Mélenchon, l’insoumise trumperie.
Depuis mes 14 ans, ils ont essayé de me convaincre. Je les ai toujours trouvés amicaux, généreux, beaux, sympathiques. Ils ont le monopole du cœur, mais plus en chœur encore que les socialistes. Ils vont changer le monde. Je les croise à chaque décennie, ces militants de l’un ou l’autre gauchisme radical. Mais ils n’ont rien changé du tout. Jamais.
C’étaient les maos, d’abord, que j’ai beaucoup fréquentés. Ils m’expliquaient que la révolution culturelle était un formidable outil d’émancipation. Je lisais les magazines venus de Chine qu’ils me donnaient. La Chine en Construction, si je me souviens bien. C’était bien écrit, en Chine, parfois remarquablement, et ça ne coûtait rien. Je n’y voyais pourtant qu’une seule opinion, trop enthousiaste pour être vraie. J’appris plus tard que ces magnifiques messages de liberté, de solidarité et de progrès cachaient une hideuse oppression, un million de morts. Tout cela accompagné d’une haine systématique des libertés à l’occidentale et surtout, toujours, toujours, toujours, de l’Amérique.
Quand on leur faisait remarquer, une décennie plus tard, qu’ils avaient soutenu sans le savoir un régime totalitaire, oppressif et meurtrier, on se faisait traiter d’imbécile, de traître ou de facho.
Avant-guerre déjà. Fascinés par le soviétisme, de grands intellectuels français ont découvert trop tard l’horreur stalinienne. Mais ce n’était pas la faute aux soviets, à les entendre ensuite. C’était la faute à l’Amérique. Puis, il y eut Budapest. Prague. Mais ce n’était pas la faute au communisme. Puis il y eut Pol Pot. Mais ce n’était pas la faute aux… Et ça n’a jamais arrêté.
Mélenchon, Canada Dry du communisme
Jean-Luc Mélenchon n’est que le énième avatar de cette chanson sempiternelle qui finit toujours de la même façon. Ah, je vous entends : il n’est pas « communiste ». OK. Mais c’est toujours la même rengaine. Elle a muté. Ils ne se disent plus communistes, en effet. Mais crient toujours haro sur l’entreprise, l’Amérique, le patronat, les journalistes, etc. Et ils vont toujours vous sauver grâce à une autre révolution socialiste, plus à gauche que le socialisme passé à droite (Marchais disait ça, déjà, en 1980…), et à peine moins communiste que le communisme. Ça a le goût du communisme, le programme du communisme, mais ce n’est pas du communisme, c’est du mélenchonisme.
Je perçois mal la différence.
Voyez Cuba. Aujourd’hui, pour les mélenchonistes, tout ce qu’on dit sur le régime est évidemment faux, ou alors, c’est pas la faute à Castro. La presse n’y est pas libre, mais c’est la faute aux Américains. Les syndicalistes continuent à subir des arrestations arbitraires, des menaces, des pressions. Mais ça aussi, c’est la faute aux Américains ! Et au pire, quand on leur met le nez dans le caca vénézuélien, après avoir tenté de défendre l’indéfendable pendant deux heures, après avoir accusé Obama, ils vous lancent « mais pourquoi vous nous emmerdez avec ça, on ne défend pas le Vénézuéla » ! Haha ! Pendant que leur patron, sur BFMTV, ne nie pas qu’il défend Maduro, mais hurle plutôt qu’on devrait l’interroger sur autre chose.
Quand un politicien dit à un journaliste quelles sont les bonnes questions à lui poser, c’est qu’il n’a pas de bonnes réponses. Ou qu’il n’admet pas qu’on le critique. Ce qui est pire. Georges Marchais, un leader communiste français répondait de la même façon à ce genre de questions, en haussant la voix, en plaisantant, en criant à la manipulation, en exigeant qu’on change de sujet. Ou alors, en rejetant la faute sur la presse, comme dans cette vidéo (à partir de 1’00) où il nie les révélations de Sakharov et Soljénitsine ! « Ce n’est pas parce que je suis prosoviétique que j’aime Brejnev ! », aurait-il pu dire ensuite. Remplacez soviétique par chaviste et Brejnev par Chavez et vous aurez la version Mélenchon. Et vogue la galère.
