CETA : mensonges et propagande pour forcer le non : même l’ISDS n’est pas le monstre qu’on dit !
Après mon billet critique sur le refus wallon du CETA, j’ai vu affluer les articles et vidéos anti-Ceta sur ma page Facebook. qui s’est vite transformée en bibliothèque d’outils de propagande contre celui-ci. Mais qu’est-ce qu’il y a de vrai là-dedans ? À côté de points réellement sensibles, les manipulations côtoient les gros mensonges et les demi-vérités. Sur les bases que j’ai vu passer, on ne met donc pas la population en état de juger indépendamment.
À chaque « preuve » qu’on m’envoyait sur Facebook, on me mettait au défi : tiens, Marcel, et ça, hein ? C’est pas une preuve que le CETA est une catastrophe ? À un rythme et avec une ardeur hystériques : de quoi m’imposer 25 mois de recherche pour vérifier tous les points…
Je vais donc simplement examiner la justesse d’un seul de ces outils d’information ou de propagande. J’ai choisi cette vidéo canadienne réputée si révélatrice. Parce que « ce sont les Canadiens eux-mêmes qui le disent, donc, c’est d’autant plus vrai. » me fait-on savoir, en substance. Alors, voyons voir ce qu’il en est.
Quand on regarde ce clip sans rien vérifier, on conclut en effet que cet accord de libre-échange n’est pas tant un CETA qu’une CATA, et que l’ISDS (la cour d’arbitrage « privée ») est son prophète de malheur. Au passage, si c’est le sujet qui vous affole le plus, allez tout de suite au titre L’ISDS ne tue pas l’orignal, histoire de lire plus court.
Tout faux d’entrée de jeu.
Le clip commence par affirmer que l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA ou NAFTA en anglais, qui crée un marché ouvert entre le Canada, les USA et le Mexique) n’a pas apporté de bien-être ni d’emploi et sous-entend le contraire. Une affirmation fausse, littéralement.
Le graphique deux donne le taux d’emploi au Canada de 1984 à 2015. Il était en chute libre avant l’entrée en vigueur de l’ALENA. Il a grimpé en flèche jusqu’à la crise de 2008-2009. Il est toujours nettement plus haut aujourd’hui qu’à l’époque de l’accord.
La vidéo prend ensuite l’exemple d’une entreprise, Caterpillar, pour affirmer que les emplois manufacturiers sont partis vers des pays où les revenus et les protections sociales sont plus bas. Les USA d’abord, le Mexique ensuite. C’est sûrement vrai, mais c’est biaisé : prendre une entreprise en exemple ne dit pas grand chose sur l’ensemble du marché. Cela étant, il est exact que le Mexique a vu l’emploi manufacturier grossir régulièrement, jusqu’à 6% certaines années (sauf autour de la crise de 2009) suite à l’ALENA probablement, au détriment, notamment, du Canada. Ce qui n’a pas empêché l’emploi global de croître — et c’est quand même ça le plus important, non ?
On peut bien sûr affirmer que ces délocalisations sont scandaleuses, parce qu’elles détruisent l’emploi manufacturier local. Mais dans ce cas, qu’en est-il des ouvriers mexicains ? Doit-on garder jalousement l’emploi pour nos ouvriers nationaux ? Je laisse les solidaires réfléchir à cette question.
Notons au passage que le Mexique a vu affluer des masses d’investissements suite à l’accord, dont 60% pour de nouvelles entreprises. À cause des inégalités croissantes, le pays voit néanmoins la pauvreté augmenter. Mais ça, ce n’est pas à cause de l’ALENA mais de l’égoïsme d’une caste supérieure avide et accapareuse.
Qui perd gagne.
Le clip affirme là-dessus qu’au cours des 6 dernières années, le Canada a perdu 350.000 emplois manufacturiers à cause de l’ALENA. C’est de la manip. La cause la plus probable de pertes d’emplois entre 2009 et 2015 est bien évidemment la crise de 2008. Mettre ça sur le dos de l’ALENA est grossier, et montre qu’on a cherché le chiffre le plus haut possible pour impressionner.
Mais le pire, c’est que ce chiffre est complètement faux. Sur les 6 dernières années, les statistiques canadiennes officielles ne montrent pas une perte de 350.000 emplois, mais bien un gain de 1.700 emplois ! Même depuis 1994, la perte totale d’emplois manufacturiers est de 110.000 postes ! Et dans les premières années de l’ALENA, le nombre d’emplois manufacturiers a même augmenté de plus de 100.000 unités ! Second mensonge, donc !
