Le Peuple exploite les victimes du Bataclan pour attiser la haine.
Cet article fait partie du dossier de fact-checking de 7 articles du Peuple, à lire sur ce blog ou, pour découvrir un autre blog, sur celui de Jonathan Fanara.
Dans un article daté du 19 juin, Le Peuple affirme révéler « les tortures commises au bataclan que la presse veut vous cacher ». Pour ce faire, il se base exclusivement sur le rapport de l’Assemblée nationale suite aux attentats terroristes du 13 novembre, mais, jamais décevant, l’organe non officiel du Parti populaire ne l’utilise que quand ça l’arrange ! Il part ainsi de la lecture, par le président de la commission Georges Fenech, d’une lettre envoyée par le père d’une victime au juge d’instruction chargé de l’enquête. Le Peuple introduit les accusations du père en précisant : « en voici les extraits les moins révulsants. »
Or, le texte publié dans le journal en ligne n’est pas un extrait, ni même une série d’extraits ! C’est l’intégralité du texte publié dans le rapport de la commission. Autrement dit : il n’y a pas d’extraits « plus révulsants » que celui que Le Peuple publie. Il s’agit d’une première manipulation destinée à impressionner sciemment le lecteur en lui faisant imaginer des horreurs qui n’ont pas eu lieu.
Il est d’ailleurs difficile d’être plus « révulsant » que ce que contient cette lettre : « Sur les causes de la mort de mon fils A., à l’institut médico-légal de Paris, on m’a dit, et ce avec des réserves compte tenu du choc que cela représentait pour moi à cet instant-là, qu’on lui avait coupé les testicules, qu’on les lui avait mis dans la bouche, et qu’il avait été éventré. Lorsque je l’ai vu derrière une vitre, allongé sur une table, un linceul blanc le recouvrant jusqu’au cou, une psychologue m’accompagnait. Cette dernière m’a dit : ‟La seule partie montrable de votre fils est son profil gauche.” J’ai constaté qu’il n’avait plus d’œil droit. J’en ai fait la remarque ; il m’a été répondu qu’ils lui avaient crevé l’œil et enfoncé la face droite de son visage, d’où des hématomes très importants que nous avons pu tous constater lors de sa mise en bière. »
Le Peuple ajoute : « Ce témoignage précis a été confirmé par un des enquêteurs qui a vomi en sortant du Bataclan. Il avait constaté une décapitation et des éviscérations. » Là aussi, le journaliste (D.K., probablement le rédacteur en chef Alain De Kuysche) joue sur les mots. Car il n’y a aucun témoignage direct ! Le Peuple fait en fait référence à un et un seul témoignage, de seconde main, recueilli par un brigadier-chef le soir des faits. Ce policier, nommé T.P. dans le rapport, a affirmé à la commission : « Des corps n’ont pas été présentés aux familles parce qu’il y a eu des gens décapités, des gens égorgés, des gens qui ont été éviscérés. Il y a des femmes qui ont pris des coups de couteau au niveau des appareils génitaux. »
UN TÉMOIGNAGE QUI FAIT FAUX BOND
Première remarque : il ne parle pas de castration, encore moins de testicules dans la bouche. Autrement dit, il ne confirme pas le « témoignage précis » du père. Quant à « l’enquêteur » qui « a vomi en sortant du bataclan », on le retrouve dans une autre réponse du brigadier T.P., lorsque le président de la commission lui demande comment il a appris qu’il y avait eu « des actes de barbarie ». Sa réponse :
« Après l’assaut […] j’ai vu sortir un enquêteur en pleurs qui est allé vomir. Il nous a dit ce qu’il avait vu. Je ne connaissais pas ce collègue, mais il avait été tellement choqué que c’est sorti naturellement. » Et lorsqu’on lui demande si ces actes de tortures se sont passés au deuxième étage, il répond : « Je pense, car je suis entré au niveau du rez-de-chaussée où il n’y avait rien de tel, seulement des personnes touchées par des balles. » Autrement dit, le brigadier-chef T.P. n’a rien vu lui-même. Et on n’a pas retrouvé l’enquêteur qui aurait constaté de tels actes. Contrairement à ce qu’affirme Le Peuple, il s’agit donc d’un témoignage indirect. Au minimum, il aurait dû utiliser le conditionnel : « un enquêteur aurait constaté ».
