Quand Kubla et De Decker tournent kazakh (MàJ).
Mise à jour du 27 février 2015 à 13h12 – en gras
Armand De Decker est mis en cause dans une sordide affaire. Son commanditaire s’est fait payer via des comptes offshore… On ne sait pas d’où vient l’argent qu’il a touché lui-même, et il y a toujours présomption d’innocence bien entendu, mais le moins qu’on puisse dire, c’est que la défense de notre ancien président du Sénat est faiblarde. Retour sur une affaire qui pue et revue de détail de la défense Armand, qui ne risque pas d’entrer dans l’histoire du barreau.
L’affaire commence dans les années 90 avec le versement par Tractebel de « frais de consultance » à trois influenceurs kazakhs bientôt connus sous le vocable « le Trio ». Ils sont du reste toujours partenaires : Alijan Ibragimov, Alexander Mashkevitch et le plus célèbre, Patokh Chodiev. Ibragimov est le seul kazakh, les deux autres sont nés ouzbeks. Tractebel avait dû passer par eux pour permettre l’achat de concessions dans le domaine de l’énergie, sur des centrales électriques alimentant Almaty, la capitale du Kazakhstan, et un pipeline de gaz naturel. En février 2002, Walter De Bock et Walter Pauli, du Morgen, ont rédigé une série d’articles sur l’affaire — probablement la série la plus complète. On y apprend que le Trio n’a pas perçu 55 millions d’euros (de l’époque), mais bien 145 millions, via des sociétés offshore de Tractebel — pour assurer l’achat par la société belge de sociétés pour une valeur de 200 millions seulement… Le problème, c’est que la rentabilité des achats n’a jamais été au rendez-vous.
Le Trio aurait empoché 145 millions…
Deuxième hic, un juge d’instruction suisse, connu pour son efficacité, se met à examiner les transactions de Tractebel. Et tombe sur le Trio, qui l’intéresse rapidement plus que de raison au goût du dictateur kazakh Nazerbaiev. Détail piquant, c’est apparemment le premier ministre kazakh lui-même qui a amené le juge suisse Daniel Devaux sur sa propre piste, en voulant incriminer son prédécesseur. Très vite, Devaux menace de tout faire péter, à Bruxelles comme à Almaty. Sans compter la justice belge, qui se met en branle (le fisc exigera 6 milliards de francs de redressement à Tractebel). Et le « kop » ultrafeutré de l’entreprise, qui chapeaute notamment Électrabel (Étienne Davignon, Yves Boël, Philippe Bodson, Thierry De Rudder — le bras droit Albert Frère…) tourne casaque à son tour, se mettant à nettoyer furieusement en interne, faisant sauter un premier fusible, Nicolas Atherinos, le responsable des opérations en Asie centrale et particulièrement au Kazakhstan. Avant ça, ils avaient déjà demandé à Pierre Bocquet de déminer la situation.
Quand la Belgique se décide à poursuivre officiellement le Trio pour faux, usage de faux, blanchiment et association de malfaiteurs, le Kazakhstan rompt ses relations avec Tractebel qui réservera jusqu’à 350 millions d’euros (14 milliards de francs) pour compenser les pertes que l’un de ses dirigeants attribuera au Kazakhgate. Et voilà que Tractebel se porte aussi partie civile, contre le fusible Atherinos. Et que Bocquet annonce des poursuites contre Tractebel. Bref, un peu tout le monde attaque un peu tout le monde. Ça se passe comme ça quand on est dans le caca.
Davignon, Albert frère, Yves Boël parviennent à garder la tête hors de l’eau.
Mais la tête feutrée de l’entreprise, elle, parvient à rester hors du micmac. Pourtant, il est difficile d’imaginer qu’elle ait laissé à un seul homme, Nicolas Atherinos, le pouvoir d’attribuer une somme de plus de 100 millions d’euros à quelques magnats hautement suspect de pratiques mafieuses par ailleurs. Car la fortune de Chodiev et ses amis proviendrait entre autres de fraudes massives datant de la chute du mur : on ne passe pas de citoyen soviétique à magnat multimilliardaire en 10 ans juste parce qu’on est un entrepreneur génial. Mais l’argent n’a pas d’odeur dans l’industrie. Détail sexy, l’un des deux amis de Chodiev, Alexander Mashkevitch, sera arrêté quelques années plus tard par la police turque sur un yacht peuplé de jeunes ukrainiennes, dont quelques mineures, auxquelles toutefois le milliardaire jure ne pas avoir touché. Elles n’étaient là que pour faire joli. Le Trio, qui contrôlerait d’après certains un tiers de l’économie kazakhe, serait aussi lié à la mafia locale. Un câble de la diplomatie américaine révélé par wikileaks relève la présence de Patokh Chodiev (dont je n’ose même pas dire ce que les diplomates US pensent de lui) avec le patron de la mafia kazakhe et quelques dames de la haute société du cru.
