Ah, ça ira ! La CGSP prône le coup d’État.
C’est une circulaire (authentifiée) de la CGSP Tram-Bus-Métro, distribué au personnel du groupe TEC par l’interrégionale wallonne de la CGSP (le pendant services publics du syndicat socialiste FGTB). Elle explique d’abord que le secrétaire général Patrick Lebrun « a fait ratifier par l’ensemble des secteurs et des intersectorielles […] la motion d’actions continues pour en finir avec ce gouvernement ». Elle appelle tous les affiliés du secteur Tram-Bus-Métro, ainsi que ceux des autres services publics et du privé, à faire du 31 mai le « premier jour d’une grève pour renverser ce gouvernement ». Et comme si ce n’était pas assez clair, Johan Lambert, vice-président wallon, termine la circulaire en répétant : « il faut faire tomber ce gouvernement ».
Depuis, le mot d’ordre a été traduit le plus officiellement du monde sur le site de la CGSP wallonne, dans des termes exempts de toute ambiguïté puisque l’action d’hier était intitulée : « En finir avec ce gouvernement ».
Pour sa cheffe flamande, la CGSP a violé ses propres statuts.
Pour le coup, la CGSP wallonne fait un cavalier seul très seul, puisque sa propre fédération néerlandophone, l’ACOD, ne la suit pas. Selon sa présidente Chris Reniers, la CGSP a même violé les statuts du syndicat fédéral. « Une grève générale doit être approuvée par une majorité des 2/3, la base doit être consultée », martelait-elle dimanche dans De Zevende Dag (VRT). Or, la partie flamande du syndicat a été ignorée et la base, priée de suivre un ordre qui venait d’en haut. Quant à faire tomber le gouvernement, pour l’ACOD, il n’en est pas question. Pour elle, « les différents gouvernements de notre pays sont les employeurs de mes membres. » Elle rappelle qu’elle s’oppose bien entendu à la gestion de Michel I et à son « attaque idéologique contre le service public », tout comme le faisait logiquement la partie wallonne jusqu’ici. Mais c’est fini.
Le syndicat socialiste national du service public s’est donc scindé entre les realpoliticiens flamands — qui soulignent, par exemple (à tort ou à raison), que les propositions de Koen Geens sur les gardiens de prison sont bonnes, et qui ont voté la fin de la grève —, et les jusqu’au-boutistes wallons, révolutionnaires en diable, passés en mode Ah ça ira ! Ça ira ! Ça ira ! Les Réformateurs à la lanterne, qui ne se calmeront apparemment que lorsque tout aura été détruit, y compris le lien entre l’aile néerlandophone et l’aile wallo-bruxelloise du syndicat.
Mais l’affaire n’est pas communautaire. Cette fuite en avant, en orbite improbable, au son d’une revendication insensée, ne concerne qu’un syndicat francophone : la FGTB, et surtout son pendant « services publics », la CGSP. Et en Wallonie même, la FGTB ne représente que 35 % des syndiqués, loin derrière son partenaire le plus proche, le syndicat chrétien CSC (51 %). Et tout comme les Flamands de l’ACOD, ce dernier regarde son confrère avec perplexité. Déjà en octobre 2015, la CSC choisissait une autre route stratégique après l’appel de la FGTB à une grève générale en province de Liège. La frustration d’avoir été mise devant le fait accompli était palpable : « un front commun, ça se discute et ça se construit ENSEMBLE. Nous aurions souhaité débattre au moins de la date et de la forme de l’action… » En mai de cette année, le syndicat chrétien se désolidarisait à nouveau de la grève nationale du 24 juin.
Goblet flingue d’abord, s’escuz ensuite…
Ce n’est pas la première fois que les socialos partent bille en tête, en solo. Mais ici, la machine semble s’être emballée. Les causes de la superagitation sont connues : le caractère minoritaire en Wallonie du gouvernement « des droites » de Charles Michel, un PS grignoté sur sa gauche par le PTB (Raoul Hedebouw ne rate pas une occasion d’encourager les manifestants et les grévistes de piquets), des mesures gouvernementales discutables, et l’incapacité de Charles Michel d’offrir un véritable espace de concertation, coincé par sa majorité flamande menée par Bart « There Is No Alternative » De Wever en coulisse.