De même pour l’institut médico-légal : non seulement aucun témoignage ne permet de corroborer ces affirmations, mais en plus, elles ont été réfutées par le procureur de Paris François Moulins : « C’est une rumeur. Les médecins légistes ont été formels : il n’y a pas eu d’acte de barbarie, pas d’utilisation, notamment, d’armes blanches. Selon un témoignage, les testicules d’une personne auraient été coupés, mais aucune constatation n’a permis de le corroborer. » Ce témoignage est, lui, corroboré par celui le préfet de police de Paris, Michel Cadot (page 442 du rapport) : « Je n’ai eu aucune connaissance de ces faits, ni par l’Institut médico-légal ni par les fonctionnaires en question. […] J’ai néanmoins compris qu’il n’a été retrouvé sur le site de l’attaque aucun couteau ni aucun autre engin tranchant qui aurait permis ce type de mutilations. »
À cela s’ajoute un troisième témoin, M. Christian Sainte, directeur de la police judiciaire. « […] rien, en l’état actuel de mes connaissances, ne me permet de penser que ce qui vient d’être lu est juste. »
Celui-ci donne en revanche une explication cohérente : « Je précise, pour que les choses soient claires, que certains des corps retrouvés au Bataclan étaient extrêmement mutilés par les explosions et par les armes, à tel point qu’il fut parfois difficile de reconstituer les corps démembrés. Autrement dit, les blessures que décrit ce père peuvent aussi avoir été causées par des armes automatiques, par les explosions ou par les projections de clous et de boulons qui en ont résulté. »
Le président de la commission insiste : « On lui aurait mis ses testicules dans la bouche… » Et le directeur de la police judiciaire répond : « […] si ces faits avaient été établis, je pense qu’une telle information ne m’aurait pas échappé. »
RETOUR DE MANIPULE
Le Peuple continue son article avec une nouvelle manipulation. Il annonce en effet un « Autre passage terrifiant du rapport de la commission d’enquête », qu’il reproduit de la façon suivante :
« Un membre de la commission : Des corps n’ont pas été présentés aux familles parce qu’il y a eu des gens décapités, des gens égorgés, des gens qui ont été éviscérés. Il y a des femmes qui ont pris des coups de couteau au niveau des appareils génitaux.
Georges Fenech, président de la commission : Tout cela aurait été filmé en vidéo pour DAECH !
Un membre de la commission : Il me semble. Les victimes en ont parlé (…), les yeux de certaines personnes ont été arrachés. »
Vous ne remarquez rien ? Ce texte, vous l’avez déjà lu : c’est exactement le témoignage du brigadier-chef T.P. (en gras ci-dessus), que Le Peuple fait tout à coup passer pour « un membre de la commission ». Autrement dit, c’est le témoignage de « l’enquêteur qui aurait vomi ». Le « journal en ligne » l’a dédoublé pour ajouter à sa théorie le début de crédibilité qui lui manque. Et en convertissant un brigadier, témoin indirect, en « membre de la commission », on ne peut conclure que de deux façons : soit, Le Peuple manipule, dissimule et ment sciemment, soit il n’a pas vraiment lu le document, qui donne pourtant le grade du témoin nommé T.P. à la page 355 (brigadier-chef), et où il est précisé qu’il prête serment.
DES GENS QUI DÉCAPITENT AVEC LES DOIGTS
Pire encore : le procureur a affirmé qu’aucune blessure au couteau n’avait été constatée, et le préfet de police a déclaré qu’on n’avait trouvé aucun couteau sur les lieux. Cette absence de couteau rend évidemment la potentialité d’actes de barbarie pratiquement nulle. Mais Le Peuple a trouvé le moyen d’utiliser cette absence pour… aggraver ses accusations ! Il écrit ainsi : « Détail horrible : les enquêteurs n’ont trouvé aucun couteau ou objet ayant permis des énucléations ou des éviscérations. Il s’agit d’actes sauvages, tels que ceux prônés par les musulmans extrémistes, promettant les pires sévices aux ‘infidèles’. » Vous avez bien lu, Le Peuple insinue que ces énucléations et éviscérations ont été commises à mains nues !
