Les médias wallons vexés : la Canadienne Chrystia Freeland aurait simulé !

Partagez cet article

bear-255597_1280
Image CC0 http://pixabay.com

Plusieurs médias francophones jouent les vierges effarouchées. Le problème ? Les propos de la ministre canadienne du Commerce Chrystia Freeland, publiés par le journal canadien Globe and Mail. Rappelez-vous, c’est elle qui a, en septembre, rompu les négociations avec la Wallonie sur le CETA et s’était présentée à la presse au bord des larmes. Ce qui vexe les Francophones : elle aurait ensuite avoué avoir simulé !

À l’ambassade du Canada à Washington, devant des femmes nouvellement élues au Congrès américain, Chystia Freeland aurait en effet expliqué sa sortie très émotive comme une manière de forcer un accord avec la Wallonie. Oh ! la coquine. Du coup, des journaux pensent avoir une info et les anti-CETA ne se tiennent plus.

La dramatisation en politique est pourtant une affaire que nous connaissons bien en Belgique : on le fait pratiquement à chaque nouvel accord de gouvernement.

Néanmoins, certains médias belges semblent voir un scandale dans le fait qu’elle déclare : « Nous avons décidé qu’il était très important de ne pas partir fâchés, parce que nous voulions que les Wallons se sentent coupables » et de reprendre ses phrases de l’époque sur les Canadiens, un peuple si gentil. Elle conclut « je recherchais plutôt un ton triste qu’un ton de colère. » Elle se vante ensuite auprès de ses consœurs d’avoir été appelée par tous les (autres) Européens qui l’ont suppliée de rester, en s’excusant pour l’attitude de la Wallonie et en promettant de faire ce qu’il faut pour que ça marche. « Et au final, c’est ce qu’ils ont fait », fanfaronne-t-elle.

Oh, mais une comédienne ! Oh, mais c’est pas possible ça ! C’est scandaleux ! Ou pour dire comme les inconnus : « la salooope ».

Nuançons.

Nous avons dans notre pays, côté majorité wallonne notamment, des politiciens dont le cœur a tendance à saigner très fort et très théâtralement après qu’ils ont fait voter une loi réduisant le droit des chômeurs, par exemple. D’autres, plus au Nord, jouent les victimes en puisant chez l’inénarrable Caliméro. Plus récemment, nous en avons vu d’autres encore qui ont découvert, abasourdis, qu’ils ont gagné de l’argent sans rien branler. On se serait cru dans la fameuse scène de La Vie est un long Fleuve tranquille « j’vous jure madame, j’suis enceinte, mais j’ai jamais couché avec un garçon ! » Là, c’est « j’vous jure madame, j’ai gagné 20 000 euros sans rien foutre, mais j’ai jamais su que je ne faisais rien ! »

Eh oui, nos sociétaires de la Comédie belge feignent aussi tout le temps. Néanmoins, certains croient avoir pris la ministre canadienne du Commerce la main dans un sac (mais lequel ?) et jubilent. Alors que dans l’affaire du CETA elle-même, nos meilleurs cabotins étaient de sortie : nous avions tout de même un Benoît Lutgen qui n’a pas hésité à mentir sur les résultats obtenus, prétendant avoir sauvé la vie de « nos agriculteurs ». Ou un Elio Di Rupo qui nous a chanté son « nouveau CETA » sans avoir changé une ligne à l’ancien ! Belle performance.

Paul Magnette nous a carrément joué le superman sauveur de l’Europe et de ses 550 millions de citoyens, qui nous a extirpés de justesse d’un monde horrible où les poulets sont élevés dans une piscine chlorée si pas radioactive, et où l’Europe est livrée pieds et poings liés à un Canada  vorace, prêt à se ruer sur nous et à nous dévorer. C’est la grenouille carnivore décortiquant le bœuf.

