EXCLU. Pour la N-VA, tout n’est pas à jeter dans Pegida…
Hier soir, sur Twitter, Filip Dewinter, passionnaria du Vlaams Belang et islamophobe impénitent, s’en prenait à Bart De Wever, le bourgmestre d’Anvers et président de la N-VA, pour avoir interdit le premier rassemblement de Pegida Vlaanderen (Pegida Flandre), à Anvers. Il s’agissait d’une promenade, sur le modèle de celles qui sont désormais organisées régulièrement en Allemagne par le mouvement dont les initiales signifient, pour rappel, Patriotes Européens Contre l’Islamisation De l’Occident.
Dans un twit revanchard, Dewinter publiait la photo d’une circulaire envoyée par la N-VA à ses mandataires.
Un coup bas du néonazi Dewinter : le document, authentifié, jette une lumière crue sur l’attitude de la N-VA envers les islamophobes.
#gemrA Handelt BDW als burgemeester of als NVA-voorzitter wanneer hij Pegida verbiedt? NVA-nota is duidelijk… pic.twitter.com/nMTyEw7TEG
— Filip Dewinter (@FDW_VB) 26 Janvier 2015
(« Bart De Wever gère-t-il en tant que bourgmestre ou en tant que président de la N-VA quand il interdit Pegida ? La note N-VA est claire… »)
Car le contenu de la lettre nuance, pour le moins, l’attitude remarquable du ministre de l’Intérieur Jan Jambon (N-VA) à la Chambre, la semaine passée. Dans un élan d’une sincérité visiblement réelle, Jambon avait en effet tancé le même Filip Dewinter après que celui-ci eut brandi un Coran devant l’assemblée en maudissant l’ouvrage (« la source de tous les maux, un droit de tuer […] ») et en précisant « qu’un tiers des mosquées relevait des salafistes jihadistes (sic) ». Jan Jambon lui a répondu sèchement qu’il avait brandi un livre pour lequel « beaucoup de gens dans le pays ont du respect, et pour qui ce livre est même sacré » et que Dewinter ne trouverait « dans l’hémicycle pas un seul parti pour soutenir le lien qu’il avait fait entre l’islam et le radicalisme ». Une déclaration saluée par tous les partis, de quoi faire oublier les errements précédents du ministre de l’Intérieur sur la collaboration.
Ce n’est pas la première fois que la N-VA montre un visage résolument opposé à l’islamophobie. Voici quelques années, au Parlement flamand, où le même Dewinter avait exigé d’une spectatrice qu’elle retire son voile islamique, le président du Parlement, Jan Peumans (N-VA), a soutenu la jeune femme, déclarant sur un ton ferme qu’elle avait le droit de porter ce qu’elle voulait dans l’enceinte de l’assemblée.
Anvers et contre tout.
Hélas, cette attitude n’est pas systématique dans le parti. À Anvers, Liesbeth Homans a ainsi asséné que le racisme était une donnée relative. Bart De Wever lui-même a lancé qu’Anvers « n’était pas à tout le monde », suggérant qu’il fallait aimer la ville pour en être un digne citoyen. Ceci à contre-courant du concept de citoyenneté : même le pire antibelge a le droit d’habiter Anvers, de s’en considérer citoyen et de bénéficier des droits liés à cette citoyenneté, tant qu’il ne viole pas le droit, comme l’a fait Fouad Belkacem par exemple. C’est évidemment difficile à gérer lorsque des salafistes radicaux prêchent la fin de la civilisation « des croisés », et il faut évidemment poursuivre ceux qui dépassent les limites établies par nos lois dès que possible. Mais ce n’est pas en violant nos propres principes que nous défendrons « nos valeurs ».
C’est là que le flou est artistique. Et c’est en profitant de la fragilité de cette frontière mal perceptible que la N-VA joue peut-être un jeu plus obscur. Car la lettre diffusée par Filip Dewinter a de quoi s’inquiéter. Son contenu peut rayer l’image immaculée donnée par Jan Jambon au parlement. Mais ici aussi, une nuance de taille s’impose : impossible de savoir si la circulaire révèle une certaine hypocrisie du parti ou si le ton plutôt pro-Pegida est uniquement inspiré par la nécessité pour la N-VA, qui a accueilli beaucoup de mandataires et d’électeurs venus du Vlaams Belang, de ne pas (trop) prêter le flanc à la critique de leur part.