Mais ne tombons pas dans le piège de la facilité : ce nombre ne veut rien dire si on ne le compare pas à la population active. Et là, on constate que dans un premier temps, le pourcentage de l’emploi industriel augmente en effet jusqu’à l’an 2000, mais rediminue ensuite. Aleeeerte ! L’ALENA m’a tuer mon caribou travailleur, tabernac’ !
Pas si sûr. Car l’emploi industriel diminue dans toutes les économies riches au bénéfice des services, comme le montre le graphique quatre (source) dont je n’ai toutefois pas pu vérifier l’exactitude par manque de temps, mais aussi le graphique cinq, plus fiable, publié par l’Union européenne. Amusant : avec de tels chiffres, un propagandiste pro-CETA pourrait même conclure que l’ALENA a au contraire ralenti cette baisse pendant 6 ans. Une chose est sûre, l’ALENA n’a pas ratiboisé l’emploi.
Surprise, surprise, les ménages s’endettent !
La vidéo explique aussi que le revenu des Canadiens a baissé. Là encore, c’est le contraire, il est en constante augmentation, surtout chez les femmes, comme le montre le graphique six (en dollars constants), depuis l’instauration de ALENA (source : gouvernement canadien, budget 2015-2016) !
Le clip nous informe aussi que les dettes des ménages « battent des records historiques ». En soi, c’est vrai. Mais là encore, elles étaient déjà en croissance avant l’ALENA, qui n’a pas été le facteur marquant : c’est l’augmentation des prix des logements, qui est aussi le facteur par excellence de la hausse de l’endettement des ménages en Europe, voir figure six (graphique Banque du Canada). Cet endettement a pratiquement doublé en Belgique depuis 2002, selon l’Observatoire du Crédit et de l’Endettement (graphique sept), et pratiquement exclusivement à cause des crédits hypothécaires !
Certes, dans les pays anglo-saxons (où j’intègrerai le Canada pour être bien sûr de me prendre une poutine sur la tête d’un ami Montréalais), les emprunts de consommation ont beaucoup plus d’importance, mais comment les lier à l’ALENA ? Et si le taux d’endettement est effectivement plus élevé au Canada qu’en Europe, mais ça n’a rien de très orignal : cette courbe est très similaire à celle des USA mais aussi du Royaume-Uni (qui n’a pas signé l’ALENA), et sa croissance est un tiers moindre qu’en Belgique (qui n’a pas signé l’ALENA non plus). Autrement dit, voilà surtout un argument qui ne veut rien dire. Manipulation.
Enfin, la vidéo explique que les accords de libre-échange réduisent la protection de la santé (normes phytosanitaires, etc.) « au plus petit commun dénominateur ». Rien ne le démontre, puisque le Canada vote régulièrement des normes plus sévères que les États-Unis, et c’est quelquefois l’inverse. Et comme on peut le voir dans la deuxième partie, l’ISDS n’empêche pas ces normes. En fait, les États gardent tout pouvoir de réguler indépendamment, à une condition toutefois : que les normes soient basées sur des études scientifiques et que celles-ci ne servent pas à discriminer les entreprises des États partenaires. L’ALENA n’empêche donc pas la régulation, ne réduit pas la protection des consommateurs, mais à la condition en effet qu’on soit rigoureux dans l’établissement et la motivation de ces normes. Est-ce un mal ? Je ne crois pas.
Bref, nous avons ici affaire à très un bel outil de propagande, basé sur des manipulations, des mensonges, des assimilations grossières, qui part du but à atteindre (empêcher le CETA) pour ensuite chercher les arguments qui pourraient l’alimenter. Reste à décortiquer ses affirmations sur l’ISDS, où je vais montrer que la vidéo utilise des raccourcis et des mensonges, dans la seconde partie de cet article. Ceux qui n’aiment pas lire beaucoup d’un coup peuvent le lire demain !
PARTIE 2
L’ISDS ne tue pas l’orignal.
La vidéo canadienne se penche donc longuement sur les dérives de la cour d’arbitrage ISDS (Règlement de Différends entre Investisseurs et État, ou RDIE en français), cette « cour privée » de l’ALENA. Un véritable épouvantail qui, selon certains, permettrait à des multinationales, par exemple du tabac, de contraindre des pays à retirer les lois qui protègent les citoyens des méfaits de la cigarette.
On prend aujourd’hui encore les cas de Phillip Morris attaquant l’Uruguay et l’Australie devant de telles cours comme exemples d’abus. Mais en fait, la firme a été déboutée dans les deux cas. Il est donc faux de dire que l’ISDS permet aux multinationales de faire abroger des normes sanitaires, par exemple. Sauf à de rares exceptions qu’il faut bien sûr empêcher.
