Empêtré, le gouvernement belge minimise le génocide arménien.
Dans mon article d’hier, vous découvriez la fameuse résolution que Peter De Roover avait promis de déposer à la Chambre des Représentants après le discours « de reconnaissance du génocide arménien » par le premier ministre Charles Michel. Une résolution qui, à aucun moment, ne demandait au gouvernement de reconnaître ce génocide. Dès après la publication de mon article, le porte-parole du MR, Christophe Cordier me faisait savoir par Twitter que « Ce texte date de jeudi dernier. Une nouvelle version sera déposée cet après-midi. » D’autres faisaient remarquer que Peter De Roover ne faisait pas partie du gouvernement. Soit. Mais il fait partie du plus grand parti de la majorité gouvernementale.
Le Soir, qui avait affirmé que le gouvernement belge avait « reconnu » le génocide « arménien » (entre guillemets, deux mots que le premier ministre n’a jamais prononcés !) publie aujourd’hui le nouveau projet de résolution. Et étrangement, il est pratiquement identique à celui déposé jeudi dernier par Peter De Roover. Les différences dans le texte de la résolution proprement dite sont les suivantes :
- « de réprouver fermement toute tentative négationniste [par rapport aux génocides] » devient « de réprouver toute remise en question de leur existence ». Le mot fermement disparaît, le mot négationniste aussi.
Et aussi… ah ben non, c’est tout. C’est ce que le MR appelle « Une nouvelle version ». En fait, il y a bien des modifications importantes, mais pas dans le texte de la résolution. Celles-ci sont à chercher dans le développement. Le texte « gouvernemental » ne modifie par exemple pas le bilan, établi dans le développement précédent à « 300.000 à 1.500.000 Arméniens ». Alors que le décompte attribué à l’un des hauts responsables du gouvernement ottoman de l’époque, Tâlat Pacha, retrouvé dans son « carnet noir » permet de déduire que le nombre de déportés fut d’au moins 1.200.000 pour toute la Turquie ottomane de l’époque. Quant au nombre de morts, plusieurs sources internet (pas nécessairement arméniennes) indiquent que le journal ottoman officiel, Takvimi Vekâyi a fait état, dès 1920, de 800.000 tués, sans compter les décès dans les camps ni les enfants « drogués à la morphine puis noyés ». Je laisse le soin aux historiens (y’a un historien dans la salle ?) de confirmer ce fait, je n’ai pas les sources originales (et je ne parle pas turc). Mais si celles-ci sont exactes, arriver tambour battant avec un chiffre « minimum » de 300.000 Arméniens tués reviendrait à prétendre que la Shoah aurait fait, par exemple, 2 millions de victimes. Or, celui qui écrit une telle chose en Belgique se retrouvera devant un tribunal pour fait de minimisation du génocide nazi. Ici, c’est le gouvernement qui semble minimiser. À quelles fins ? Ou plutôt, comment ose-t-il ? Ou enfin, au minimum, on aimerait savoir d’où sort ce chiffre.
Au paragraphe suivant, le gouvernement reconnaît implicitement la thèse turque, ajoutant au projet de Peter De Roover, et sous le paragraphe évoquant le génocide, « Il convient cependant de souligner que le conflit a également fait des victimes parmi les Turcs et les musulmans. » Une phrase qui rappelle l’un des arguments de l’AKP, à savoir qu’au final, les Turcs n’ont fait que se défendre face à des Arméniens remuants. C’est exactement ce que les négationnistes les plus féroces disent de la Shoah : Hitler n’aurait fait que se défendre face aux Juifs, terriblement dangereux, selon eux, pour l’Allemagne. Or, le fait que la guerre ait fait des victimes n’a aucune espèce d’importance dans la reconnaissance d’un génocide : c’est une donnée externe. On n’évoque jamais les victimes allemandes de la guerre quand on parle de la Shoah. Jamais les victimes serbes quand on parle de Srebrenica. Jamais les victimes Khmers rouges quand on parle du génocide (ou sociocide) cambodgien. Je ne vois qu’une raison de traiter le génocide des Arméniens, Assyriens et Grecs pontiques différemment : on a cédé à l’AKP, qui fait donc peur jusqu’au 16 rue de la Loi.
Et dire que les mêmes fustigent Emir Kir ou Mahinur Özdemir. Je ne suis pas du tout d’accord avec leur refus de reconnaître le génocide, mais pour le leur dire en face, il faut au moins être blanc soi-même ! Et ce n’est pas le cas.
L’avant-dernier paragraphe du projet De Roover a été supprimé. Il disait : « Des juridictions supérieures se sont également déjà exprimées sur cette question, notamment le Tribunal de grande instance de Paris dans un jugement du 21 juin 1995. » Pourquoi le supprimer ? Probablement parce qu’il contredit la thèse erdoganienne qui veut que la qualification de Génocide ne peut être attribuée que par une cour de justice. Or, le 21 juin 1995, ce tribunal a condamné l’historien Bernard Lewis à 14.000 francs d’amende et aux dépens pour avoir nié le génocide arménien alors qu’une commission de l’ONU, le Parlement européen et le Tribunal permanent des Peuples « a considéré comme bien fondée l’accusation du génocide arménien formulée contre les autorités turques ». Avec cet arrêt, c’est toute la thèse officielle en vigueur en Turquie aujourd’hui qui s’effondre. Charles Michel ne veut visiblement pas en arriver là !
