Vous êtes belge, Salomon ?
Ceci est le premier d’une série d’articles sur le Vivre ensemble.
La couverture du Vif/Lexpress du 15 mai 2015 avait pour titre « Juifs de Belgique. Pourquoi ils restent ». Une formulation que certains ont trouvé déplacée. D’abord parce que Juifs de Belgique sous-entend qu’on est juif avant d’être belge. Ensuite, parce que le Pourquoi ils restent donne l’impression que « leur » départ serait la chose normale. Aucun soupçon d’antisémitisme envers Le Vif, mais le constat que la nationalité des Belges de culture juive ne semble pas aller de soi quand la presse, ce miroir réfléchissant — donc pensant — de notre société, fait des titres courts.
Alors qu’ils s’offusquent justement de ceux qui manipulent des termes comme « Belges de souche » (une expression qui me fait logiquement grimper aux arbres), certains de nos penseurs n’ont apparemment pas encore tout à fait intégré l’idée qu’il n’est juste pas possible dans un État de droit de diviser les citoyens en une population « d’accueil » et une autre, qui serait « accueillie » et donc toujours susceptible de partir. C’est pourtant ce qui se passe.
Et ça explique peut-être la facilité avec laquelle Le Vif/L’Express légende une photo illustrant le Pourquoi ils restent avec la phrase : « L’Alyah ou le retour des Juifs en Israël. » Alors même qu’alyah ne signifie pas retour mais bien élévation. Qu’il ne concerne pas « les Juifs », mais « de rares Belges de culture juive », on va dire. Et s’il existe effectivement une loi « du retour » en Israël, c’est une terminologie basée sur la mythologie nationaliste proprement israélienne. Les Belges juifs sont rares à y adhérer pleinement (0,8% ont émigré cette année, soit moins que la natalité belge moyenne). Du reste, la loi elle-même ne parle pas de retour mais d’immigration ! Alors, se demander pourquoi les 99,2% des Juifs belges « restent » revient à se demander pourquoi 99 % des Bruxellois néerlandophones ne « retournent » pas en Flandre.
La plus communautariste des communautés est généralement la communauté majoritaire.
Get Back (to where you once belonged)
Plus caustique : alors que les tenants du nationalisme européen évoquent une civilisation judéo-chrétienne qui constituerait le substrat de l’Europe d’aujourd’hui, les Belges juifs sont donc souvent encore considérés, inconsciemment, comme des migrants récents, des Belges certes, mais quand même pas tout à fait absolument tant que ça.
On ferait bien de se demander pourquoi on les « trie » plus facilement selon la catégorisation juive-goy et non selon, celle, plus belgo-belge, de flamand, wallon, bruxellois par exemple. Serait-ce parce que les Juifs de partout ont tendance à vivre entre eux « comme ils disent » (merci Aznavour) ? Ou, comme l’ânonnait Karel de Gucht dans une interview, que même les Juifs séculiers sont persuadés d’avoir toujours raison ? Dans ce cas, je ne comprends pas pourquoi j’en connais tant ni pourquoi je n’ai jamais perçu un tel complexe de supériorité chez mes amis bruxellois. Pardon, mes amis bruxellois juifs.
En réaction à la sortie de Karel De Gucht, Le Soir a titré : « Karel De Gucht brave les tabous »… Et plutôt que de relever le caractère antisémite de ses propos, plusieurs journaux constataient que « les Juifs » accusaient le commissaire européen d’antisémitisme. Ah ! Ces Juifs ! Toujours à se faire remarquer…
Quand une communauté resserre les rangs, ce n’est pas forcément par choix.
Quoi ? Aimer ses racines, sa culture, sa religion, sa différence et les cultiver, n’est-ce pas un droit fondamental ? En 2015, un Belge qui se revendique juif ferait quelque chose de différent de celui qui se revendique français ou bruxellois ou laekenois ou suédois ? Une chose est sûre, quand les Belges juifs ou d’autres minorités resserrent les rangs, ce n’est pas forcément par choix. Mais probablement parce qu’ils ont l’impression qu’on ne leur a pas laissé vivre pleinement leur citoyenneté de Belge. On relève la consonance exotique d’un nom et on en tire des conclusions — le Belge d’origine catholique a encore du mal à faire abstraction de ça.
