Israël s’approprie la Cisjordanie et manipule l’opinion occidentale sur le mot « terrorisme ».
La Knesset a voté une nouvelle loi qui place le droit des Israéliens au-dessus de celui des Palestiniens en Cisjordanie. Plus grave, cette loi légifère sur les colonies sauvages dans un territoire étranger. En d’autres termes, Israël s’approprie de facto les territoires palestiniens que ses extrémistes auront eu à cœur de coloniser illégalement. Dorénavant, les terres volées aux Palestiniens pourront donc être régularisées en masse. En établissant une hiérarchie entre les citoyens israéliens et les Palestiniens, le gouvernement Netanyahu établit un régime qui rappelle l’Apartheid.
C’est l’occasion de revenir sur un fait récent et sur son interprétation. Car Israël est parvenu, non seulement à abolir tout espoir de solution à deux États, mais en plus, à criminaliser toute personne qui s’oppose à son invasion lente des territoires dévolus aux Palestiniens. Il s’agit de l’attentat du 8 janvier au camion bélier, à Jérusalem, que toute la presse occidentale a présentée comme terroriste.
Récuser ou mettre en doute cette qualification de terrorisme revenait à se laisser présenter comme un antisémite, voire un terroriste. Pourtant, avaliser cette qualification revenait à avaliser la propagande du gouvernement Netanyahu. Or, l’opinion qu’il ne s’agissait pas de terrorisme, si elle reposait sur des bases factuelles (et non sur une base partisane comme dans le cas d’Abu Jahjah), devait pouvoir s’exprimer. Mais avant cela, il fallait évacuer le pathos. Car il ne pouvait être question de célébrer un attentat. Mais de s’autoriser à poser froidement la question de la qualification d’un événement donné.
Une propagande bien rodée.
Dès après l’attentat du 8 janvier, Benyamin Netanyahu a habilement manœuvré pour le lier à l’État islamique, et tout de suite après, aux attentats de Nice et Berlin. Cette manœuvre a atteint son but, les médias occidentaux ont massivement couvert l’information en reprenant ces deux thèmes et les politiques se sont engouffrés dans l’amalgame qui leur était tendu.
Mais était-ce réellement du terrorisme ? Pour le gouvernement de droite et d’extrême droite de Benyamin Netanyahu, les actions de Palestiniens sont toujours terroristes. Même les jets de pierre par des enfants contre des militaires en zone occupée sont qualifiés d’actions terroristes et officiellement recensées comme telles, y compris quand elles ne font aucune victime. Pire : même l’idée de mettre en place un boycott pacifique d’Israël est présentée comme liée au terrorisme. Autrement dit, toute résistance palestinienne est criminalisée d’office.
La lecture que ce gouvernement cherche à imposer, c’est que tout ce que fait Israël est légitime et toute réaction palestinienne, même pacifique, barbare. Or, il y a bien occupation et oppression en Cisjordanie. La carte du grignotage israélien montre que la politique du fait accompli et de la colonisation a probablement déjà rendu impossible toute création d’un État palestinien digne de ce nom à côté d’Israël et prouve que la solution à deux États n’est absolument pas la stratégie d’Israël aujourd’hui.
Le grand Israël est en marche.
La loi votée hier à la Knesset (et très contestée par l’opposition) le confirme pour les derniers naïfs. Ce qui se profile, c’est plutôt, à terme, un grand Israël de la mer au Jourdain que personne n’aura pu, su ou voulu empêcher. À noter que la démocratie israélienne n’a pas dit son dernier mot : la Cour suprême pourrait annuler l’édit. Mais l’acte est posé. Il provoque des hauts le cœur dans le pays même. Un Israélien, Bradley Burston, a publié une carte blanche dans Haaretz, un must read selon le journal de gauche, où il dit de façon poignante à quel point de telles lois éloignent l’État de son ambition première. Son titre est sans compromis. « J’ai contribué à détruire l’Israël que j’aime. L’apartheid fera le reste ».
