Pourquoi Fillon doit arrêter. Mise à jour du 5 mars.
Mise à jour du 5/3 au bas de l’article. Il y a un mois, je publiais une chronique intitulée « Pourquoi Fillon a raison de continuer ». Je croyais à la capacité de François Fillon de battre Marine Le Pen au second tour parce qu’ayant résisté aux révélations de la presse, il présentait un profil fort. Peu importe que j’eusse alors tort ou raison, je revendique un blog d’opinion et donc la possibilité de me tromper. Mais il n’y a pas qu’une prédiction erronée de ma part. En un mois, les faits ont aussi changé et, comme John Maynard Keynes, quand les faits changent, je change mon point de vue.
« When facts change, I change my mind » (Keynes).
D’abord, le Parquet national financier (PNF) a agi avec plus de célérité qu’on ne le pensait. Il pourrait (ou devrait) mettre François Fillon en examen dès la mi-mars. Ceci ne signifie pas qu’il ne soit pas éligible.
Ensuite, et c’est probablement le plus important, le candidat Les Républicains est désormais en défaut par rapport à sa propre éthique. Plutôt que de reconnaître au Canard enchaîné le droit d’enquêter sur les candidats à la fonction suprême, même de très mauvaise grâce, il a inventé un complot entre la justice et les médias. Je dis inventé non pas parce qu’une telle association serait impossible, mais bien parce que l’ampleur que le candidat Fillon lui a donnée est invraisemblable. Une fois, c’est le ministère de la Justice qui est à la manœuvre, une fois, ce sont les journalistes, une fois, ce sont les juges qui sont, héhé, tous à gauche, une fois, c’est l’Élysée. Et dans un tel complot, il ne se trouverait pas un seul partisan LR pour sortir la preuve de toutes ces collusions ?
Le seul véritable ennemi de Fillon, c’est François.
En réalité, ce n’est ni la presse ni la justice qui ont compromis l’élection de François Fillon : il s’est infligé ça à lui-même. Car il n’a pas commencé à être le candidat « moral » LR hier matin. C’est une image qu’il porte depuis des lustres. C’est un positionnement dangereux parce qu’il impose au candidat d’être plus propre que ses adversaires. C’est injuste, peut-être, mais personne n’a imposé à François Fillon de choisir ce crédo plutôt qu’un autre !
Or, les faits sont établis notamment par la déclaration de patrimoine. Leur illégalité ne l’est certes pas. Mais dans une élection, c’est le lecteur, le public, l’opinion qui juge de la gravité des choses. Beaucoup trouvent l’emploi fictif éventuel de Pénélope Fillon et la hauteur de ses émoluments intolérables. D’autres clament et répètent comme pour s’en convaincre que le tiers de l’Assemblée a fait pareil. Sauf que le tiers de l’Assemblée n’a pas pour autant employé fictivement des parents, et que ce tiers n’est pas candidat à la fonction suprême.
François Fillon l’a dit lui-même en octobre : un ministre, un député n’est pas un citoyen comme un autre. Aujourd’hui, il se plaint qu’on ne le traite pas comme n’importe quel autre citoyen ! Le moraliste a disparu. Il se pose désormais en victime et en résistant. En réalité, il n’est victime que de sa propre incohérence, et il ne résiste qu’à ce qu’il a auparavant défendu.
Fillon résiste désormais à tout ce qu’il a défendu au nom de la morale.
L’opinion est donc confrontée à des faits irréfutables et irréfutés. Tout le monde peut voir les montants payés à Pénélope et à ses enfants. Et comparer aux salaires d’autres assistantes. Peu importe la légalité, le népotisme, lui, est patent.
Tout le monde a pu écouter Pénélope Fillon sous-entendre qu’elle n’était pas l’assistante de son mari — même si ce n’était pas une vraie preuve, l’interview n’est qu’un élément d’un faisceau d’indices déjà lourd : le moins qu’on puisse dire, c’est qu’on n’en a pas trouvé beaucoup du travail effectif de Pénélope Fillon. Or, tout travail qui « mérite » de 1.500 à 6 000 € par mois laisse des traces. Et des témoins. Quand on se charge de recevoir les citoyens ou de décrocher le téléphone, par exemple. Pourtant, la campagne Fillon n’a — sauf erreur de ma part — montré aucun-e de ces citoyen-ne-s reçu-e-s par Pénélope Fillon. Terrible absence.