Pourtant, le contrat citoyen commence par la prise de conscience que tout Belge est d’abord belge. Plus de 200 ans après la Révolution française qui inventa l’égalité des citoyens, ce n’est toujours pas évident. Dans le dessin de Kroll sur la taxe diamant, plus que le prétendu rapport affectueux à l’argent « des Juifs », ce qui m’a choqué, c’est qu’on oppose les Belges en général et « le Juif » en particulier. Comme s’il était moins belge que les autres personnages, non connotés ethniquement, sur le dessin. De ça, on ne peut même pas parler !
Dans notre société post-catho-laïco-franc-maçonne, il est donc apparemment difficile de partir du principe qu’on est Belge avant d’être juif.
C’est le constat que fait Sara Brajbart-Zajtman en relevant l’étrange incompréhension de journaux belges après la diffusion du clip « Je suis juif(ve) aussi, dois-je partir ? » Alors que cette question était provocatrice (ce ne sont pas les Belges juifs qui ont imaginé que judéité et départ pouvaient être synonymes) et destinée à amener une réflexion ou un débat, Sara note, avec consternation, que dans un éditorial de bonne volonté de Béatrice Delvaux, dans Le Soir du 16 février (juste après l’attentat à Copenhague), celle-ci écrit « Il est insupportable que cette question du retour en Israël et du départ des Juifs d’Europe soit posée. »
Quand Le Soir lapsusse sur le « retour » de Juifs d’Europe en… Israël.
Bonne intention, mais terrible lapsus ! Évoquer un retour implique que l’on imagine que les Belges juifs ne seraient pas « naturellement » belges. Autrement dit, que leur « patrie » serait Israël et non la Belgique. L’expression Juifs d’Europe ressemble à la description d’une diaspora. Autant se demander si les Francophones de Flandre vont « retourner » dans leur Wallonie. Genre, ceux qui portent un nom exotique là-bas. Comme Yves Leterme, Geert Bourgeois, Jan Jambon… Allez, zou, les Juifs en Israël et les Germanophones en Germanie, les Néerlandophones en Néerlandie et les Rroms en Rromie !
Hey Jew, don’t let me down…
L’édito de Béatrice Delvaux n’a certes pas le moindre aspect antisémite non plus. Il parle bien des « Belges de confession ou de culture juives ». C’est correct. Mais — sous l’émotion du moment, peut-être — il est titré « Vous êtes nous ». Comme si ce « vous » pouvait exister ! Comme si l’on pouvait être Belge juif sans être autant un « nous » que n’importe quel Belge. Comme si une Belge d’origine catholique (si, j’y tiens, ça montre bien le ridicule de certaines expressions) avait l’autorité de décerner aux Belges de culture juive un accessit national en s’appropriant le « nous » et en défendant le fait qu’on se doit de protéger les « vous ». Comme s’il était possible d’entrer dans la logique nous/vous pour consacrer l’égalité de tous les Belges. Ils suffisait de titrer « Nous sommes tous nous » !
La maladresse n’est pas grave. Tout le monde en commet. Mais sa répétition pose question. Il ne s’agit pas ici de critiquer une couverture et un édito, mais de se demander s’ils ne trahissent pas des réflexes inconscients, des habitudes déplacées.
Considérer que l’attentat du Musée juif est une « affaire juive », c’est valider la différenciation instaurée par les assassins eux-mêmes.
Dans un État de droit, il n’y a pas une once de différence entre la citoyenneté de l’un ou de l’autre. De ce point de vue, l’attaque contre le Musée juif ne visait pas « les Juifs » (« oh, les pauvres, c’est encore sur eux que ça tombe »), il visait le citoyen belge. Considérer que cela visait « les Juifs » revient à approuver la différenciation instaurée par les assassins eux-mêmes, et à valider l’idée que non, pour s’en prendre à Israël, il n’est pas illogique de tuer « des Juifs » en Belgique ou en Europe.
Dans le même article, Béatrice Delvaux critique l’appel à l’Alyah de Netanyahou, et dans l’édito précédent, elle appelle Israël à chercher la paix pour faire baisser la tension. Je suis très critique d’Israël et je me pose même la question de la nécessité d’un boycott, c’est vous dire. Mais je ne comprends pas qu’on lie ainsi systématiquement juif et Israël. Il faudrait alors plutôt (ou au minimum aussi) en appeler aux intellectuels arabes pour qu’ils rappellent qu’un Européen qui se revendique juif n’est jamais responsable des actes du gouvernement israélien.
