Parc Maximilien : la statuette de trop.
Par la Belette rouge.
Émouvant moment que cette cérémonie du Bruxellois de l’Année. Autocongratulation et mise en scène. Nous sommes beaux, nous sommes bons. Nous, journalistes, gens du spectacle, politiciens, universitaires, nous….
Nous, on a attribué la petite statuette du bon samaritain à ceux qui hébergent les sans-abri. Oups, lapsus : nous choisissons parmi les sans-abris ceux qui glorifient les bénévoles. Pour les autres, on vous donnera de bonnes raisons de ne pas les héberger, jusque sur la Plateforme. Que de bassesse intellectuelle !
Les « fachos » opposent les migrants à « nos SDF ». Vous faites la même chose, mais dans l’autre sens. Sélectivité de l’humanité, dans les deux cas.
Mais on vous dira que l’état est là pour les SDF, et que la plateforme citoyenne n’est pas responsables de sa défaillance. La réponse à cette ignominie est tout aussi évidente : les exilés, l’État aussi devrait les prendre en charge…
Reporterre.
En même temps, la RTBF fera un reportage sur le libre arbitre du sans-abri à qui on ne propose pas une chambre chez l’habitant et qui ne veut pas aller dans un refuge ! On a le droit de mourir de froid si on est à la rue sans le sou, mais pas de se suicider si on a les moyens. Quelle sera la tournure du journal télévisé quand un sans-abri à qui on aura laissé son libre arbitre sera transformé en glaçon ?
On entendra dans ce même reportage une femme sans domicile affirmer qu’il y a des viols et du vol dans les abris de nuit. N’importe quel journaliste digne de ce nom tenterait de vérifier ces affirmations, non ? Il dénoncerait la violence faite aux femmes, car nous sommes dans ce magnifique mouvement du « balance ton porc » non ? Le viol n’est-il pas un délit punissable de prison, même pour les sans-domiciles fixes ? Le viol de SDF n’est-il pas un sujet ? Non. Le reportage n’est pas axé sur les sans domicile. Il ne sert pas à ça, mais bien à camoufler des impostures idéologiques.
Donc, la plateforme citoyenne a gagné le prix du zinneke, bravo à eux…
Mais c’est oublier tous ces bénévoles qui, tout le long de l’année, depuis des décennies, si pas depuis la nuit des temps, consacrent leur temps libre aux sans domicile et aux exilés. Et tous les bénévoles qui forment ces citoyens à l’accueil. Parce que depuis toujours, on sait qu’un tel accueil ne s’improvise pas. Ceux-là voient les gouvernements défiler sans que la situation ne change pour leurs protégés. Pour les migrants de Calais, en revanche, c’est manifs, motions dans les conseils communaux, hauts-cris au parlement, accusations de fachisme et retour aux années les plus sombres de notre histoire.
Pour un-e SDF ou un-e sans-papiers, ces débats sont déplacés : chaque jour est le plus sombre de son histoire. Dans toutes les communes. Quel que soit le parti au pouvoir.
Tous logés !
En Finlande, l’État a un jour décidé que plus personne ne dormirait dans la rue. Il s’est ensuite rendu compte que loger les sans-abris inconditionnellement coûtait moins cher au contribuable que payer les conséquences de leur errance. C’est pourtant simple.
Les bénévoles oubliés par nos médias ne considèrent pas non plus qu’un Roumain, un Liégeois, un Bruxellois sont moins éligibles à l’empathie. Ni qu’il faut venir de loin et être bloqué par la Manche pour mériter hébergement, publicité médiatique, manifs et grandes envolées lyriques au parlement.
En Finlande, l’État a compris que loger tout le monde coûtait moins cher.
Ces bénévoles-là ne font pas la différence entre un-e d’ici et un-e de là-bas. Ils pensent que dormir le long du canal de Willebroek ou dans un sas de la banque BNP Paribas mérite le même soutien de la population, le même traitement médiatique, d’où que vienne le dormeur.
Tous ceux qui s’en occupent méritent tout autant la statuette bruxelloise, ou une carte blanche d’universitaires dans un journal libéral. L’engouement pour une cause, quand il est présenté comme une obligation morale, se convertit en indignation sélective de bons samaritains d’opérette.