Mais la cause décisive de l’inflammation générale est probablement l’arrivée de Marc « j’flingue d’abord, j’m’escuz ensuite » Goblet à la tête du syndicat socialiste. Depuis, il semble engagé dans une spirale infernale. Goblet appuie sans cesse sur l’accélérateur des revendications, reprochant au gouvernement de refuser toute « concertation » alors qu’il a lui-même commencé par organiser des grèves et des manifs avant de discuter. Une façon musclée de s’imposer, à l’ancienne, mais au bout d’un moment, le citoyen se retrouve décontenancé, à compter les points entre l’organisation syndicale et la Suédoise. En face, Charles Michel affirme être à l’écoute, tout en assénant que son gouvernement ne bougera pas d’un pouce. Deux monologues de sourds. On est frais !
Pourtant, il y a de vrais combats syndicaux à mener, et en suffisance. Ils sont explicables, pour peu qu’on en prenne la peine : la perte de jours de congé à la SNCB constitue un viol des accords passés précédemment entre la direction et les syndicats ; la réforme des prisons, soit mal expliquée, soit mal embouchée, ne semble pas assurer l’amélioration d’une situation déjà catastrophique depuis des décennies ; la magistrature est épuisée par un demi-siècle de déni de gestion de la part des gouvernements successifs, dont celui de Di Rupo (PS, pour rappel aux distraits) ; les exclus du chômage (du gouvernement précédent aussi) auraient de même des choses à revendiquer…
Mais ça ne suffit pas à la FGTB, il faut plus encore. Toujours plus. Au risque d’oublier d’expliquer clairement, pour commencer, les grèves qui peuvent ou doivent l’être : on tombe de sa chaise quand on découvre que la première personne qui ait permis au citoyen de comprendre la grève de la SNCB n’est pas un-e porte-parole de la CGSP, mais bien une cheminote, sur sa page Facebook !
Le Doubleyou Bush de la lutte des classes.
Preuve que Marc Goblet vit encore dans un siècle où la communication, tout comme une large adhésion populaire n’était qu’accessoires. Il a aussi une vision désuète et violente de la confrontation sociale envers « les puissants » en général, qu’ils soient patrons ou ministres, directeurs de PME ou chef de bureau au SPF Justice. Même les étudiants ne sont plus assez prolétaires pour lui. C’est le Doubleyou Bush de la lutte des classes : on est soit totalement avec lui, soit totalement contre lui. Et après moins de deux ans de coalition « MR/N-VA » (comme ils disent), sa fédération s’est fendue du zéro absolu de la revendication syndicale : exiger la chute du gouvernement et appeler ses membres fonctionnaires à faire une grève « au finish » jusqu’à ce que Charles Michel quitte le 16 rue de la Loi. Rien que ça !
Un « au finish » qui ne convainc pas grand monde, puisqu’il ne semble suivi que par quelques TEC régionaux (Liège, Hainaut…) mais guère plus. Et même eux ne prévoient pas d’appliquer le mot d’ordre à la lettre : on y parle de se croiser les bras jusqu’au 8 juin. Difficile d’imaginer que le gouvernement sera tombé d’ici là. Bref, la CGSP hurle à la mort et la caravane passe.
Entretemps, des travailleurs, étudiants, indépendants, retraités wallons usagers des transports en commun paient la note, salée, de ce grand foutage de gueule idéologique. La seule réponse possible du gouvernement à une revendication aussi extrême est évidemment de la rejeter ou de l’ignorer. Du coup, toute l’énergie dépensée pas le syndicat rouge est perdue d’avance.
Pire, la FGTB risque bien d’engranger… un recul du droit de grève ! Le projet de service minimum du ministre Geens, dévoilé hier par la RTBF, donnait une idée de ce qui attend les gardiens de prison d’ici quelque temps : les grèves pourront les ramener en prison, mais de l’autre côté des barreaux, cette fois ! Un projet tragi-comique, qui impose aux gardiens d’assurer, y compris en temps de grève, une qualité de services que le SPF Justice ne parvient pas à garantir lui-même en temps normal. Peu importe, le syndicat socialiste pourrait bien se réveiller dans un pays moins tolérant envers l’action syndicale où, non seulement le service public aura été réduit (comme prévu) et aura perdu en efficacité, mais en plus, le droit de grève sera soumis à des embryons de service minimum, avec l’approbation d’une population épuisée. Clap clap.
Quand le syndicat fomente un coup d’État.