Pour la N-VA, Pegida ne dit pas que des conneries.
Mais venons-en au contenu de la lettre de la N-VA. Elle est adressée « à tous les mandataires et présidents de sections ». Le problème ? Elle ne fustige pas Pegida Vlaanderen en soi. Le second paragraphe le dit clairement : « Bien que le mouvement Pegida en Allemagne soulève un certain nombre de justes préoccupations, l’image globale de l’organisation est trouble. […] Dans certaines villes, ce sont de vraies manifestations de citoyens, avec des tendances d’extrême droite à la marge [uniquement]. Dans d’autres villes, l’extrême droite et les néonazis ont la main. »
Ce qui inquiète apparemment la N-VA n’est donc pas le contenu du message de Pegida, mais bien le fait que l’extrême droite, dont elle veut se distancier à tout prix, est derrière certaines versions régionales du mouvement : « Tant que nous ne savons pas qui sont les moteurs de Pegida Vlaanderen, nous gardons en tant que parti une distance critique. […] Si parmi les personnalités qui organisent Pegida Flandre, des gens d’origine douteuse se cachaient, les médias et autres partis politiques ne manqueraient pas de l’utiliser contre nous. » Le parti de Bart De Wever ne veut donc pas être propulsé « dans le coin de l’extrême droite » par les autres partis politiques et les médias ! À cette fin, il recommande à ses mandataires de ne pas « aimer » la page Facebook de Pegida, de ne pas prendre position, ni pour, ni contre, en public et de ne pas manifester.
Mais envers le mouvement Pegida proprement dit, le parti est extraordinairement tolérant, dès lors qu’il considère que : « les exigences [de Pegida Vlaanderen] ne sont pas déraisonnables » ! Une attitude que je considère comme diamétralement opposée à celle de Jan Jambon au Parlement la semaine passée.
Avec Pegida, le peuple n’est pas guidé.
Car le programme Pegida ressemble furieusement à un amalgame entre musulmans et terroristes. Il recommande que les nouveaux venus « acceptent tous les droits et devoirs » liés à la citoyenneté — alors que la plupart des ultrajihadistes ne sont pas des nouveaux venus. Il appelle à un « vrai contrôle aux frontières », à l’éradication des « idéologies violentes et misogynes ». Cela signifie-t-il qu’il faut déporter les musulmans misogynes ? Les faire taire ?
Pegida rappelle aussi que « les gens en Europe ont le droit de travailler, de sortir et de s’habiller comme ils veulent, sans intimidation, insulte ou violence islamiste » mais aussi que « la culture européenne-chrétienne est la culture de l’Occident et doit être protégée et maintenue », ce qui est peu laïque et pour le moins euronationaliste. Il refuse d’ailleurs « l’islamisation avec des abattages rituels, des heures de natation séparées, l’obligation de manger halal à l’école, la destruction et l’adaptation de monuments historiques (?) ou la disparition de traditions populaires comme les crèches (??) et le Père fouettard (???).» Un doux mélange d’islamo- et de judéophobie : l’abattage rituel et heures de natation séparées relèvent aussi du judaïsme ; l’affirmation que le halal serait devenu obligatoire à l’école est excessive ; l’interdiction des crèches relèvent plutôt d’une réaction laïque que musulmane. Quant au père fouettard, sa disparition est une demande d’Africains subsahariens et n’a rien à voir avec l’islam. Bref, un savant mélange de « vrais problèmes » (la gestion du halal à l’école ; la pression sur les femmes pour qu’elles portent le voile dans certains quartiers) et des fantasmes visant à séduire les esprits faibles (crèches, père fouettard, abattage rituels, halal obligatoire, etc). Soit un programme qu’aucun parti d’extrême droite ne renierait.
Le poster vous sonne toujours deux fois.
Sur le poster qui reprend ce programme, à côté du sigle PEGIDA Vlaanderen, une petite poubelle recueille la svastika et le drapeau de l’Organisation État islamique, mais aussi un drapeau communiste (évoquant le PTB ?) et le sigle du Front antifasciste (extrême gauche) ! Mêler ainsi des symboles génocidaires et ceux de groupes qui n’ont aucun rapport avec l’islamisme ou le nazisme donne une idée du positionnement de base de Pegida. Une sorte de néoconservatisme antigauche et anti-antifasciste.
