Bruxelles, poubelle institutionnelle.
Joël D. habite la prestigieuse avenue Molière qui n’a pas grand-chose à envier aux belles avenues du 16e arrondissement de Paris. Le 19 mai (un mardi), il tombe sur « deux sacs blancs déposés contre l’arbre qui est devant [son] entrée ». L’un des sacs est entrouvert. On distingue des langes souillés et des enveloppes qui permettraient d’identifier le pollueur ou la pollueuse. Joël appelle Bruxelles Propreté. Réponse du préposé : adressez-vous à la commune ! Vous pouvez me donner le numéro ? demande Joël. Non, je n’ai pas ce renseignement, répond le fonctionnaire. Ah, c’est bizarrement organisé, chez Bruxelles Propreté.
« Adressez-vous à la commune. Non, je n’ai pas leur numéro… »
Joël appelle alors les renseignements (payants) et obtient le numéro du service propreté de la commune d’Ixelles. Tout en se demandant pourquoi le préposé de Bruxelles Propreté ne peut centraliser les plaintes et les transmettre lui-même à la commune. Enfin, c’est comme ça, on ne va pas en faire une montagne de détritus ! Joël téléphone donc à la commune, mais il est tard (genre pas très tard du tout pour un citoyen, mais franchement tard pour un service communal). Il tombe sur un répondeur qui lui propose de laisser un message. Il laisse le message et se dit que la commune va régler le problème. Le lendemain, il part au boulot. Les sacs sont toujours là. Ils seront sûrement enlevés dans la journée, se dit-il. La Belgique est un pays bien organisé, non ?
Milou en juin.
Mais à son retour, les sacs sont toujours là. Pire, les ordures ont largement débordé ! Elles sont désormais agrémentées de deux jolies crottes de chien (c’est Mirza et Milou les coupables, je le sais de source sûre). Joël rappelle le service communal, tombe à nouveau sur un répondeur, il redonne son numéro de téléphone, il attend 24 h, rien ne se passe. Il rappelle encore et ô miracle, une vraie voix humaine lui répond. Oui, oui ! Une vraie voix d’une vraie personne !
— Ah, mais monsieur, l’avenue Molière est une voirie régionale ! Ce n’est pas de notre ressort, dit la voix.
Mais contrairement au préposé de Bruxelles Propreté, ce fonctionnaire communal lui annonce qu’il va — incroyable audace — prévenir lui-même les services régionaux ! Joël retrouve foi dans l’usine à gaz bruxelloise, non sans se demander pourquoi il n’a pas obtenu un service aussi incroyablement performant du premier coup. Enfin, « performant »… Le vendredi soir, les sacs trônent toujours contre l’arbre et devant son entrée. Mais un employé es† effectivement passé, puisqu’ils sont désormais garnis d’un autocollant de 10 cm sur 15 qui « indique virilement que ce n’était pas le bon jour de sortie des immondices » constate Joël. Visiblement, le préposé n’a pas tenté de connaître la provenance des sacs.
Les immondices commencent à envahir la chaussée…
En revanche, les immondices qui avaient débordé, eux, se promenaient toujours sur le trottoir et avaient même commencé à envahir la chaussée. Mais la grande machine de nettoyage s’est mis en branle et dès le lendemain — le samedi — les sacs sont enfin emportés par Bruxelles Propreté ! Miracle ! Sonnez les cloches, etc. etc.
Mais bon, en même temps, c’est un peu normal, le samedi est un jour de ramassage. Quant aux immondices dégueulés par les sacs au cours des jours précédents, ils jonchent toujours le sol de la prestigieuse avenue. Ils le joncheront au moins jusqu’au lundi.
L’éboueur sonne toujours deux voies.
On dit que l’histoire se répète. Eh bien oui. Le lendemain du ramassage héroïque, Joël D. sort à nouveau de chez lui pour faire une balade dominicale et profiter de l’ambiance arborée de sa belle avenue. Et il tombe nez à nez avec… trois sacs sortis d’on ne sait où, toujours contre le même arbre, devant son entrée, avec des langes qui dépassent ! Ouin ! Ouin !
Alors, Joël D écrit à plus ou moins toutes les personnes qui pourraient, de près ou de loin être concernées par la propreté de l’avenue Molière. Tout en se demandant à quoi peuvent bien servir tous ces services. Et non sans exiger malicieusement la démission de tout ce beau monde.
C’est là que l’échevine de la propreté d’Ixelles, Viviane Teitelbaum (MR), découvre l’histoire et lui répond par mail. Elle s’excuse dûment pour « ce va-et-vient » entre région et commune qui « n’est certainement pas signe d’efficacité ». Elle s’offusque aussi de la difficulté à joindre le numéro vert de l’administration communale et de l’absence de rappel suite aux messages de Joël. Une enquête sera menée. Un rapport sera établi. Elle explique ensuite où se situe le problème. Et là, vous allez pouffer.
