Il faut sauver le soldat Meklat.
Sous l’identité de Marcelin Deschamps, le chroniqueur et auteur Mehdi Meklat a publié des horreurs. Beaucoup d’horreurs. Misogynes, homophobes, antisémites. Et ce, de 2011 à 2016 (et non 2015 comme il l’affirme lui-même ; le garçon est brouillon).
Promu prodige de la zone par Pascale Clark (France Inter) avec son complice Badrou (Les Kids), il se retrouve aujourd’hui, brusquement, brutalement, au cœur de ce qu’il est convenu d’appeler un lynchage en réseau qui s’est rapidement transformé en lynchage médiatique. Je n’utilise pas le mot lynchage parce que je crois Meklat innocent, mais parce que c’est aux tribunaux de trancher, et non pas à une horde de twittos furibards.
Sur la planète twitteuse, depuis une semaine, les twits que Mehdi Meklat a commis sous l’identité de Marcelin Deschamps — un personnage qu’il décrit lui-même infâme et diabolique — sont réapparus, non plus sous ce nom, mais sous le sien propre, @mehdi_meklat. Celui-là même qui vient de publier son second roman avec son complice Badrou, et de passer dans La grande Librairie. Parce que cette tache, ce crétin, cet imbécile patenté de Meklat n’a pas effacé les horreurs de Marcelin Deschamps lorsqu’il a repris ce même compte Twitter sous son propre nom. Il vient de le faire, enfin, et même ça a servi d’argument à ses détracteurs.
Quand les conclusions arrivent avant l’ouverture du dossier.
Rien que sur le fait de ne pas avoir effacé à temps ses anciens twits, je lis beaucoup de conclusions sentencieuses qui partent du principe qu’un Twittos est une sorte d’être parfait dont les actes trahissent forcément les travers. Or, le Twittos, j’en sais quelque chose, est plutôt un amateur qui voit Twitter comme un gadget, et peut en négliger bien des aspects.
Dans le fait de ne pas avoir effacé ses anciens twits, certains voient une preuve de sa duplicité. D’autres affirment que cela revient à assumer, qu’il n’y avait donc pas de « personnage ». Pourtant, il y a des tas d’autres raisons possibles à cette omission. Le fait, par exemple que, si ces twits sont bien une production sarcastique (ou qu’il les perçoit comme tels — il les dit « littéraires »…), les effacer revenait à effacer un « travail » de cinq ans. Même s’il ne les trouve plus très bons, un auteur n’aime pas faire ça. La virtualité est déjà suffisamment immatérielle, immémoriale — en apparence du moins.
Ou encore il y a le fait, comme il le dit lui-même, qu’il a bien essayé de les effacer, mais que ça n’a pas marché. Ou, comme le rappelle un Daniel Schneidermann lumineux, qu’on ne renonce pas si facilement à 10 000 abonnés. Ou, plus simple encore, le fait que des internautes riaient encore des excès de Marcelin sous l’identité de Meklat, et qu’il en avait conclu que c’était donc drôle, donc pas à jeter. Ou bien parce qu’il savourait les retours enchantés de ses abonnés sans en mesurer, parfois, la haine sous-jacente. Ou en la mesurant, au contraire, avec envie. Ou un mélange de tout ça.
JE. NE. SAIS. PAS.
Une partie de la twittosphère a pourtant conclu le procès à la vitesse d’un photon dans un accélérateur de particules : « il les a gardés parce qu’il pense comme Marcelin Deschamps ». Point. Affaire bouclée. Qu’on lui coupe la tête médiatique. Accusé suivant.
La réacosphère, elle, prend des libertés avec la déontologie pour l’occasion, comme Eugénie Bastié, du Figaro, qui n’a pas hésité à publier un article sur la déontologie dans l’affaire Meklat, alors qu’elle avait elle-même été victime, en message privé, d’un Marcelin Deschamps ordurier, et qu’elle s’en est vanté sur la twittosphère (publiant au passage un échange de courriers privés…) Déontologie, tu parles !
