Carnaval Holocaust, ou l’antisémitisme furibard des… Chinois.
Chez ESPA, à Houthalen (Limbourg), l’entreprise qui produit les déguisements Funny Fashion, on n’en est toujours pas revenu. Hier, Elle Belgique écrivait sous le titre«un pyjama de camp de concentration pour déguisement de carnaval» qu’ une habitante d’Ixelles était tombée dans une grande surface «sur ce déguisement de carnaval […] de très très mauvais goût.» En précisant, «On imagine mal que la chaîne de supermarché ait sélectionné intentionnellement cet article. De même, comment comprendre que quelqu’un, quelque part, ait décidé de fabriquer cette horreur ?» Cet article a été ensuite répercuté à la vitesse de l’éclair sur Twitter. Très vite, le community manager de Delhaize a réagi en annonçant, plutôt gêné, que ce produit s’était retrouvé dans les rayons contre la volonté de l’enseigne. Le twit a depuis disparu et a été remplacé par une dizaine de «Nous déplorons cet incident, le costume a été retiré des magasins. Toutes nos excuses pour les personnes qui ont été blessées». En fin d’après-midi, la toute jeune Ligue belge contre l’Antisémitisme envoyait un communiqué de presse en commun avec Delhaize :«Indépendamment de la volonté de Delhaize, un costume de Carnaval qui a suscité de vives indignations s’est retrouvé dans certains magasins Delhaize. Dans l’avenir Delhaize s’engage à renforcer ses procédures de contrôle. Ayant mesuré immédiatement l’ampleur de la situation, Delhaize a pris contact avec la LBCA et a clarifié la situation en exprimant ses regrets.»
Les déguisements vont donc être renvoyés à ESPA, producteur de la marque «Funny Fashion», où l’on n’a pas bien compris ce qui se passait. Depuis des lustres, l’on y produit un déguisement de prisonnier à rayures horizontales (photo) qui n’a jamais choqué personne. Ces costumes sont fabriqués en Chine. D’une année à l’autre, l’on introduit de légères variantes. Il y a quelques mois, l’usine chinoise a envoyé quelques prototypes pour les photos de la nouvelle collection, parmi des centaines d’autres modèles. Par erreur, le prototype reçu avait des rayures verticales. La designer maison a alors immédiatement envoyé une note aux Chinois pour leur dire qu’il fallait que les rayures soient horizontales. Pas pour ne pas ressembler aux costumes de prisonniers d’Auschwitz, ça ne lui est même pas venu à l’esprit ! — «Vous savez, nous, ici dans le Limbourg, on ne pense pas forcément à ça», affirme une des employées —, mais bien parce que, depuis toujours, le costume de prisonniers Funny Fashion a des rayures horizontales, comme dans la plupart des prisons américaines (mais pas toutes, voir photo) et «comme les Daltons» explique la dame. Il existe d’ailleurs un modèle jaune et noir pour les fans de Lucky Luke.
Mais pour la photo de l’article, il était trop tard. On a donc bien dû prendre celle que l’on voit sur le site de Elle.be en se disant que des rayures horizontales ou verticales, ça ne changeait pas grand-chose, et puis, en ces temps de flux tendus, dans une entreprise où l’on produit des centaines de costumes différents et où on les vend en grande quantité (jusqu’aux USA), on a vite un… (je ne vais pas oser l’écrire… mais si, finalement, Canteloup se moque bien du génocide rwandais… et ça ne fait pas le buzz…) un train (sic) de retard. Delhaize a donc reçu la commande, déballé les costumes. Les vendeuses et les vendeurs ont tous vu la photo, et personne n’a réagi. Tout simplement parce que, pas plus que chez ESPA, on n’y a fait le rapprochement avec le génocide nazi. Il faut dire que des rayures verticales, on en voit aussi tout le temps dans le film Papillon, avec Steve McQueen et Dustin Hofman et ni l’un, ni l’autre ne s’est senti blessant envers les victimes de la Shoah. Du reste, personne n’a jamais protesté quand l’affiche et les photos en noir et blanc sont sortis. Peut-être que s’il ressortait aujourd’hui, quelqu’un pourrait se sentir «blessé» et qu’UGC irait contacter la LBCA pour publier un communiqué commun, histoire de bien montrer au monde qu’on «n’est pas comme ça».
Quant à la phrase «comment comprendre que quelqu’un, quelque part, ait décidé de fabriquer cette horreur ?», chez ESPA, on est sous le choc. «Mais personne n’a décidé de fabriquer ça ! C’est une erreur des Chinois ! Vous pensez bien qu’ils n’ont pas fait ça exprès !» À moins, bien sûr, que les Chinois ne soient brusquement devenus antisémites, eux qui, à l’époque, étaient assassinés en masse par les Japonais. La direction des rayures, si déjà dans le Limbourg, on ne sait pas qu’il faut y faire très, très attention, imaginez le peu de sens que ça peut avoir à Shenzhen ! N’empêche, le fabricant de Funny Fashion se retrouve avec une accusation d’insulte à rescapé sur les bras, ayant commis une très grande faute à laquelle personne n’a jamais pensé. Ils se retrouveront aussi avec un stock sur les mêmes bras. Ils attendent avec impatience la marchandise pour voir si le fabricant chinois a bien corrigé le tir sur les modèles proprement dit, comme demandé, et comme repris scrupuleusement sur le carnet de suivi. Dans ce cas, il suffira de changer la photo de couverture.