Bon. Sachant que la politique, c’est aussi du théâtre, je ne vais pas le leur reprocher, mais simplement les classer parmi les grands professionnels de notre scène locale. Sauf que, si elle dit vrai, Freeland leur a mis une solide pâtée. Quelle leçon de comédie politique ! Et, oui, ça ne doit pas leur faire plaisir, à nos machos wallons — qui ont quasi extirpé les femmes de leur gouvernement, qu’elle les ait eus en simulant !

Pour beaucoup, nationalisme de clocher aidant, c’est une belle dégueulasse, la preuve, elle est canadienne. Tabernacle ! Du coup, l’info circule en boucle sur les réseaux anti-TTIP et anti-CETA. C’est finalement bien utile comme argument, pour une fois qu’ils en ont un qui n’est pas mensonger et repose sur de bases solides, fonçons ! Ah ! la margouline ! Ah, la tricheuse !

Bien entendu, on a oublié quelques détails. D’abord, au moment où elle se vante de ses tactiques auprès de ses consœurs ricaines, elle s’apprête à mener la vie dure au staff de Donald Trump sur l’ALENA, l’accord nord-américain qu’Ottawa veut préserver et que Donald veut expulser (logique : il croit qu’ALENA est une travailleuse immigrée). Sa déclaration peut donc être considérée comme une méthode de musculation. Style, attention, faut pas bullshiter avec moi, tabernacle, j’ai de la ressource ! Allez, là dessus, je vais me faire une Poutine avec la chair de Vladimir, des becs !

Ensuite, juste après l’épisode émotionnel (avec ou sans guillemets) de septembre, Chrystia Freeland a dû affronter son propre parlement. Le parti conservateur l’a en effet accusée d’avoir abandonné la table des négociations un peu lâchement. Il l’a aussi jugée trop émotive, comme le rapportait à l’époque la RTBF.

Enfin, même Paul Magnette dit ne pas croire à une simulation. Mais là; on peut imaginer que c’est aussi du cinéma : ce serait se montrer faible que de reconnaître qu’on a été berné, et un Magnette ne faiblit pas !

Tout ceci aurait dû amener nos journalistes à mettre un bémol aux déclarations de Freeland : ce ne sont que des déclarations, pas des faits, d’autant qu’elle peut avoir un double intérêt politique à faire croire que son émotion était feinte.

Elle n’en a aucun, en revanche, à reconnaître qu’elle était épuisée et qu’elle a craqué. Bien sûr, je ne sais pas quelle version est la bonne. Si ça se trouve, je me suis laissé berner aussi. Mais aucune des versions n’est particulièrement scandaleuse. Cela dit, sans les menus détails que je viens d’évoquer, tout comme si on omet de recadrer sa manœuvre (si c’est est vraiment une) dans l’arène politique où tous les coups sont permis, il manque une partie cruciale du travail journalistique. On appelle ça… le contexte.

Facebook
X
LinkedIn
Pinterest
WhatsApp
Reddit
Telegram
Threads
Courriel
Imprimer

17 réponses

    1. sorry Sal’, on rigole pas avec la céline dion du parti libéral canadjin sinon son rené va du ciel venir vous tirer d’innocentes larmes devant vos voisins vvalbanais

  1. Marcel, tout ça c’est bien beau. Sûr, vous avez mis le doigt sur les inconséquences de nos politiques wallons, et là, il faut bien l’avouer, il y avait de la matière. Mais moi, sur le fond, ce n’est pas vraiment cela qui m’intéresse … c’est plutôt ce qu’il y a derrière le rideau. Et sur ce coup, disons-le d’emblée, le spectacle est plus qu’affligeant, il est même plutôt inquiétant. Je l’avais déjà écrit sur votre blog : quels sont les premiers bénéficiaires du CETA ? Les gros groupes financiers et économiques, et en particuliers les pétroliers, et notamment les pétroliers européens, la Shell, Total et BP en tête, tous liés à titre largement majoritaire à l’exploitation des sables bitumeux qui est aujourd’hui, peut-être, l’un des plus grands scandales économiques de la planète. … pour ne pas dire humanitaire si l’on considère les conséquences dramatiques sur la santé des populations amérindiennes de l’Alberta. Alors vous savez, inconséquences ou pas de nos politiques wallons, à la limite, je m’en fous. L’important n’est pas là, il est dans ce qui se cache derrière le CETA.

