Après la polémique, les Noirauds réfléchissent à leur évolution.
La polémique sur les Noirauds — amorcée par une interview de Didier Reynders en noiraud à France 2 — a eu au moins un résultat positif. Quoi ? Didier Reynders aurait regretté son élan folklorique bruxellois subit et ses conséquences internationales ? Eh bien non. Apparemment, être ministre des Affaires étrangères en Belgique, c’est ne pas se soucier de ce que le reste du monde peut penser de vos actes. L’effet positif de la séquence télé de François Beaudonnet (France 2) et des articles publiés ensuite sur les Noirauds, c’est une prise de conscience par la congrégation elle-même qu’il y a peut-être une réflexion à mener sur l’évolution de cette œuvre de bienfaisance où l’on se grime en notable noir vu par le notable blanc du XIXe siècle, pour récolter des fonds pour des enfants. C’est à cela que j’invitais le Conservatoire Africain, ou encore Œuvre royale des Berceaux Princesse Paola, l’association dont les Noirauds s’occupent, dans mon précédent article.
En ce qui concerne les Noirauds eux-mêmes, l’objet du délit ne fut pas tant Didier Reynders que la tête de Noir brandie au bout d’une pique, que l’on voit dans le reportage et sur d’autres photos. Il répercute une vision raciste d’une époque révolue, avec de grosses lèvres et un anneau dans le nez. Le fait qu’il soit en haut d’une pique donne l’impression qu’on trimbale une tête coupée. Ça la fout mal, comme on dit.
Jusque-là, pour les Noirauds, cette tête n’avait rien de suspect. C’est en fait celle de Gustave ! Mais qui est Gustave ? En 1887, la ville de Bruxelles a organisé un cortège pour lequel les Noirauds avaient conçu un char. En tête du véhicule, il y avait un grand Noir. La tête était posée sur un corps de 3m de haut. Celui-ci a disparu, mais la tête a été conservée et posée sur une hampe pour pouvoir la trimbaler dans les cortèges (il ne s’agit donc pas d’une tête coupée qu’on trimaballerait au bout d’une pique). On la promenait en battant la mesure, les Noirauds étant depuis toujours accompagnés par un orchestre quand ils défilent. C’est lors d’un passage à Liège, en 1893, que la tête reçut son nom Gustave, suite à une péripétie franchement drôle, mais que je ne vous dévoilerai pas, elle paraîtra dans un livre que l’association publiera l’an prochain.
Gustave reçut son nom à Liège en 1893.
Au fil du temps, les Noirauds ont tout naturellement continué à la promener comme un vestige d’un temps jadis, sans jamais se rendre compte de la charge symbolique lourde qu’elle a fini par porter après la fin des colonies, nos sociétés étant de moins en moins tolérantes face aux caricatures de peuples qu’autrefois, elles avaient considérés comme inférieurs et dépeint avec cruauté, mais pas forcément avec mauvaise intention. En gros, le monde a changé, mais les Noirauds étaient coincés entre la perpétuation d’une œuvre et d’une tradition et l’adéquation aux standards humains d’aujourd’hui. La première réaction des Noirauds fut franchement maladroite, comme je l’ai montré dans mon billet précédent. Entre déni et tentative d’explication, les porte-parole de l’œuvre philanthropique n’étaient pas à l’aise, jusqu’à accuser François Beaudonnet d’avoir cherché le buzz. En fait, c’est Didier Reynders et lui seul qui pourrait être accusé d’avoir cherché à faire valoir qu’il faisait de la philanthropie et à s’en vanter.
Il a alors fallu que Gustave passe à la télé pour que certains des Noirauds se rendent compte de l’image négative que projetait la vieille tête de Nègre et se posent les bonnes questions. Il y eut alors un débat au sein des Noirauds, avec pour résultat une communication parue sur leur profil Facebook.
Le 30e président, Jean-François Simon, y rappelle d’abord l’objectif philanthropique de l’organisation et les résultats de cette année, 64.112 €, qui iront intégralement aux enfants. « En 2014, les Noirauds ont aidé 1860 enfants pour un montant de 141.000 € en prenant en charge des frais scolaires, des frais médicaux, des lunettes, des appareils dentaires, des appareils auditifs, des camps de vacances ; ils ont permis à 1.200 d‘entre eux d’assister à un après-midi au Cirque Bouglione ». Sans distinction, bien sûr, d’origine ou de couleur de peau.
« L’association doit penser à évoluer sur la forme tout en gardant son caractère. » J-L Simon, président.