La leçon, c’est qu’il va falloir faire très attention avec les rayures qui pourraient heurter une acheteuse, une sur mille, par exemple. Ou à ce que l’on imagine comme pouvant ressembler de loin à un costume de victime d’Hitler. Car voici une tenue de prisonnier des camps nazis (il s’agit d’un prisonnier politique qu’on reconnaît au triangle rouge, mais le costume était le même) à côté de la photo scandaleuse. Je vous invite au jeu des sept erreurs, sinistres dans ce cas, mais ce n’est pas moi qui ai commencé. D’abord, la largeur des rayures, presque deux fois plus importante chez le vrai prisonnier. Ensuite, les boutons, absents chez ESPA. Puis, la poche, absente aussi, et le col, absent aussi, et le triangle, absent aussi. Et la couleur, très différente, comme on peut le voir, entre un bleu passé (il était plus foncé à l’origine, proche du gris-bleu d’après les photos d’époque), et du noir. Alors, de quoi parle-t-on ? Eh bien, en fait, d’une ressemblance assez lointaine entre deux costumes de prisonniers. Doit-on dès lors tolérer que des créateurs de mode s’inspirent de près ou de loin de ce passé douloureux ?
Mais aussi, on parle d’une peur panique de paraître antisémite, et à la moindre alerte. Delhaize a réagi très vite. Ils ont appelé la LBCA pour se couvrir. Ils ont envoyé la patate chaude à leur fournisseur. Qui peut la renvoyer aux Chinois. Qui si ça se trouve, blâmeront les Bengalis qui auront fabriqué le tissu dans un sweatshop où les enfants travaillent dans des conditions qui rappellent… euh… non, on ne va pas le dire…
Bien sûr, je comprends qu’une dame ait été heurtée en voyant une photo qui paraissait ressembler à ces clichés épouvantables que nous avons tous vus, le plus souvent en noir et blanc. Pourtant, bien que j’aie été plongé depuis mon enfance dans l’histoire de la Shoah, quand j’ai vu le costume, j’ai plutôt pensé à… Papillon ! Et si quelqu’un avait vraiment voulu imiter ou évoquer la tenue des prisonniers des nazis, il aurait fait un effort de justesse et pas fait une «copie» aussi lointaine de l’original. C’est ce que je voudrais dire à cette dame : on peut être choqué de tas de choses. Mais c’est la vie. Ce qui compte, c’est l’intention. Et ici, personne n’a pensé à mal. À leur tour, des gens sont choqués qu’on ait pu penser d’eux, ou écrire qu’ils auraient eu une idée horrible. «Ça n’est vraiment pas nous», me dit-on chez ESPA, sur un ton dépité.
La leçon de cette histoire, c’est qu’il faut raison garder. Ce n’est pas le moment de confondre lutte contre l’antisémitisme et paranoïa généralisée. Ça ne sert pas le combat, ni le propos. Ça rend juste une cause fondamentale incompréhensible à certains, énervante à d’autres. Et on n’a pas les moyens de perdre les certains et les autres en chemin, pas aujourd’hui. On a déjà assez de Dieudonné, Soral, Laurent Louis et leurs émules, qui pourrissent nos réseaux sociaux de vraies saloperies, à en pleurer de rage. Ceux-là ne demandent que ça : qu’on exagère, qu’on voie des horreurs partout, qu’on soit irraisonnablement exigeant quand il s’agit de la Shoah et laxiste s’il est question d’une autre horreur. Et à ce propos, on a bien plus délicat que ce pyjama sur les bras : Canteloup a fait aussi lourd sur le Génocide rwandais que Dieudonné sur la Shoah. Même si dans le premier cas, ce n’est qu’un one shot (espérons), alors que le second est un abonné acharné, on attend toujours une réaction de la LICRA, pourtant partenaire de la Mémoire du génocide rwandais, juste histoire de montrer une certaine logique. Si le costume peut choquer, que dire du «Vous lui auriez également découpé les bras bien dégagés au-dessus des coudes, il a d’ailleurs eu le plus grand mal à vous écrire, du coup, avec les conséquences désagréables qu’on imagine, perte d’une montre de famille, impossibilité désormais de faire du stop» de Canteloup ? Après tout, si la Ligue Belge contre l’Antisémitisme se fend d’un communiqué pour un costume qui témoigne surtout de l’incompétence chinoise, M. Jacubowicz pourrait se fendre d’une remarque, d’un commentaire, d’un «c’est inacceptable, Nicolas» ?
Enfin, voilà. Les enfants qui voulaient se déguiser en prisonniers en seront pour leurs frais. Heureusement ! S’habiller en prisonnier, commentait une dame sur le site de Elle Belgique, c’est horrible. Ouf ! Ils ont échappé à ça. Ils pourront toujours se déguiser en soldats. Avec mitraillette en plastoc. Ça, c’est sans problème, de nos jours. On se dit qu’un petit réfugié syrien aura du mal à comprendre qu’on joue au donneur de mort. Mais bon. Le gamin qui joue au militaire, faut surtout pas y toucher. Ça ferait trop théorie du genre !
3 Comments
Capucine
juin 06, 15:16antoine dellieu
avril 30, 15:19marcel
mai 05, 11:28