Pourtant, j’ai toujours été fasciné par l’idéal communiste. Une société où tout le monde est égal, où le travail est universel, où l’argent n’est pas nécessaire pour faire le bonheur, quel bel idéal !
Sauf que jamais, nulle part, ça n’a marché. Probablement parce que l’homme a une autre organisation sociale dans les gênes. Pire : ceux qui ont, de tout temps, payé le prix fort de cet idéal, ce n’étaient tant les « millionnaires », les grands banquiers, les vrais riches, que le communisme prétendait éliminer. Eh non ! Parce que ceux-là sont généralement partis à temps, quitte à perdre leur fortune, mais pas la vie ! Pire : ces régimes ont ensuite — tous — créé leurs propres millionnaires en produisant inconsciemment une Nomenklatura fidèle au leader. Les familles Chavez et Castro ne sont que des clones de leurs prédécesseurs. Et Mélenchon, un clone de Marchais.
La Nomenklatura profite, les petits payent.
Non. De tout temps, ce sont les petits, les paysans, les travailleurs, les ouvriers, les indépendants qui ont payé. Cher. Parfois horriblement cher. De leur faim, de leur sueur, de leur peur de la délation, de leur confort, devenu sommaire, enfermés dans des appartements communautaires, privés de vie privée. Et parfois de leur vie. Holodomor, pour ne citer qu’une des innombrables abominations des régimes soi-disant populaires.
Quand l’oppression était plus ou moins supportable, ce sont les petits, et non les gâtés du régime, qui ont cherché à fuir. En Albanie, ils grimpèrent sur les bateaux pour l’Amérique dès que le régime s’assouplit. En RDA, ils rêvaient de voir les boutiques d’Allemagne fédérale et, pour la première fois de leur vie, de manger… une banane ! En Roumanie, la fuite. À Cuba, la fuite, en Hongrie, la fuite, en Pologne, la fuite, au Viêt-nam, la fuite, en Chine, la fuite… Et toujours, absolument toujours, à cause de l’Amérique !
Aujourd’hui, Mélenchon part du même principe que ces prédécesseurs : la haine de l’Amérique d’abord, tout le reste ensuite. Et il nous rappelle son soutien à Castro et à Chavez, dont on voit les ruines fumantes et les victimes futures : Maduro, successeur de Chavez, va armer 400 000 civils pour disposer d’une milice capable de tenir tête au peuple. Au peuple, bordel ! La semaine dernière, une gamine de 16 ans a été tuée par balle dans une manifestation. C’est la cinquième ou la sixième victime. Qu’un seul militant mélenchoniste se fasse simplement regarder de travers par un flic dans une manif, et c’est du fascisme ! Mais quand, à l’autre bout de la planète, on bute des gosses au nom d’un régime longtemps soutenu par ce même Mélenchon (s’il ne l’est pas toujours), et c’est une simple bavure, un détail, et celui qui oserait faire remarquer qu’il y a comme une incohérence se voit qualifier… de fasciste !
Dans le populisme, il y a toujours un leader charismatique qui a toutes les réponses
Eh oui, la solidarité merveilleuse du mélenchonisme s’arrête au peuple de gauche radicale, et à l’océan. Solidarité ? Ah, interdire les délocalisations, c’est évidemment indispensable. Tous les travailleurs sont unis, n’est-ce pas. Mais faudrait pas que des chômeurs d’ailleurs viennent prendre le travail des Français, môssieur ! L’internationale sera hexagonale surtout, ou ne sera pas !
Fantastique ! Le peuple de Mélenchon approuve, exulte, jouit, et insulte le reste du peuple qui ne succombe pas à la totale nécessité d’adorer Mélenchon. Je suis abasourdi.
« Tu n’es pas de gauche ! » me hurle-t-on alors. Et arrivent les attaques ad hominem ou à personam en réponse à des questions pourtant simples : comment Mélenchon peut-il affirmer qu’il va faire modifier les traités européens alors qu’il faut l’accord de 26 autres pays pour le faire et qu’aujourd’hui, aucun n’est demandeur, et la plupart y est même farouchement opposé ? Réponse : tu es un suppôt du grand capital !