Je corrige ma phrase ci-dessus : l’argent du crime n’a pas d’odeur non plus chez certains politiciens. Car c’est Serge Kubla (tiens, tiens), bourgmestre de Waterloo, qui obtint la nationalité belge à Patokh Chodiev, au nez et à la barbe de la Sûreté de l’État qui avait déjà quelques soupçons sur ce milliardaire express, et malgré sa méconnaissance totale du français, et le fait qu’il ne résidait dans le pays que depuis 5 ans. Pour Serge Kubla, Chodiev est d’ailleurs un type — oups, pardon — un voisin direct charmant. Mais d’après la DH, le même Chodiev a été attiré en Belgique par un « mafieux russe d’Anvers ».
Patokh Chodiev, ex-agent du KGB, maffieux notoire, aurait obtenu sa nationalité par un faux en écriture chez Kubla.
C’est d’ailleurs la version de la police au moment d’établir un premier rapport dans le cadre de l’accession de Patokh à la nationalité belge. Le document demande aux autorités de tenir compte des « renseignements fournis par la Sûreté de l’État » concernant les relations probables de l’intéressé avec le « milieu russe » et de ralentir la procédure afin que l’enquête puisse se poursuivre. Quelques semaines plus tard, Serge Kubla « envoie » son commissaire Michel Vandewalle pour une seconde évaluation, très différente : le rapport établit que Chodiev s’exprime parfaitement en français (le français d’Almaty suppose-t-on parce que personne ne l’a jamais entendu parler français de Belgique ou de France), qu’il n’est pas connu des services de police (du kazakhstan, imagine-t-on, parce que la Sûreté a déjà relevé qu’il était l’associé d’un criminel lituanien), que son entourage direct l’apprécie beaucoup (il est voisin du bourgmestre…). C’était le 8 janvier 1997. En juillet, paf, Chodiev est belge. Juste trop tôt pour la sûreté de l’État qui note, début 1999, d’après De Morgen, que Chodiev est l’ex-associé de Boris Birshtein, un criminel lituanien. Le même document décrit Patokh lui-même comme étant probablement le chef du crime organisé russo-kazakh en Belgique… Et précise que le milliardaire ouzbeko-kazakho-belge ferait l’objet de menaces de mort — ça se passe comme ça dans la mafia.
Birshtein, lui, s’était notamment rendu célèbre pour avoir exporté 1,6 tonnes d’or de Kyrgizie vers Zurich à bord de ses jets privés qui avaient beaucoup impressionné le nouveau gouvernement du pays fraîchement désovietisé. Une partie de la contre-valeur disparut, selon le Financial Times, dans les poches de certains officiels. Genre 4 millions de dollars.
Étonnamment, ni le bourgmestre de Waterloo, ni son commissaire, ne furent poursuivis pour faux et usage de faux. Mais bon, ils avaient tout de même naturalisé une fortune à peine inférieure à celle d’Albert Frère, ça compte aussi, hein. Des milliards qui, comme souvent, ne profitèrent pas à la Belgique, mais ça fait chic d’habiter à côté d’un milliardaire. Et puis, contrairement à son associé et ami, Chodiev n’a jamais été surpris sur un yacht plein d’adolescentes ukrainiennes en string.
Sarko, les hélicos, le dictateur et le mafieux.
Armand De Decker, lui, il arrive bien plus tard. En 2009, Sarko veut vendre des hélicos au Kazakhstan. Mais le président et dictateur kazakh Nazerbaïev a trois amis très chers qui sont dans la mouise, poursuivis par la Belgique pour faux, blanchiment et association de malfaiteurs. Le Kazakh explique à Nicolas que s’il veut lui vendre des hélicos, ben, mon colon, faut qu’il aide le Trio. Car Chodiev et ses deux comparses sont très embêtés du fait que leurs affaires (et notamment leur entreprise cotée en bourse à Londres) sont freinées parce qu’ils pourraient écoper de plusieurs années de prison et d’une amende bonbon en Belgique. Or, la France, c’est bien connu, est la grande sœur de la Belgique ! Elle a forcément les moyens de peser sur notre justice, ben tiens !