Mais par-dessus tout, il y a le caractère fondamentalement antidémocratique de la revendication de la confédération services publics de la FGTB. Par le nombre, d’abord. La CGSP compte — selon son site web — 260.000 adhérents. Cela représente treize fois moins que les 3.450.000 Belges qui ont voté pour les partis de la majorité fédérale actuelle. Et même deux fois moins que le nombre de Francophones qui ont voté pour le MR (650.000). La CGSP fait donc comme si un de ses membres avait autant de pouvoir que 13 citoyens aux urnes. C’est numériquement antidémocratique. Mais outre les chiffres, c’est le viol de nos valeurs qui interpelle. Ce syndicat qui prétend défendre la fonction publique nie sciemment les principes de l’État qu’elle administre. La démocratie représentative et le système proportionnel, qui en sont les bases, sont présentés comme nuls et non avenus.
Les syndicats ont évidemment le droit de revendiquer ce qu’ils veulent, y compris la téléportation de Jan Jambon sur Alpha du Centaure. Mais ils ont aussi le devoir moral de rester dans leur rôle, qui est la défense des travailleurs, pas le bazardage de gouvernements, et de s’inscrire dans les valeurs de notre société. Surtout lorsqu’ils sont l’émanation d’un parti socialiste qui prétend user de pédagogie et fustige le populisme des partis au pouvoir. Car, qu’y a-t-il de plus populiste que de racoler une masse frondeuse en appelant, ni plus, ni moins, à un coup d’État, comme le fait la CGSP ?
Un extrémisme qui, au final, gêne les travailleurs, les indépendants et les étudiants en examen en les privant de transports publics pour rien, entraîne le pays dans des cahots communautaires dont personne n’avait besoin, et complique le travail des syndicats flamands désormais obligés de montrer que le syndicalisme n’est pas devenu une machine à destituer des gouvernements. Bien sûr, la Flandre et la Wallonie n’ont pas les mêmes problèmes, ce qui explique que certains gardiens flamands de Bruxelles, déçus par les choix de leurs collègues de Flandre, envisageraient de passer dans un syndicat francophone. Mais ça n’explique pas qu’on nie le choix démocratique d’un État de droit.
La CGSP se tire une balle populiste dans le pied.
La CGSP offre en outre des arguments au MR, sur un plateau. Car un tel radicalisme convainc que la FGTB ne milite pas tant pour la défense des salariés ou des fonctionnaires, que dans un but principalement idéologique et politique. Il devient même pratiquement impossible de le nier quand on voit que le gouvernement wallon PS-CDH, qui impose bien plus ses citoyens que ne le font les deux autres régions, et détricote aussi ses services publics, n’est pratiquement jamais visé par Marc Goblet et ses troupes.
Des grèves aussi révolutionnaires (renverser une démocratie est révolutionnaire) ne satisfont au final que les esprits les plus agressifs, revanchards et rétrogrades. Une évolution prévisible dès l’arrivée de Marc Goblet. Dans ses discours à l’hystérie croissante contre « le gouvernement MR-N-VA », il a fini par qualifier les ministres avec lesquels il est censé négocier de « gamins de merde ». Un ton ahurissant qui alimente une ambiance pousse au crime délétère.
Cette hystérie que plus personne ne semble pouvoir contenir a certainement joué un rôle dans les dérives devenues presque habituelles, les jours de grève ou de manif. Il y a quelques mois, c’était les autoroutes bloquées. Il y a quelques semaines, le saccage d’un ministère, où des grévistes ont foutu une peur bleue à des employé-e-s qui, je pense, sont aussi des travailleurs/euses. La semaine dernière, le commissaire Vandersmissen a été assommé par un « bon père de famille » pétébiste-FGTB. Hier, non contents de « saboter » des voies ferrées notamment en provoquant un court-circuit dans une cabine, les syndicalistes ont pendu l’effigie du premier ministre sur la Grand-Place place de Mons. Ils avaient pris la peine de préparer un beau gibet bien robuste.
Une mascarade qui entre peut-être dans le folklore syndical, mais montre aussi qu’on a mis le pied dans une zone dangereuse — Elio Di Rupo s’est senti obligé de condamner l’initiative digne des sans-culottes. Une pendaison qui satisfait apparemment le besoin irrépressible d’action de Marc Goblet et de ses troupes déchaînées. Mais qui ne rassure personne. La question est : jusqu’où iront-ils ? La réponse peut faire peur.
Si cet article vous a intéressé-e, n’hésitez pas à m’offrir des conditions de travail décentes pour lesquelles je revendique une contribution libre dont le minimum syndical serait de 2€.
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Pijean
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