Il passe ensuite à la réflexion née de la polémique : « Notre mode de fonctionnement s’est prêté fidèlement jusqu’à ce jour, au respect de nos traditions basées sur un objectif noble mais aussi, il faut le reconnaitre, sur un concept datant de 1876. Il faut bien dire que, jusqu’à présent, nos habitudes folkloriques avaient plutôt suscité de l’enthousiasme et le résultat de notre collecte en est la preuve. La polémique lancée par un journaliste nous permet de nous rendre compte que notre historique peut poser problème par rapport à la forme et à l’image véhiculée […]L’association, forte de ses traditions, ne doit pas changer mais elle doit penser à évoluer. Dès maintenant, nous entamons la réflexion pour évoluer sur la forme tout en gardant notre caractère ainsi que notre anonymat et tout en continuant à participer, dans un objectif caritatif, au folklore bruxellois. »
Et de rappeler que si, à l’origine, les Noirauds étaient des bourgeois et des notables de Bruxelles, aujourd’hui, ils se recrutent dans « la plupart des couches sociales ». Depuis quelques années, aussi, les femmes ont le droit de noirauder.
On verra comment la réflexion menée par les Noirauds se traduira dans les faits. Mais je suis toujours favorablement impressionné quand une institution parvient à écouter les critiques — arrivées de façon inattendue et assez brusque cette fois —, à les digérer et à en débattre en interne. C’est une preuve de maturité devenue plutôt rare à l’ère de la com où reconnaître qu’il y a un problème est devenu un tabou suprême.
Alors, je suis curieux et même impatient de voir comment les Noirauds vont évoluer. Peut-être qu’il faudra en passer par un jumelage avec Matonge, des échanges de vues avec les Noirs de Bruxelles, un foisonnement d’idées partant du fait que ce n’est pas se déguiser en Noir qui pose problème, mais le sens que l’on peut en donner et la souffrance que cela peut réveiller.
Et si Matonge s’en mêlait ?
Car il ne faut pas effacer les vestiges de nos erreurs passées. Il ne faut pas interdire Tintin au Congo. Il faut au contraire les préserver, faute de quoi nous perdrons bientôt le souvenir que notre pays et notre société se sont aussi bâtis sur le racisme, le colonialisme et l’exploitation d’autrui par l’esclavage et la traite négrière. Si l’on censure tout souvenir de ce passé, on censure aussi les leçons à en tirer. Il faut au contraire présenter les choses, revenir au contexte. Dans le cas de Tintin, c’est facile, une préface explicative suffit à donner à l’ouvrage une dimension éducative. Dans le cas des Noirauds, c’est évidemment plus compliqué, il faut qu’ils restent étonnants et drôles.
Peut-être que ça coûtera tout de même la tête à Gustave et que la parade des Noirauds sera assortie d’une reconnaissance des excès du colonialisme belge sous une forme ou une autre. Peut-être qu’un jour, on verra les Noirauds accompagnés de Blanchots figurant les exploiteurs des colonies. Et, pourquoi pas, qu’une fanfare congolaise jouant Indépendance Cha-cha accompagnera la troupe, ou qu’elle inaugurera un jour un monument à la gloire de Jamais Kolonga, le premier Congolais qui ait eu le droit de danser avec une Blanche. C’était en 1952, à Ilebo. À l’époque, la ville s’appelait Port Francqui.
Alors voilà, les Noirauds ont officiellement fait un premier pas. Je me suis dit que ça valait bien un billet. Avis aux Bruxellois d’origine congolaise qui ont envie d’aider à transformer une parade qui peut leur avoir semblé vexante en leçon d’histoire au bénéfice de tous ! Après tout, leur slogan est : « Plaisir et Charité ». Ça vaut bien de dépasser les polémiques !
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Jean Duval
mars 26, 01:33Marcel Sel
mars 29, 22:10Pfff
mars 30, 10:36Kombo
mars 02, 03:30Hansen
mars 26, 07:53Marcel Sel
mars 29, 22:12guypimi
mars 26, 10:59Marcel Sel
mars 29, 22:12Pfff
mars 26, 11:28Kombo
mars 02, 03:39u'tz
mars 03, 23:01Pfff
mars 26, 12:17L'enfoiré
mars 26, 20:23L'enfoiré
mars 26, 20:25uit 't zuiltje
mars 26, 21:52Tournaisien
mars 28, 10:23Tournaisien
mars 28, 16:00L'enfoiré
mars 28, 16:27willy
mars 28, 17:34Marcel Sel
mars 29, 22:16Linda Mondry
avril 08, 10:48