Une autre partie de la twittosphère le défend bec et ongles, non sans, elle aussi, avoir parfois de laides arrières pensées. Ou de la lâcheté. Pour elle, tout ça, c’était de l’humour. Point.
Humour es-tu là ?
La satire est une de mes professions, j’en vis la moitié du temps. Même sous couvert d’humour, je n’aurais jamais écrit des choses comme « faites entrer Hitler pour tuer les Juifs. » Ça m’est impossible. Mais ce n’est pas parce que ça ne me fait pas rire que ça ne peut pas faire rire autrui. Et en matière d’humour, les expressions violentes m’inspirent plus de questions que de réponses.
Soyons clairs : la tête de Mehdi Meklat ne me revient pas. Je déteste le lien qu’il entretient avec une philosophie qui peut rappeler les Frères musulmans. Mais j’ouvre son dossier, et je lis un de ses articles sur la ministre française des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes qui raillait le libre-choix d’un certain nombre de femmes voilées (qui est réel, que j’ai vu en vrai) en le comparant à celui de certains « nègres (sic) américains » qui étaient, selon elle « pour l’esclavage ».
Une petite translation, et on se demande combien de temps une ministre qui aurait déclaré que des « youpins » auraient été « pour les ghettos », ou « pour » l’interdiction de travailler la terre, ou même « pour le goulag » aurait gardé son portefeuille. Je penche pour : trois secondes. Et non pas parce que « les juifs ont plus de pouvoir », comme on le susurre volontiers de la banlieue à certains cercles bien pensants de gauche ou bien dorés de droite, mais bien parce que notre société s’est logiquement et heureusement structurée autour du pire crime « qu’elle » ait commis, la Shoah, un crime de masse si épouvantable qu’il lui fut impossible de le relativiser, si hideux qu’il occupe tout l’espace du pire chez nous, toute la réflexion sur le mal, la philosophie, la littérature. Et cela, alors que la même société nie — encore aujourd’hui — son pire précédent : l’esclavage.
Je m’interroge donc sur l’exigence de pureté que notre société projette sur les nouveaux arrivés alors qu’elle-même n’est pas en état — Macron vient de le démontrer — de reconnaître ses propres crimes. La société blanche accuse bruyamment la minorité « musulmane » de se complaire dans ses dérives extrémistes, alors qu’elle est elle-même empoisonnée par les populismes, les radicalismes, les racismes, et des extrémismes bien moins meurtriers aujourd’hui certes que le terrorisme islamiste, mais imprévisibles demain.
Hitler, ce zombie.
En lisant ce twit sur Hitler, dont je ne comprends pas la drôlerie, il ne me vient donc pas l’envie de juger, mais bien celle de m’interroger. D’abord sur le sens de la phrase. Que veut-il dire par « faites entrer Hitler pour tuer les Juifs » ? Souhaite-t-il vraiment qu’Hitler revienne tuer les Juifs aux Césars (cérémonie pendant et à propos de laquelle il a envoyé ce twit) ? Se moque-t-il de son personnage infâme, Marcelin, à qui il attribue cette idée aussi radicale qu’absurde (Hitler est mort, pour rappel, depuis 72 ans) ? Et ce faisant, savoure-t-il d’avance l’idée que certains vont rire aux éclats tellement le propos est gras, gros, hors des limites les plus sacrées, bref, serait-ce du Charlie Hebdo version banlieue, de la provoc extrême ? Une tentative de casser les codes ?
Mais comprend-il, voire savoure-t-il le fait que d’autres followers vont sautiller de joie à l’idée qu’un personnage un peu public ose diffuser l’idée de « tuer les Juifs », ce qui rentre bien dans leur conception antisémite de l’antisionisme ? Lui-même trouve-t-il qu’il y a trop de Juifs aux Césars ? Dans les médias ? D’ailleurs, pourquoi a-t-il créé un personnage facho qui est antisémite, mais pas islamophobe ? Ça n’existe pas ! Ou alors, c’est un raciste musulman ? Alors, pourquoi lui avoir donné un nom français ? « Parce que j’aime bien Marcel Duchamp », répond Mehdi.
