cette situation, arguant du fait que la Turquie accueille deux millions de réfugiés quand l’Europe ne sait pas quoi faire de quelques dizaines de milliers de ceux-là. Un échec moral selon eux. Difficile de leur donner tort. C’est terrible, à un moment précisément où la Turquie a besoin de leçons de morale (Kurdistan, journalistes arrêtés, manœuvres pour noyer le régionalisme kurde en Syrie, etc.) Nous ne donnons pas une image qui nous permette de la leur donner, la leçon.
Oui, nous sommes méprisants pour ces vies humaines qui échouent à quelques encablures de nos côtes. Et s’il fallait une preuve de la violence de notre mépris pour ces immigrants, ces réfugiés, c’est Theo Francken, secrétaire d’État belge aux Migrations, qui vient de nous la livrer.
Il pourra toujours se défendre en affirmant qu’un de ses collaborateurs est kurde.
(1) J’avais d’abord écrit « ce gouvernement conservateur ». On m’a fait remarquer que droite ne rimait pas forcément avec conservateur. J’ai donc corrigé. Mon point de vue de départ était que la N-VA était un parti conservateur et que son idéologie dominait le gouvernement, du moins en ce qui concerne l’immigration. Cela déteint sur l’ensemble de l’action du gouvernement mais cela ne fait pas pour autant des autres formations des partis conservateurs.
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