Comment la N-VA peut-elle affirmer que tout n’est pas à jeter dans Pegida alors que son programme focalise sur le seul islam — au bénéfice d’ailleurs d’une autre religion ou « culture », la chrétienne. Sous couvert de combattre un communautarisme musulman, Pegida défend en fait un autre communautarisme religieux. Et lorsque le manifeste « défend » la liberté de s’habiller comme on veut, Pegida évite soigneusement de faire mention des violences et insultes envers des musulmanes qui se promènent voilées. Seule la violence « islamiste » semble gêner ces gens.
Au minimum, ça s’appelle du populisme. Même si Pegida n’est (n’était) pas un mouvement d’extrême droite en soi, il participe activement à l’entretien d’une détestation ou au minimum à l’institution d’une méfiance sociétale envers toute personne qui « ressemble à un-e musulman-e ». C’est une dynamique de la peur, du rejet, la manipulation des angoisses populaires. Mais nous sommes dans une société qui n’autorise pas l’expression de la haine brutale. On ne la trouvera donc dans aucun discours officiel : même Filip Dewinter ne s’en prend pas ouvertement à « tous les musulmans », mais les atteint au travers du Coran, ce qui est considéré par beaucoup comme une « simple » critique de l’Islam.
Wilder(ni)s
Alors, extrémiste, Pegida ? Il faut fouiller plus loin pour voir à qui on a vraiment affaire. Sur le mur facebook de Pegida Vlaanderen, par exemple. Celui-ci est saturé de références à l’ultrajihadisme. Statut facebook après statut facebook. Tout est ensuite jeté dans un même paquet « islam ». On y trouve aussi le message de Geert Wilders (PVV, extrême droite islamophobe néerlandaise) aux manifestants Pegida de Dresde. Ce message est salué avec enthousiasme. Geert Wilders s’y écrie pourtant : « assez de l’islamisation, assez des élites politiques qui trahissent notre identité judéo-chrétienne, qui mettent l’avenir de nos enfants en danger, qui bradent notre pays et notre civilisation. » En quoi un tel message pourrait ne pas être xénophobe ?
Si le projet officiel de Pegida est l’anti-islamisme, dans ses commentaires Facebook, Pegida Vlaanderen s’avoue être « un mouvement antimusulman ». Et voilà L’antijournalisme est aussi bien ancré. Article après article, le mouvement vomit cette presse qui a une fois encore menti ! Chaque article journalistique (!) qui pourrait constituer une preuve du mensonge des médias est soigneusement épinglé. Et dans ces mêmes médias — bizarre, hein, que les médias accueillent des gens qui prétendent qu’on nous cache tout… — le porte-parole du mouvement, Wim Van Rooy, qui « connaît l’islam sous toutes ses coutures » (encore un islamologue — qu’est-ce que ça pullule de nos jours…), n’hésite pas à déclarer : « Qualifier Pegida d’extrême droite ? Typique de journalistes paresseux qui ne savent rien sur rien. » Ou encore : « Le journalisme et l’Église du politiquement correct vont aller chercher tout ce qu’ils peuvent pour faire taire le mouvement, et intimider les gens et les partisans ».
J’imagine que ce billet, qui n’est autre que la mise en pratique de ma liberté d’expression, sera considéré par Pegida comme une forme d’intimidation. Ben voyons !
Meilleur islamologue qu’Europologue, Wim Van Rooy n’hésite pas à reconnaître que « l’Europe a connu un passé sanglant », mais il nuance en précisant que « ça allait toujours de pair avec la possibilité de critiquer et de se moquer ». Qu’il aille dire ça aux résistants allemands décapités par Hitler pour avoir osé distribué des tracts critiques, aux victimes de Torquemada qui n’ont pas dû rire souvent, à celles du colonialisme où les articles sur les mains coupées étaient évidemment censurés…
In memoriam 6 millions de Juifs et 500.000 Roms qui avaient le droit, selon Van Rooy, de critiquer la Shoah et même d’en rire ! C’est fou qu’ils ne l’aient pas plus utilisé… Enfin, voilà, l’autocritique n’a jamais été le fort des extrémistes.
Serre les fesses, bouc.