Il y a de quoi s’interroger. Vite, une blague juive :
— Rabbi, pourquoi les rabbins répondent-ils toujours à une question par une autre question ?
— Qu’est-ce qui te fait penser ça, Moïshé ?
Alors, question. Maintenant que les censeurs ont censuré les twits et lynché l’homme, avec des phrases lapidaires et une analyse simplifiée, voire simpliste, comment allez-vous expliquer à la banlieue qu’on peut rire du Prophète qui se fait enculer, d’un éthiopien affamé mis en broche par des colons qui essaie de saisir les patates qui sont dans le feu sous lui, de n’importe quel délire sur des femmes voilées en dessin ou en photo, mais pas de l’idée tout aussi excessive, mais pas pire, d’enfoncer « des ampoules brûlantes dans le cul de Brigitte Bardot », qui fut cinq fois condamnée pour incitation à la haine raciale, et exprime bien clairement et régulièrement sa détestation des immigrés, « toute cette population qui nous détruit », mais aussi des homosexuels, ces « lopettes de bas étage, travelos de tous poils, phénomènes de foire, tristement stimulés dans cette décadence par la levée d’interdits qui endiguaient les débordements extrêmes » ? Et non, il n’y a pas eu deux semaines de tollé sur Twitter ou ailleurs quand elle a écrit ça.
Autre question. Comment expliquer en deux mots qu’un des principes de la satire est la création de personnages odieux auxquels on peut tout faire dire avec une délectation dont nul grand humoriste ne s’est privé, mais que quand Mehdi Meklat tire ce principe vers sa limite (in)acceptable — sans faire l’objet de plus que quelques remarques de Sophia Aram ou de Mouloud Achour, véritable visionnaire, celui-là, qui l’avait supplié d’arrêter, lui annonçant que ça le rattraperait un jour, CQFD — il est immédiatement lynché par l’extrême droite, lynché par la droite, lynché par les libéraux, et rejeté par des « bobos » qui l’avaient auparavant plébiscité, félicité, adulé ?
Élément de réponse : si notre société comprend qu’on crée des personnages à qui l’on fait dire le pire de ce qui traîne dans nos esprits, et même si elle sait que ces avatars sont utiles (le douanier de Fernand Reynaud, par exemple), elle ne supporte pas la confusion, et elle a raison : créer et entretenir un tel personnage requiert un traitement dépourvu de toute ambiguïté. Et ce ne fut pas le cas, loin de là, de Marcelin Deschamps.
Les lynchages forment la jeunesse.
Alors question : entre 19 et 25 ans, lorsqu’on vient de la zone et qu’on est propulsé vers la lumière médiatique dans des institutions comme France Inter, Canal Plus, Mediapart, que Pascale Clark applaudit vos horribles excès, à prendre au second degré (mais est-ce toujours possible ?), quand on n’a pas été formé aux règles classiques de la satire, qu’on atterrit sur un réseau social où l’horreur est diffusée au quotidien et où l’on en conclut que tout est permis, est-on bien en mesure de gérer un tel personnage fictif comme il se devrait ?
Le compte Marcelin Deschamps serait évidemment une faute professionnelle pour un humoriste. Mais Meklat n’est pas pour autant Dieudonné. Lui, il a pris soin de faire dire ses horreurs à des personnages bien précis (ex. « le néonazi belge »), créant pour la première fois de l’ingénierie humoristique qui ne servait pas à relativiser le propos en le mettant dans la bouche de quelqu’un dont on se moquerait — le facho en question —, mais bien à le diffuser sans subir les foudres judiciaires, tout en trompant son propre public.
Règle. Quand on crée un personnage-convoyeur d’horreurs, il doit être la cible de la raillerie, et il doit être crédible. On peut mettre le mot bougnoule dans la bouche de papa Le Pen. On peut faire dire à El Baghdadi qu’il va créer un camp d’El-Auschwitz près de Raqqa (ce qui fera très éventuellement rire, et seulement très jaune), pour autant que le but reste clairement de se moquer d’El Baghdadi ou de Le Pen. Le problème avec Marcelin Deschamps, c’est que ce n’est pas clair. Trouvez-moi donc un raciste facho qui déteste Bardot et qui n’est pas islamophobe !