On n’assassine pas des Belges d’origine syrienne, même partisans d’Assad pour prétendre lutter contre le dictateur, que je sache ! On n’y pense même pas ! Du reste, il est aussi absurde de tuer des Belges juifs pour venger des Palestiniens ou « attaquer Israël » que d’insulter un homme ou une femme au hasard sous prétexte que le ou la vôtre vous a trompé-e !
Bien sûr, Israël jongle avec tous ces concepts pour des raisons de politique interne, mais ça ne concerne que ceux qui pratiquent cette politique, et plutôt que de conforter le public de l’indissociabilité des concepts Israël et Juifs en les associant systématiquement dans les éditos, on devrait souligner l’inverse : la distance factuelle qui sépare les Belges juifs de l’État hébreu.
Car, avant tout, Mehdi Nemmouche a tué à Bruxelles, en Belgique, des Belges. Il n’a pas attaqué une communauté en particulier, mais un pays, un « nous », pas un « vous ». La judéité des victimes est un choix de l’assassin. Entrer dans cette logique reviendrait à le valider, ce que l’on fait aussi quand on laisse porter le fardeau de la Shoah par les seuls Juifs, autrement dit, à prolonger ainsi l’immonde classification établie par le nazisme entre les bourreaux et les victimes.
Carry that weight
Béatrice Delvaux est-elle tombée dans ce second piège quand elle écrit : « nous, dont l’enfance, puis l’adolescence ont été nourries par les récits atroces des camps de concentration (sic)(1), nous qui avons vu et revu les images de l’Holocauste » ? Tel que je le lis là (et ce n’est pas forcément ce que Béatrice a voulu dire), ce « nous » qui a été nourri de « récits atroces » n’intègre déjà plus le « vous » du titre. Être nourri n’est pas s’approprier. Être nourri n’est pas porter le fardeau mais observer de loin, ou du moins de l’extérieur, l’effet de la Shoah sur une culture à laquelle on ne s’identifie pas. Être nourri ne nous amène pas à penser « ça nous est arrivé ». Mais bien « ça vous est arrivé ».
Or, ne devons-nous pas rejeter radicalement la classification établie par Hitler entre Juifs à brûler et Aryens à reproduire ? Et considérer que ce sont bien nos parents à tous, sans distinction, nos frères et sœurs à tous, qui ont été envoyés à la mort méthodiquement, industriellement ?
Faute d’avoir porté le fardeau de la Shoah tous ensemble, nous avons créé une cassure entre citoyens en principe égaux.
Cela signifie, par exemple qu’on ne devrait pas attendre qu’il y ait un attentat pour crier « Je suis juif » (ou je suis musulman, ou je suis yézidi) à gorge déployée pour prouver son humanisme subit ! On devrait l’être par défaut, on devrait mieux assumer toutes les minorités culturelles ou religieuses comme étant « nous ». On devrait se sentir blessé au plus profond de notre âme chaque fois qu’une minorité est agressée. Et ce n’est pas ce qui se passe.
Come together, right now, over me
On me dira « mais les Juifs ont bien le droit de se sentir plus concernés pas la Shoah, non ? » Oui. Évidemment. Il y a une différence entre porter un fardeau commun et posséder des photos de famille de gens gazés puis brûlés dans les camps d’extermination. C’est la différence entre l’intimité et la solidarité. La seconde revient, par exemple, à assumer le statut de porte-parole des discriminés ensemble, à tout moment. À ne pas titrer « [Le Congrès juif européen] taxe Karel De Gucht d’antisémite » comme l’a fait La Libre, mais bien « L’antisémitisme (des propos) de Karel De Gucht choque le monde » (par exemple). Au lieu d’attendre que chaque minorité s’exprime depuis sa « communauté », ce qui lui donne l’air de diffuser un message communautaire. Et renforce chaque fois la sensation interne d’être isolée. D’autant qu’il y aura toujours un moment où cette minorité (chaque son tour) sera critiquée par la communauté majoritaire pour une raison ou une autre. Et l’on arrive vite à la stigmatisation. Les Belges de culture musulmane avec Daech, ceux de culture turque pour le Génocide des Arméniens(2), et Salomon van België dès que la guerre israélo-palestinienne reprend vigueur.