Question : comment les 32 heures à salaire égal peuvent-elles redresser la France sachant que le coût de l’emploi n’y est déjà pas compétitif ? Réponse : tu as mal lu programme ! Question : Comment espérer taxer les revenus qui dépassent 390 000 € à 95 % sachant que la libre circulation des personnes permet à ces revenus de s’échapper dans l’heure ? Réponse : écoute le Maître. Question : Comment empêcher ça en taxant les Français sur leur nationalité et non leur résidence alors qu’une telle double taxation est contraire, à nouveau, à la libre circulation des citoyens en Europe ? Réponse : on sort de l’Europe, alors. Question : Et la France payera des droits de douane pour exporter chez tous ses voisins, elle qui n’exporte déjà pas assez ? Réponse : ta gueule ! Question : comment fera-t-elle avec, en plus, une main d’œuvre plus chère qu’en Allemagne ? Réponse : en sortant de l’euro, évidemment, réfléchis, décérébré de droite ! Question : la France ferait donc ce que la Grèce (de Tsipras, excusez du peu) a renoncé à faire parce que cela impliquait une véritable catastrophe humaine ? Réponse : facho !
Question : qui d’autre qu’un fou furieux serait prêt à faire prendre à 65 millions d’êtres humains un risque pareil ? Réponse : faaaachoooooooo !
Le dégoût dans la bouche
Non. Je suis de gauche, ne vous déplaise. Et c’est parce que je suis de gauche que Mélenchon me dégoûte. Parce que si sa politique (si tant est qu’elle puisse être appliquée : avec quelle majorité ?) mène à la catastrophe, ce n’est pas lui qui payera, mais ceux qui, justement, voient en lui l’homme qui les sortira de leur misère, de leurs problèmes, des licenciements secs et que sais-je !
Il me dégoûte parce qu’il n’en a rien à glander du travailleur : son assiduité au Parlement européen montre qu’il se fiche même de son employeur, à savoir, le contribuable. Autrement dit : vous !
Et ça me débecte profondément qu’il y ait à gauche des clones inversés de Donald Trump ou de Marine Le Pen, aussi faussaires, aussi manipulateurs. Et qu’il y ait là aussi des électeurs qui, comme ceux des deux populistes, plongent leur bulletin de vote dans leur rancœur ou leurs peurs, pissent leur colère dessus, le chargent de tous leurs problèmes, puis vont dans l’isoloir, qu’ils prennent pour le réceptacle de tout ce qu’ils haïssent — les immigrés pour Le Pen, les Américains pour Mélenchon, les musulmans pour Le Pen, les patrons pour Mélenchon. La haine des élites, des journalistes, des opposants, ils l’ont en commun. Les solutions faciles, aussi. Le bouc émissaire, aussi. L’agitation et la peur, aussi. Aussi.
Aussi.
Oui, chez les électeurs de Le Pen, Trump ou Mélenchon, la colère est la même, il n’y a que les cibles qui divergent. Le rejet est identique, brutal, inargumenté, violent, hystérique, pour tous ceux qui pensent différemment. Les mélenchonistes ont, en plus la mauvaise habitude de brandir son programme (qu’ils n’ont pour la plupart pas lu du tout, ils ne réagissent qu’à des slogans) comme preuve de la bêtise d’autrui. On se croirait revenu au temps du Petit Livre rouge !
La gauche se cherche et ne trouve plus
Cela dit, je peux comprendre. On ne sait plus ce qu’est la gauche, en effet. On ne le sait plus depuis que le mur est tombé. Auparavant, le communisme était un coin sous la porte, qui effrayait les puissants. Une menace psychologique diablement efficace qui en faisait un excellent outil de contrepouvoir face aux excès du capitalisme, au thatchérisme et aux multiples formes du (néo)conservatisme. En même temps, les épouvantables nouvelles de l’Est limitaient le développement des partis communistes. Aujourd’hui, certains prennent de l’ampleur et visent le pouvoir. Il sera absolu ou ne sera pas. L’indispensable aiguillon est alors une menace. Poutou est nécessaire. Arthaud est nécessaire. Mélenchon, lui, est dangereux parce que sa conception de la liberté déteint sur ses militants. Elle est exclusive, déjà !