L’acharnement de l’équipe Netanyahu à criminaliser toute réaction palestinienne, et la passivité des rédactions occidentales à le contrer, fatiguée par des officines qui la harcèlent au moindre article non conforme à la ligne dure de Netanyahu, ont contribué à transformer une nation d’espérance en l’un des États les plus détestés au monde. Aujourd’hui, Israël autorise le vol de terres palestiniennes et annihile tout espoir de solution à deux États.
Plaçons donc les repères universels. L’occupation autorise les Palestiniens à se défendre (droit de résistance), notamment par des actions armées, pour autant qu’elles ne visent pas des civils. La pénurie d’armes de guerre, face à un adversaire immensément puissant, amène les activistes palestiniens à utiliser des stratégies et des outils de guerre forcément rudimentaires. Couteaux, pierres, haches, automobiles, camions. Mais quelle que soit l’arme, lorsque ces actions visent des soldat-e-s armé-e-s, elles doivent pouvoir être considérées comme non-terroristes.
Ça ne signifie pas qu’on les soutienne ni qu’on les encourage. Ni même qu’elles peuvent être de facto qualifiées de résistances. À ce sujet, une remarque. Le manichéisme ambiant a amené pratiquement tous les commentateurs à opposer terrorisme (mal absolu) et résistance (héroïsme absolu). Pourtant, les résistants ont de tout temps eu recours au terrorisme, tout comme la plupart des organisations principalement terroristes ont pu poser des actes de résistance (je développe ce thème dans l’annexe tout en bas). Non seulement les deux peuvent se confondre, mais en plus, on n’est pas obligé d’utiliser systématiquement l’un de ces deux qualificatifs antagonistes. Ainsi, il y a d’autres mots possibles pour qualifier l’attentat de Jérusalem sans le glorifier : guérilla, activisme, acte désespéré, assassinat, attentat, guet-apens, etc.
Dans le cadre israélo-palestinien, sans préjuger du caractère éventuellement terroriste des organisations coupables d’un attentat, on devrait donc considérer a priori (et en attendant les résultats de l’enquête) que toute attaque contre des civils est terroriste, et que toute attaque contre des militaires armés ne l’est pas.
Je rappelle que je parle ici de qualification d’une action. Qualifier l’attentat du 8 janvier d’action de résistance plutôt que de terroriste n’implique pas qu’on la soutient. C’est un constat, pas une apologie. La mort de jeunes Israéliens ou Palestiniens est toujours un drame, qu’ils portent un uniforme ou pas. La seule résistance qui soit véritablement héroïque et honorable est la résistance pacifique, à l’exemple de Ghandi.
Les faits.
Le 8 janvier 2017, Fadi Qunbar, un Palestinien vivant à Jérusalem-Est, a envoyé son camion sur un groupe de soldats en uniforme, armés, dans une portion de Jérusalem située à l’est de la ligne verte, dans l’ancien no man’s land, et occupé illégalement (selon l’ONU) par Israël. Il en a tué quatre et blessé 17, dont trois gravement, avant d’être lui-même abattu par un guide civil armé et/ou des soldats du même groupe.
Les soldats étaient en visite touristique.
Avant toute enquête, le gouvernement israélien a parlé de terrorisme et prié tout le monde d’adouber sa définition, faute de quoi on devenait soi-même un soutien du terrorisme, un antisémite, un nazi ou que sais-je. Or, les premiers constats permettaient au moins d’en douter. Bien sûr, l’attaque-surprise, le traquenard ne sont pas une manière honorable de faire la guerre, mais depuis quand la guerre elle-même serait-elle une activité honorable ?
Il reste par ailleurs la possibilité d’un geste « désespéré », un coup de colère fatal par une personne imbibée de propagande martyrisante, mais aussi d’une réalité dont le Palestinien est le perdant systématique. On ne saura probablement jamais s’il y a eu préparation ou si Fadi Qunbar a agi « spontanément » à la vue de soldats israéliens dans son quartier.
ISIS, l’argument massue, mais déplacé.
