Quatorze ans, soixante harcèlements.
J’ai 14 ans et je fais partie du deuxième sexe. J’habite, je vais à l’école et me promène dans des quartiers aisés.
Je suis féministe. Je ne le dis pas souvent, car le féminisme repousse la plupart des gens. Ce n’est pas une coïncidence. Les films, les livres, les documentaires, les journaux… parlent beaucoup de racisme, d’homophobie, d’écologie, de politique, d’inégalités économiques et politiques entre différents pays, en fait, de toutes sortes d’inégalités. Ensuite, les écoles vont essayer de nous sensibiliser, nous, la nouvelle génération. Mais je n’ai encore jamais vu ni lu aucun film ou livre qui parle de l’inégalité des sexes actuelle comme je la vis. Comme mes amies (de 11 à 23 ans) la vivent et comme beaucoup de femmes qui nous ont précédées l’ont vécue.
La plupart des gens me disent que j’exagère, qu’il y a très peu de personnes qui pensent comme moi et que c’est une forme d’extrémisme.
Mais ça n’est pas de l’extrémisme, ça s’appelle tout simplement la réalité. Je sais que ça fait mal de se rendre compte que l’on sort de notre petite zone de confort. Je sais aussi que beaucoup de femmes pensent que nous avons bien assez de droits, qu’il ne nous en faut absolument pas autant, ou encore que l’égalité des sexes est tout à fait présente. Mais le quotidien d’une adolescente dans un pays européen, démocratique, relativement ouvert d’esprit me montre le contraire. L’égalité est loin d’être présente.
Depuis que je suis en âge de me balader seule dans la rue, je me suis fait harceler verbalement, voire physiquement, au moins 60 fois. Je ne compte pas toutes les fois où j’étais accompagnée d’une ou plusieurs amies ni les fois où j’étais accompagnée de ma mère. Je ne compte pas non plus tous les regards et les sourires très aguicheurs. J’ai quatorze ans.
Je me suis fait harceler verbalement par des hommes de tous les milieux, de tous les métiers, de toutes les religions. C’est d’ailleurs parfois les plus élégants qui sont les plus insistants.
Un homme aisé et cultivé d’une petite soixantaine d’années m’a un jour invité de manière plus que sous-entendue à des activités sexuelles. C’était il y a plus d’un an, je n’avais pas encore 14 ans.
On m’a dit aussi que mettre des protections hygiéniques lorsque l’on avait nos menstruations n’était absolument pas une nécessité, mais un confort. Je ne sais pas pour les autres filles, mais personnellement, je ne me sentirai pas tout à fait à l’aise si je laissais « des traces de mon passage » dans les transports en commun, les chaises d’école, sur mon pantalon, sur ma robe, sur le sol… les protections hygiéniques sont une nécessité pour nous et notre entourage.
Les hommes ne comprennent pas ce que l’on ressent, car ils ne le vivent pas. De cette manière, la nouvelle génération (à savoir celle à laquelle j’appartiens) suit exactement le même chemin. En pire. Les garçons d’aujourd’hui n’ont plus aucun respect. Dans toutes les classes dans lesquelles j’ai été, tous les jours, les filles se font traiter de salopes, de putes, de conne, de connasse. C’est même parfois plus recherché comme : catin, fille de joie, péripatéticienne… Et cela, pour rien, sans aucune raison. Parfois seulement parce qu’on parle.
Beaucoup de gens, hommes comme femmes peuvent penser que ce n’est rien. C’est loin d’être le cas. Ça ne me semble pas juste. Il y a quelque chose qui ne va pas.
Même mes amies et autres femmes de mon entourage me disent souvent que mes propos « féministes » sont un peu ridicules et déplacés. Mais ça non plus, ce n’est pas normal !
Quand je veux me balader en ville, car c’est mon droit, je dois faire attention à tout pour ne pas m’attirer des ennuis ou en tout cas, pour diminuer les chances de me faire accoster ou autre… Je dois faire attention à mes regards : je ne dois pas regarder les hommes dans les yeux ; à mes vêtements bien évidemment : ne mettre que des pantalons ; à mes attitudes : tête baissée/ tête haute ; à mes actes… Je ne peux pas leur répondre ni me retourner. Je dois avancer en espérant qu’ils ne vont pas me suivre.
Mais pour nous, les filles, c’est normal. On a été élevées là-dedans. On a été prévenues par nos mères, nos tantes, nos sœurs… Toutes nous en ont parlé et nous ont expliqué ce que nous pouvions et ne pouvions (devions) pas faire. Les hommes et les femmes font très régulièrement des « blagues » misogynes. Alors, ce n’est évidemment « que de l’humour », mais pour moi, ce n’en est pas. À la longue, ce n’est juste plus supportable. Depuis ma 5e primaire (équivalent à CE2), je les entends. Jusqu’ici, je me sentais obligée d’avoir un esprit ouvert. Mais je constate que par ces blagues, on accentue l’inégalité, et depuis qu’on est toutes petites, nous devons en rire. Nous devons accepter toutes ces choses qu’on nous dit. Nous devons respecter toutes ces règles sur le poids, le maquillage, la bonne attitude, le fait d’être attirante, mais si on l’est trop, on devient alors une salope.
Sommes-nous réellement retombés au Moyen-Age ? Est-ce que je suis vraiment seule à penser qu’il y a un truc qui cloche ?
Ça me fait vraiment peur quand un homme m’agresse verbalement ou alors qu’il devient vraiment trop insistant. Mais je ne suis même plus surprise. J’ai l’habitude. Je pense que c’est l’une des pires choses dans toute cette histoire : j’ai l’habitude. Ça m’arrive (presque) chaque fois que je me promène dans la rue.
Mais je dois quand même me rappeler que je dois être une gentille fille. Après, je devrai être une bonne épouse. Et ensuite je devrai être une bonne mère.
Je refuse ! Je n’accepte pas cette soumission. Nos ancêtres se sont battues pour que nous puissions avoir des droits équivalents à ceux des hommes. Certaines y ont même laissé leur vie, et je ne pourrai pas me regarder plus tard en me disant que c’est ce monde-là que j’offrirai à mes enfants ou aux enfants de n’importe qui.
Je ne veux pas que ma future fille ou n’importe quelle autre enfant ait à écrire ce que j’ai écrit. Je ne veux pas qu’elles se sentent aussi mal que moi quand je me fais harceler ou qu’elle ait ce sentiment d’être coincée, qu’il n’y a rien à y faire, et que c’est peine perdue. Que tout ce qu’on a vécu ait au moins servi à quelque chose. Sinon à quoi bon ?
(Témoignage d’une jeune fille de secondaire.)
46 Comments
Sylvie Rigot
mars 08, 19:13u'tz
mars 09, 23:39Pfff
mars 08, 20:07Florent
mars 08, 20:12Mélusine
mars 09, 01:09seb
mars 09, 09:57u'tz
mars 09, 23:48seb
mars 10, 10:38Pfff
mars 10, 18:56u'tz
mars 10, 19:30roland HENRY
mars 09, 12:36Pfff
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mars 14, 01:16serge
mars 09, 13:25Rivière
mars 09, 19:05mélanippe
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mars 10, 10:05marcel
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mars 10, 13:42Laurence
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mars 12, 20:05Pfff
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mars 13, 08:49Sylvie Rigot
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mars 13, 11:35Manwe
mars 13, 11:38Pfff
mars 13, 12:57Pfff
mars 13, 12:13Sylvie Rigot
mars 13, 12:41Capucine
mars 14, 10:51Capucine
mars 14, 10:58Cit
mars 16, 17:06Darth Ph11
octobre 24, 10:27