Entre Trump et Poutine, l’urgence d’un patriotisme européen

Dès l’annonce des premiers droits de douane qui les visaient, les Canadiens se sont dressés contre l’administration Trump. La Chine, elle, résiste au « harcèlement » américain. En Europe, en revanche, le patriotisme reste national et trop souvent réservé à l’extrême droite. Près de 70 ans après la fondation de l’une des trois plus grandes puissances mondiales, on est toujours d’abord français, allemand ou grec. Or, nous ne pouvons pas nous permettre le luxe de donner raison à Donald Trump lorsqu’il affirme que l’Europe n’existe pas!

Au moment où, à l’Est, la Russie de Poutine grignote l’Ukraine et menace l’Union européenne d’une guerre hybride qui a déjà commencé; alors que les États-Unis revendiquent ouvertement un territoire européen — le Groenland —, et que l’administration Trump s’immisce dans la politique allemande en soutenant l’AfD, il est urgent que les citoyens de l’Union assument leur double appartenance nationale et européenne. Histoire de montrer à nos adversaires que l’Europe existe et qu’elle ne les craint pas.

 

La haine révélée

Outre l’incompétence ahurissante de l’ensemble du staff de sécurité de l’administration Trump, le Signal-gateaura aussi révélé la haine profonde du vice-président JD Vance et du secrétaire à la Défense Pete Hegseth envers « les Européens ». Elle est partagée par le président, selon qui l’Europe a été créée pour nuire aux États-Unis.

Il faut prendre cette haine au sérieux. Espérer qu’il ne s’agit que d’un bluff est un luxe dont il vaut mieux se priver. Un épisode me paraît révélateur : à l’aube de sa visite au Groenland, le vice-président JD Vance a qualifié les Danois de « mauvais alliés ». Il convertissait ainsi un allié de toujours en adversaire accusé de refuser de donner à l’Amérique ce que son président présente par ailleurs comme vital.

La conversion dans l’opinion publique d’un allié en adversaire, voire en ennemi, est un préalable sine qua non à toute agression militaire. JD Vance est d’ailleurs allé plus loin en affirmant que Donald Trump prendrait possession de ses intérêts au Groenland sans se soucier des cris d’orfraie des Européens. Le président a de son côté réitéré cette semaine qu’il n’excluait pas une intervention militaire pour obtenir le Groenland.

Mais est-il seulement imaginable que les USA prennent militairement le Groenland ? me direz-vous. La réponse à cette question sans objet (car tout est envisageable en géopolitique) est une autre question : l’Europe risquera-t-elle une confrontation armée avec les USA pour défendre l’île lointaine et glacée, pratiquement inhabitée, relevant du « petit » Danemark ? Sachant qu’une telle invasion signifierait déjà la fin de l’OTAN. Le pourrait-elle seulement, alors que l’ami oriental de Trump, Vladimir Poutine, complète son encerclement ?

Dans l’analyse des menaces qui pourraient peser sur nous, l’invasion du Groenland, même si elle est très improbable, a été annoncée. Les préparatifs sont cohérents avec tel projet. Avoir peur de la guerre ne l’empêche pas. Ce qui peut l’empêcher, c’est d’y être préparé.

 

Trump et Poutine visent notre mode de vie

Mais à cela s’ajoute la nature du mépris de l’administration Trump pour l’Europe. Il découle d’une haine profonde envers notre mode de vie, nos valeurs, notre fonctionnement politique, notre existence même en tant qu’Européens, toutes choses qu’elle entend supprimer. Et cette guerre-là a déjà commencé.

Ce n’est pas un hasard si Trump soutient (et invite lors de son intronisation) les partis les plus hostiles à la monnaie unique, à l’Union et à ce qu’elle représente : Rassemblement national, Reconquête, Viktor Orban, l’AfD, le Vlaams Belang, le PVV de Geert Wilders, bref, toute l’extrême droite. Ces partis, qui se prétendent patriotes (nationaux), constituent déjà une cinquième colonne trumpiste et poutinienne. L’extrême droite n’est plus seulement toxique par sa nature, elle l’est désormais aussi en tant que collaboratrice interne d’une stratégie agressive de double ingérence.