S’il y a une Ligue belge contre l’Antisémitisme — avec une approche forcément moins neutre qu’un établissement fédéral —, c’est parce que la société n’a pas été à même de rendre justice aux Belges juifs de façon crédible, de publier les photos de cette maison nazie, de mettre à la une les infâmes cris de « morts aux Juifs » dans les manifs, ou les calicots antisémites trimballés en public sans que personne ne réagisse. Il a fallu la LBCA pour alerter la presse et ce n’est pas normal.
Peut-on admettre, aussi, de ne poser qu’un regard extérieur, bienveillant mais distant, sur une communauté forcée à vivre derrière des murs au sein même de notre société ? Ne sommes-nous pas tenus de considérer qu’en imposant ces policiers devant des écoles et des centres culturels, ces tourniquets à l’entrée du musée juif, les terroristes nous imposent à tous une inégalité inacceptable ? Il n’y a pas de « vous » qui tienne là-dedans. Il y a nous, tous. Les intellectuels ne doivent pas « rappeler » — surtout pas ! — que « vous » avez bien le droit de vivre chez « nous ». Mais que « nous » avons été attaqués, enfermés, menacés, placés derrière des murs. L’idéal étant qu’un jour, les minorités retrouvent le réflexe de se défendre entre elles, en mettant l’ici avant l’ailleurs.
Si la société s’était vraiment chargée de lutter contre l’antisémitisme, on n’aurait pas besoin d’une LBCA.
Pourquoi a-t-il fallu attendre que ce soient des Juifs qui se lancent à la poursuite de criminels nazis que les Alliés avaient laissé s’échapper, notamment avec l’aide de l’Église, ou qui vivaient paisiblement en Allemagne sans être dérangés le moins du monde par la justice allemande ?
Let it .BE
Non seulement, les citoyens n’ont jamais été invités par nos grands esprits à co-porter le joug de la Mémoire, les Belges d’origine catholique (héhé, j’aime vraiment bien l’expression…) ont en plus laissé se développer, dans leur communauté majoritaire, des sentiments banalement haineux, considérant par exemple qu’un « peuple » qui avait été victime d’une tentative d’extermination n’avait pas à « faire pareil en Israël ». Cette phrase, combien de fois ne l’ai-je entendue ?
Passons déjà sur l’assimilation entre les exterminés (qui n’ont plus le pouvoir de faire du mal à quiconque, eh ouais) et l’État qui rassemble à peine quelques-uns de leurs descendants. Et demandons-nous s’il n’est pas antisémite de prétendre imposer à la population qui fut la cible de l’épouvante suprême d’être « meilleure » qu’une autre ! C’est une double peine : votre famille a perdu la moitié de ses membres dans un assassinat monstrueux ? Eh bien désormais, en plus, elle doit se montrer plus humaine que tous les autres humains, sinon elle est moralement inférieure ! Obscène. Dégoûtant. Répugnant.
I’m back in the USSR
L’utilisation par des intellectuels de termes impropres, comme celui du retour ou celui des Juifs de Belgique est aussi une manifestation de notre difficulté à séparer deux notions fondamentales bien distinctes : la citoyenneté et la culture. Comme le pressentait Aamin Maalouf dans Les Identités meurtrières (3), ceux qui se pensent autochtones se réservent une sorte de plus-value citoyenne, présentant la nationalité des « allochtones » comme moins valide que la leur. Soit avec une certaine compassion, comme « avec les Juifs victimes de ci ou de ça » — et la compassion, comme la pitié, c’est du mépris —, soit avec arrogance. Dans les deux cas, les « autochtones » seraient les « vrais » nationaux quand les « allochtones » le seraient moins. La preuve, c’est qu’on brandit régulièrement le fait que les « allochtones » auraient des devoirs à accomplir pour mériter leur citoyenneté, chose que les « autochtones » n’ont pas à faire : ils sont blancs, portent des noms wallons ou flamands, merde, quoi ! Leur nationalité à eux est inscrite sur leur visage, non ?