Le gouvernement israélien a rapidement cherché à activer l’émotion et la solidarité occidentales. Le mot magique ISIS (État islamique) a été lâché presque immédiatement par Benyamin Netanyahu. Cela a eu pour effet de figer les rédactions européennes et américaines. Dès lors qu’un lien avec Daesh était envisagé, toute qualification autre que « terroriste » semblait moralement inacceptable. L’on a été prié de comprendre que l’État islamique était « derrière » l’attaque. Sans l’ombre d’une preuve.
Or, que disent les premiers articles occidentaux ? Je résume : « Selon Netanyahu, l’auteur est un sympathisant de Daesh » (en français). « Selon Netanyahu, l’auteur semble [is likely to] être un sympathisant de Daesh » (en anglais). Au minimum, on aurait plutôt attendu « Selon Netanyahu, l’auteur serait un sympathisant de Daesh ». La prudence de Benyamin Netanyahu lui-même aurait dû amener un regard critique. Au contraire, l’absence de mise en contexte de la déclaration du Premier ministre israélien a eu l’effet d’un procès définitif.
La chaine israélienne i24 s’est même étonnée de cette validation express de la thèse nétanyahenne par les médias étrangers : « les motivations palestiniennes ou la cause palestinienne ont soudain été marginalisées dans les médias, bien que des officiels israéliens reconnaissent qu’il n’y a pas de cellule active de l’État islamique dans le pays ». Elle note dans le même article qu’aucun politicien n’était présent aux funérailles des jeunes victimes. S’il s’agissait d’un événement similaire à Nice ou Berlin, Paris ou Bruxelles, c’eût été scandaleux. Cela semble donc bien indiquer qu’au contraire, le tragique attentat n’était pas exceptionnel en Israël. Pour l’instant, Daesh ne l’a d’ailleurs pas revendiqué.
Trois jours plus tard, on apprenait que ce soi-disant lien avec l’État islamique se limitait à des commentaires Facebook où l’assaillant aurait montré de la sympathie pour l’organisation terroriste — ceux-ci n’étant plus disponibles en ligne. Non seulement aucun média ne disposait de la preuve de cette sympathie au moment de parler de terrorisme, mais en plus, ce n’est pas parce qu’on a des sympathies pour un groupe terroriste, aussi barbare soit-il, que ses propres actes relèvent systématiquement de la barbarie ou du terrorisme. Sinon, tous les résistants communistes français d’obédience stalinienne étaient des terroristes.
Cinq jours après les faits, Newsweek rapportait que d’après plusieurs experts, notamment israéliens, Daesh n’était pas mêlé à l’attaque de Jérusalem.
Une comparaison scandaleuse avec Nice et Berlin.
Le second argument israélien liant l’auteur à l’État islamique était le modus operandi : un camion qui fonce dans une foule. Selon Benyamin Netanyahu, « Ceci relève de la même méthode inspirée par l’État islamique qu’on a vue en France d’abord, puis en Allemagne, et maintenant à Jérusalem. » Chose qui a été immédiatement « confirmée » par Avigdor Liberman.
Ces affirmations étaient fantaisistes. Le modus operandi en question est au contraire typique de l’activisme palestinien et Netanyahu ne peut l’ignorer. Il y a en effet déjà eu des dizaines d’attaques à la voiture-bélier à l’intérieur des territoires occupés — 35 rien qu’au 4e trimestre 2015, selon l’Ambassade d’Israël en France. Et notamment contre des militaires en exercice et armés, gardant des check-points en Cisjordanie. Rien qu’au dernier bimestre de 2015, on en compte au moins onze : le 8 novembre 2015, une Palestinienne de 72 ans fonçait sur des soldats à Hébron ; le 24 novembre, un Palestinien blessait 3 soldats et un garde-frontière en Cisjordanie ; le 27 novembre, une autre attaque double blessait 6 soldats ; le 10 décembre, 4 soldats blessés, et même topo les 26 et 31 décembre. Notons qu’il s’agissait dans tous les cas d’attaques a priori légitimes contre des militaires occupant son territoire.
À celles-là s’ajoutent 5 attaques à la voiture bélier pour la seule Jérusalem, dont au moins deux visant principalement des civils (attaques terroristes, donc). Nice et Berlin ne précèdent donc pas Jérusalem, c’est exactement l’inverse !