Et Sarko charge son ministre de l’intérieur, Claude Guéant, de régler le problème — c’est du moins l’interprétation du Canard enchaîné et, désormais, celle du juge d’instruction chargé de l’affaire en France. Claude Guéant fait notamment appel à un député UDI, le duc (!) Aymeri de Montesquiou-Fezensac d’Artagnan (si, vous avez bien lu), à un obscur ex-préfet qui répond au joli nom de Jean-François Étienne des Rosaies qui lui-même engage une avocate niçoise, Catherine Degoul (un nom un peu plouc à la lecture des précédents, mais bon) qui, selon le Canard, serait « spécialiste des comptes en Suisse ». Et dans un rapport à Claude Guéant, le « préfet » des Rosaies se vante d’avoir obtenu la pleine collaboration de son « cousin germain » Armand De Decker pour modifier la loi belge et transformer les risques de tôle auxquels s’expose le Trio en simple amende, sans casier judiciaire de surcroît.
C’est cette note, datée du 28 juin 2011 qui lance l’affaire, tant en France qu’en Belgique. Des Rosaies y explique que « Vendredi 17 juin 17h30 Bruxelles, notre équipe a remporté toutes les décisions de justice favorables et définitives en faveur de P. Chodiev et de ses associés. » Il y rappelle que le Trio était poursuivi depuis 15 ans et que « ces condamnations ont atteint gravement et fait vaciller à au moins 3 reprises depuis 2009 la solvabilité financière internationale aux bourses de Londres et Hong Kong du «trio» et la pérennité de leur gigantesque groupe industriel ». Ah, les pauvres milliardaires ! Il précise aussi que « 7 des plus hauts magistrats de Belgique se sont succédés dans cette affaire. Confirmant à chaque fois les condamnations du trio » et que « 8 procureurs généraux avaient rejeté […] toutes les procédures en appel et cassation ». On apprend en sus que Chodiev est pressenti comme prochain président d’Ouzbékistan, qu’il fut officier du KGB (et fait citoyen belge par nos édiles… glups, glups) et très proche de Poutine et Medvedev.
Le préfêt français accuse Armand De Decker par écrit.
Enfin, et surtout, des Rosaies se vante d’avoir obtenu « le soutien déterminant » du ministre d’État belge Armand de Decker et de… son cabinet ainsi que « du cabinet d’avocat Tossens ». D’après De Decker, Degoul et Tossens l’ont appelé « pour [qu’il] les rejoigne dans la défense de monsieur Chodiev » (Le Vif du 4/10/2012) après qu’il a quitté la présidence du Sénat et repris ses activités d’avocat (qui ne posaient aucun problème de conflit d’intérêt avec sa nouvelle charge de troisième vice-président du Sénat, ben tiens ! ) Ils seraient « vite » parvenus à la conclusion que le plus simple serait une une transaction pénale.
Seulement voilà, d’après des Rosaies, la bataille aurait tout de même duré 17 mois, ce qui en situe le début vers décembre… 2009. On ne sait bien sûr pas quand Degoul et Tossens ont appelé De Decker, mais c’est apparemment assez tôt dans l’affaire, si l’on en croit le rapport de des Rosaies qui affirme que ce serait Catherine Degoul elle-même qui aurait rédigé la modification de la loi… belge ! Rétablissons tout de suite ce qui semble être le plus crédible : il n’y a aucun lien entre Degoul et les deux spécialistes qui ont légèrement retouché cette loi qui circulait en fait « depuis longtemps » d’après le ministre de la Justice de l’époque, Stefaan De Clerck, CD&V.
Le document explique aussi qu’Armand De Decker aurait obtenu l’engagement de son parti qui a voté la nouvelle loi à l’unanimité. Et prie la France de ne pas remercier le sénateur pour ses actions bienfaitrices, histoire de protéger ses arrières.
Le préfet était un peu vantard.
Si tout était vrai dans ce papier, ce serait évidemment un scandale retentissant dont Armand De Decker, ministre d’État et ancien président du Sénat, devrait payer les pots cassés à la mesure de ses hautes fonctions passées. Mais il est au minimum légitime de soupçonner des Rosaies d’avoir transmis une note qui servait surtout à embellir son action et celle de ses « associés », dont Armand De Decker, que l’ex-préfet présente comme « son cousin germain », ce qu’Armand infirme avec la dernière énergie. Néanmoins, la défense de notre ex-président du Sénat sur les autres points est d’une médiocrité crasse pour un avocat qui aura si bien défendu Chodiev par ailleurs.