Mais dans le cas du CETA, depuis février de cette année, cette cour privée n’est plus d’actualité, elle a été remplacée par une cour publique, financée par le Canada et l’Union européenne, avec des juges sélectionnés, une cour d’appel et un contrôle par un comité mixte où siègent les ministre et commissaire du commerce extérieur canadien et européen, et qui peut adapter les règles du tribunal y compris en cours de « procès ».
La vidéo manipule pourtant aussi sciemment sur ce changement. « N’a-t-on pas entendu que la Commission a changé l’ISDS ? Mouais. Elle a juste changé le nom. Maintenant, elle appelle les trois arbitres juges. Et ils seront sélectionnés différemment ». C’est faux, ce ne sont pas les seuls changements.
Dans sa conclusion, le clip explique aussi que des entreprises américaines pourront attaquer l’Union européenne à travers ses filiales au Canada. C’est encore faux : seules des entreprises ayant un vrai lien économique pourront poursuivre les États. Et on a encore ajouté une autre sécurité : les changements abusifs de siège social pour contourner cette obligation seront une clause d’exclusion.
Cela dit, voyons tout de même ce que nous dit la vidéo au sujet de l’ISDS. Ce sont des arguments proches de ceux envoyés par des académiciens canadiens à notre presse, ou encore d’un article du Canard enchaîné qui affirmait en 2014 que le Canada avait perdu 30 arbitrages sur 30. On va voir que c’est juste absolument faux (aussi).
Selon le clip, le Canada serait « le plus attaqué » des États ayant introduit un système d’ISDS. Il est vrai que le gouvernement canadien a été confronté à la bagatelle de 38 plaintes de ce type en vingt ans (et non 37 comme le stipule le clip). C’est impressionnant. Mais la question fondamentale est : combien de plaintes ont abouti à une condamnation du Canada ? Et aussi : pour quelles raisons le pays a-t-il alors été condamné ? Histoire de voir si ces cours sont aussi partiales qu’on dit.
Un tribunal coulant comme un bon brie (AOC).
Il y a aujourd’hui 9 plaintes courantes contre Ottawa (dont deux déposées, héhé, par de très méchantes multinationales qui fabriquent de très dangereuses, haha,… éoliennes) ; 13 autres arbitrages ont conduit à un règlement ; 16 plaintes ont été retirées ou sont aujourd’hui inactives (dont une assez savoureuse sur la chasse au caribou).
Sur les 13 règlements aboutis, le Canada a été condamné 3 fois (soit moins d’une fois sur 4) : dans les affaires Mobil (pour 17 millions de dollars canadiens) ; très partiellement (1 article sur 4) dans l’affaire Pope & Talbot (500.000 $ US, frais inclus), et dans le cas SDMI (7 millions $, coûts inclus mais hors intérêts).
Le Canada a réglé la dispute à l’amiable à trois reprises : par un versement de 130 millions $ à AbitibiBowater. Celle-ci avait été expropriée par la province de Terre-Neuve, qui lui avait carrément interdit de se défendre devant un tribunal civil — une belle démonstration du fait que la justice d’un État n’est pas forcément une garantie de… justice commerciale. Et donc de la nécessité d’un arbitrage, du moins, si l’on veut que les investisseurs alimentent notre marché du travail.
Le Canada a ensuite clôt une dispute sans versement d’argent dans l’affaire Dow AgroScience, où il était accusé d’avoir interdit un pesticide dont la nocivité n’avait pas été démontrée, créant artificiellement une discrimination envers une entreprise américaine — or toute discrimination est interdite par le traité.
Enfin, c’est aussi par règlement à l’amiable que s’est close l’affaire Ethyl Corporation, que je vais développer ci-dessous — c’est celle-là qui est brandie dans la vidéo pour affirmer que l’ISDS permet de polluer. Une accusation fausse, à nouveau. Mais pire encore, ce n’est pas devant Ethyl (la méchante multinationale) que le Canada s’est incliné, mais bien devant trois de ses provinces (les institutions locales) !
Côté face, nos cousins acadiens et associés ont gagné dans les affaires St-Marys, Gallo, Centurion, Chemtura — qui a dû payer 2,9 millions de dollars canadiens pour les frais de justice —, Merryl, United Parcels et DIBC — condamné aussi à verser 2 millions de frais au Canada. Autrement dit, dans 7 affaires, soit plus de la moitié des affaires réglées, la « multinationale » n’a pas eu gain de cause.
Au total, sur 29 affaires lancées contre le Canada et classées ou réglées, il en a donc perdu 6, soit une sur 5. Et sur les près de 6 milliards réclamés par les « multinationales », le pays aura déboursé 155 millions de dollars (mixtes Canada/US), hors frais et intérêts, soit seulement 2,6 % des montants exigés par les multinationales !