Mais il y a une autre raison. Dans le développement, le point M, qui reprenait l’extrait du discours du premier ministre dans lequel « la presse » a cru voir une reconnaissance, a été étendu et c’est cette fois le discours intégral de Charles Michel qui est publié. Et le moins qu’on puisse dire est qu’il nuance largement la soi-disant « reconnaissance » gouvernementale. D’abord, Charles Michel se félicite des excuses de la Turquie aux Arméniens, qu’il décrit comme une « avancée » (ce qu’elles sont de toute évidence). Mais surtout, il dit — tout comme l’avait fait Didier Reynders — : « Il appartiendra à des juridictions nationales et internationales de se prononcer sur ces sujets » ! Et ça, c’est exactement, presque mot pour mot, la thèse de la Turquie, ou de Mahinur Özdemir.
Et il termine par : « Je pense que les questions qui ont été posées […] donnent l’occasion au gouvernement de notre pays d’exprimer, avec clarté (sic) et force (sic), une position sur ce sujet délicat ». Où se trouve la reconnaissance explicite, claire et forte du génocide dans tout ça ? Eh bien, nulle part.
Bref. La presse a failli. Elle vous a mal informé. Elle a suivi aveuglément les fanfaronnades du premier ministre. Elle a mal titré. Elle a pris des vessies pleines de pipi de chat pour une lanterne nucléaire ! Il n’y a rien d’honorable dans ce texte. Il n’y a que de l’esbroufe. Et c’était prévisible.
Ah oui, zut, j’allais oublier : je vous ai laissé le meilleur pour la fin. Au point 7, la Chambre demande bien au gouvernement de demander à la Turquie de « reconnaître le génocide arménien ». Cocasse dès lors qu’à aucun moment, la résolution belge ne reconnaît explicitement ce même génocide ! Pire, elle demande à la chambre d’approuver la minimisation (probable à mon avis) du nombre de victimes. Et elle soutient la thèse turque sous deux aspects : celui des victimes turques qui pourraient « justifier » le génocide, celui de la nécessité de traiter la question de façon exclusivement juridique.
Non, la question des génocides est d’abord historique. Elle est ensuite morale. Une morale qui, décidément, fait défaut au sommet de l’État au bénéfice de la realpolitik.
On me dira que les gouvernements précédents n’ont rien fait du tout. C’est vrai, et ils sont aussi condamnables (moralement) pour cette absence de reconnaissance depuis 1987 (année de la résolution parlementaire européenne). Mais quand on prétend s’exprimer avec force, on ne nous livre pas des textes aussi faibles, tarabiscotés, qui de surcroît, vont chercher les thèses les plus fumeuses directement dans le bureau d’Erdogan.
La résolution demande donc à la Turquie de faire ce dont la Belgique s’avère incapable en ce centième anniversaire du génocide des Arméniens, Assyriens et Grecs pontiques. Nous avons rarement été plus pleutres que ça. À nous le déshonneur. On l’ajoutera à celui de n’avoir toujours pas reconnu les crimes contre l’Humanité commis par la Belgique au Congo. Une priorité dont personne ne parle. Faut reconnaître que politiquement, c’est moins vendeur…
0 Comments
guypimi
juin 24, 14:57MUC
juin 25, 18:41Marcel Sel
juin 26, 11:32MUC
juillet 11, 14:06Pfff
juin 24, 15:28Marcel Sel
juin 24, 17:17serge
juin 24, 16:04Marcel Sel
juin 24, 17:21Rik-Rak
juin 24, 17:35Hélène P
juin 24, 17:38Rik-Rak
juin 24, 22:03Marcel Sel
juin 25, 02:36Rik-Rak
juin 25, 10:37Ergo
juin 24, 18:04Salade
juin 24, 18:06Salade
juin 24, 18:07Salade
juin 25, 12:29Nyssen, Vivianne
juin 24, 23:33u'tz
juin 25, 01:21Alperen
juin 25, 10:19Pfff
juin 26, 14:59Lachmoneky
juin 27, 07:01u'tz
juin 30, 20:29Grande
juin 25, 11:26Pfff
juin 26, 14:56Pfff
juin 26, 16:53Alperen
juin 26, 15:19Grande
juillet 07, 14:26Pfff
juin 27, 09:10Pfff
juin 27, 09:16Pfff
juin 29, 11:48Pfff
juin 27, 20:57Pfff
juin 28, 10:44Tournaisien
juin 27, 22:34Pfff
juin 29, 13:51Pfff
juin 30, 17:13Pfff
juin 30, 17:53u'tz
juin 30, 11:39Pfff
juin 30, 12:57u'tz
juillet 07, 20:20