Ainsi, lorsque l’affaire fut révélée par le Canard enchaîné, en 2012, Armand De Decker fit d’abord valoir que la note était un faux, ou alors comportait des faux en écriture. Au soir des élections communales, j’étais en studio chez Twizz et alors qu’il intervenait par téléphone, je lui ai demandé ce qu’il en était. Il a répondu que les grands journaux français avaient démontré qu’il s’agissait d’un faux. Notez la nuance, tout à coup, ce n’est plus lui qui le dit, mais la presse française ! Renseignement pris, aucun article dans les grands journaux pour affirmer cela — hormis ceux qui ont cité De Decker lui-même ! Ah, évidemment, c’est pratique : on dit aux journaux que c’est un faux, les journaux reproduisent votre opinion, et ensuite, on affirme que c’est même la presse le dit. Plus gros, tu meurs !
C’est pas moi qui le dis, c’est la presse (qui publie ce que je dis).
De plus, s’il s’agissait d’un faux, des Rosaies aurait tout de même pris son téléphone pour le dire au moins à un journaliste : le document l’accablait ! Enfin, on imagine bien que la justice française, qui s’est saisie de l’affaire et demande aujourd’hui la levée de l’immunité parlementaire de Montesquiou aka d’Artagnan, n’a pas basé son travail sur un faux. Notons au passage la différence entre la Belgique et la France : le second pays s’est rapidement intéressé à l’affaire et a enquêté. En Belgique, on s’est arrêté à un pieux mensonge d’Armand De Decker. Il suffit qu’il dise « c’est un faux » pour que personne ne moufte, même pas la grande presse, hormis Le Vif qui a été aussi loin qu’il pouvait le faire.
Des Rosaies a pourtant raison sur une chose : la Belgique a bien voté un amendement à la loi sur la transaction pénale, autorisant désormais de se débarrasser de la justice par une amandounette, pour les délits passibles d’une durée maximale de 20 ans de prison ! Et c’est là qu’on commence à danser. Cet amendement a été intégré à la va-vite par le gouvernement qui était à l’époque rouge-orange-bleu. Elle a en fait été obtenue à l’arrache par l’Open VLD et le MR contre la levée du secret bancaire que les socialistes voulaient voir tomber dans leur escarcelle. Dans les couloirs du parlement, tout le monde semblait persuadé qu’elle servait avant tout les intérêts de diamantaires anversois poursuivis pour fraude fiscale.
Le parcours bizarroïde d’un amendement scandaleux.
Pourquoi autoriser tout à coup les criminels passibles de longues années de prison à obtenir une carte « sortez directement de prison » pour quelques deniers ? Parce qu’il n’y a pratiquement jamais fraude fiscale sans délits passibles de prison ferme, comme l’usage de faux, notamment. Avant cette nouvelle modification du code pénal, il était donc souvent impossible de faire bénéficier les fraudeurs d’une transaction. Et dans bien des cas, ceux-ci s’en tiraient avec rien du tout, parce que le délai de prescription était dépassé. Il est vrai qu’on pouvait aussi régler le problème en étendant le délai de prescription, ce qui était plus moral qu’une transaction, souvent inférieure à l’argent encaissé par les fraudeurs ! Dans le cas du Trio Kazakh, on parle de « 23 millions » pour une fraude d’au moins 55 millions d’il y a près de vingt ans, si pas 145 si l’on en croit le Morgen. Soit, au mieux, un tiers de l’argent volé. Au pire, un dixième, sachant qu’il a dû faire des petits entretemps. Ça, ce n’est plus une amende, c’est carrément un encouragement à la fraude : tout ce qu’on risque, c’est de devoir en rembourser un peu !
On pourrait d’ailleurs changer notre devise nationale en « qui veut frauder des millions ? »
En février 2011, l’amendement de la loi sur la transaction pénale a donc été vite fait coulé par la majorité dans une loi-programme, fourre-tout qui fait s’arracher les cheveux à l’opposition — y’a même pas le mode d’emploi avec —, et est passée très vite à la Chambre (en commission des finances, sous la houlette du ministre des Finances, Didier Reynders), puis de la Chambre au Sénat (en commission de Justice, sous la houlette de Stefaan De Clerck), pour être adoptée just in time pour sauver Chodiev et ses potes. Le Vif résume : « La proposition a été déposée à la Chambre le 11 février 2011 et a été adopté le 17 mars avant d’être envoyé (le 18 mars) au Sénat qui avait déjà commencé à l’examiner le 16 mars, soit avant l’adoption par les députés (comme le permet le règlement du Sénat). Le 14 avril la loi était promulguée et entrait en vigueur le 16 mai. » Autant dire que la majorité de l’époque tenait à ce que ça passe fissa-fissa. La question est pourquoi.