En 2016, des attaques similaires ont eu lieu les 4 mars, 3 mai (contre des militaires dans les deux cas) et le 24 juin (contre des civils).
Comme le souligne aussi le magazine Newsweek, ce modus operandi n’est donc pas une invention de Daesh, mais bien des « activistes » palestiniens. Newsweek rappelle d’ailleurs que dès 2009, bien avant que l’État islamique ne se crée, un Palestinien envoyait son bulldozer sur une voiture de police israélienne.
Mal nommer les choses…
Cette tentative de mettre Nice et Berlin, d’une part, et Jérusalem d’autre part sur le même pied aurait dû être contestée plus vivement par la presse européenne. Car cela revenait à mettre sur le même pied des victimes civiles, de tous âges, dans des pays en paix qui n’en occupent aucun autre, et des soldats d’une armée occupante dans une zone en conflit permanent. Autrement dit, cela revenait à minimiser les attentats de l’État islamique en Europe.
Les victimes de Nice étaient des familles, et la volonté de tuer un maximum d’enfants et d’innocents était évidente, de la manière la plus choquante, brutale et inattendue possible. L’objectif n’était pas de lutter contre une occupation ni même de résister à quoi que ce soit, mais de produire un choc médiatique. Par-dessus le marché, en France comme en Allemagne, ce sont des moments ou des périodes de fête, de paix, de communauté qui ont été privilégiés. La surprise a été épouvantable. Ceci, sans minimiser les crimes commis contre des civils en Israël, bien entendu.
L’armée israélienne, en revanche, ne peut pas revendiquer, elle, une telle surprise : elle subit des attaques similaires très fréquemment, depuis au moins 7 ans. Et elle est en guerre depuis des décennies. Malgré ça, très peu de politiciens et de médias occidentaux ont (osé) regretté(r) qu’Israël assimile le meurtre barbare de dizaines de civils et d’enfants innocents et désarmés au meurtre de quatre militaires armés. Et ce, parce qu’une fois le lien établi avec le terrorisme du califat et les attentats sur le sol européen, on touchait au sacré, et toute opinion autre était criminalisée : se demander si c’était bien un acte terroriste revenait, pour certains, à soutenir le terrorisme, comme on me l’a asséné sur Twitter quand j’ai mis en doute le caractère terroriste de l’attentat.
Le silence des critiques
En se disant pleinement solidaires d’Israël, en allant jusqu’à rendre hommage aux victimes à Parie, politiques et médias ont aussi avalisé de facto les mesures de rétorsion du gouvernement de Netanyahu : démolition de la maison de l’exécutant, arrestation d’une partie de sa famille, retrait du droit de séjour à 12 de ses membres, ce qui revient quasiment à les exiler. Ces mesures relèvent pourtant des punitions collectives interdites par la Convention de Genève.
Pire, elles ne réduisent absolument pas les risques pour la population israélienne, mais ont au contraire un effet de catalyseur sur les candidats-martyrs palestiniens suivants. Autrement dit, ce faisant, nous avalisions une politique gouvernementale qui ne vise absolument plus à protéger des civils ou des militaires israéliens, mais à entretenir un état de guerre permanent pour maintenir au pouvoir un gouvernement extrémiste. On peut évidemment aussi penser que le camp d’en face fait la même chose.
Ces mesures de rétorsion insensées ne sont que le sommet de l’iceberg : en une semaine, le pouvoir israélien a démoli 151 maisons appartenant à des Arabes à titre de vengeance, selon Haaretz. Dans la presse israélienne, des officiels proposent la déportation de familles entières de « terroristes ». Et après que le soldat israélien qui avait achevé un agresseur palestinien désarmé d’une balle dans la tête a été condamné (grâce à la réelle indépendance de la justice israélienne), le ministre de la Défense israélien Avigdor Libermann l’a défendu bec et ongles, et le Premier ministre a évoqué la possibilité d’une grâce, alors que ce genre de pratiques contrevient aussi violemment à la Convention de Genève : c’est tout simplement un crime de guerre.
