Belgique : le pays qui n’aimait pas sa Constitution.
Une constitution devrait permettre à chaque citoyen de comprendre les valeurs et les principes fondamentaux de son pays. Mais en Belgique, il faut se lever de bonne heure pour retrouver son chemin dans ce qui ressemble de plus en plus à un labyrinthe !
Demandez à quelqu’un qui s’intéresse à la politique quand auront lieu les prochaines élections législatives. On vous répondra presque toujours « dans quatre ans ». Ça dit à quel point la complexité de la Réforme de l’État a fait passer des « fondamentaux » au second plan ! Car désormais, on élit la Chambre tous les cinq ans. Et selon la Constitution, article 65, « le même jour que les élections pour le Parlement européen. » Sauf en cas de chute lourde du gouvernement, entraînant des élections anticipées. Là, bonjour pour comprendre ! Car si on se fie à la Constitution et qu’on la lit comme le commun des mortels (genre : je crois ce qui est écrit dans la Constitution de mon pays — grand naïf je suis), l’article 46 alinéa 6 est clair : « En cas de dissolution anticipée, la nouvelle législature fédérale ne pourra courir au-delà du jour des premières élections pour le Parlement européen suivant cette dissolution. »
La constitution belge ? Il faut parfois comprendre le contraire de ce qui est écrit !
Je traduis en français compréhensible : en cas d’élections anticipées, la législature s’arrêtera de toute manière le jour où on aurait dû voter normalement, à savoir, cinq ans après les élections « normales » précédentes. Donc, si le gouvernement tombe un an avant les élections européennes, on élira une nouvelle chambre pour… un an ! Sauf que — et c’est là que ça devient comique — pour que l’article 46 alinéa 6 entre en vigueur, il y a une « disposition transitoire » qui dit : « Une loi, adoptée à la majorité [spéciale] détermine [sa] date d’entrée en vigueur ». Le citoyen normal suppose donc que la loi en question sera votée un jour. Eh ben, non, ce n’est pas du tout le but !
Je vous sens perdu, citoyen ? Je reprends : pour que l’alinéa 6 de l’article 46 entre en vigueur, il faut une loi votée par les deux tiers de l’assemblée, avec une majorité dans chaque communauté, sachant que cette majorité est impossible à atteindre (pour l’instant) ! Donc, contrairement à ce que semble dire la Constitution, s’il y a des élections anticipées, la Chambre restera en fonction pour 5 ans et non pas jusqu’aux élections européennes suivantes ! Donc, le jour où il y a des élections anticipées, l’article 65 qui fixe la date des législatives en même temps que les Européennes ne pourra plus être respecté. Mais comme il est lui-même soumis à une loi spéciale, c’est pas grave !
Petit détail piquant : cette disposition transitoire n’ayant été publiée au moniteur qu’en janvier 2014, et ne prenant cours qu’après le 25 mai 2004, si le gouvernement était tombé en décembre 2013, on aurait voté en février 2014 et une seconde fois en mai !
Pourquoi ce micmac ? Au moment de négocier la dernière Réforme de l’État, les socialistes flamands tenaient à ce qu’on vote tous les cinq ans — en même temps que les élections européennes, ce qui coûte évidemment moins cher. La perspective d’une mini-législature en cas de chute d’un gouvernement était de plus censée faire peur aux politiques, au point de les décourager de recourir encore aux élections anticipées. Le CD&V, lui, ne voulait pas courir le risque de législatures aussi étriquées (que peut faire un gouvernement condamné à n’exister que quelques mois ?) Alors, on a bien introduit la modification demandée par le SP.a. Et on l’a conditionnée au vote illusoire d’une loi spéciale, qui la désactive, pour faire plaisir au CD&V ! Et tout le monde a pu crier victoire ! Ça brouille la lecture de ce document essentiel à la démocratie que plus personne ne comprend depuis belle lurette, mais ça permet de se faire croire qu’on n’a pas tout perdu dans une négociation…
Quand Cameron s’associait avec la N-VA contre le gouvernement… belge. Grâce à l’article 195…
Et ce n’est pas le seul trifouillage de la Constitution de la législature précédente. Il y en a eu un bien plus gros. C’est l’article 195. Auparavant, celui-ci disait que pour modifier la Constitution, il fallait agir en deux temps : le gouvernement déclare d’abord quel article il veut modifier. Ensuite, on dissout les chambres, et on en élit de nouvelles, qui modifieront les articles « ouverts » à révision. L’électeur avait donc son mot à dire dans la modification de la Constitution, via ces élections. Mais en 2011, quand le gouvernement Di Rupo s’est formé, la Réforme de l’État fut négociée âprement. Comme celle-ci était prévue, le parlement précédent avait ouvert pas mal d’articles à la révision. Mais au moment de la négociation, certaines compensations obtenues par les Francophones exigeaient l’ouverture d’autres articles. Suivant l’article 195, il fallait donc désigner ces nouveaux articles à modifier, puis retourner aux élections. Non seulement cela reportait toute réforme, mais en plus, une victoire plus que plausible de la N-VA risquait de compromettre, et la réforme, et l’existence même du pays.