Eh bien non. C’est une réaction xénophobe même si, à beaucoup, elle paraît naturelle. Le besoin qu’ont ressenti plusieurs Belges juifs de dire dans la vidéo citée ci-dessus : « nous avons tout fait pour nous intégrer » nous permet juste de constater l’ampleur des dégâts.
On s’interrogera ainsi sur la qualité de la citoyenneté d’une députée voilée, d’un militant du Likoud qui est plus souvent à Tel-Aviv qu’à Bruxelles, ou même d’un Flamand « de souche » qui veut la fin du pays. On se demandera si un jeune Belgo-Israélien qui s’engage dans Tsahal peut encore être considéré comme belge. On reprochera à un Belgo-Turc d’avoir fait son service militaire en Turquie alors que — tout comme le Belgo-Israélien — sa double nationalité l’y autorise absolument.
Leave my citizen alone.
Pourtant, la nationalité belge est de facto détachée de toute considération autre que le fait d’être inscrit dans le grand registre des Belges. Est belge toute personne qui possède la nationalité belge, quelles que soient ses opinions, ses croyances, la consonance de son nom, sa couleur de peau ou le nombre de générations qui la sépare d’ancêtres non Belges — c’est fou de devoir le rappeler. Et non, il n’y a pas de devoir lié à cette nationalité, sinon, en gros, et uniquement pour ceux qui l’ont acquise de leur vivant, celui de ne pas s’impliquer dans le terrorisme. D’ailleurs, le mot devoir n’apparaît pas une seule fois dans la Constitution.
Il est donc insupportable d’entendre des intellectuels ou des politiciens affirmer avec l’air de faire une expertise, que des nationaux belges d’origine étrangère ont « des droits et des devoirs ». Car même Marc Dutroux n’a pas été déchu de la nationalité belge et ne le sera pas. Une fois que la citoyenneté est acquise définitivement, toute notion de devoir s’éteint d’elle-même. Et ça vaut pour tous. Qu’on porte des peyes ou le voile ou qu’on s’appelle Jules Vandenbroeck-Dupont.
L’article 10 de notre Constitution précise : « Les Belges sont égaux devant la loi ». L’article 11 : « La jouissance des droits et libertés reconnus aux Belges doit être assurée sans discrimination. À cette fin, la loi et le décret garantissent notamment les droits et libertés des minorités idéologiques et philosophiques ». Autrement dit, l’altérité (par rapport à une prétendue norme prétendument de souche ou autochtone ou judéo-chrétienne ou que sais-je) ne constitue pas seulement un droit, c’est même une institution de notre loi fondamentale !
L’article 12 précise que « La liberté individuelle est garantie. » La conséquence de cette absence de devoir et de cette liberté, c’est que vous pouvez aimer la Turquie, Israël, le Maroc, les États-Unis, le Kamtchatka un milliard de fois plus que la Belgique ; vous pouvez même haïr profondément la Belgique ou appeler à sa dissolution, ça ne diminue pas d’un iota votre droit à la citoyenneté. Le simple fait de fustiger le « manque d’amour » d’un Belge pour la Belgique est même une entorse à l’une de nos valeurs fondamentales. Article 19 de la Constitution belge : « […] la liberté de manifester ses opinions en toute matière, [est garantie] […] »
La garantie de la liberté individuelle inclut celle de s’enfermer dans une communauté (minoritaire).
Cela inclut aussi la liberté de s’enfermer dans une communauté et de ne pas parler une langue nationale. Cela inclut le droit à une double nationalité et les conséquences qu’il entraîne (droit de s’engager dans l’armée de l’autre pays, par exemple). On peut bien sûr discuter du caractère moral, idéal, ou non, de toute une série de pratiques propres aux minorités visibles, mais certainement pas en mettant en doute leur droit inviolable à la citoyenneté.
With a little help from my community friends.
Les Belges qui portent des noms d’origine wallonne ou flamande ne sont du reste pas les derniers à se comporter de façon communautariste — déjà entre eux ! —, à fermer leur porte à tout ce qui leur paraît étranger. C’est la majorité installée qui a, la première, ce réflexe de repli sur soi. Seulement voilà, quand une majorité fait du communautarisme, ça ne se voit pas. Quand le gouvernement flamand publie un fascicule expliquant qu’un « Flamand » va dormir à 22 h et mange du porc, il fait aussi du communautarisme (ne fût-ce que parce que le Wallon va, lui, dormir à 22 h 47 et mange plutôt du cochon). C’est un peu comme si Salomon Van Beveren, citoyen belge de culture juive depuis quinze générations, n’était toujours pas parvenu à devenir flamand ou belge parce que, rendez-vous compte, il va dormir à 23 h 22 et ne mange pas de porc !