Question : erreur professionnelle, erreur de jeunesse, confusion, ou manifestation d’un caractère haineux caché derrière des écrits de paix ?
Je ne sais pas.
Alors, je continue l’interrogatoire : les réseaux sociaux brouillent-ils les limites au point que des jeunes (et des moins jeunes aussi d’ailleurs) y perdent leur latin et tombent piteusement dans le mélange des genres ? La perte de repères induite par une société tiraillée entre mille sous-groupes manichéens qui ne parviennent plus à délimiter un sacré commun, a-t-elle brouillé le discours de Meklat, affaibli les frontières traditionnelles entre le faisable et l’infaisable ? Le dicible et l’indicible ? L’horreur et l’humour ?
Ou Meklat est-il à l’avant-garde, témoin d’une époque où l’on repousse les limites de plus en plus loin (cf. Jérémy Ferrari qui me fait exploser de rire, mais qui me fait tout autant peur), où les barrières entre ce qui est autorisé et ce qui ne l’est pas sont devenues si fines qu’on ne sait plus trop ce qui est de l’humour ou pas, ou pire, que ce qui est extrêmement drôle pour les uns est absolument épouvantable pour les autres ?
Piste : les nazis ont beaucoup utilisé « l’humour » pour populariser leur immonde antisémitisme.
Le bal des vampires hypocrites
Question. Mehdi Meklat interroge-t-il notre tolérance, les excès qu’elle produit, ou sa propre intolérance, qu’il rejette en la confiant à Marcelin Deschamps ? Ou n’interroge-t-il rien, et assume-t-il tout, ce qui en ferait un antisémite sauvage, un Dieudonné exposant quinze, un Céline de banlieue, un Heydrich reubeu ?
Mais les autres, ceux qui l’accusent, sont-ils en état de le faire ? Son twit sur Hitler a alléché une extrême droite qui n’a pas manqué de le diffuser massivement, alors même qu’une partie d’elle ferait bien, si elle en avait la liberté, entrer Hitler pour tuer tous les Juifs. Et bien sûr, c’était l’occasion de sauter sur Christiane Taubira, que cette même fachosphère n’avait auparavant pas manqué de comparer à une guenon. Ah, si elle a été interviewée par Meklat, ils avaient raison de la traiter de guenon, imagine-t-on les entendre penser tout haut.
Pour une réacosphère non extrémiste qui voudrait une société plus française, plus gaullienne, plus catho, nostalgique, il fallait casser le prodige de la cité, le musulman qui ose encore défendre le halal ou le voile, pour en revenir à une intégration plus nette. Non pas à une République de tous, mais à une République soi-disant « judéo-chrétienne » appliquée à tous. Elle en a profité au passage pour casser le gauchisme de France Inter, du Monde, de l’Obs, des Inrocks, de Mediapart, et l’audace du Bondy Blog de vouloir écrire depuis la banlieue bigarrée en assumant une islamophilie et un ton victimaire inquiétants.
Même réaction chez certains Mariage pour tous, moins homophobes en paroles que Marcelin Deschamps, mais peut-être beaucoup plus que Meklat en l’esprit.
Piste : je n’ai lu personne qui ait côtoyé Mehdi Meklat relever du racisme, de l’antisémitisme ou de l’homophobie chez lui.
Et puis, tant à gauche qu’à droite, les chroniqueurs ont montré leur capacité technologique à pénétrer l’esprit de Mehdi Meklat, à partir de sa défense forcément maladroite (comment défendre adroitement ce qui paraît à beaucoup indéfendable ?) pour conclure, à gauche, qu’il ne pensait pas ce qu’il écrivait puisqu’il n’est que beauté et poésie par ailleurs (Pascale Clark) ou, de la gauche laïque à la droite, qu’il est lui-même ce salopard raciste qu’il prétendait railler. Bref, Meklat est Marcelin, et Marcelin est Meklat. Ou encore, chez Raphaël Enthoven, Meklat + Marcelin = le vrai Meklat.