Poutine s’ingère dans les élections via notamment ses fermes à trolls ; Trump s’ingère dans notre vie politique jusqu’à — simple exemple, mais révélateur — exiger de la ville de Stockholm qu’elle abandonne toute politique de diversité, ce qui revient à lui imposer de violer la loi suédoise.

 

La confusion pour arme

La seule bonne nouvelle, c’est que par son comportement de soudard, ce sera donc le président américain qui prétendait rendre sa grandeur à l’Amérique qui aura relancé le projet européen, y compris en matière de défense. Une opportunité inattendue que beaucoup de dirigeants d’États membres et non membres ont saisie, devançant même l’opinion et les médias qui suivent, mais ne précèdent plus, emmêlés à la fois dans le flot ininterrompu des « provocations » médiatiquement attrayantes de Donald Trump (les lecteurs adorent le scandale et l’effroi) et dans une frilosité parfois glaçante sur la thématique du patriotisme européen.

La population européenne, quant à elle, ne s’est pas encore manifestée comme l’ont fait les Canadiens, dont on a capté la colère spontanée et généralisée jusque sur Mars.

Enfin, l’intelligentsia s’éparpille dans la confusion des valeurs et, partant, du sens des choses, confusion alimentée tant par l’extrême droite que par la gauche — du moins en France et en Belgique —, alors qu’elle ne profite qu’aux extrêmes. Or, si nous ne partageons plus les définitions de termes aussi fondamentaux que liberté, démocratie, laïcité, vérité, comment pourrions-nous unir nos forces contre les multiples menaces (climatique, économique, sociale, politique, et l’entrisme aussi bien russe, qu’américain ou islamiste), qui pèsent sur l’avenir du vieux continent ?

Nous n’en partageons déjà plus du tout l’esprit ni la substance avec notre grand allié historique d’outre-Atlantique. Il est urgent de retrouver le consensus entre nous.

L’Europe n’a plus d’autre choix que de se ré-unir face à un président américain dont l’entourage approuve et alimente le délirium trumpiens, et qui n’a cessé, depuis son intronisation, de heurter ses meilleurs alliés, confondant la gestion d’un État et celui d’un concessionnaire Tesla du fond du Wisconsin.

 

Être un peu plus « Canadiens »

L’exemple est venu du Canada, dont le nouveau Premier ministre Mark Carney, a choisi l’Europe — la France et le Royaume-Uni — pour sa première visite officielle. Il rompait ainsi avec la tradition qui la réservait à Washington. Et sans la moindre ambiguïté, puisque Mark Carney évoquait une préférence pour des « alliés fiables », indiquant clairement que son voisin et allié jusque-là le plus proche ne l’était plus. Dans la foulée, un sondage annonçait que 44 % des Canadiens, souhaitent que le Canada rejoigne l’Union européenne, dont il est pourtant séparé par un océan !

L’Europe redevient donc désirable. Mais le problème, c’est qu’elle ne l’est pas (encore) par elle-même, elle l’est seulement par contraste. Les Européens n’ont d’ailleurs pas jappé collectivement de plaisir ni sorti leurs petits drapeaux bleus et jaunes à l’annonce de cet incroyable engouement canadien ! Les citoyens européens observent, mais ne s’engagent pas. Même l’extrême gauche, qui devrait être en pleine offensive pro-européenne s’il lui restait un neurone, n’exige le boycott de Coca-Cola ou de Starbucks que parce qu’ils ont des intérêts… en Israël ! Ou comment tirer sur un dinghy alors qu’un porte-avion fonce sur nous à toute berzingue.

Le sursaut politique et une Europe militaire ne suffiront pas à décourager Trump ou Poutine de continuer leur offensive doublement délétère. Il faudra au moins aussi que les citoyens européens se manifestent. Qu’ils assènent que l’UE a du sens, du pouvoir et un peuple. Que nous avons des structures, des valeurs, une existence politique et économique : même Donald Trump a dû reporter ses chers droits face aux menaces de rétorsion du vieux continent. Mais combien de citoyens européens le voient comme ça ?