Alors, les négociateurs ont eu une idée géniale : modifier temporairement l’article qui précise comment on modifie la Constitution (le gouvernement précédent avait eu la bonne idée de « l’ouvrir » à la modification avant de dissoudre les chambres). Résultat : depuis 2012, il y a dans l’article 195 une disposition transitoire qui modifie de facto l’article lui-même, pour une seule législature ! « […] les Chambres, constituées à la suite [des élections] du 13 juin 2010 peuvent […] statuer sur la révision des dispositions, articles et groupements d’articles suivants, exclusivement dans le sens indiqué ci-dessous […] » ; s’ensuivent 15 dispositions précisant quels articles peuvent être changés et comment. Non seulement, on modifie la racine de la Constitution (son mode de modification), mais en plus, on le fait juste pour une législature, en indiquant quelles modifications peuvent être faites ! Et comme tout ça ressemble fort à un bidouillage, on se sent obligé d’ajouter : « La présente disposition transitoire ne constitue pas une déclaration [de révision de la Constitution] ». Je traduis : ce n’est pas parce qu’on trifouille qu’il faut dissoudre les chambres et retourner aux urnes ! C’est dire que le gouvernement Di Rupo avait conscience que le procédé était un chouïa borderline. Ou à quel point notre système de révision est désuet et devrait être… révisé. Mais une fois pour toutes !
La N-VA, toujours prompte à souligner les errements soi-disant « antidémocratiques » de notre Belgique, s’est égosillée par la voix d’Hendrik Vuye, professeur à l’Université de Namur, qui s’est demandé dans De Morgen si « un État dont les politiciens peuvent impunément fouler la Constitution des pieds est encore un État de droit ». Aidée du parti conservateur de David Cameron (qu’elle a depuis rejoint au Parlement européen) la N-VA a même tenté de faire condamner la Belgique au Conseil de l’Europe ! Peine perdue, il a conclu, par la voix de la Commission de Vienne, que la modification était bien démocratique et que la Belgique, n’en déplaise à M.Vuye, était toujours un État de droit ! Ouf.
La N-VA a aussi brandi le fameux article 35 comme outil de réforme. Rappel. En 1979, la Volksunie voulait impérativement qu’on introduise un article dans lequel on préciserait ce que Flamands et Wallons vont encore « faire ensemble ». Jusque-là, les compétences qui n’étaient pas attribuées à une des entités fédérées (en clair, les régions et communautés) allaient d’office au fédéral. L’article 35 imposa au contraire qu’on dresse une liste précise de ce qui irait au fédéral, tout le reste allant aux régions et aux communautés. Ceci permettait en fait de scinder la sécu, les pensions, etc. La VU a bel et bien obtenu son article 35, qui préfigurait le confédéralisme. Sauf que, déjà à l’époque, on a ajouté une disposition transitoire, qui requérait une loi spéciale, votée à la majorité des 2/3. Or, les 2/3 des députés n’en ont évidemment jamais voulu ! Et donc, l’article 35 ne sert à rien en pratique… sinon à permettre aux nationalistes de l’utiliser à des fins de propagande.
Alors, bien sûr, taquiner la Constitution pour satisfaire des négociateurs est probablement une nécessité dans un pays aussi complexe que le nôtre. Mais il faut peut-être rappeler à nos politiciens que ce papier n’est pas un scoubidou. Chaque citoyen doit pouvoir le comprendre. Car si l’électeur n’est déjà pas en mesure de lire la Constitution, il ne faut pas s’étonner qu’il délaisse la politique !
Article paru dans M… Belgique sous le titre : Constitution belge, le contorsionnisme décrété sport national.
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Jay
septembre 04, 16:06Pfff
septembre 10, 14:16Pfff
septembre 04, 17:26Tournaisien
septembre 05, 08:14Marcel Sel
septembre 05, 10:02Tournaisien
septembre 05, 10:23Tournaisien
septembre 05, 10:23Marcel Sel
septembre 06, 16:23Lachmoneky
septembre 07, 13:59Axle
septembre 05, 14:36uit 't zuiltje
septembre 05, 20:40Tournaisien
septembre 06, 13:08Salade
septembre 06, 20:42Pfff
septembre 08, 10:51L'enfoiré
septembre 07, 13:08L'enfoiré
septembre 07, 13:21L'enfoiré
septembre 07, 13:23Pfff
septembre 08, 10:52Jan Jambon, en route pour la scission avec la bénédiction de Charles Michel ? | UN BLOG DE SEL
novembre 26, 18:00