L’ISDS de l’ALENA n’est donc pas à la botte des multinationales. Absolument pas. Ni un instrument à ruiner les pays signataires.
Évidemment, quand la vidéo affirme qu’il y a pour 1,75 milliards de plaintes en cours (la 38e affaire porte la demande à 6,8 milliards… ahlala, ils ont raté ça !), on a très peur pour les Acadiens et les Acadiennes. Mais ça ne veut strictement rien dire : si dans les affaires à régler aujourd’hui, le Canada perdait dans la même proportion financière que dans les affaires précédentes, cela lui coûterait en fait 175 millions de dollars.
Qui veut gagner des millions ?
Mais bon. Les 155 millions d’amendes payées par le Canada, en soi, ça paraît beaucoup. Mais si l’on divise ce chiffre par le nombre d’années depuis la signature de l’ALENA (22 ans), ça nous donne en moyenne 8 millions de dollars par an, soit 0,003% du budget fédéral de 264 milliards de dollars en 2015-2016. Une paille, une vraie.
Ceci explique probablement que le pays des érables n’ait pas particulièrement peur d’un système de type ISDS avec l’Union européenne. Néanmoins, l’effort administratif requis pour le pays attaqué, et le fait que les arbitres ont tendance à réduire le montant des frais demandés par les pays, explique probablement que nos amis Canadiens aient facilement accepté de remplacer la cour privée par un tribunal public, sûrement encore imparfait, mais pouvant évoluer.
Une preuve du respect de la protection des consommateurs
Sur le droit de légiférer contre des produits toxiques, une chose prétendument rendue impossible par l’ISDS selon ses opposants, le cas Chemtura évoqué ci-dessus est intéressant. Cette entreprise fabriquait de l’engrais au lindane, et prétendait avoir perdu des bénéfices du fait de interdiction de ce lindane (un antiparasite utilisé dans l’engrais) par le Canada. Le gouvernement a pu démontrer que le lindane était bien nocif pour la santé, et Chemtura a donc été débouté. Purement et simplement.
Il y a aussi l’affaire Lone Pine, pendante, et montée en épingle dans la vidéo comme la contestations d’une interdiction de fracking par le Canada pour extraire du gaz sous le Saint-Laurent (en réalité, c’est une interdiction globale d’extraction de gaz et de pétrole sous le Saint-Laurent). Lone Pine est une multinationale américaine qui exige apparemment de pouvoir polluer sous un fleuve parce que le Canada l’y a autorisée précédemment. Crévinzut !
Après, ça terrorise évidemment la population qu’on conteste une interdiction postérieure, et la voix dans le clip insinue que, grâce à la cour d’arbitrage, cette multinationale aura gain de cause. Sauf que comme pour le lindane, le Canada semble cette fois avoir basé son interdiction sur des études scientifiques sérieuses. Il ne paraît pas non plus avoir discriminé des entreprises étrangères. À mon avis, il y a donc peu de chances que Lone Pine l’emporte. Vous me direz que je préjuge. En effet, mais qu’est-ce que les auteurs de la vidéo ont fait, sinon présenter un dépôt de plainte (toujours légitime) comme une victoire de la multinationale ?
Le cas de DIBC (débouté) est aussi intéressant, puisque l’ISDS s’est carrément défaussé au profit des tribunaux publics américains. Autrement dit, non seulement, les arbitres déboutent généralement les méchantes multinationales, mais en plus, ils sont capables de se déclarer non-compétents et de renvoyer l’affaire vers un tribunal public.
Conclusion : l’ISDS peut choquer, gêner, inquiéter, troubler voire scandaliser, mais ce n’est pas la machine à imposer la loi des multinationales aux États qu’on nous décrit. On vous a, encore une fois, menti.
Dans la dernière partie, j’examine le cas d’Ethyl qui mérite une chtite analyse approfondie et révèle des paradoxes étonnants, et notamment, que la norme canadienne est parfois supérieure à l’européenne ! Si vous avez mieux à faire, vous pouvez toujours le lire après-demain !
PARTIE 3
L’ISDS Ethyl une menace ?
Que dit la voix d’institutrice ironique mais scandalisée de la vidéo ? « Il était une fois le Canada qui avait interdit l’importation d’essence contenant du MTM. C’est un neurotoxique suspecté. À travers l’ALENA, une compagnie américaine, Ethyl Corporation, a forcé le Canada à retirer son interdiction. En plus, le Canada a dû payer la bagatelle de 10,2 millions d’euros ».