Aujourd’hui, la gauche traditionnelle a gagné ses combats fondamentaux. Les vacances. La retraite. La sécu. La semaine de cinq jours, les 35 heures. Ses valeurs s’affichent même fièrement dans le traité européen. Pas de discrimination. Droits pour les LGBT. Salaire égal à travail égal. Égalité des sexes. Droit au travail. Droits syndicaux.
Le vrai combat ne consiste plus à révolutionner la société, mais à prévenir ses dérives et à la guérir de ses excès. On est passé de la refondation à de la mécanique. Ajuster les inégalités, installer un turbo qui assure le travail universel, améliorer la sécu et lui adjoindre un dispositif antigrignotage, bâtir un système parallèle d’abris-SDF. Démonter ce putain de plafond de verre que les femmes doivent encore se farcir 50 ans après la révolution « sexuelle ». Contrer les dérives des trop grandes entreprises et des banques.
Tiens, les banques. C’est ce qu’a fait le Parlement européen en 2013-14, sous la houlette du député vert belge Philippe Lamberts, en adoptant des mesures financières indispensables qui « faisaient peur à la City ». Pendant ce temps, Mélenchon, comme Le Pen, ronflait dans le fond de la classe. Assis sur votre pognon. Rien à foutre.
Être de gauche, c’est tout, sauf se pavaner et lancer des chocolats gratis aux électeurs en extase.
Être de gauche, aujourd’hui, c’est agir pas à pas, bloc par bloc, le plus efficacement possible, et là où c’est nécessaire. Ce n’est pas exterminer le capitalisme, immuable au fond, parce qu’il colle au fonctionnement des sociétés humaines — même les Chinois ont fini par le comprendre ! Mais c’est l’aménager, l’améliorer, le subvertir, l’équilibrer. Être de gauche, c’est bosser. Être de gauche, c’est émanciper tout le monde en protégeant les plus faibles. Ça requiert qu’on comprenne d’abord la société. Ce n’est (plus) jamais une révolution. Aucune n’a bien fini.
Être de gauche, c’est tirer petit à petit l’énorme bateau démocrate vers le bien-être pour tous, tout en sachant qu’on ne l’obtiendra probablement jamais. C’est faire mieux, pas pire. C’est surveiller nos représentants et être encore plus sévère avec eux qu’avec ceux « d’en face », plutôt que de les soutenir dans leurs pires errements sous prétexte de solidarité.
Être de gauche aujourd’hui, c’est être volontaire, borné, patient, inquisiteur, et surtout, cohérent. C’est rechercher la synthèse plutôt que l’affrontement. Ça n’a rien d’enthousiasmant. Ça n’a rien d’une fête. Ça n’a même rien d’héroïque. Être de gauche, c’est ne pas s’approprier plus que nécessaire à titre personnel. Être de gauche, au fond, c’est franchement chiant.
Après, je ne me fais plus d’illusion : ce papier ne servira à rien. Les fanatiques du mélenchonisme ne comprendront pas. La valise est bouclée. Car ce n’est pas de la politique qu’ils veulent, c’est de l’engouement, des cris, des chants, des coupables à pourchasser, des opposants à connardiser, la certitude de bâtir un monde nouveau et le Nirvana pour demain.
Le seul problème, c’est qu’aucune société n’a jamais rien offert qui ressemble à ça. Et qu’ils cherchent donc la réponse à leurs questions existentielles au plus mauvais endroit : celui où se conçoit le bien commun. Mais comme tous ceux qui un jour se sont entichés d’un tribun qui les gavait de réponses attirantes, ils iront jusqu’au bout et, si Mélenchon est élu, face à la catastrophe ou au néant prévisible, ils s’écrieront, comme Georges Marchais sur Ceaucescu : « nous ne savions pas ! »
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