Le gouvernement israélien peut donc se réjouir d’avoir bien réussi son coup alors même que la couverture médiatique occidentale a gravement contrasté avec l’absence de suivi occidental lors de la vague d’attentats réellement terroristes (envers des civils) particulièrement au couteau et à la voiture-bélier, qui a fait des dizaines de morts au cours des mois passés. Clairement, l’Occident ne se scandalise que quand il pense retrouver ailleurs les drames qu’il vit lui-même. Pourtant, la vague d’attaques au couteau contre des civils en Israël était particulièrement ignoble et terrorisante : elle impliquait que tout Israélien-ne, même une mère promenant son enfant en poussette, pouvait être attaqué(e) à tout moment dans la rue.
Or, dans une guerre médiatique où chaque partie cherche à garder, malgré tout, une image de respectabilité, le fait que des médias et des politiciens s’offusquent plus par un attentat visant des militaires que par ceux qui visent sciemment des civils revient à cesser de décourager les factions palestiniennes de s’en prendre aux seconds, voire même à les y inciter.
Pour la presse et nos politiciens, qualifier correctement un attentat n’est donc pas une question partisane, c’est une question fondamentale. S’ajoute à cela la question de l’avenir d’Israël. L’État veut-il rester à jamais haï par une partie du monde, en guerre permanente, soumis au terrorisme ? Ou veut-il, un jour lointain, pouvoir cohabiter avec ses voisins ? Est-il, par exemple, prêt à investir les 35 milliards de dollars prêtés par les USA pour son armement dans la relance économique de la Cisjordanie et la conversion des multiples camps palestiniens de la région en zones viables économiquement, socialement et humainement ? Je crois hélas que cette manipulation de Benyamin Netanyahu, et la loi votée hier, nous donnent la réponse.
ANNEXE.
Terrorisme et résistance armée, une définition complexe.
Dans une interview de Libé, Gérard Rabinovitch établissait une distinction radicale entre le terrorisme et la résistance. Or, si philosophiquement la démonstration — à lire — se tient, elle ne résiste pas à l’examen des faits. Alors que leur valeur sémantique est aujourd’hui strictement opposée (le terrorisme, c’est le diable et la résistance armée est glorifiée), ces deux mots désignent des activités qui peuvent se compléter et se confondre.
L’image d’Épinal qui nous est proposée par tout belligérant exposé à des actions violentes est de considérer que toute action terroriste disqualifie totalement celui qui l’exécute et tous ceux qui la soutiennent, ainsi que toutes leurs actions futures. A contrario, la résistance armée serait une activité d’une noblesse absolue, même quand elle se réjouit ostensiblement de la mort d’adversaires souvent très jeunes.
Nous avons, pour repère proche du concept de résistance en France et en Belgique, la seule résistance au nazisme, un régime qui n’est absolument pas comparable à celui d’Israël. Le premier est génocidaire, le second est nationaliste et certes violent. Mais la brutalité phénoménale et la barbarie des factions et du gouvernement qui se font la guerre en Syrie ou au Yémen ont permis, par contraste, de rappeler qu’Israël fait preuve d’une retenue certaine. On notera tout particulièrement la performance du Hezbollah cher à Abu Jahjah, soi-disant « pro-palestinien » jusqu’au bout de l’AK47, mais qui soutient un régime qui a martyrisé la population du camp palestinien de Yarmouk, près de Damas, n’hésitant pas à lui envoyer des barils explosifs dans des actions qui n’avaient pas la moindre valeur stratégique. Au passage, curieusement, une partie de l’extrême gauche soi-disant propalestinienne ne soutient pas les Palestiniens de Yarmouk, mais bien leurs bourreaux. Le PTB, par exemple.
Israël n’en est pas moins un État occupant et invasif, brutal certes, mais dans une région où la brutalité atteint un paroxysme partout ailleurs. Cela n’empêche que sa qualification systématique de terroriste dans toute opposition est sujette à caution.
Même en France et en Belgique francophone, après la Deuxième Guerre mondiale, il a été difficile de nuancer la glorification de la résistance, alors que des actes de barbarie ont bien été commis en son nom. Nous avons été invités au contraire à avaliser une vision manichéenne : les résistants étaient tous bons, les occupants, tous abominables. Cela semblait bien entendu nécessaire après la guerre pour souligner la barbarie de l’ennemi. Mais le temps a passé.