Aleeeeeerte ! L’ISDS permet à des entreprises privées d’imposer des neurotoxiques aux États ! Au secours ! On va tous mour…
Bon, voyons les faits. L’entreprise Ethyl Corporation fabrique le MTM ou Méthylcyclopentadiényle tricarbonyle de manganèse — celui qui arrive à prononcer ça gagne un pot de sirop d’érable bio. C’est un additif qui remplace le plomb, notamment depuis 1975 aux USA, pour augmenter le taux d’octane de l’essence et donc son efficacité. Ethyl le commercialisait aussi au Canada. En 1995, le Canada a voté une loi qui en interdisait l’importation, ainsi que le commerce entre provinces. Et le problème est là, et non pas dans des prétendues normes environnementales.
Car ce que le Canada n’a jamais interdit, c’est la fabrication et l’utilisation du MTM ! Tabernacle !
Une grosse affaire de blé… bio ?
Autrement dit, il « suffisait » à une compagnie canadienne de construire une usine pour produire cet additif dans chaque province, et elle pouvait sans problème le vendre, et les voitures, l’utiliser ! Mais pire encore, en interdisant le commerce entre provinces, le gouvernement fédéral violait le traité qui le lie aux provinces. Un peu comme si aujourd’hui, le gouvernement belge signait le CETA sans l’accord de la Wallonie, hem hem.
Et comme, à terme, l’exportation entre provinces aurait de toutes façons été annulée, une entreprise canadienne aurait pu en produire, et en vendre, alors qu’une américaine n’aurait pas eu le droit d’en exporter au Canada ! Et ça, c’est déloyal dans un marché unique. Un traité sert justement à empêcher ces discriminations protectionnistes.
Cette mesure canadienne ne réduisait donc pas le danger du neurotoxique présumé, et elle privilégiait les entreprises canadiennes. Et pas forcément des producteurs de MTM éventuel : pendant le débat sur la loi (Bill C-94), un député canadien a ainsi affirmé que l’objectif du Législateur n’était pas de protéger la santé des Canadiens, mais bien de favoriser les producteurs de blé locaux qui fournissaient les fabricants de biocarburants.
Santé Canada contre l’interdiction
Et maintenant, la question à deux balles : pourquoi la loi en question n’interdisait pas le MTM ? Eh bien, simplement, parce qu’à de multiples reprises, l’office de la Santé du Canada (Santé Canada) a considéré qu’il ne constituait pas un risque dans les doses auxquelles l’usage dans les voitures exposaient les citoyens. Et pourtant les normes maximales utilisées par le Canada (0,11 µg/m3) sont aujourd’hui encore plus sévères que celles de l’OMS (0,15 µg/m3) (Alex C. Michalos, Trade Barriers to the Public Good, McGill-Queens Press, 2008, p. 79).
Si Santé Canada ne considérait pas l’additif comme toxique, son interdiction avait toutes les raisons d’être considérée comme abusive. Autrement dit, la multinationale n’a donc pas « forcé le Canada a retirer son interdiction [du MTM]», comme l’insinue la vidéo. Et ce n’est pas elle qui a obtenu le retrait de la loi, mais bien les trois provinces canadiennes qui se sont associées à la plainte : l’Alberta, le Sasktachewan et le Québec, pour violation de l’accord fédéral !
Santé Canada n’a pas changé son opinion depuis. Tout comme la plupart des États américains, elle considère toujours que la nocivité du MTM est improbable aux doses produites par le trafic. Mais tout le monde ne partage pas cet avis : le MTM est interdit dans l’essence en Californie. Et maintenant, voyons ce qui s’est passé en Europe dans le débat sur le MTM.
L’Europe légifère… mais 12 ans plus tard…
C’est en 2009 que l’Union européenne a imposé le retrait progressif de l’additif au manganèse — soit plus de 10 ans après que le Canada a maladroitement tenté de l’interdire. Et non pas sur des bases strictement scientifiques, mais en invoquant le principe de précaution. Nos institutions bruxelloises y ont consacré une véritable bataille rangée entre parlementaires, commission, ONG et lobbyistes. Pourtant, cet additif était utilisé dans seulement 3 ou 4 pays-membres, dont… la Belgique. J’ai cherché une loi belge sur le MTM, sauf erreur, il n’y en a pas. Chez nous, il semble donc toujours autorisé !
Suite à cette nouvelle règlementation, Ethyl Corporation (rebaptisée Afton depuis), qui a effectivement une sale propension à assigner tout le monde en justice, a porté plainte auprès de la Cour européenne de Justice, qui l’a déboutée. Celle-ci a noté que le Législateur avait « de sérieux doutes » sur l’innocuité du MTM, sans plus, et a donc validé l’usage du principe de précaution. Car la preuve scientifique de la nocivité, elle, reste dans les limbes ! Plus étonnant : avant de légiférer, l’Union européenne a même imposé au producteur de prouver que son produit n’était pas nocif, une étrange inversion de la charge de la preuve, selon certains.