L’attitude des partisans de Pegida sur sa page Facebook révèle elle aussi l’effet de groupe d’une détestation organisée. Ainsi, sur le cas du médecin (ex Parti populaire) qui a publiquement annoncé ne plus accepter de soigner de couples « barbu – femme voilée ». Petite sélection de commentaires : « Ça doit quand même pas sentir bon sous une burka ». « [Il a] bien raison : ils veulent vivre au Moyen-Âge, donc ils n’ont pas besoin d’une médecine moderne ». « […] Je n’aiderai plus jamais un musulman, même s’il est en train de crever ». « Il a bien raison parce que s’’ils touchent une femme d’un barbu en tenue du désert, ils se prennent des coups, en plus ! ». « Boycotter l’islam commence par soi-même ! Gloire à ce docteur ! » « [Je leur ferais bien] une injection de sang de porc » Et last but not least, un certain Joz Mengele (référence au médecin nazi qui faisait des expériences sur des êtres humains, enfants inclus) assène « au moins un qui est malin !».
Pas du tout d’extrême droite, Pegida ? Mais alors pourquoi en Allemagne, les néonazis s’identifient si facilement à ce mouvement « populaire » ? Et pourquoi Filip Dewinter et le Vlaams Belang tiennent tant à le défendre ? Pas d’extrême droite ? Mais on les qualifie comment, ces partis qui s’en prennent aux « élites », sont rageusement anticommunistes, prétendent que les journalistes mentent, cèdent aux théories du complot, inventent des preuves quand elles manquent, rallient les crédules en jouant sur les peurs qu’elles alimentent elles-mêmes, détestent l’étranger, se fondent sur une identité nationale, prônent un Occident pur et chrétien ?
Ah ben oui, toutes ces caractéristiques ensemble, ça ressemble führieusement à de l’extrême droite.
Et la N-VA trouverai que Pegida ne dit pas que des conneries ? Il faut la confronter à ce document, lui demander de s’expliquer. Ou au moins la prier de revoir sa copie. Vite.
Quand presque tout est bon dans le Jambon.
Parce qu’aujourd’hui, la N-VA est le parti du gouvernement. Et après que Jan Jambon — considéré comme l’un des plus radicaux du parti — a donné un signe fort de bonne volonté au Parlement, il ne suffit pas d’espérer, il faut l’encourager à se nettoyer aussi de l’intérieur. À adopter une attitude aussi rigoureuse envers des mouvements comme Pegida que celle, intraitable, d’Angela Merkel. Ça n’oblige pas la N-VA à se voiler la face, comme bien des droitistes francophones le reprochent bêtement à la gauche : les communautés (religieuses et laïques) sont aujourd’hui en mode conflictuel. Nous devons être clairs sur le sens des valeurs que nous devons promouvoir (et pas les imposer — c’est absurde dans une démocratie, et on ne peut à la fois imposer des valeurs aux gens et les soupçonner ouvertement d’être incapable de les accepter).
Et cela ne passe en aucun cas par l’affrontement. Ni entre Flamands et Wallons, ni entre communautés religieuses, ni entre droite et gauche. Mais par la reconnaissance des excès de chaque minorité, de chaque communauté, politique, philosophique, religieuse, linguistique, ethnique, autant que par celle de ses souffrances et de ses discriminations.
Le programme de gouvernement était radical (qui s’en plaindra tant que nos libertés restent garanties ?) envers l’ultrajihadisme, mais n’abordait pas les discriminations islamophobes. Un peu comme si elles n’existaient pas. Il ne reste qu’à espérer que la N-VA prendra acte de leur réalité, et prendra toute la mesure du défi qui lui est soumis en tant que premier parti de la coalition. Le défi — complexe pour un parti nationaliste — de considérer la société dans son ensemble et de militer, comme le fit le ministre de l’Intérieur à la Chambre, pour un réveil commun, pour enfin progresser ensemble.
Le parti de Bart De Wever est-il en mesure de le faire ? Nous le saurons dans un prochain épisode.
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uit 't zuiltje
janvier 27, 21:51uit 't zuiltje
janvier 28, 19:53uit 't zuiltje
janvier 29, 00:23Tournaisien
janvier 28, 00:02atanahan
janvier 29, 10:35Tournaisien
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janvier 28, 11:23Capucine
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