Armand De Decker défend bien tout le monde sauf lui-même.
C’est là qu’apparaît la deuxième défense médiocre de De Decker : il affirme qu’il n’était pas présent en commission de la Justice du Sénat lorsqu’on a étudié la loi programme dans laquelle se nichait cette microréforme du code pénal. Logique, il ne faisait pas partie de cette commission ! Mais pire : l’article de la loi avait déjà été étudiée à la Chambre, mais en commission des Finances… où elle était passée comme une lettre à la poste. Et donc, elle était as good as adopted. De fait : la loi programme était déposée par la majorité, et il n’y avait aucune raison qu’elle ne fût votée, ce n’était pas l’opposition qui allait l’en empêcher ! Autrement dit, si Armand avait pu intervenir, c’était avant que la loi n’arrive à la Chambre ! Donc, voilà encore une défense qui ne prouve rien. Car Armand De Decker a très bien pu insister un peu auprès du ministre des Finances de l’époque, Didier Reynders, pour que celui-ci accélère le mouvement au sein du Kern pour que Chodiev ne soit pas condamné avant la modification de la loi.
Bien sûr, si c’était le cas, on ne le saura probablement jamais, c’est indémontrable. Mais il y a tout de même un gros lézard : la loi telle que formulée permettait, par exemple, à des hommes poursuivis pour violence sur des femmes, de payer une amendounette et de repartir sans même un casier judiciaire, ni l’injonction de ne plus approcher leur victime. Une perspective insupportable, notamment pour Christine Defraigne, MR, et présidente de la Commission de Justice du Sénat. Mais voilà, le gouvernement, conscient de ce chti problème (et de bien d’autres cas où des criminels allaient pouvoir payer leur blanchiment), avait déjà préparé une loi réparatrice, discutée dès avril à la Chambre, et à voter pendant l’été qui pointait son nez… D’où la question posée par Zakia Khattabi, mais aussi le Vlaams Belang, la N-VA, le FDF et autres : pourquoi ne pas fondre les deux textes et tout voter dans quelques mois ? Eh oui, pourquoi pas ?
Christine Defraigne, la MR qui sauve le MR.
Sans compter que Christine Defraigne expliquait hier soir à la RTBF qu’à l’époque, on lui avait expliqué que l’urgence était due à des dossiers qui risquaient la prescription et au besoin d’argent de l’État. Les journalistes qui disposent des banques de données dont je ne dispose pas pourraient peut-être regarder combien de cas de diamantaires anversois étaient vraiment urgents vers juin 2011… S’il n’y en a pas, et qu’il n’y a que le cas Chodiev, on aurait une petite idée de ce qui aurait pu susciter l’urgence et le fait qu’on a laissé, pendant deux mois, la possibilité à des criminels de sang de payer leur liberté sans même l’intervention d’un juge ! Et ça, De Decker ne l’explique pas ! En fait, personne n’a pu nous l’expliquer !