La Cour a de ce fait recommandé une étude indépendante pour en avoir le cœur net (et les poumons propres). À ce jour, le MTM n’est toujours pas interdit au Canada, direz-vous. Mais il ne semble toujours pas interdit en Belgique non plus ! Et il est toujours autorisé, à des doses décroissantes, dans notre essence par l’UE.
Avons-nous peur de devoir faire mieux ?
Et si, après signature du CETA, Ethyl se plaignait à l’ICS ?
Eh bien il ne se passerait rien, tout simplement parce qu’Ethyl Corporation est une société principalement américaine dont la maison mère n’est pas au Canada et qui commerce des USA à l’Europe.
Et si Ethyl déménageait son siège au Canada pour pouvoir tout de même porter plainte ?
Il ne se passerait rien non plus, parce qu’un tel déménagement serait considéré comme factice.
Et s’il s’agissait d’un additif canadien ?
Eh bien, dans ce cas, il est imaginable que les juges de l’ICS statuent que, sans étude à l’appui, l’interdiction serait abusive, et pourrait privilégier d’autres producteurs, européens par exemple.
Mais partons de l’idée que l’ICS condamne l’Europe et impose un retrait de l’interdiction pour manque de preuves. Ce ne serait de toutes façon que temporaire : le jour où on présenterait la preuve de la nocivité, la Commission européenne obtiendrait gain de cause, tout comme ce fut le cas pour le Canada, même avec l’ISDS.
Avons-nous peur d’exiger de meilleures études scientifiques ?
On me dira qu’une telle décision, hypothétique, serait inquiétante quant à l’usage du principe de précaution — du reste en vigueur aussi au Canada, et depuis 1992 ! Peut-être, mais elle ne serait pas forcément une atteinte à la santé publique, à terme. J’mesplique.
Le fait de devoir baser des interdictions sur des bases scientifiques solides inciterait les États, et l’Union, à être plus proactifs et à baser leurs décisions sur des études moins contestables (comme ce fut le cas pour le plomb). C’est aussi une incitation à financer des études indépendantes, qui nous permettraient d’être plus rapidement aptes à prendre des précautions sérieuses. On n’a toujours pas aujourd’hui de bonnes études sur la cigarette électronique, par exemple.
Et si l’on appliquait le principe de précaution de façon systématique elle devrait donc être interdite. Mais cela reviendrait peut-être à interdire une parade efficace contre la cigarette. Oups. De même, vu leurs effets révélés par des dizaines d’études sur les téléphones portables, sans fil, ou le Wifi, tout cela devrait être interdit en Europe. Sauf que bien sûr, d’autres dizaines d’études affirment qu’il n’y a aucun risque. Et que sans ces appareils, nous régresserions bien vite au stade de pays en voie de sous-développement.
Bref, un effort de financement scientifique est indispensable à une régulation raisonnée.
Et ce ne serait pas le seul avantage : un tel investissement permettrait aussi de ne plus légiférer sur base des arguments d’entreprises ou de groupes de pression, mais sur des bases scientifiques, au service de la seule population.
Interdire un nocif présumé peut être nocif à son tour.
Dans le cas canadien, Ethyl Corporation revendiquait que son produit diminuait les émissions de NOx (oxyde d’azote) de 20 %. Ceci impliquait que l’interdiction [de l’importation] du MTM était contre-productive parce qu’elle induisait une nocivité plus grande par ailleurs. Mais le chiffre de 20 % était loufoque. Une étude canadienne évoquait alors environ 5% d’augmentation du NOx. On peut donc se demander si, avec les éléments dont il disposait, le Canada avait raison de tenter, par des chemins biaisés, de faire disparaître le MTM, tout en augmentant… le NOx, nocif et facteur de smog. Ceci explique peut-être que Santé Canada n’ait pas souhaité interdire le MTM.
Entretemps, une étude financée par les fabricants d’automobiles (donc aussi sujette à caution) indique que le MTM augmente au contraire (mais légèrement) le NOx — mais ils militent contre le MTM… Donc, on ne sait toujours pas, 20 ans après l’interdiction canadienne ! Car aucune de toutes ces études n’a de méthodologie suffisamment crédible pour être décisive. Pourtant, il y a bien une alerte, de plusieurs scientifiques qui ont été jusqu’à affirmer que le manganèse était aussi toxique que le plomb, contrairement à l’OMS. Autrement dit, c’est le gros bordel. Il nous faut de meilleures études !
Quand le lobby antilobby défend le lobby proloby.