La commune n’a pas le droit de toucher aux voiries régionales, mêmes quand elles sont crades…
L’avenue Molière est une voirie régionale. Ce qui signifie que c’est l’Agence régionale Bruxelles-Propreté qui doit la nettoyer et enlever les dépôts clandestins. Bruxelles Propreté, c’était le premier numéro que Joël avait appelé !
Mais il y a pire : la commune n’a même pas le droit de demander à ses propres agents de prendre le nettoyage de la rue en charge! Autrement dit, quand un balayeur finit le nettoyage d’une rue communale perpendiculaire à une voirie régionale, s’il voit des détritus, c’est pas touche ! C’est comme qui dirait chasse gardée. Sauf que visiblement, la région chasse bien moins efficacement.
Les douze travaux de Viviane.
Viviane Teitelbaum est elle-même scandalisée par ce système infernal « qui pénalise les citoyen-nes ». Pour elle, il n’est évidemment « pas normal que certaines rues soient mieux nettoyées que d’autres ». Et elle constate que toutes les voiries régionales d’Ixelles sont plus sales que les voiries communales. Et que la commune est forcée de dépasser le cadre de ses compétences en compensant les manquements de la région.
Sauf que voilà, elle n’a pas les moyens de faire tout le boulot à la place de Bruxelles Propreté. Viviane Teitelbaum : « si nous ne pouvons pas décider de nous substituer à la région, en général j’essaie que les balayeurs et balayeuses Ixellois-es signalent les encombrants sur ces voiries pour qu’on puisse les enlever, et en vérifient l’état. De fait nous intervenons très régulièrement ; le plus souvent possible, pour soulager les riverain-e-s ».
Dans son mail à Joël D., elle conclut en promettant d’envoyer régulièrement des agents constatateurs ixellois avenue Molière pour constater les infractions et les réprimer. Ce qu’elle fait déjà, me dit-elle, et très régulièrement, pour d’autres voiries régionales comme les chaussées de Vleurgat et de Waterloo ou la rue Defaqz.
Absurde n’est-il pas ? (The Monty Pythons’ Flying Garbage Circus).
De ceci, je tire deux enseignements. Le premier, c’est qu’il faut rapidement supprimer cette distinction stupide entre voiries régionales et communales. On se croirait au XVIe. Non, pas l’arrondissement, mais le siècle ! Le second, c’est qu’apparemment, les services communaux sont nettement plus efficaces que les services régionaux. Peut-être parce que l’inefficacité éventuelle retombe sur les échevins aux élections suivantes. Alors que personne ne va cesser de voter pour Fadila Laanan, actuelle ministre bruxelloise de la propreté, uniquement parce que des sacs ont traîné pendant une semaine sur son trottoir…
Joël D., lui, pense qu’il faudrait plutôt ramener le nombre de communes bruxelloises à une ou deux. Un peu sur le modèle anversois. Selon lui, la multiplicité des postes sert surtout le clientélisme des partis. Ce n’est probablement pas tout à fait faux, mais même à Anvers, les tâches restent réparties entre districts. Parce que la proximité du citoyen a aussi un sens.
Mais quel que soit son point de vue sur les structures de gestion de la « capitale » de l’Europe, il me paraît évident qu’il y a urgence à éliminer, une à une, les absurdités qui rendent Bruxelles ingérable, et la saleté urbaine qui en découle (ou qui s’en écoule, dans le cas présent). Et il y en a beaucoup, de ces absurdités ! Si on commençait déjà par là plutôt que de lancer tous les deux ans un nouveau système de ramassage ou un grand plan de développement multidécennal qui sera changé de fond en comble à la prochaine majorité, on ferait un énorme pas !
Trop poubelle pour toi !
Entretemps, Bruxelles est donc toujours plus poubelle que belle, parce que des Bruxellois n’ont aucun sens civique (« ce sont des porcs », me dit-on dans l’oreillette — difficile de ne pas le penser en effet) et se fichent éperdument de leur environnement. Mais aussi parce que les institutions sont tarabiscotées, emmêlées, et quelquefois je-m’en-foutistes. Et au final, dans cette usine à gaz qui est la capitale d’une autre énorme usine à gaz, l’on ne sait plus qui appeler en cas de problème !
Enfin, à part ça, il y a une excellente nouvelle pour nos chers ministres bruxellois : la prochaine réforme institutionnelle peut se faire sans la N-VA. Elle peut même ne se faire qu’en Région Bruxelles-Capitale. Ce serait celle qui rapprocherait les citoyens des services les plus basiques. Chiche ?
14 Comments
guypimi
juin 22, 16:46Bureaucratie | Pearltrees
juin 22, 17:17chatlibre
juin 22, 18:25Marcel Sel
juin 23, 16:38louis
juin 22, 19:04Salade
juin 22, 19:39u'tz
juin 22, 23:18Andy
juin 23, 11:17Marcel Sel
juin 23, 16:41Thibault
juin 23, 12:00Sucre
juin 23, 16:40u'tz
juin 25, 01:59Rivière
juin 25, 22:04thomas.B
mai 13, 11:21