J’admire les capacités de tous ces gens à pénétrer et décoder la matière grise de Mehdi Meklat. Personnellement, j’en suis incapable. J’ai juste envie de gifler les hypocrites qui, prenant peur face à un soupçon d’antisémitisme extrême, ont remplacé toute réflexion, toute tentative de compréhension par un « c’est pas moi, m’sieur, si j’avais su, j’l’aurais pas invité, j’l’aurais pas publié, j’aurais pas ri à ses conneries, c’est vous dire. Bon, décapitez-le, il le mérite » ! Si Hitler est mort, Ponce Pilate, lui, est bien vivant !
Constat : si Mehdi Meklat s’est senti autorisé à faire avancer son personnage Marcelin Deschamps vers toujours plus d’audace, toujours plus de provoc, et toujours plus de violence, jusqu’à l’intolérable absolu, c’est aussi parce qu’il y avait des gens qui lui disaient qu’il était drôle. Y compris des gens des médias. Y compris de ceux qui auraient dû conditionner ses passages radio à l’arrêt immédiat de sa folie twittoridienne. Point. Y compris des têtes bien faites. Mehdi Meklat, s’il est l’épouvantable qu’on décrit, ne s’est pas fait tout seul.
La moisissure est en nous.
Question bleue de monsieur Enthoven : ces horreurs étaient-elles en lui ? Traduisaient-elles systématiquement (ou non) ses vraies colères ? Dans ce cas, ce n’est pas de l’humour !
Réponse : là, au moins, on est dans un domaine que je connais. Je sais. Lorsque nous, humoristes, faisons parler un personnage infâme, nous allons chercher autour de nous, mais aussi en nous-mêmes les horreurs qui l’alimentent. Où les trouverions-nous autrement ? Nous plongeons certes parfois très loin sous notre couche civilisée, pour y rencontrer notre propre xénophobie, homophobie, misogynie ou misanthropie. Nous la manipulons alors comme une centrale nucléaire manipule ses barres d’uranium toutes fraîches : avec une précaution immense. Mais c’est bien, pour partie, dans notre âme que nous trouvons les données.
Oui, c’est épouvantable, atterrant, horrible, qu’on ait beau avoir été nourri au biberon de l’humanisme le plus respectable, on a encore besoin de raisonner, de ranger nos haines par-devers nous. Oui, c’est difficile de constater qu’être civilisé, ce n’est justement pas être vierge de pensées affreuses. C’est au contraire travailler, sans cesse, avec acharnement, à les dépasser par la raison. Le singe en nous continue à avoir peur d’autrui et à enregistrer les messages alarmants, fussent-ils ridicules ou confondants de bêtise. Nous combattons le singe.
Et donc, oui, quand j’écris un sketch où un raciste (par exemple Jean-Marie Le Pen) tient le crachoir, les insultes, la haine que je lui glisse dans la bouche, elle vient au moins enpartie de l’intérieur de moi. Ce faisant, je ne projette pas cette hideur (merci Taubira d’avoir remis ce mot oublié à la mode), je ne la diffuse pas, parce que tout le monde comprend clairement que le personnage est odieux et que mon but est de lui permettre d’évacuer les affects qu’une telle horreur doit inspirer. Et aussi parce que ce faisant, je nettoie mon propre esprit des moisissures qui sont restées traîner, non pas parce qu’elles sont constitutives de moi-même, mais parce qu’on nous les a tant de fois répétées qu’elles finissent par empoussiérer notre esprit.
Dans ce débat pourri d’avance, rares sont ceux qui reconnaîtront cette noirceur que nous partageons pourtant. Ils sont alors considérés comme des originaux, ou des fous. Comme Klaus Kinski quand il avoue : « si je n’avais pas été acteur, j’aurais pu être assassin ». Il a raison.