Revenons à l’interdiction du MTM par l’Union européenne. Selon Politico, nos législateurs ont dépensé une énergie folle pour discuter, puis voter une interdiction sur une base peu scientifique. Le plus cocasse étant que le principal adversaire du MTM, qui a mis une pression proche de l’hystérie sur l’UE, n’avait aucun intérêt sanitaire : c’était le lobby des constructeurs automobiles ! Ceux-ci affirmaient que le MTM accélérait le vieillissement des catalyseurs et leur coûtait donc cher, dès lors qu’ils devaient parfois remplacer gratuitement ces composants sous garantie à cause, selon eux, du MTM. Bref, les plus grosses multinationales dans cette affaire étaient dans le même camp que les… écologistes ! Mais pas du tout pour les mêmes raisons.
Alors, une interdiction nous rassure, évidemment. Mais une décision sur une base aussi floue est-elle un signe de bonne gouvernance ?
Les députés, les lobbies, les défenseurs de l’environnement se sont affrontés intensément sur le MTM, très peu utilisé. Très bien. Mais on n’a toujours rien fait de convaincant pour se débarrasser d’un carburant qui semble bien plus nocif et qui est un cancérogène reconnu par l’OMS : le diesel. On n’a même pas tenté sérieusement d’en réduire la consommation ou d’en freiner la commercialisation. Certains concessionnaires de marques qui ont beaucoup misé sur ce carburant font tout pour vous décourager d’acheter un moteur à essence, même si vous ne faites que 15.000 km par an ! Et c’est cette industrie, la même qui privilégie un véritable poison, la même qui truque ses systèmes et ment effrontément sur les chiffres de consommation de ses véhicules, qui a eu gain de cause pour un additif peu utilisé, et dont la nocivité est loin d’être démontrée ! On marche sur la tête.
L’idée que l’Europe est un modèle est donc surfaite, tout comme celle que le norme est systématiquement plus sévère chez nous. Exemple. Alors que la quantité de plomb dans l’essence a commencé à être réduite dès 1972 aux USA, l’Europe ne l’a interdit totalement qu’en l’an 2000, soit quatre ans après l’interdiction définitive aux États-Unis, et dix ans après le Canada ! Un retard énorme pour un métal extrêmement dangereux, à toutes les doses. Et pourtant, l’Américain n’a pas eu la législation si facile. Après les premières lois sur la réduction (phase-out) du plomb dans l’essence, dans les années 80, les USA ont été confrontés à une bataille juridique ardue engagée par un producteur d’additif au plomb. Ce producteur s’appelait… Ethyl Corporation.
Conclusion
L’arbitrage fait sens dès lors que certains États ont du mal à accepter le principe fondamental d’un traité de libre-échange, à savoir la discrimination. L’incitation à investir dans un pays tiers est plus grande si les entreprises (pas forcément multinationales) disposent d’un outil permettant de garantir leurs investissements contre des distorsions de concurrence, des nationalisations subites ou d’autres formes d’expropriations. L’investissement est ce qui nourrit l’économie (mais pas forcément le peuple, comme le montre l’exemple mexicain — ça, c’est à la législation sociale de l’assurer). Si la Wallonie veut plus d’emploi, elle ne peut pas se passer de multinationales — hélas, dirons-nous. Ni des sécurités qui vont avec. Mais à trop vouloir se protéger, on prend le risque de passer à côté d’opportunités réelles. Nul ne sait aujourd’hui si le CETA apportera effectivement de l’emploi. Mais c’est un nain à côté de l’Europe, le niveau de vie y est supérieur et c’est tout, sauf un monstre qui chercherait à diminuer nos normes sanitaires, et les siennes. Bref, la Wallonie est peut-être en train de protégée, seule contre tous, les habitants de 28 pays d’Europe dont les dirigeant sont trop crétins ou trop mous pour résister à l’envahisseur. Ou alors, elle perd une occasion de progresser, ce qui serait un comble pour une région déjà sinistrée. À vous de voir. Mais pitié, pas sur base des mensonges éhontés qu’on nous colporte, et ceux ci-dessus ne sont peut-être que le sommet de l’iceberg !