Troisième problème dans la défense de De Decker : en 2012, il affirme avoir rencontré des Rosaies seulement quand il venait d’avoir 18 ans, qu’il était beau comme un enfant, fort comme un homme. C’était à Knokke. Il ajoute tout de même l’avoir revu « l’année passée » (en 2011, donc) et ne pas avoir parlé de Chodiev à cette occasion, ou alors, il sentait pas bon, ou il ne s’en souvient pas, comme dit Brel quand on l’accuse d’avoir tué un chat. Aujourd’hui que la justice française a déniché une somme de 743.345 euros payés à Armand De Decker, on trouvera bizarre que face à de tels émoluments, celui qui reconnaît avoir travaillé comme avocat pour le gentil Chodiev n’ait pas parlé de lui au moment où il rencontrait l’équipe chargée, par le ministre de l’Intérieur français, de le sortir des griffes de la méchante justice belge ! Bizarre n’est pas le mot. Je pencherais plutôt pour inimaginable. D’autant que dans sa lettre, des Rosaies affirmait avoir été en Belgique une à deux fois par mois, sur 17 mois. Il faisait même état des bâtons que l’opposition politique belge « leur » avait mis dans les roues…
Quatrième problème : le bel Armand affirme que la modification de la loi était demandée par la magistrature. Le hic : trois syndicats de magistrats et de juges d’instruction et non des moindres ont écrit à la Chambre dès le 8 avril 2011 pour prier le gouvernement de revenir à la raison, comme le rappelle mon bon ami Jan Nolf, le Justitiewatcher que les spectateurs de la VRT connaissent bien. Ils priaient les députés de prendre le temps de débattre sereinement du problème, mais aussi de faire un petit tour par le Haut Conseil de la Justice et par le Conseil d’État… eh oui, même eux n’ont pas été consultés ! Et vous connaissez la meilleure ? On était alors en affaires courantes ! Et vous savez pas quoi en plus ? La lettre des syndicats de magistrats n’est même pas parvenue en commission de Justice au Sénat. Alors que même le CD&V Servais Verherstraeten expliquait en commission de la Justice de la Chambre, au moment de la discussion du projet de loi « correcteur », que les objections des magistrats étaient connues dès l’examen des amendements originaux ! Autrement dit, dès le départ, les députés. Or, la commission est aussi le lieu où l’on essaye, en principe, de confronter les nouvelles lois aux objections des premiers concernés !
Le hypothèses les plus folles tiennent la route. Et c’est un problème, un peu, non ?
En fait, la défense d’Armand De Decker dans la presse ressemble à tout sauf à… une défense cohérente. Elle est pour le moins maladroite dans le chef d’un juriste. Et à chaque nouvelle révélation, elle sort de la route. On peut bien sûr se dire qu’Armand est si droit que quand on l’accuse, il se plante. Il y a en effet des gens comme ça. L’autre possibilité est qu’il ne dise pas beaucoup plus la vérité que ne le fait le « préfet » des Rosaies. Cela ne signifie pas forcément qu’il ait violé la loi en accélérant l’adoption de l’amendement qui a, de facto, bénéficié à Chodiev. Il aurait, par exemple, pu justifier ses émoluments considérables en faisant croire à l’équipe française qu’il avait obtenu une modification de la loi, sachant qu’en fait, elle allait de toute manière intervenir…Ce qui n’est pas très moral, ni forcément très légal non plus, au demeurant.
Il a peut-être aussi aidé l’équipe d’avocats en les renseignant sur l’avancée du projet de loi programme et de l’article qui les intéressait. Une sorte de délit d’initié. Pas en ce qui concerne le trajet de la loi lui-même, bien sûr : c’est une donnée publique. Mais s’il a prévenu ses associés temporaires de ce qui avançait au Kern, par exemple, en matière de délai d’adoption de l’amendement, c’est franchement plus délicat. Il faisait ainsi bénéficier le justiciable d’informations encore cachées au public et à l’opposition.
Mais même sans tout ça, d’autres questions se posent désormais et portent sur la probité du bourgmestre d’Uccle (eh oui, Armand, c’est mon bourgmestre). Ainsi, nous ne savons pas quand il a commencé à œuvrer (légalement) pour la libération de Chodiev. Est-ce avant ou après juillet 2010, date à laquelle il a quitté la présidence du Sénat pour la « troisième vice-présidence » du même cénacle ? Si c’est avant, il faut reconnaître que deux activités aussi éloignées que la présidence de la haute assemblée et la défense d’un personnage considéré comme maffieux dans pas mal de pays est moralement inacceptable. Mais même le sénateur qu’il fut ensuite ne mettait-il pas les deux pieds dans une belle baignoire de conflits d’intérêts en étant le sénateur de la majorité qui allait faire bénéficier Patokh Chodiev de ses informations sur une future loi lui permettant d’échapper aux foudres de la justice belge ? Pour une fois, poser la question, c’est y répondre.
D’une simple conversation téléphonique à 500 heures de travail. L’inflation a bon dos.
Et c’est là que revient la médiocrité de la défense de maître De Decker : il a expliqué que Degoul et lui ont rapidement conclu qu’une transaction pénale était la meilleure solution. Affaire vite bouclée, donc (et très cher payée pour une telle rapidité). Oui, mais, c’était à quel moment ? Si c’était en 2010, Armand devait être — pour être si bien informé — dans la confidence du gouvernement, et savoir déjà qu’une modification de la loi sur la transaction pénale allait intervenir à temps pour sauver Chocho — soit avant juin 2011 ! Si c’est après le vote de la loi à la Chambre, on peut se demander à quoi De Decker aurait bien pu servir, l’assistant belge de Degoul, maître Tossens, avait tout autant accès aux travaux parlementaires ! Il lui suffisait d’appeler n’importe quel député ou sénateur membre d’une des commissions ad hoc pour avoir toute l’info qu’il voulait. Ou d’aller sur Internet pour lire les résultats des débats en commission. Et ça, c’est gratuit !