Le message communautaire de la majorité, c’est : « vos différences nous dérangent, alors, devenez comme nous et rejoignez notre communauté, la plus grosse, la plus belle, la plus morale. » Idéalement, manger comme elle, s’habiller comme elle et si possible, prier comme elle ou devenir athée comme elle.
Si l’on considère que, dans les débats sur la citoyenneté, la nationalité et ses droits priment sur toute autre considération, on ne peut donc être décrit comme Juif de Belgique ni Turc de Belgique si l’on est belge. On est Belge de culture juive, Belge d’origine turque ou de culture turque, voire Belge turcophone, si on cultive la langue turque. Et si l’on a une double nationalité, on peut être Belgo-Turc, Belgo-Israélien, Belgo-Marocain, Belgo-Français, etc.
On a abusé du mot citoyenneté pour s’en prendre aux minorités.
Tant qu’on utilise le mot nationalité, tout ça reste encore facile à expliquer. C’est quand on utilise son synonyme, citoyenneté que les confusions s’installent et que les choses se gâtent. Celui-ci permet aux défenseurs d’une Belgique soi-disant exclusivement « judéo-chrétienne » de s’en prendre à toute forme de différence. On devrait peut-être même réfléchir au concept de cours de citoyenneté qui sous-entend qu’on apprend à devenir citoyen. Si on peut apprendre à avoir un comportement citoyen qui cadre dans le vivre ensemble, on ne peut apprendre à être un citoyen, puisque c’est notre carte d’identité qui dit si on l’est (et alors, on l’est totalement) ou pas (et alors, on ne l’est nullement).
La citoyenneté ne se divise pas par la culture de chacun parce que nationalité et culture s’inscrivent sur deux plans fondamentalement différents. La première est un fait technique qui implique des droits, la seconde est un univers, une référence, un mode de vie, et elle constitue un droit. Quant à la multiculturalité, eh bien je vous annonce que la Belgique, l’Europe, ont toujours été des lieux de multiculture. Mais ça, c’est pour un prochain article.
Hello, goodbye.
Entre-temps, j’espère que l’on pourra débattre de ce « vous » malheureux et, peut-être, révélateur. Et, à terme, réinstaurer la nationalité comme la première de ces « valeurs » que des xénophobes brandissent à qui mieux mieux pour insinuer que les minorités ne les partageraient pas par essence.
Le respect de l’absolutisme de la qualité de citoyen est une des conditions fondamentales à la fondation d’un vivre ensemble basé sur le respect mutuel. Jusqu’ici, nous avons fait le contraire. Nous avons pris acte de la division de la société en communautés et, comme c’était facile, on a tiré à boulets rouges sur chacune de nos communautés dès que l’occasion se présentait, pour sortir à l’inverse nos calicots « je suis juif » lorsque l’assassinat a pris la place de la petite discrimination quotidienne dont la majorité ne trouvait pas utile de s’occuper. Il ne faut pas s’étonner alors que dans les minorités, certains éprouvent du ressentiment envers la communauté majoritaire.
Comment voulez-vous que des citoyens qui sont en principe égaux devant la loi, et qui se sentent néanmoins rejetés ou mal compris, qu’on traite de « vous » dans un édito, ne ressentent pas le besoin de se reclure dans ce qu’ils perçoivent comme leur communauté, à la fois un lieu sûr, mais aussi, hélas, un lieu où les idées tournent en rond parce que déconnectées du bateau national, parce que teintées d’une paranoïa bien compréhensible. Qu’on soit de culture juive, marocaine, turque, africaine, francophone en Flandre ou flamande à Arlon.
Au final, ces raisonnements sur l’appartenance poussent des Belges à ne plus se concevoir que comme des « vous ». Et c’est là que logiquement, l’on envisage effectivement de s’exiler dans un pays où on a l’impression qu’on obtiendra enfin cette reconnaissance toute simple : celle d’être un citoyen comme n’importe quel autre. Il est temps que toutes les communautés minoritaires se voie offrir cette banalité-là !