Pour certains, seuls les actes à portée militaire immédiate pourraient être qualifiés de résistance. Pourtant, la Résistance à l’occupation nazie a elle-même posé des actes sans valeur militaire directe qui étaient notamment destinés à terroriser l’ennemi (exécution arbitraire de Feldgendarmes ou de permissionnaires non armés, déraillement de trains sans valeur stratégique) ou ses sympathisants (exécution de collabos, mais aussi de simples sympathisant-e-s de l’occupant).
Les armées libératrices engagées dans les combats les plus nobles ont elles-mêmes eu recours à un terrorisme de masse. Mais il ne viendrait à l’esprit que d’extrémistes de disqualifier l’ensemble des opérations alliées sur base de quatre actes terroristes d’État pourtant épouvantables : les bombardements incendiaires de Dresde et de Tokyo, et ceux, nucléaires, d’Hiroshima et de Nagasaki, qui visaient sciemment des populations presque exclusivement civiles, et étaient destinés à terroriser l’ennemi pour accélérer la fin de la guerre.
Certains considèrent aussi que la disproportion des réactions militaires israéliennes aux lancements de roquettes et de petits missiles pourtant très peu létaux par le Hamas (mais dirigées contre des populations civiles, donc effectivement terroristes), relève d’une forme de terrorisme d’État. On peut se poser la question quand on voit le bilan de la dernière guerre de Gaza : 521 enfants morts d’un côté, un seul de l’autre. Même s’il est évident que le Hamas expose ses propres civils à des dangers démentiels et utilise ses victimes comme des trophées médiatiques, une telle disproportion correspond-elle à un objectif strictement militaire, ou participe-t-elle plutôt, principalement, de l’intention de terroriser l’adversaire pour qu’il cesse toute forme d’action armée ? Ou pire, à l’inciter à la vengeance perpétuelle ?
Dans les deux cas, on peut s’interroger sur l’efficacité d’une telle disproportion.
Le terrorisme comme arme de décrédibilisation massive
Le gouvernement israélien nous invite à regarder le terrorisme comme le mal absolu et tout lien avec celui-ci comme une cause d’exclusion définitive de la nature humaine elle-même. Son but est de décrédibiliser totalement toute résistance palestinienne. C’est de bonne guerre : tout belligérant a la même attitude.
Mais les choses sont évidemment beaucoup plus complexes. En Irlande du Nord par exemple, où le terrorisme a pu apparaître à beaucoup comme la seule voie de résistance possible face à un pouvoir militairement hégémonique, particulièrement après le Bloody Sunday.
Des deux côtés (protestants et catholiques), des actes purement terroristes ont pourtant tué un nombre effroyable de civils. Cela n’a pas empêché le mouvement catholique (IRA, Sinn Fein…) d’être compris par beaucoup d’Européens, et même d’être perçu comme une forme certes radicale de résistance. Le fait que l’IRA se soit allié à l’Allemagne nazie n’a fait que soulever quelques sourcils. Mais tout cela n’a pas empêché non plus cette guérilla fratricide de déboucher, après des décennies de terreur, sur une normalisation ayant produit ensuite des politiciens considérés aujourd’hui comme parfaitement respectables dans les deux camps.
Pourtant, il n’y a aucune commune mesure entre, par exemple, le nombre de prisonniers catholiques à l’époque, et le nombre de prisonniers palestiniens, notamment détenus sans procès, en Israël. Le bilan humain n’est pas non plus comparable à celui du conflit israélo-palestinien (dernière guerre de Gaza : 2.500 morts palestiniens miliciens inclus — soit plus que le nombre de civils tués en tout en 30 ans de conflit nord-irlandais — pour 66 Israéliens). Un bilan qui n’a, à son tour, aucune commune mesure avec celui des autres guerres de la région (Yémen, Syrie, Irak).
