Pathétique, le discours royal ne nous met même pas à la fête.
Comme chaque année, après Albertke II, c’est aujourd’hui Flupke premier qui nous fait son royal discours(ke), plutôt unanimement applaudi par la presse ou alors les critiques sont aussi fades que le texte lui-même. Faudrait pas gâcher la fête nationale des Belges qui se prétendent si peu patriotes, hein ! Allez, un exemple. Pour Le Soir, « Le Roi ose aborder des thèmes délicats (immigration, crise de l’euro), mais dilue prudemment ses conclusions… » Ja wadde ! Le mot oser est bien le dernier que j’utiliserais pour parler de cet exercice de funambulisme discursif.
Je vais vous le dire tout net, ce respect exagéré pour la personne royale dans la presse indépendante me révolte. Le roi n’a pas été élu, sa légitimité est donc bien constitutionnelle, mais ni morale, ni forcément populaire. Ses discours ne sont pas des pièces de musée à commenter la bouche en cœur, la main sur l’Union qui fait la force, mais des déclarations publiques au peuple, cosignées qui plus est par le premier ministre. Ils sont pourtant écrits avec une plume si peu couillue qu’il faut une traduction journalistique pour que le bon Belge de base ait accès au sens soigneusement caché du discours qui, en principe, lui est pourtant adressé !
Depuis des décennies, le discours royal aurait pu être un exercice poussiéreux, qui consacre la symbolique royale dont le nec plus ultra est l’anoblissement pour de rire de grands intellectuels qui ne mouftent même pas. Amélie Nothomb, baronne pour de rire, ça grandit notre littérature, chers amis !
Pourtant, Berke Den Twiede (Albert II pour les non-locuteurs de la langue bruxelloise qui ne sont pas parvenus à s’intégrer après parfois une vie entière de présence sur le territoire de Brüxssels) était pourtant parvenu à y glisser des idées (sur le déchirement des Belges), sa générosité (en complimentant la population pour ses talents) voire des confessions intimes (sur les facéties de son couple dans une vie antérieure). Il avait ainsi rattrapé la vie moderne, perdue par le monarque précédent, son frère Baudouin.
Philippe, au contraire, vient de parvenir à ringardiser définitivement l’exercice, qui se rapproche désormais dangereusement du banal discours de patron de PME à la fête de la Saint-Éloi, entre la poire Williams et le fromage de Herve (s’il en reste).
Au moins, les prédécesseurs avaient à cœur, systématiquement, de dire un mot sur la misère, sur les perdants de la vie, et même sur les excès du capitalisme (entre les lignes et à l’encre sympathique, mais quand même). Cette année, donc, point de compassion. Non, bonnes gens, le roi vous parle d’Internet, de pépinières de startups, et vous recommande de voyager… en Chine !
« La surinformation nous arrive souvent sous la forme d’un ‘prêt à penser’ pré-formaté. »
Ânonnant pour commencer une litanie sur les réseaux sociaux (qu’il ne fréquente pas…), auxquels il consacre un tiers du discours (!), il en oublie de s’intéresser aux sans-abris, aux meurtris de la vie (un cinquième des Belges sous le seuil de pauvreté), aux chômeurs (50 % des jeunes dans certains quartiers près de son propre logis), oh non. Il s’intéresse au contraire à la misère relationnelle entre citoyens hyperconnectés ! Facebook, Twitter, Google, Instagram, waouw, ça en jette ! (non, il ne cite aucune marque)
Et il nous sert le « prêt à penser », mesdames, messieurs, ce drame qui circule sur les réseaux ! Ah, on ne peut pas lui donne tort, bien sûr. Il y a bien un risque d’enfermement dans un cercle limité de lectures sur les réseaux sociaux et sur les sites web — j’en parle dans mon prochain opus qui sort en octobre (autopromo). Il est toutefois le même que quand des gens ne fréquentaient, autrefois, qu’une librairie d’extrême gauche ou d’extrême droite. Il aurait mieux fait d’être plus précis, Flupke, et d’attirer l’attention sur les sites conspirationnistes, par exemple. Mais voilà, ça, il ne pouvait pas se le permettre apparemment. C’était déjà trop en dire. Du coup, il ne dit rien du tout. Et ça ne sert à rien.
Du coup, tout ça sonne faux, terriblement.
On a l’impression qu’il cherche absolument à donner une image « moderne mais humaine » à sa fonction. Ça ne nous intéresse pas. Les conseils relationnels sur l’Internet, on les trouve ailleurs. D’ailleurs, ce n’est apparemment qu’une façon rhétorique d’amener à sa leçon du jour où, tel le curé de Cucugnan du haut de sa chaire, il nous encourage à développer nos relations humaines :
« Plus que virtuelles ou immédiates, nous avons besoin de relations réelles et profondes : elles seules développent la personnalité et l’esprit critique, encouragent à donner le meilleur de soi-même, elles seules permettent aux talents de s’exprimer pleinement et à chacun de trouver sa place dans la société. »
Oh my god, que ferions-nous sans cette grande leçon de vie que le roi, du haut de sa merveilleuse expérience dans la vraie vie, nous offre céans !
Et juste ensuite, il fait la promotion de « nos déplacements dans le pays, la Reine et moi […] », où il rencontre des écoles, des entreprises, et a tout de même une ligne pour « les personnes fragilisées ».
Signe des temps ou du gouvernement, la fragilité cède la place à l’autopromotion, dès lors que Flupke premier recommande de créer « des liens réels forts et sincères entre les peuples », dont il a pu constater l’importance « lors de [sa] visite d’État en Chine ». Bigre ! Ça c’est du personal branding. À moins bien sûr qu’il ne recommande de suivre son exemple, de sortir vite des réseaux sociaux et de nous acheter un billet pour Pékin, pour vivre notre vie d’êtres humains connectés « en profondeur » aux autres « peuples » !