Petit indice dévoilé par Armand De Decker lui-même ce matin, dans une interview à Martin Buxant sur Bel RTL : il aurait en fait facturé 400 à 500 heures de travail. Soit au moins 10 semaines pleines. Vu ses activités (bourgmestre et sénateur), on se dit que, s’il n’a pas voulu négliger les mandats publics pour lesquels nous, contribuables, le payons, il a dû étaler ce travail sur 6 mois à un an. Or, la période entre le début des travaux parlementaires sur l’amendement et l’obtention d’une transaction pénale pour Chodiev et ses amis, c’est à peine quatre mois. CQFD : Armand De Decker n’était utile que, soit pour faire pression auprès de la majorité parlementaire, soit pour transmettre des informations de cette majorité vers l’équipe de défense de Patokh Chodiev, qui comptait déjà 2 cabinets de renom. Au final, s’il s’agit réellement de 500.000 euros sur les 3 millions cités par le Canard enchaîné, Armand De Decker aura touché un sixième des sommes alloués à la défense.
Là encore, la défense d’Armand est faiblarde : il affirme que c’est le Parquet qui l’a informé de l’imminence d’un amendement qui permettrait la transaction dans ce dossier qui impliquait des accusations de faux, de blanchiment et d’association de malfaiteurs. Alors qu’il était encore très bien placé au MR pour obtenir des informations du Kern. Un coup de fil suffisait, plutôt que d’aller au Parquet. Et si le Parquet l’a informé après le vote de la loi au Sénat, badaboum, on découvre que De Decker ne sait même pas ce qu’il vote ! Dans tous les cas, c’est au moins ballot.
Et puis, rions un peu : comment cette rapide conclusion au téléphone, et une rencontre, qu’il évoquait y a deux ans, où Armand De Decker semblait dire qu’il avait au fond juste donné un conseil, s’est-il transformé en 500 heures de travail, avec visites au Parquet, nombreux rapports, discussions et rencontres ? Aurait-il cherché à cacher quelque chose jusqu’à ce que la presse le force à reconnaître une autre réalité ?
Moins que 500.000, c’est combien ?
Un autre aspect vient s’ajouter à ce catalogue de défense bizarroïde (pour reprendre le mot de la très correcte Christine Defraigne — MR aussi), c’est le refus du bel Armand de donner la somme perçue dans l’affaire Chodiev en indiquant qu’elle implique d’autres bureaux d’avocats. Étrange, on ne lui demande pas ce que les autres ont perçu, mais seulement ce que lui a perçu. C’est peut-être bien une entorse au secret professionnel, mais il laisse toute crédibilité à l’analyse du Soir, qui relève que le cabinet d’avocats créé pour l’occasion par le bourgmestre d’Uccle affiche un chiffre d’affaires de plus de 500.000 euros en 2011, pour seulement 76.000 l’année précédente, et guère plus l’année suivante… Il ne dit d’ailleurs pas « c’est beaucoup, beaucoup moins », mais juste « c’est moins que ça ». 499.999, c’est déjà moins que 500.000. Cinq cent heures à 200 euros, tarif normal, ça ne fait toujours que 100.000 euros. Cinq fois moins.
Mais bon, chez ceux des MR qui défendent Armand De Decker, on vous dira certainement que 734.346 € (500.000 selon Le Soir, moins selon l’intéressé, donc), pour si peu (une rencontre où on ne parle pas de l’affaire, une conversation téléphonique où l’idée d’une transaction pénale jaillit illico…) qui est brusquement devenu si beaucoup (500 heures), ça prouve surtout que les conseils d’Armand De Decker sont d’une extrême qualité. Après tout, c’est tout de même 15 ans de salaire d’un indépendant un tant soit peu performant… Et puis, s’imaginer que ce blé vient, au final, de l’arnaque d’une entreprise belge, ou de tours de passe-passe maffieux, ça fait très république bananière, non ?
Dur, dur, d’arrondir ses deniers publics…
Sans compter que quand on gagne déjà autour (à la louche) de 7.000 euros par mois, hors frais, en tant que bourgmestre et sénateur, que cet argent vient directement de notre poche, est-il moral, admissible, compréhensible qu’on passe 500 heures, pris sur la gestion publique, pour empocher quelques centaines de milliers en plus ?