Réfléchissons. Que des humains soient capables, avec leurs seuls doigts, d’arracher des yeux, on le conçoit. Mais comment des terroristes qui continuent à tirer sur la police ou des fuyards auraient-ils pu, avec leurs ongles, éventrer des malheureux ou des malheureuses, leur couper les parties génitales ou de les… décapiter ?
Le Peuple ne se soucie même pas de la vraisemblance de ses affirmations.
Cette conclusion délirante montre que Le Peuple ne se soucie absolument pas de la vraisemblance de ses affirmations. Seul compte l’effet dramatique sur ses lecteurs. Il vise deux objectifs : accabler le plus possible les « islamistes » et prétendre que la presse ment, avec cette conclusion : « Seuls des journaux britanniques et espagnols ont fait écho aux passages du rapport de la commission, cités ci-dessus. »
Encore faux ! Ainsi, Le Parisien a bien évoqué les passages du rapport incriminés, mais — en bon journal factuel — il a également tenu compte des conclusions des trois hauts responsables de la police et de la justice. De très nombreux articles ont aussi évoqué le fait que les terroristes ont utilisé des otages comme boucliers humains (notamment dans l’Express, dans Slate et dans Le Monde), ce qui montre que la presse n’a jamais hésité à révéler des actes immondes. De plus, 20 Minutes et le Nouvel Obs ont bien repris ces pseudo-révélations, mais en les démontant à peu près comme nous venons de le faire.
LES CHAMPS DU POSSIBLE
La première question qui vient à l’esprit est : est-ce que de tels actes ont vraiment eu lieu ? C’est possible, et personne n’écrit le contraire. Mais il n’y a pas de témoignage direct. Le journalisme se base sur des faits vérifiables. Ceux-ci ne le sont pas. Et ils ne sont de plus très peu plausibles, selon de hauts responsables de la police et de la justice.
Autre question : si ce n’est pas arrivé, comment expliquer les deux témoignages ? N’oublions pas que ceux-ci ont été recueillis à des moments extrêmement traumatisants. Le père explique qu’il a obtenu ces informations « avec des réserves compte tenu du choc que cela représentait pour moi à cet instant-là ». Autrement dit, on ne lui a peut-être rien dit de précis, il dit ce qu’il pense avoir compris.
Quant à l’enquêteur, une question purement professionnelle se pose : il n’est apparemment ni médecin ni légiste, et ne pouvait donc pas conclure professionnellement, sur les lieux, que les épouvantables blessures qu’il a vues étaient dues à des actes de torture. Ainsi, comment aurait-il pu distinguer ce qu’il décrit comme « des coups de couteau au niveau des parties génitales » ? Plus troublant encore : ailleurs dans son témoignage, le brigadier T.P. affirme même « Il y a eu des mimiques d’actes sexuels sur des femmes ». Comment l’enquêteur aurait-il pu le savoir, puisque des « mimiques d’actes sexuels » ne laissent aucune trace ? Pourquoi aucun des survivants n’en a parlé ensuite ?
Si te telles actes avaient eu lieu, ni la presse, ni l’État n’aurait eu intérêt à les cacher.
La seconde question est « cette information éventuelle a-t-elle un intérêt » ? Les terroristes ont bestialement abattu des dizaines de personnes de tout âge cette nuit-là. Ils ont achevé des blessés. Ils ont utilisé des innocents comme boucliers humains. Ils ont même fait mine d’en laisser partir pour les abattre ensuite — témoignage corroboré par plusieurs témoins et paru dans la presse. Qu’est-ce que d’autres actes de barbarie apporteraient à la conclusion évidente que ces gens sont les déchets de l’humanité ? Tout le monde réprouve ces attentats. Tout le monde connaît la barbarie de Daesh et des islamistes. Personne ne le nie !