Un nouveau tiers du discours est donc consacré à justifier l’action royale, les visites en Belgique et la visite en Chine (qui fut décriée par le gouvernement flamand, rappelez-vous…). Ça aussi, c’est nouveau. Ça montre la réduction de la dimension de la fonction royale qui n’est plus qu’une excroissance kitch du gouvernement, une potiche qui sert le branding de la nation (et maintient, parallèlement, un lien diffus mais réel avec l’Église lors du Te Deum par exemple).
Certes, Albert était lui aussi une excroissance du gouvernement. Mais au moins disait-il quelque chose de compréhensible. Il défendait l’action du premier ministre, ce qui est logique pour un chef d’État. Mais il se passait quelque chose, il transmettait quelque chose, il disait de vraies inquiétudes sociétales, il n’était jamais superficiel.
On cherchera chez Philippe en vain la phrase sur la diversité, dans le style d’Albert II qui avait, dans son dernier discours, clamé : « Avec une population si riche de ses talents, de sa diversité, de son énergie, de sa générosité, l’avenir de notre pays est entre de très bonnes mains ! » Eh non. Tout dans ce discours n’est qu’autopromotion et recommandation.
Là où son père mettait en garde contre « le repli sur soi et le populisme », le nouveau roi (de seconde main : il a le même âge que moi et inversement), nous met en garde contre l’hyperconnectivité sur internet ! Amaai !
On cherchera l’émotion qui menait Berke à commencer son discours de 2012 par le drame de Sierre.
On cherchera le politique, qu’Albert II n’hésitait pas à aborder, défendant la politique gouvernementale ou s’inquiétant clairement, comme en 2011, du blocage du pays.
Et sur l’ensemble du discours d’Albert en 2012, pas une seule allusion sur les actes royaux, les visites ou les voyages ! Mais une fois encore, l’encouragement au vivre-ensemble, à la solidarité, et l’émerveillement face à la diversité.
Ce n’est qu’aux « portes de l’Europe » que Philippe trouve des drames. Il évoque des guerres civiles, sans les citer, dans lesquelles la Belgique est pourtant impliquée (Libye, Syrie, Iraq). Il ne va pas jusqu’à toucher aux victimes du terrorisme dans ces pays. Rien sur la Tunisie. Ni recommander un accueil plus ouvert des réfugiés (ils se contentent chez lui « d’affluer »). Et pour résoudre les guerres civiles, sa solution est de soutenir « les forces qui prônent la participation politique et le partage économique. » Bonne chance pour les trouver !
Tout ça pour finir sur la crise grecque dont il dira juste qu’il ne faut pas dresser les pays d’Europe les uns contre les autres « mais approfondir les liens qui nous unissent sur base d’une confiance retrouvée ». On peut faire encore plus jésuite, mais c’est difficile. Même Merkel est plus engagée que ça dans le maintien de la Grèce dans l’Union européenne, c’est dire !
Mais le pire de tout, c’est que contrairement à tout ce qu’a fait son père, le roi Philippe se pose ici en conseiller de son « bon peuple », de surcroît sur des sujets qu’il ne maîtrise pas. Il se pose aussi en exemple de ce qu’il prône (les relations « profondes » qu’il noue dans ses voyages), le tout dans un discours d’autorité, ex cathedra, où il n’intègre plus, comme le faisait Albert-Père, cet échange avec la population qu’il recommande pourtant du haut de son trône désormais branché deux point zéro.
Jamais discours royal n’a sonné plus faux !
Au final, c’en est fini du roi social et sociable qui avait une attention pour les autres, était conscient de la vétusté de sa fonction mais s’imposait deux fois par an par un discours d’échange.
Nous avons aujourd’hui un roi-princier, un roi-establishment, qui semble avoir subi la contagion de l’arrogance de certains membres du gouvernement, premier ministre en tête, et qui n’utilise pas son maigre pouvoir pour rassembler, mais pour jouer au consultant informatique incompétent, faire du personal branding gros comme une maison, et donner sa petite leçon du jour, un peu comme si, à côté du poète national (oui, la Belgique a un poète national !), nous avions aussi désormais un prof national.
Jamais discours royal n’a sonné plus faux. Cela dit beaucoup sur la dissolution de la fonction, totalement soumise au gouvernement conservateur, au point de ne même plus promouvoir ses succès ! Alors, soit Charles Michel n’a pas trouvé, dans son action, de succès humains suffisamment probants que pour les glisser dans la bouche du roi. Soit, le gouvernement noyauté par la N-VA extirpe de la fonction royale ce qui lui restait d’intéressant, ce petit peu de vie et de sincérité qu’il nous transmettait une fois par an. Pour que la fonction royale soit à ce point symbolique qu’il ne touche plus, dans ses discours, qu’à sa propre impuissance.
Elio Di Rupo usait et abusait du discours royal pour renforcer son image. Le roi et lui étaient alors deux mamelles d’un même engagement, non pas socialiste (Elio oui, le roi non), mais social. On peut le déplorer parce que ce faisant, Di Rupo tirait la fonction à son profit, ou du moins à celui de son action. Mais au moins, le tout donnait du lustre, de la vie, à la fonction du chef d’État belge.
Je suis républicain, mais à tant faire qu’avoir un roi, autant qu’il serve à quelque chose. Celui-ci — ce discours-ci — ne nous sert strictement à rien. Et ne nous met même pas à la fête. Un 21 juillet, c’est un comble !
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