C’est encore pire quand on est chroniqueuse à la Revue des Deux Mondes, extrêmement bien rémunérée, et qu’on peine à présenter son travail. Ça, c’est impossible. Même si Pénélope écrivait à la plume d’oie — ce qui colle bien à la vie de château —, il doit y avoir des mails, une correspondance, des archives à la Revue.
Si l’on ne trouve rien de tout ça (je dis bien « si », je n’ai pas le dossier), c’est qu’il y a emploi fictif ou du moins partiellement fictif. C’est ce que semble penser le PNF. Et s’il le pense, on peut penser qu’il a des indices sérieux. Les réponses factuelles de François Fillon n’ont d’ailleurs pas réussi à convaincre hormis chez ses partisans.
Reste à savoir si un juge, in fine, conclurait à une illégalité, et donc à un délit. Si ce n’était pas le cas, ce serait terrible pour la justice, mais pas parce qu’elle aurait « fauté » : l’enquête est une étape nécessaire lorsqu’il y a de telles présomptions et il est sain de confronter un candidat à la présidentielle à sa moralité. Non, ce serait terrible parce que cela semblerait rétrospectivement donner raison à François Fillon, et valider ses assauts insensés contre les juges. Insensé dis-je bien, car ce n’est pas la justice qui a décrété qu’il ne pourrait se présenter s’il était mis en examen, c’est lui-même !
Comment passer d’un discours moral à son contraire, un discours populiste.
Je passe rapidement sur le fait qu’on l’accuse d’utiliser les mêmes arguments que Marine Le Pen. Ce n’est que partiellement vrai : il n’a pas, comme la candidate du FN, refusé de se présenter à sa convocation judiciaire. Le détail est d’importance : il s’en prend violemment au PNF mais se soumet à ses injonctions. Ce n’est pas un populiste qui trahit la République par son programme même, c’est un républicain qui fait du populisme parce qu’il s’est retrouvé dans une situation qu’il a rendue lui-même impossible.
En instrumentalisant la suspicion envers les juges et les journalistes, en produisant ainsi des effets pervers prévisibles — comme des menaces de mort envoyées notamment au Canard enchaîné qui rappellent même celles de l’État islamique (« Il n’y aura pas de survivant ») —, le candidat républicain n’a pas pour autant franchi la ligne floue qui sépare les démocrates des extrémistes : la dialectique politique est devenue péniblement mensongère, radicale et manipulatrice dans tous les partis. La faute principale de François Fillon est surtout d’avoir donné une image détestable de ce que devrait être un candidat gaulliste, l’homme de la morale, l’irréprochable. C’est justement de lui qu’on devrait attendre une attitude digne et le rejet des discours fumeux et des arguments fallacieux.
En appelant les fidèles, la foule, à le soutenir dimanche, au Trocadéro par une présence qu’il espère massive (mais qui ne sera en rien représentative de la droite française), il manipule ceux qui continuent à lui être fidèles et s’érige en cause démocratique, sinon en cause républicaine. Or, François Fillon n’est ni une victime ni une cause. C’est un candidat à la présidence de la République pris la main dans un sac. Il n’y a pas non plus, contrairement à ce qu’il affirme, un droit particulier à être candidat que l’opinion, les journalistes, les juges devraient respecter, il « représente » uniquement les moins de 3 millions de militants LR qui ont voté pour lui, et encore : c’était avant que l’affaire Pénélope ne soit découverte et révélée.
La fuite en avant, un manque cruel d’imagination.
François Fillon, trahi par lui-même, n’a trouvé que la fuite en avant comme solution. Désolant. Assaut contre la justice, qui revient à attaquer la séparation des pouvoirs. Assaut contre la presse, qui grignote un peu plus le quatrième pouvoir, déjà sérieusement mis à mal par les extrêmes de droite et de gauche. Il s’en prend à présent au gouvernement qui, selon lui, créerait une atmosphère de « guerre civile » (restons simples) en n’empêchant pas des manifestants de chahuter ses déplacements. Alors qu’il est lui-même au moins partiellement responsable de ces débordements. Par ses actes passés, par ses déclarations ravageuses, par son incapacité à tenir sa parole. Et c’est chez les hystériques qu’il cherche désormais sa planche de salut : Sens Commun, une émanation de la Manif pour tous, appelle à le soutenir au Troca, et il se pourrait qu’ils amènent autant de militants que les Fillonistes « politiques ».