Politique ou populisme
Ces nouveaux héros, qui passent quotidiennement devant la misère humaine affalée sur les trottoirs bruxellois, feront de la belle prose dans un courrier des lecteurs pour dénoncer, bien évidemment, la N-VA. Parce tout le monde sait que la pauvreté en Belgique a subitement fait son apparition avec Charleke premier…
Et que dire de ces politiciens qui trouvent dans le parc Maximilien une opportunité électoraliste, une occasion de se glorifier d’un « nous, on aide les migrants » ? En oubliant, bien sûr, de dire que dans ce pays, on exclut aussi du chômage, de la mutuelle et du CPAS. En oubliant parfois même qu’ils ont eux-mêmes voté ces lois-là !
Petits minables de la bonne conscience qu’ils sont…
La pauvreté est enracinée. Et bien au-delà du parc Maximilien. Le risque de pauvreté à Bruxelles dépasse de loin celui de la Roumanie. Ce sont des familles, des vieux, des gens de l’Est, des Bruxellois, des migrants d’avant, ils ont un job, parfois pas… Ils sont payés une misère pour travailler au black, sans aucune sécurité. Parfois même pas.
Il est grand temps de présenter un plan ambitieux pour éradiquer la pauvreté.
Ces pauvres-là se demandent ce qu’ils ont de moins qu’un exilé pour être ainsi snobés par nos intellos. Et à ce propos, le plan grand froid, quelle vaste blague ! La pauvreté ne se résume pas à trois semaines par an.
Il est largement temps de proposer un plan ambitieux pour éradiquer la pauvreté sans hiérarchisation de la souffrance. Être à la rue, que l’on vienne de Pologne, de Syrie, de Liège ou de Bruxelles, c’est la même violence, la même injustice. Avoir faim ou froid, peu importe d’où l’on vient, qu’on ait un job ou pas, est une honte nationale, une escarre purulente qu’il faut traiter d’urgence.
Politiciens, vous pourrez toujours trouver un parc Maximilien pour brandir votre humanisme de circonstance. Mais cela ne vous dédouanera pas de vos responsabilités vis-à-vis des exclus de droits sociaux. Vos exclusions (oui : vos exclusions) poussent les gens dans la rue ou le long des gares. Elles allongent les files aux soupes populaires.
Inégalité dans l’inégalités
Vous créez une machine à trier les pauvres, ceux qui méritent une statuette ou pas. Entre les uns, dont on vérifie les comptes et les autres, pour lesquels vous exigez des logements, des budgets, des débats à la Chambre. Vous avez brillamment réussi à inventer l’inégalité parmi des miséreux. Au nom de l’égalité de tous !
Ce ne sont pas les aidants, les hébergeurs, les participants qui sont à blâmer. Ce sont des bénévoles. Ils font bien. Il faut qu’ils continuent. Mais vous, politiciens, qui pleurnichez sur commande, vous, journalistes, qui fabriquez des héros sélectifs pour ensuite vous étonner que la population — ce salaud de petit peuple si sensible, dites-vous, au populisme — se demande si vous ne planez pas trop haut, si vous n’êtes pas trop sensible à certains combats, et plus du tout à d’autres, si vous préférez vous engager là où ça fait joli, quitte à violer votre code de déontologie, plutôt que rapporter les faits. Tous les faits. En toute indépendance.
On se demande si vous ne vous engagez pas uniquement là où ça fait joli.
Vous êtes les premiers à blâmer. Des gens vocifèrent « et nos SDF ? » ou « vous en faites plus pour les étrangers que pour les Belges ! » sur les réseaux sociaux. Vous avez les yeux écarquillés, face caméra, à vous demander comment c’est possible ! Mais vous ne leur parlez plus d’eux. Vous fabriquez vos héros. Vous focalisez sur ceux-ci, journal après journal. Vous insistez, vous encensez, vous jubilez. Et sans prendre conscience que, ce faisant, vous justifiez l’immobilisme politique de partis auxquels, parfois, vous adhérez jusqu’à 30 cm du micro. C’est votre métier de prendre conscience. De faire prendre conscience. Fabriquer des héros pour justifier l’immobilisme politique, quel cynisme !