    1. @ Tour & Marxi,

      pas besoin de CETA pour exploiter un gisement, suffit d’une s.a. en local & ce n’est pas l’importation de produits pétroliers avant transformation qu’on va taxer le plus. Donc CETA rien à voir.

      VV

  2. Se venter d’avoir simuler un gros chagrin n’est pas à son honneur et je m’étonne qu’une femme aussi experte ait utilisé cette méthode de petite adolescente sans cervelle.
    Le CETA,c’est un peu un contrat de mariage,il y a l’amour et le désamour.
    Il y a intérêts et désintérêts et en cas de divorce ,on passe par la case justice.
    Et puis,je ne voudrais manger mes frites avec du sirop d’érable quoique on ne sait jamais,je pourrais bien tomber en amour pour un canadien.
    C’est bientôt la saint valentin????

  3. Marcel, la photo ? Une allusion bien sûr. Mais au fait, qui donc encule qui ? Vous ne voudriez quand même pas insinuer que Magnette a tenté de prendre à revers Freeland ? À moins que ce ne soit celle-ci qui … mais alors là, il faudra quand même que vous m’expliquiez, car biologiquement parlant, j’ai comme qui dirait quelque doute. Quant à la métaphore de l’ours, très franchement, je vous trouve très sévère … à l’encontre des ours bien sûr. Ces pauvres bêtes n’ont pas vraiment mérité cela.

  4. Et si dans quelques semaines, cette dame dit qu’en fait c’est en disant qu’elle avait simulé qu’elle avait trompé tout le monde, ils auront l’air fin tout ceux qui donnent des tas d’explications sur le qui, le quoi, le pourquoi de cette simulation. Bref, qui peut encore croire cette personne? Sauf a vouloir prouver que, quoi qu’elle dise, qu’elle montre, il ne faut pas la croire, je ne comprends pas bien ce qui a motivé soit sa simulation, soit le fait de dire qu’elle a simulé alors qu’elle avait simulé, ou alors qu’ellle n’avait pas simulé ……

  5. En résumé, Magnette a été entubé par C. Freeland, par Charles Michel (qui s’en vante d’ailleurs) et par l’Europe (qui entend bien signer le traité sans les amendements wallons). C’est à mettre à l’honneur de qui ?
    Sans doute de quoi améliorer l’image de l’Europe aux yeux des citoyens…
    Et on ose s’étonner des scores de Marine… Tout tend de plus en plus à justifier par avance ce vote (aussi bien que le Brexit, d’ailleurs), pour ce qu’il signifie en termes de rejet de l’Europe, même si le reste du programme est nauséabond. Et on osera s’étonner quand l’Europe commencera à se déglinguer pour de bon (si ce n’est pas déjà le cas). Tout bénéfice, peut-être, pour le libre-échange !!!

Répondre à mib Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.

Marcel Sel est auteur, romancier, journaliste, chroniqueur et satiriste. 

 

 

Belge une fois, mais pas deux.

suivez-MOI SUR…

Si la lecture vous a plu…

Commandez mes romans…

Écoutez Votez Pour Moi tous les matins à 8h15.

Une émission satirique avec André Lamy et Olivier Leborgne, coécrite par Michaël Albas et Marcel Sel.

Vous aimez mon style ?

ENGAGEZ-MOI !

Pour écrire, réécrire, améliorer, scénariser. Avec ou sans pointe de sel.

SUR LE MÊME THème

Les sept erreurs de Rajae-le-taxi.