L’appel à la rue, la concession à tout vent, la diatribe, tout ça n’est décidément pas très présidentiel et laisse augurer — si François Fillon se maintient — d’une fin de campagne détestable, épouvantablement clivante, voire violente. Or, c’est la dernière chose que l’on doit souhaiter à la France démocrate, qu’elle soit de droite, du centre ou de gauche.
L’urgence de faire barrage à Marine Le Pen exclut tout combat personnel.
Car l’heure est au barrage à l’extrême droite. L’urgence est de s’assurer que deux candidats démocrates sortent du premier tour, pour un véritable affrontement sur leurs programmes, et non plus une foire aux accusations mutuelles (t’as piqué dans la caisse gnagnagna / t’as ourdi un complot contre moi nananère). Pas de FN au second tour, voilà ‘objectif fondamental qui devrait rassembler les partis traditionnels et motiver leur action.
Car seule une telle absence permettrait, au second tour, que les citoyens se prononcent sereinement pour l’un des deux programmes démocrates qui leur seraient proposés, pour un projet apte à rassembler, pour un vrai choix de société. C’est le sens d’une élection présidentielle.
Aujourd’hui, tous les sondages avec François Fillon candidat LR placent Marine Le Pen au second tour. Le cas Fillon pourrait encore s’aggraver, s’il était mis en examen, par exemple. Les chances de redressement de son image semblent nulles. Il faut donc qu’il renonce au plus vite, au profit du candidat le plus à même de passer au second tour. Et ça, c’est aujourd’hui Alain Juppé — toujours d’après les sondages. Bien sûr, les prévisions peuvent être trompeuses. Mais on n’a pas d’autre moyen de jauger l’avenir. Et avec Fillon, il paraît bien sombre.
Enfin, que les fillonistes qui prétendent qu’on veut leur confisquer le programme auquel ils adhèrent se rappellent que, dans la plupart des élections présidentielles, la moitié des Français ne se retrouvent pas dans le candidat élu, et un quart de plus élit un candidat dont le programme n’était pas son premier choix au premier tour. Eh oui, la démocratie est imparfaite. Mais c’est une raison de plus pour qu’on ne l’abîme pas plus encore en maintenant une candidature désormais nuisible à tous. Il serait ahurissant de confisquer aux Français le droit à un débat présidentiel démocrate dès le premier, pour des raisons internes à un parti ou, pire, par ambition personnelle.
Mise à jour : certains se réjouissent que l’entêtement de François Fillon évite de « confisquer » l’élection aux électeurs de droite, Fillonistes surtout. Mais s’il n’est pas au second tour, c’est toute la droite qui se le verra confisquer. Par elle-même.
Si cet article vous a intéressé n’hésitez pas à contribuer à mon travail à hauteur de minimum 2€ et de maximum le salaire mensuel de Pénélope Fillon.
36 Comments
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mars 04, 17:49Lachmoneky
mars 04, 18:07Tournaisien
mars 04, 23:07u'tz
mars 05, 16:44mélanippe
mars 05, 11:02PATRICK DE GEYNST
mars 05, 11:08mélanippe
mars 05, 11:09mélanippe
mars 05, 11:44Benoit Delvaux
mars 05, 11:47mélanippe
mars 05, 11:51mélanippe
mars 05, 11:54mélanippe
mars 05, 12:13Pfff
mars 05, 12:37mélanippe
mars 05, 12:57u'tz
mars 06, 02:06Pfff
mars 05, 13:23mélanippe
mars 05, 13:39mélanippe
mars 05, 13:47mélanippe
mars 05, 13:58Pfff
mars 05, 15:08u'tz
mars 07, 00:57Dekais claudine
mars 05, 16:19Tournaisien
mars 05, 21:27marcel
mars 05, 23:27Tournaisien
mars 06, 13:15u'tz
mars 07, 00:51u'tz
mars 06, 02:12u'tz
mars 07, 01:10vince01
mars 06, 09:24gerdami
mars 06, 11:41Capucine
mars 06, 12:31Tournaisien
mars 06, 13:17u'tz
mars 07, 01:21Wallon
mars 07, 10:00mélanippe
mars 07, 15:47Manwe
mars 09, 16:39