Si de tels actes ont vraiment eu lieu, il n’y a donc aucun intérêt journalistique ou d’État à les taire. D’ailleurs, la commission d’enquête parlementaire les a bien évoqués, très clairement, et a tenté d’en avoir le cœur net. Il n’y a eu aucune censure. Personne n’a muselé les témoins. Mais ils n’ont pas été corroborés, c’est tout.
Et si vraiment, comme le veut la version complotiste du Peuple, l’État avait cherché et réussi à museler deux commandants de police et un procureur (!), quel aurait été son intérêt dès lors que Daesh est clairement l’ennemi public numéro un ?
LE DEUIL QUE LE PEUPLE REFUSE AUX VICTIMES
Je ne vois qu’une raison possible de taire de tels actes : s’ils avaient effectivement été commis, les seules personnes qu’un silence aurait protégées, ce sont les familles des victimes. Qui voudrait que l’on pense que son frère, sa sœur, son père, son enfant a, en plus d’être lâchement abattu, aussi été châtré, décapité-e, énucléé, éventré-e vivant-e ? Bien sûr, personne ! La tragédie est bien assez épouvantable telle qu’elle est. Les détails scabreux que Le Peuple prétend « révéler » ne sont que la manifestation d’un mépris outrancier pour le deuil d’autrui, pour la sérénité des proches, pour la tranquillité de leurs enfants.
Aujourd’hui, à cause du Peuple et de quelques autres webzines d’extrême droite, le doute existe. Pas seulement pour quelques victimes. Mais pour toutes. Disons-le plus clairement : Le Peuple utilise ici la souffrance causée par une des pires barbaries que nos pays aient connues depuis la guerre, pour buzzer sur les réseaux sociaux !
Et tout ça pour quoi ? Pour faire croire qu’on cacherait certains des « excès » des terroristes. Non, faux, aucun excès n’a jamais été caché !
La presse n’a jamais caché que Daesh décapite et torture, ni occulté l’épouvante des actes des terroristes.
Pour faire croire que seul le Parti populaire diagnostique correctement le terrorisme. Non, faux, nos tribunaux travaillent, nos policiers enquêtent, nos gouvernements les traitent sans la moindre pitié.
Pour faire croire que la presse « ne nous dit pas tout ». Non ! Faux ! La presse n’a jamais caché que Daesh décapite et torture, ni occulté l’épouvante des actes de Mohammed Merah (tirer dans la tête d’une petite fille à bout portant), celle de la décapitation d’un patron par son employé, ou encore celle de l’égorgement d’un curé par deux terroristes. La presse rapporte ce qu’elle peut vérifier.
Et pour faire croire que les « musulmans » (le terme utilisé par Le Peuple pour décrire les terroristes) mènent « l’islamisation » de l’Europe, avec le soutien des « bien-pensants » et que des « musulmans » auraient « éviscéré » des innocents au Bataclan. Et nous qui pensions que l’incitation à la haine envers une religion ou ses adeptes était un délit en Belgique !
Alors, pour la mémoire de ceux qui ont été assassinés par Daech cette nuit-là, redressons les choses : il n’y a aucune preuve, ni aucun témoignage direct, ni aucun constat médico-légal d’actes de barbarie au Bataclan. Il y a juste que des journaux comme Le Peuple n’ont pas besoin de preuve pour faire leur misérable buzz. Et salir jusqu’aux plus innocentes des victimes.
Si cet article impérialiste vous a intéressé, n’hésitez pas à valoriser mon travail par une contribution populaire d’un minimum-retraite de 2€.
14 Comments
Bison, la colle super-puissante
juillet 04, 10:45marcel
juillet 04, 13:56Tournaisien
juillet 04, 15:24Bison, la colle super-puissante
juillet 04, 23:06marcel
juillet 04, 23:48Bison, la colle super-puissante
juillet 05, 10:05marcel
juillet 05, 12:14u'tz
juillet 05, 23:02Tournaisien
juillet 06, 12:02Bison, la colle super-puissante
juillet 13, 21:20MARS
juillet 05, 11:43Bison, la colle super-puissante
juillet 05, 14:20u'tz
juillet 05, 22:54u'tz
juillet 05, 22:38