De même, la résistance à Franco, notamment celle des Brigades internationales, est aujourd’hui pratiquement anoblie. Elle fut pourtant entachée d’un nombre ahurissant d’actes barbares ou terroristes (assassinat de centaines de prêtres et de religieuses, exécutions sommaires de prisonniers politiques et de civils…)
Côté israélien même, l’Irgoun se rendit coupable d’une soixantaine d’actes terroristes rien que de 1936 à 1939, principalement contre des civils (bombes sur des marchés, attaques de bus, trains) et reste de sinistre mémoire suite au massacre militaire de 100 à 250 civils, selon les sources, à Deir Yassine, terrorisant les Palestiniens et les incitant à fuir le pays. Sans compter l’attentat du King David, visant des militaires, mais faisant plus encore de victimes civiles.
L’Irgoun a néanmoins produit au moins un Premier ministre israélien, Menahem Begin, qui est resté dans le déni total. En face, Yasser Arafat a connu une destinée similaire et le terrorisme palestinien n’a pas non plus attendu l’arrivée de l’Exodus pour massacrer.
On le voit, le terme terroriste est un fourre-tout. La qualification d’un acte particulier est compliquée : l’assassinat de policiers par des Kurdes en Anatolie après des opérations turques au Kurdistan relève-t-il plutôt du terrorisme ou de la résistance ? Sachant que l’ONU déclare disposer d’éléments rendant crédible la suspicion d’un massacre de plus de 100 civils par l’armée turque à Cizre ? L’attaque d’un poste de police turc local après un raid aérien sur des positions du PKK, est-ce du terrorisme de la part d’un parti qui n’est pas soutenu par une majorité de la population locale, ou un acte de résistance dans le cadre d’une guerre civile ? Le pouvoir turc autocrate, violent et misogyne est-il plus légitime qu’un parti kurde d’extrême gauche, nationaliste, mais féministe ? Etc.
Tout belligérant tendra à présenter les actions meurtrières de son adversaire comme du terrorisme, aux fins de le décrédibiliser et d’emporter une guerre médiatique qui est, rappelons-le, le premier et le plus important des champs de bataille dans le conflit israélo-palestinien. Et de même, il présentera les actes les plus barbares de ses propres affidés comme, au plus, une bavure, si pas carrément comme un acte nécessaire.
La résistance palestinienne.
Alors que toutes les factions palestiniennes, y compris celles qui se bornent à une résistance pacifique (boycott, etc.) sont aujourd’hui considérées comme purement terroristes par Israël, il convient au spectateur extérieur de regarder plutôt les faits sur le terrain, un à un. L’occupation, l’oppression et le grignotage territorial israéliens sont patents. Le droit à la résistance est donc difficile à nier. Mais n’ayant ni les moyens ni la possibilité (du fait notamment des barrages et des assassinats ciblés) de créer une résistance organisée, les Palestiniens en sont réduits à poser des actes désespérés, souvent sans arme de guerre, pour harceler l’adversaire. Face à cette réalité, il est indispensable que la presse et les politiques occidentaux gardent leur sang-froid.
Car, à plus de 4000 km du conflit, il nous appartient de regarder l’avenir, loin des partisaneries. Toutes les guerres territoriales se terminent par une poignée de mains entre deux ennemis d’hier. Dans de nombreux cas, il peut s’agir d’ancien terroristes. Du jour au lendemain, ils se transforment alors en anciens résistants. Et parfois, ils obtiennent même un prix Nobel de la paix.
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29 Comments
Bison, la colle super-puissante
février 08, 15:52Tournaisien
février 09, 08:58marcel
février 09, 15:56Bison, la colle super-puissante
février 09, 16:39Miyovo Ceviki
février 09, 22:28MUC
février 12, 19:24u'tz
février 12, 23:07u'tz
février 14, 22:51DanouDan
février 08, 19:53marcel
février 08, 23:25u'tz
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février 09, 15:59Serge
février 09, 18:41u'tz
février 15, 02:00Bison, la colle super-puissante
février 09, 07:10Bison, la colle super-puissante
février 09, 19:18Tournaisien
février 08, 19:54u'tz
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février 08, 23:02Capucine
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février 09, 19:43Capucine
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