On vous dira bien sûr qu’il n’y a pas de conflit d’intérêt à être à la fois sénateur et défenseur d’un mégafraudeur. Il faut bien que ces pauvres députés maintiennent un standing digne de leur arrogance. On vous dira aussi que ce n’est pas parce qu’on est député ou sénateur et bourgmestre qu’on ne peut pas, en plus, arrondir ses fins de mois en défendant les intérêts d’un dictateur asiatique, d’un nabab pote avec le roi du crime kazakh, ou d’un premier ministre congolais. Après tout, la Belgique est 22e pays le moins corrompu du monde. Ce serait bien qu’on améliore notre score, histoire de se rapprocher un peu de notre ancienne colonie. Ça fait rentrer l’argent facile. Et comme Armand assure avoir payé ses impôts, ça diminue aussi un tout petit peu notre dette. Bref, avec un peu de chance, une Belgique plus corrompue et un chouïa plus riche, avec l’aide d’un Kubla ou d’un De Decker, est promise à un bel avenir !
81 Comments
guypimi
février 26, 22:21Juliette
février 26, 23:27uit 't zuiltje
février 27, 00:05Pobemer
février 27, 00:25Tournaisien
février 27, 09:45Willy
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mars 02, 15:24Pfff
mars 02, 15:26Tournaisien
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février 27, 17:21Serge
février 28, 10:14uit 't zuiltje
février 27, 21:27Tournaisien
mars 01, 14:01Didier
mars 03, 10:38yves villers
février 27, 13:18Pfff
février 27, 14:18Pfff
février 27, 14:31Franck Pastor
mars 01, 09:46Rachid
mars 26, 00:22uit 't zuiltje
mars 01, 21:46Pfff
mars 02, 12:56hilarion lefuneste
février 27, 14:58Marcel Sel
février 27, 17:40uit 't zuiltje
février 27, 20:31Serge
février 28, 10:20Serge
février 28, 10:21uit 't zuiltje
mars 01, 21:50Willy
mars 02, 09:58Serge
février 28, 10:17uit 't zuiltje
mars 01, 21:54De Greef Yves
février 27, 16:56Tournaisien
février 27, 22:38uit 't zuiltje
mars 01, 21:59Didier
mars 03, 10:43Salade
février 27, 20:08Salade
mars 01, 16:57Salade
mars 03, 19:26Marcel Sel
mars 03, 22:24Cap8
février 27, 23:14Denis
février 28, 09:55Bert Lanciaux
mars 04, 01:37roadtoconsciousness
février 28, 10:03uit 't zuiltje
mars 01, 22:22roadtoconsciousness
mars 03, 16:07Lohay
février 28, 15:54uit 't zuiltje
mars 01, 22:19wallimero
février 28, 16:26Bert Lanciaux
mars 04, 01:41Tournaisien
mars 04, 22:45Rivière
février 28, 19:26Tournaisien
mars 01, 09:15Bert Lanciaux
mars 04, 01:43Tournaisien
mars 01, 16:18Capucine
mars 01, 21:52Tournaisien
mars 01, 23:45Tournaisien
mars 02, 22:18Willy
mars 04, 10:24Marcel Sel
mars 03, 13:34thomas
mars 03, 14:16hilarion lefuneste
mars 03, 15:00Tournaisien
mars 04, 07:51Tournaisien
mars 04, 07:51Willy
mars 04, 10:21Tournaisien
mars 04, 16:52hilarion lefuneste
mars 03, 16:48Willy
mars 02, 10:13Marcel Sel
mars 03, 13:35willy
mars 05, 10:10Pfff
mars 02, 11:05Marcel Sel
mars 03, 13:36Pfff
mars 03, 19:15gerdami
mars 02, 12:35Tournaisien
mars 02, 20:04Tournaisien
mars 02, 22:00L'enfoiré
mars 03, 19:37dpochet
mars 04, 01:47Marcel Sel
mars 04, 10:23DELPATURE Philippe
mars 04, 10:00L'enfoiré
mars 04, 13:25Chodievgate : d’Artagnan perquisitionné. Armand déstabilisé. Reynders visé. | UN BLOG DE SEL
mars 18, 16:12American Interest: The Curious World of Donald Trump’s Private Russian Connections – investigatingtrump.com
janvier 16, 23:42