Le goût des Autres.
La source de la banalité du mal est au fond de chacun de nous. Mehdi Meklat en a sa part. Nous la taisons, lui l’a révélée. Et il n’a pas voulu ou pas pu la civiliser. Il en a fait un objet de rire entre-soi. Sans préalablement extraire ce mal de sa gangue infernale. Et en oubliant qu’on ne peut rire d’autrui que si l’on rit d’abord de soi-même. Et qu’avant d’écrire quoi que ce soit sur l’Autre, il faut se mettre à sa place.
Question finale : pourquoi tant de confusion chez Meklat ? Parce qu’il savourait ses insanités, ou parce qu’il était trop jeune pour comprendre ce qu’il provoquait ? Parce qu’il pourrait un jour se révéler un Dieudonné bis ? Ou parce que justement, il résiste comme un dingue à cette errance-là ?
Je ne sais pas.
Mais je suis sûr d’une chose : on ne peut pas défendre la liberté d’expression si on la limite à ce qu’on trouve acceptable. Et souvent, cet « acceptable » est ce que la société mainstream, omettant toute minorité, a posé. On doit donc à la fois défendre le banquier Jabial, qui avait ricané à l’idée de jeter des syndicalistes depuis un hélicoptère — sachant que Pinochet lui est totalement odieux, qu’il l’a dit et répété, et juré qu’il plaisantait —, et s’interroger sur Mehdi Meklat à charge et à décharge, aussi répugnants soient ses twits pour tous ceux qui se battent contre l’antisémitisme, non sans prendre note de ses excuses. Celles que jamais on n’obtint de Brigitte Bardot, que jamais on n’obtint de Jean-Marie Le Pen, que jamais on n’obtiendra de Dieudonné.
On ne peut pas exiger de la banlieue qu’elle pense comme Versailles, ni inversement. On ne doit pas moins être absolument ferme contre la xénophobie, l’antisémitisme, l’islamophobie, l’homophobie, la misogynie, les haines diverses et variées et, à ce titre, Meklat sera peut-être condamné par de vrais magistrats qui auront alors pesé le pour et le contre en toute sérénité et, espérons-le, sans les aprioris lâchés par les foules.
Mais justement, l’un des principes fondamentaux de la justice est aussi l’acte pris des regrets, des excuses, de l’amende honorable, sincère et constructive. Elle ne consiste que dans des pays extrémistes, des dictatures que nous rejetons, à faire taire définitivement celui qui n’a pas agi comme la société l’impose. Si l’on veut porter les valeurs de notre société libérale, et les principes qui l’ont fondée, on doit — au moins — tenter de sauver le soldat Meklat. Pas de la meute. Pas de la justice. Mais de lui-même, de ses propres détestations, de ses dérives passées, de ses confusions, du droit qu’il pensait avoir de tirer sur des victimes, encore et encore, et surtout, surtout, de ceux qui l’applaudirent, l’encouragèrent, ou l’encouragent encore.
Et si nous ne pouvons pas sauver celui-là, il ne reste qu’à constater qu’on s’est trompé de soldat, et que d’autres, tout aussi doués, tout aussi banlieusards, tout aussi symboliques, n’ont simplement pas eu la chance qu’on a donné à Badrou et à Mehdi Meklat, et dont ils ont jusqu’ici, parfois, très mal profité.
20 Comments
Tournaisien
février 24, 08:59Tournaisien
février 25, 10:04u'tz
février 26, 10:35Wallon
février 24, 09:52marcel
février 24, 13:23Marcx
février 24, 12:59marcel
février 24, 13:28marcel
février 24, 13:32Salade
février 24, 17:03u'tz
février 24, 19:22wallimero
février 25, 12:26Capucine
février 25, 15:57Tournaisien
février 25, 18:40marcel
février 25, 21:11Tournaisien
février 25, 23:03u'tz
février 26, 20:51Wallon
février 26, 11:41marcel
février 26, 18:04u'tz
février 26, 21:14u'tz
février 28, 02:12