Appel à l’équité
Je lance donc un appel pour que vous répariez votre bourde, journalistes ! Faites autant des reportages sur les associations et groupements de citoyens qui, tout le long de l’année, consacrent leur temps et parfois leurs maigres revenus aux plus démunis dans les rues de Bruxelles et d’ailleurs en Belgique. Sortez de votre zone de confort. Allez interviewer des sans-domiciles. Balancez les clichés (alcool, drogue, etc.) Au passage, lancez un appel pour toutes ces ASBL non subsidiées ou pas assez, qui se démènent en silence, sans manif, sans audience, sans stars et sans héros du jour. Réparez le mal fait par les politiques au Samusocial, qui rame. Oui, autant par ceux qui ont profité que par ceux qui ont abusé de ce profit pour progresser dans les sondages !
Les SDF et les sans-papiers n’ont eu ni champagne, ni saumon.
Et vous, politiciens, investissez dans l’humain. Car vos petites fêtes « populaires » qui coûtent du fric ne servent absolument pas les précarisés. Eux, ils n’ont pas droit au champagne, ils sont toujours dans la rue. En parler, c’est bien. Leur parler, c’est mieux. Au lieu de ça, vous avez organisé une petite sauterie avec des canapés au saumon (le Bruxellois de l’année), sur leurs malheurs qui vous arrangent. Il n’y aura bien que là qu’on vous trouvera magnifiques !
Moi personnellement, cela me dégoûte, les statuettes, alors qu’il y a autant de misère dans notre pays. Je n’ai qu’un profond mépris pour l’autosatisfaction du devoir accompli par la caste supérieure. Je n’aime pas les héros préfabriqués, tout beaux et tout propres sur eux. Je vomis la hiérarchisation de la souffrance.
Et je conclus mon texte par une citation de Spinoza dans l’Éthique : « La vanité est un sentiment de joie accompagné de l’idée d’une action que nous croyons l’objet des louanges d’autrui ».
La Belette rouge,
cramoisie de colère.
Post-scriptum
Alors que j’écris ce papier, l’actualité vient alimenter mon propos. Ce week-end, on apprend donc que la Voix des Sans-Papiers doit quitter son logement réquisitionné en « CDD ».
Mais qui sont ces sans-papiers ? Ce sont des migrants qui ont fui leur pays. Ils sont arrivés sur notre territoire sous les gouvernements précèdent. Ils ont été expulsés du célèbre squat de l’ancien home du boulevard Léopold II à Molenbeek. Depuis, ils errent de lieu en lieu, dans des conditions inhumaines.
Ce dossier illustre bien à mon avis la démagogie et les dichotomies des discours ambiants. Les vieux sans-papiers ne sont pas accueillis par la Plateforme, les hébergeurs veulent un réfugié tout neuf, tout frais. Ils vivent chez nous depuis plusieurs années, certains travaillent au black (salaire minable), leurs conditions de vie mériteraient amplement une chronique à elles toutes seules.
Welkom, réfugiés ! Et après, plus rien…
Welkom, donc, réfugié, super ! mais après ? Rien… ou pas vraiment grand-chose. Tous ceux qui ne désirent pas rentrer, ou qui ne rentrent pas dans les conditions requises pour obtenir des papiers qui permettraient une vie décente, vont grossir les rangs des sans-papiers existants. On ne peut pas dissocier la cause des sans-papiers et celle des nouveaux réfugiés, ils sont une même entité, une même souffrance.
Messieurs les politiques, soyez donc cohérents avec vos discours humanistes et proposez de régulariser les quelques centaines de sans-papiers de longue date qui errent et ne voient plus le bout du tunnel. Un peu moins de démagogie et un peu plus de courage politiques seraient les bienvenus dans ce dossier. Car au final, c’est votre inaction qui pousse les Belges au clivage.
Si cet article vous a plu, intéressé, ému ou convaincu, ne faites pas de don à l’hébergeur de ce papier. Donnez, par exemple, aux ASBL oubliées.
14 Comments
Bison, la colle super-puissante
mars 07, 17:04marcel
mars 07, 17:53Bison, la colle super-puissante
mars 07, 19:57marcel
mars 07, 21:46Wallimero
mars 07, 21:43u'tz
mars 08, 00:32marcel
mars 08, 02:53u'tz
mars 15, 23:37witcherry3
mars 08, 13:14gerard degand
mars 09, 12:42marcel
mars 10, 16:19gerard degand
mars 18, 14:23miyovo
mars 10, 14:02marcel
mars 10, 16:16