Cet article a pris trois jours de recherche et de comparaisons, à partir de dizaines de sources les plus indépendantes possibles. Si vous pensez que j’ai fait mon travail d’information et de vérification, n’hésitez pas à contribuer à raison d’au moins 2 €
124 Comments
moinsqueparfait'
octobre 24, 12:07Riton Laveur
octobre 24, 12:14Antoine Dellieu
octobre 26, 15:52marcel
octobre 26, 19:16Riton Laveur
octobre 24, 12:32Eridan
octobre 25, 10:29Salade
octobre 24, 14:23Salade
octobre 24, 14:28Salade
octobre 24, 14:39Eridan
octobre 24, 17:03marcel
octobre 24, 18:49Eridan
octobre 24, 19:42denis dinsart
octobre 25, 07:23Ze ph11 (@ph11)
octobre 24, 17:16Eridan
octobre 24, 17:25Eridan
octobre 24, 17:38Salade
octobre 24, 21:07Mathias
octobre 24, 21:21marcel
octobre 25, 15:51Eridan
octobre 25, 17:03Antoine Dellieu
octobre 26, 15:44marcel
octobre 26, 19:17u'tz
octobre 24, 22:23moinsqueparfait'
octobre 25, 00:10Eridan
octobre 25, 18:15moinsqueparfait'
octobre 25, 20:34Eridan
octobre 26, 17:48moinsqueparfait'
octobre 27, 09:22Eridan
octobre 26, 03:29Eridan
octobre 25, 06:37Eridan
octobre 25, 06:54Rivière
octobre 25, 16:54Eridan
octobre 25, 09:15Rdu
octobre 25, 09:19marcel
octobre 25, 15:55olivier ruy
octobre 25, 10:17Tournaisien
octobre 25, 11:39vince01
octobre 25, 12:32marcel
octobre 25, 16:00Antoine Dellieu
octobre 26, 15:38marcel
octobre 26, 19:18Eridan
octobre 25, 12:40degl'innocenti
octobre 25, 12:42Nasdrovisky
octobre 25, 14:01marcel
octobre 25, 16:03Nasdrovisky
octobre 25, 14:11marcel
octobre 25, 16:03Antoine Dellieu
octobre 26, 15:31marcel
octobre 26, 19:22Linda
octobre 25, 15:03marcel
octobre 25, 16:05Salade
octobre 25, 18:59Gérard
octobre 25, 15:43marcel
octobre 25, 16:06insoL
octobre 25, 16:42moinsqueparfait'
octobre 25, 16:50Cécile Saint-Ghislain
octobre 25, 17:32marcel
octobre 25, 19:19Antoine Dellieu
octobre 26, 15:24Rivière
octobre 25, 18:20marcel
octobre 25, 19:31Rivière
octobre 26, 10:42Rivière
octobre 26, 17:22Daniel Bonmariage
octobre 25, 18:31marcel
octobre 25, 19:37u'tz
octobre 25, 21:21paul
octobre 25, 23:03marcel
octobre 26, 13:02Wallimero
octobre 25, 21:14Rivière
octobre 26, 17:31Eridan
octobre 26, 18:10Eridan
octobre 26, 04:01vince01
octobre 26, 09:59ziloaloa
octobre 26, 10:00Alain
octobre 26, 11:05Chantal Moreels
octobre 26, 12:55Pfff
octobre 26, 14:01Eridan
octobre 26, 19:16Antoine Dellieu
octobre 26, 13:26marcel
octobre 26, 14:01Antoine Dellieu
octobre 26, 15:58marcel
octobre 26, 19:16Salade
octobre 26, 22:03Eridan
octobre 28, 19:22Eridan
octobre 26, 19:05MUC
octobre 26, 17:10Eridan
octobre 26, 19:37Salade
octobre 26, 22:08Muc
octobre 27, 19:04Eridan
octobre 28, 17:44moinsqueparfait'
octobre 29, 19:54MUC
novembre 02, 19:56moinsqueparfait'
novembre 03, 21:56MUC
novembre 04, 16:17moinsqueparfait'
novembre 05, 11:20MUC
novembre 08, 16:16moinsqueparfait'
novembre 09, 20:16u'tz
novembre 04, 15:57u'tz
novembre 04, 16:03u'tz
novembre 04, 16:06moinsqueparfait'
octobre 27, 19:38MUC
octobre 28, 14:33denis dinsart
octobre 29, 22:07moinsqueparfait'
octobre 30, 19:32MUC
novembre 02, 20:21moinsqueparfait'
novembre 03, 11:36moinsqueparfait'
novembre 03, 13:44u'tz
novembre 04, 16:39moinsqueparfait'
novembre 05, 10:52MUC
novembre 08, 16:02MUC
novembre 05, 22:18moinsqueparfait'
novembre 08, 10:39larryinbrussels
octobre 26, 20:29marcel
octobre 26, 21:38Minimale
octobre 27, 00:43Démocrate
octobre 27, 02:24Tournaisien
octobre 27, 09:07Tournaisien
octobre 27, 12:45u'tz
octobre 30, 23:51Eridan
octobre 27, 13:59Alain Deloir
octobre 27, 14:50François
octobre 27, 19:35Eridan
octobre 27, 20:00Cedric
octobre 28, 03:00