 

L’Europe, comme vous avez oublié de la regarder

À force d’écouter les thuriféraires des idéologies destructives qui présentaient l’UE, qui comme raciste systémique, qui comme déjà conquise par l’islamisme (c’est en effet un défi, mais c’est très loin d’être une guerre perdue), on a oublié que l’Europe était désirable par elle-même. Ce n’est plus la première puissance mondiale de l’entre-deux-guerres ? Certes. Mais c’est toujours un mammouth économique, et trop d’Européens l’ignorent.

L’Union européenne compte 448 millions d’habitants répartis dans 27 États membres, dont plusieurs puissances d’envergure mondiale. Ces derniers conservent une importante autonomie tout en adhérant à un marché unique — et une monnaie unique pour 20 de ces pays. L’espace Schengen regroupe désormais 25 des États-membres, mais s’étend bien au-delà : Norvège, Suisse, Liechtenstein et même Islande !

Des pays qui se faisaient la guerre il y a 80 ans, et la guerre froide il y a encore trente-cinq ans à peine, partagent désormais un même traité, une même Commission, un même Parlement, un même Conseil européen, qui regroupe ses chefs d’État.

Toujours en construction, l’Union européenne est nettement plus jeune et plus dynamique que les États-Unis. Contrairement à la Russie et à sa zone d’influence qui se sont gravement racrapotées depuis la chute du mur, l’espace géographique de l’UE a littéralement explosé en cinquante ans. Il va désormais de Lisbonne à la mer Noire et de Chypre au Cercle polaire. Et c’est sans compter les territoires européens d’outre-mer (RUP et PTOM), comme le Groenland, qui ponctuent littéralement l’ensemble de la planète.

 

L’Union européenne est un pôle de valeurs éthiques

Sur le plan des valeurs, l’UE dame le pion à toutes les puissances comparables. Sa plus grande réalisation, c’est incontestablement la préservation de la paix entre six États au départ, et jusqu’à vingt-huit États du vieux continent aujourd’hui. La guerre en ex-Yougoslavie s’est clôturée par l’adhésion de la Croatie et de la Slovénie.

L’Union européenne est encore la seule grande puissance qui ait inscrit le progrès éthique et démocratique dans ses textes fondamentaux. Liberté d’expression, interdiction de la discrimination, droits des minorités religieuses, sexuelles, ethniques, égalité des femmes et des hommes. L’UE est aussi la seule grande puissance à interdire la peine capitale. Elle impose à ses membres le respect de normes démocratiques que même Viktor Orban n’a pu qu’égratigner aux contours.

À force de souligner les victoires de l’extrême droite, on en oublie que, sous l’égide de l’UE, ces partis ont jusqu’ici été empêchés de détruire les constitutions locales. Ni l’Autriche, ni la Pologne, ni les Pays-Bas, ni la Suède, ni la Finlande, ni même l’Italie, où leur présence gouvernementale est récurrente, ne sont devenus des États fascistes. Si certaines lois ont droitisé ces pays, les États, eux, ont jusqu’ici été préservés d’une révolution totalitaire. On ne peut pas en dire autant de la Russie. On ne peut même plus le dire des USA !

L’UE est aussi la seule grande puissance qui adhère aux juridictions internationales : tous les États européens ont ratifié le statut de Rome qui fonde la Cour Pénale Internationale. L’Union européenne en est même le premier contributeur financier, avec près de 60 % du financement !

 

L’Union européenne protège mieux sa population

L’Europe est à la fois une confédération libérale en matière économique (marché libre transeuropéen) et sociale-démocrate en termes de droits individuels — the best of both worlds. Notre fameux filet social, bien qu’imparfait, permet objectivement une meilleure gestion de la santé publique, dont témoigne une espérance de vie supérieure à celles des USA et de la Chine. Et ce, malgré des dépenses médicales deux fois inférieures à celles des Américains ! Pendant le Covid, ces derniers perdaient brusquement trois ans d’espérance de vie. L’Européen n’en perdait qu’un. Soit une différence de plus de 500 millions d’années d’espérance de vie individuelle ! Tout cela, en émettant deux fois moins de gaz à effets de serre que les États-Unis pourtant un quart moins peuplés.

L’Europe est aussi la région du monde où les différences de revenus sont les plus faibles. Elle bat la Chine communiste et ratatine les USA. Et bien que leurs revenus soient inférieurs à ceux des Américains, les citoyens de plusieurs pays de l’UE ont un patrimoine médian plus élevé qu’eux : Luxembourg, Belgique, Danemark, France, Pays-Bas et Italie.