- C’étaient des camps d’extermination, pas de concentration.
- Je parle de la « communauté » des Belges d’origine turque, pas de ses parlementaires.
- Merci au commentateur Facebook qui m’a rappelé ce texte.
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Hansen
juin 13, 14:59guypimi
juin 13, 22:49Marcel Sel
juin 14, 16:15Ana
juin 16, 13:21guypimi
juin 13, 17:16guypimi
juin 13, 17:26Marcel Sel
juin 13, 18:02Albert Jacquemart
juin 14, 16:54Marcel Sel
juin 14, 22:12Frydman
juin 13, 18:40u'tz
juin 14, 21:28Irène Kaufer
juin 13, 19:00Marcel Sel
juin 14, 16:12Pfff
juin 14, 18:20Marcel Sel
juin 14, 22:14Pfff
juin 15, 10:21Pfff
juin 15, 10:54Marcel Sel
juin 15, 12:46Pfff
juin 15, 11:22Pfff
juin 15, 14:07Pfff
juin 15, 14:28Shakuhachi
juin 14, 20:46Marcel Sel
juin 14, 22:51Shakuhachi
juin 15, 16:42Marcel Sel
juin 15, 17:18Shakuhachi
juin 15, 18:15Marcel Sel
juin 16, 12:12Shakuhachi
juin 16, 13:47Marcel Sel
juin 16, 18:11Shakuhachi
juin 16, 20:27u'tz
juin 14, 21:35Hansen
juin 13, 19:01Salade
juin 13, 20:55Marcel Sel
juin 14, 16:13MUC
juin 14, 19:47u'tz
juin 14, 21:48u'tz
juin 14, 22:19thomas
juin 15, 23:30Suske
juin 14, 01:01Marcel Sel
juin 14, 16:16u'tz
juin 14, 22:05Pfff
juin 14, 10:41Marcel Sel
juin 14, 16:17Rik-Rak
juin 14, 10:49Pfff
juin 14, 16:55Mélusine (la vraie ;) )
juin 16, 04:06Pfff
juin 16, 16:27Rik-Rak
juin 16, 11:54Pfff
juin 16, 16:51Pfff
juin 16, 19:14Pfff
juin 15, 10:50Pfff
juin 15, 11:06attila
juin 16, 14:12Pfff
juin 16, 18:57Pfff
juin 15, 11:07u'tz
juin 16, 22:10Pfff
juin 14, 11:38Vous êtes belge, Salomon ? | UN BLOG DE SEL | 1969 : Génération perdue ?
juin 14, 12:21Pfff
juin 14, 12:27u'tz
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juin 17, 10:58Pfff
juin 14, 13:00u'tz
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juin 14, 13:11Pfff
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juin 14, 17:49wallimero
juin 14, 23:09Marcel Sel
juin 15, 12:40Pfff
juin 15, 17:11thomas
juin 16, 00:01thomas
juin 16, 00:03serge
juin 15, 11:08Marcel Sel
juin 15, 12:52serge
juin 15, 13:45Pfff
juin 15, 14:19Salade
juin 15, 15:26u'tz
juin 16, 22:52Nicolas
juin 15, 12:07Marcel Sel
juin 15, 12:56Nicolas
juin 15, 13:48Marcel Sel
juin 15, 14:07Nicolas
juin 15, 14:44Marcel Sel
juin 15, 17:15MUC
juin 16, 09:18Marcel Sel
juin 16, 12:15MUC
juin 16, 22:31Marcel Sel
juin 16, 22:47MUC
juin 17, 08:50u'tz
juin 19, 00:01Pfff
juin 15, 12:32Eridan
juin 15, 13:06Marcel Sel
juin 15, 13:59Salade
juin 15, 19:09Rik-Rak
juin 16, 12:34Rik-Rak
juin 16, 11:28Pfff
juin 16, 18:07Pfff
juin 15, 17:22Rik-Rak
juin 16, 20:58Pfff
juin 17, 15:20Marcel Sel
juin 17, 17:38Pfff
juin 17, 15:35Pfff
juin 15, 19:04