Le roi, le cordon, la liberté
Après qu’un constitutionnaliste situé PS a, ce matin, expliqué à la RTBF pourquoi le roi était tenu de respecter un cordon sanitaire qui n’est pourtant inscrit dans aucune loi belge, plusieurs journalistes, et d’excellents parmi eux, ont «constaté» que Philippe avait «rompu le cordon sanitaire» en invitant le président du Vlaams Belang au Palais.
Voilà le roi marqué d’un sceau d’infamie réservé jusqu’alors à quelques privilégiés, comme la N-VA ou l’un ou l’autre ex-VU égaré à l’Open VLD. Je rappelle au passage que le cordon sanitaire, tel qu’on l’entend a minima en Belgique (c’est-à-dire dire en Flandre) ne suppose pas qu’on se refuse à parler avec les partis liberticides, mais bien qu’on refuse de gouverner avec eux, ce qui est plus qu’une nuance.
Évidemment, aucun démocrate digne de ce nom ne peut se réjouir du succès du Vlaams Belang, de sa légitimation par de telles invitations, ni de cette première inquiétante. Pour autant, reléguer notre monarque au rang de vulgaire briseur de cordon (soit une sorte de protofasciste traître à la patrie démocrate) est atterrant, pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, ceci n’est pas le premier dimanche noir, mais bien le énième (1991, 1994, 2003, 2007…) Et l’absence d’invitation passée n’a pas, à première vue, eu d’effet sur le petit million d’électeurs du Belang. Autrement dit : ne pas l’inviter ne contribue pas à limiter son succès récurrent. Ensuite, inviter n’est pas former. Hier encore, dans De Morgen, Bart Eeckhout estimait qu’il y avait zéro chances que le Belang participe au prochain gouvernement fédéral, même en tant que soutien de la majorité.
On peut donc estimer que l’invitation de Tom Van Grieken ne sert pas à le légitimer mais au contraire à lui couper l’herbe sous l’un des pieds sur lesquels le parti s’appuie : la victimisation. Voyez, dit-il sempiternellement à ses électeurs, la Belgique méprise votre choix démocratique en refusant de nous écouter et en nous traitant comme des pestiférés. Les partis d’extrême droite ont en effet l’habitude de se référer à leurs électeurs comme s’ils étaient le parti. Huit-cent mille Flamands sont ignorés, méprisés, insultés, vilipendés. Et bien sûr, ils le sont surtout par ces satanés Francophones socialisants, qui intiment au roi l’ordre de ne pas recevoir Van Grieken sous peine d’être dépeint comme collabo, soit le digne petit-fils de Léopold III.
Bien sûr, les électeurs ne sont pas le parti qu’ils choisissent, peut-être une fois dans leur vie, mais allez expliquer ça à ceux qui ont voté Belang pour être «enfin» entendus ! Cela fait trente ans que le parti flirte avec les 10 à 20%, qu’il n’a jamais participé à aucun pouvoir, et pourtant, il continue (ou plutôt, recommence) à faire d’excellents scores ! De ce point de vue, le fait que Geert Bourgeois l’ait entendu au moment de la formation du gouvernement flamand en 2014 n’était pas une forme de reconnaissance mais bien un piège qui servait, d’une part, à empêcher le Belang de se victimiser (voyez : il a bien été reçu, ses électeurs ont donc été respectés) et d’autre part, à présenter l’impossibilité de gouverner avec lui non plus comme un préjugé, mais bien comme la conclusion d’une rencontre.
On peut comparer cela à la négociation non aboutie entre le PS et le PTB à Molenbeek. Elle a permis au moins de convaincre une partie de l’électorat qu’on avait bien écouté les marxistes-léninistes, et qu’ils n’étaient pas mûrs pour gouverner — à supposer qu’ils ne le deviennent jamais tant qu’ils n’auraient pas la majorité.
Plutôt que de considérer ce point de vue qui n’a rien d’humiliant, quelques éditorialistes francophones, et pas mal de militants de gauche, se drapent, comme souvent, dans leur dignité de parangon de l’antifascisme, non sans se penser plus belgicains que les Flamands, tout en s’acharnant à mécomprendre la Flandre, ses pulsions, ses rancœurs.
Cette partie de l’opinion et de la fabrication d’opinion francophone se pense apparemment tout à la fois le modèle autoproclamé de l’unité belge, et la donneuse de leçons qui ramène systématiquement la Flandre à une bande de mauvais élèves de la démocratie.
Nul ne peut aujourd’hui réfléchir à la place du roi (je rappelle que je suis républicain). Mais les enjeux dépassent le simple éloignement des néofascistes. La posture de beaucoup de francophones est évidemment compréhensible : plus on garde les fachos éloignés de l’illusion du pouvoir, mieux c’est. Les cris d’orfraie retentissent donc très vite. Mais la question subsiste : n’est-ce pas trop vite ? Le roi ne doit-il pas être à l’écoute des deux grandes régions, a fortiori de la plus peuplée ? Ce geste est-il réellement nocif ? En livrant la Monarchie à l’opprobre publique, ne fait-on pas exactement ce que les séparatistes attendent ? Prouver, une fois de plus qu’on méprise l’électorat flamand, qu’on ne le comprend pas, qu’au fond, Bart a raison : il y a deux démocraties.
Que l’on garde une attitude de rejet forte envers le fascisme, en particulier côté francophone, ne doit pas nous empêcher de tenter de comprendre les enjeux côté flamand et d’éviter de prétendre que le Sud aurait la science infuse. Après tout, nous avons fait beaucoup pour qu’un parti liberticide marxiste-léniniste, qui refuse toujours de faire le bilan sanguinaire de ses modèles, s’installe, peut-être durablement dans notre demie-démocratie.
Maintenir le cordon fort dans le Sud, tout en comprenant qu’on fasse autrement dans le Nord, rejeter le fascisme tout en autorisant une realpolitik dont nous ne pouvons prévoir si elle sera positive ou négative, voilà peut-être l’attitude la plus sage. Il n’est pas interdit d’essayer.
Mais comme toujours, je peux me tromper.
29 Comments
lievenm
mai 29, 15:12Salade
mai 29, 15:58ut'z
mai 29, 18:37Bison, la colle super-puissante
mai 29, 16:28ut'z
mai 29, 19:29Bison, la colle super-puissante
mai 30, 15:07ut'z
mai 31, 19:22ut'z
juin 02, 22:09Salade
mai 29, 17:50marcel
mai 30, 11:29Salade
mai 30, 21:42ut'z
mai 29, 18:22Ludovic NYS
mai 30, 11:02marcel
mai 30, 11:28Wallimero
mai 30, 11:56marcel
mai 30, 12:04Wallimero
mai 30, 12:22marcel
mai 31, 07:42marcel
mai 31, 07:44ut'z
mai 31, 00:26Legille
mai 30, 21:25marcel
mai 31, 07:40ut'z
mai 31, 19:39Salade
mai 30, 21:59ut'z
mai 31, 00:44ut'z
mai 31, 19:32Salade
juin 02, 11:05marcel
juin 04, 18:53ut'z
juin 06, 23:12