 

L’Union européenne est une superpuissance économique

Avec 15,2 % du PIB mondial, l’Union européenne est d’ailleurs la troisième économie mondiale en 2021 (en SPA — Standard de Pouvoir d’Achat), derrière la Chine (18 %) et juste derrière les USA (15,5 %). C’est aussi la deuxième puissance mondiale en PIB par habitant ($ SPA), derrière les États-Unis.

Elle est toujours le premier exportateur mondial de biens manufacturés et de services selon la Commission européenne. Et elle compte pour 13,7 % du commerce mondial, derrière la Chine (18,2 %), mais devant les États-Unis (10,4 %).

L’Europe ne s’est pas contentée de survivre économiquement aux deux guerres mondiales qui l’ont ravagée et à la décolonisation qui a fort heureusement démembré plusieurs de ses empires. Son taux de productivité a même progressé depuis, tout en offrant des avantages sociaux toujours plus pointus, inimaginables aux États-Unis.

 

L’Union européenne est un vecteur de progrès

La décolonisation à peine amortie, l’Union européenne a aussi intégré et soutenu des économies ratiboisées par le communisme : RDA, Tchéquie et Slovaquie, Hongrie, Pologne, les pays baltes, ainsi que d’autres États très en retard économiquement (Roumanie, Bulgarie, Slovénie, Croatie), dont certains performent étonnamment. La Slovaquie a multiplié son PIB par 10 en 35 ans. Elle est désormais le premier producteur automobile mondial par habitant. La Croatie et la Slovénie ont dépassé la triplette. Lors de son entrée dans l’UE, en 2004, la Pologne enregistrait un PIB de 6 181 $ par habitant (PPA en $ internationaux courants). Il avait triplé neuf ans plus tard, malgré la crise de 2008. Ce PIB dépasse aujourd’hui les 46 500 $. Dans le même temps, le taux de chômage polonais est passé de 18,6 % à 3 %.

Enfin, à côté de l’Union européenne, rappelons que la Russie est un nabot économique. Avec 2 000 milliards de dollars courants, son PIB n’atteint pas la moitié de celui de l’Allemagne (40 % moins peuplée), et plafonne aux deux tiers de celui de la France (plus de deux fois moins peuplée). Quatre pays européens, dont trois sont membres de l’UE, ont un PIB plus important qu’elle. L’Union européenne elle-même est plus de neuf fois plus performante (18,590 milliards). Et la zone euro seule, près de huit fois.

Bien sûr, les États-Unis dominent toujours de loin, selon la Banque mondiale, avec un PIB de 27,720 milliards de dollars en 2023. Mais l’Union européenne est toujours bonne deuxième, devant la Chine. Si un Suisse est déjà fier de son 39e PIB mondial (nominal), si un Canadien pense son 17e PIB remarquable, pourquoi diable les Européens restent-ils si peu fiers, que dis-je, si peu esbaudis, enchantés, ébouriffés, de leur deuxième place ?

 

Le patriotisme européen est une nécessité

Devant un bilan aussi impressionnant, il est plus que raisonnable d’assumer la fierté d’être unioneuropéens. De se rassembler sous ce drapeau avant tout autre. D’être un tout petit peu plus patriotes, dans le meilleur sens du terme.

De devenir des gens qui descendraient dans la rue pour soutenir la résistance de la Commission à l’agression trumpienne. Des gens qui mettraient de côté leurs râleries constantes — et souvent de principe — pour regarder l’Europe comme une patrie incroyablement productive et formidablement protectrice, malgré tous ses défauts.

Parce qu’elle s’est construite pour peser dans l’aventure mondiale. Qu’elle pèse toujours. Et que le moment est venu de l’assumer. De brandir son drapeau. De prendre exemple sur les Canadiens. D’être beaucoup plus européens. Et beaucoup moins défaitistes.

Parce que nous sommes déjà dans une zone de combat et qu’on ne gagne pas un combat en se faisant modeste. Et encore moins en se disant qu’il est perdu d’avance.

 

Tant que vous êtes là…


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